Chapitre 33 : Où est Cica ?

Ecrit par Auby88

"L'absence est à l'amour, ce qu'est au feu le vent ; il éteint le petit, il allume le grand.

Roger Bussy-Rabutin"


Une Range Rover s'immobilise devant un grand immeuble, dont la façade extérieure est peinte en blanc. Le conducteur descend, salue le concierge, prend l'ascenseur et monte au quatrième étage. On le voit sonner à une porte. Quelqu'un ouvre et s'apprête à refermer aussitôt.

- Va-t'en !

- Non. Laisse-moi entrer ! fait-il en retenant la porte. Je t'en supplie.

L'homme à l'intérieur finit par lâcher prise.

- Entre. Que me veux-tu ?

- As-tu des nouvelles de Cica ? demande l'étranger avec des yeux suppliants.

- Non ! lance l'autre. Tu peux t'en aller !

- Vraiment, le vieux ! Vous sembliez plutôt proches tous les deux ! Je pensais qu'elle serait peut-être ici !

- Ici ! Tu es vraiment culotté, Richmond ! Tu insinues que je mens ! Allez, ne te fais pas prier. Fouille l'appartement et vois par toi-même ! complète-t-il en le fixant droit dans les yeux.

- J'ai vraiment besoin de savoir où se trouve Cica, d'autant plus qu'elle attend un enfant de moi !

- Oh, mon petit ! ironise-t-il. Maintenant, tu veux reconnaître cet enfant, après​ l'avoir rejeté.

- Cela ne s'est pas passé exactement comme cela.

- Ah bon !

Le vieux écarquille les yeux pour montrer son étonnement, puis jette un regard compatissant vers Richmond.

- Allez, raconte-moi tout, mon fils ! Je tiens à le savoir.

- C'était un malentendu entre Cica et moi. En réalité, ma mère avait échangé la vraie lettre de Cica, où elle parlait de sa grossesse, contre une tout autre, qui …


Richmond n'a pas le temps de finir.

Un violent et soudain coup de poing atterrit dans son visage et l'envoie direct sur le carreau. Il tient son nez endolori et saignant. Avec étonnement, il regarde le vieux.


- Tu n'es qu'un lâche qui n'arrive même pas à reconnaître sa responsabilité, ses erreurs et qui préfère rejeter toute la faute sur les autres ! crie le vieux en employant un ton colérique. Tu ne peux savoir combien je me sens soulagé. Cela fait longtemps que je rêvais de ce moment. Tu ne savais peut-être pas pour le bébé mais tu n'avais pas le droit de causer du chagrin à ma petite, ni de laisser ton entourage lui faire du mal.

Richmond sort un mouchoir de sa poche et s'essuie le nez.

- Elle t'aimait tellement ! Elle était tellement aveuglée par son amour  pour toi, qu'elle ne m'a pas écouté. Je t'avais pourtant prévenu de ne pas la faire souffrir. Je t'avais demandé de la laisser tranquille parce que tu ne la méritais pas. Mais tu ne m'as pas écouté, tu t'es permis de la harceler continuellement, de te montrer sous un bon jour à ses yeux, de lui dire que tu l'aimais profondément parce que tu tenais à la posséder, à lui prendre sa pureté pour assouvir tes bas instincts. Ensuite, tu n'as eu aucun remords, aucun mal à l'abandonner.

Richmond se relève péniblement du sol.

- Non ! objecte-t-il. Je l'ai toujours aimée et je l'aime encore. Je n'ai jamais eu l'intention au départ de lui faire du mal.

- Tu ne sais pas aimer ! s'insurge le vieux. Tu n'aimes pas Cica ! Tu ne l'as jamais aimée. Car l'amour, le vrai, ne s'emporte pas, est patient, juste, altruiste, désintéressé, pas orgueilleux, ni rancunier et surtout fait confiance.

Richmond baisse la tête et soupire.

- Alors, tais-toi et va-t'en si tu ne veux pas recevoir un deuxième coup de poing, car je suis vieux certes mais je n'ai pas oublié mes cours de boxe. De toute façon, même si je savais où elle était, je ne te le dirai pas.

- Je vois. Je m'excuse de t'avoir dérangé.

- Dégage !

Richmond quitte l'appartement et descend les escaliers à pas lents. Il n'entend pas les passants qui le saluent.


Dans sa voiture, il repose sa tête contre le volant,  quelques minutes, puis entreprend d'aller chercher Cica dans la maison où elle logeait au début des répétitions.

Il frappe. Une voix, sûrement Afiavi, demande :

- Qui est-là ?

- Richmond.

Elle ouvre. Elle a à peine le temps de marquer sa surprise devant le beau visage de l'homme que sa mère fait irruption au salon, un pilon à la main. Elle était à l'arrière, occupée à piler de l'igname.

- Avec qui tu parles ?

- Richmond, le fiancé de Cica.

La dame accourt vers l'entrée.

- Vous osez vous présenter ici, après votre comportement odieux envers Cica ! Partez d'ici avant que je vous fracasse la tête. Je ne blague pas.

- J'ai juste besoin que …

Elle lève son pilon. Il sait que les mamans africaines ne plaisantent pas quand elles sont fâchées. Il n'insiste pas.


Abattu, le nez endolori, il rentre chez lui. Dans son frigidaire, il s'empare d'une poche de glace puis avale quelques cachets anti-douleur. Satine pénètre dans la cuisine.

- Qu'est-ce qui t'es arrivé ? Ne me dis pas que le vieux t'a pris pour un sac de boxe !

Elle réprime d'abord un rire, puis le laisse s'échapper. Il la toise. Elle étouffe aussitôt son rire.

- Ne me regarde pas ainsi, Richmond. Je n'y suis pour rien. Tu l'as bien mérité. Heureusement qu'il ne t'a pas complètement défiguré.

- Ce n'est pas drôle, Satine. J'ai encore très mal.

Elle essaie de toucher son nez. Il crie et enlève sa main.

- Désolée. Si la douleur ne s'atténue pas, je t'accompagnerai demain à l'hosto pour qu'on s'assure qu'il n'y a rien de cassé.

- Ok, Doc mais je ne pense pas que ce soit si sérieux. Tu sais que je n'ai jamais aimé les hôpitaux. Les relents d'alcool, de sang, de produits chimiques, additionnés à cette atmosphère morbide qui y règne, m'ont toujours répugné. Je garde encore un mauvais souvenir de mon dernier séjour suite à mon accident. Même si je dois reconnaitre que cela m'a été beaucoup bénéfique au final.

Un léger sourire apparaît sur son visage.

- Monsieur le poltron, je suppose que tu fais référence à Cica.

Il hoche la tête.

- Tu as du nouveau par rapport à elle ?

- Non, répond-t-il en soupirant. Rien.  Le vieux m'a assuré qu'il n'en savait rien. Si c'était au Canada, j'aurai pu la retrouver grâce à Internet, les services de renseignement et de téléphonie, la localisation GPS, les détectives privés... Mais ici, rechercher une personne, c'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Il faut compter sur la chance et les miracles.

Elle soupire à son tour.

- J'avais grand espoir que tu reviennes avec une bonne nouvelle. De mon côté, j'ai à nouveau contacté Sœur Grâce mais toujours rien.

- Si seulement le numéro de Cica était encore joignable ! s'exclame Richmond.

- Elle doit sûrement se trouver dans une communauté religieuse ou une association caritative. Cica s'est toujours sentie à son aise avec les soeurs. Elle a toujours aimé venir en aide aux nécessiteux, faire du bénévolat. Je ne l'imagine pas vivre autrement.

- Oui. Tu imagines le nombre qu'il doit y avoir dans tout le Bénin ! Mon enfant risque d'avoir sa dentition au complet avant que je puisse le connaître. Si seulement j'avais un indice, minime soit-il ! Si seulement, je pouvais retourner en arrière.

Il se lève pour se servir un peu de vodka.

- Le temps n'est plus au regret et aux verres d'alcool, je te signale.

Elle lui prend le verre des mains. Il ne résiste pas.

- Je connais quelques communautés par ci, par là et soeur Grâce pourra toujours me renseigner si nécessaire.

- Je dois avoir quelques noms sur ma tablette, renchérit Richmond.

Il se lève et prend sa tablette. Il ouvre un fichier Excel, dans lequel il avait répertorié des orphelinats, des foyers d'accueil et autres lieux similaires pour ses œuvres de charité.

- Il nous faudra aussi imprimer des photos d'elle, ajoute Satine.

- Et passer des communiqués radio. J'ai des potes qui pourront facilement m'aider pour cela.

- Je doute que l'idée d'entendre parler d'elle sur les ondes la réjouisse, fait remarquer Satine.

- C'est possible, mais quelqu'un pourra nous donner une information la concernant.

Satine, pas trop convaincue, hausse les épaules.



Un seul être vous manque et tout est dépeuplé, a dit Lamartine. Sous le chaud soleil africain, dans la pluie, la poussière, Richmond erre dehors.

Dès l'aube, il se lève, sort pour ne rentrer que tard la nuit. Marcher, interroger, dépenser en carburant, en temps, en argent, s'accrocher à son téléphone, espérer un appel qui ne vient pas, un miracle qui ne se produit pas. Faire le tour des départements du Bénin. Satine, quand elle n'a pas de cours, le suit dans son périple.


Rien. Des jours. Des semaines. Des mois, qui s'écoulent pendant que son enfant est loin de lui. Son espoir s'étiole peu à peu. Faible flamme.

A présent, il est fatigué autant moralement que physiquement. Il ne ressemble plus qu'à une​ loque. Il ne se rase plus la barbe, ne soigne plus son physique, ne choisit plus avec soin ses vêtements, ne dort plus, ne mange plus assez …


Son téléphone sonne. Il se précipite. Un numéro inconnu. On lui signale qu'on a vu une femme qui correspond à la description de Cica. Elle a été aperçue dans une communauté religieuse à Porto-Novo. Il s'y presse, conduit tel un fou, avec Satine à ses côtés, pour se rendre finalement compte que ce n'était pas Cica. Bredouille, il rentre à Fidjrossè et sombre.

Il n'a plus le courage de continuer, même s'il pense à ce ventre qu'il ne caressera peut-être jamais, même s'il songe à cet enfant qui naîtra très bientôt. Loin de ses yeux. Loin de ses mains.


- Richmond, tu ne peux pas abandonner ! lui rappelle Satine.

Il est couché sur son lit.

- Je n'ai plus de cran. Je viens d'épuiser ma dernière carte aujourd'hui avec cette nouvelle défaite. J'ai toujours cru que je serai fort à toute épreuve mais je me rends compte que je me suis trompé. Samson et le vieux ont raison. Je ne suis qu'un lâche !

Satine s'assoit sur le lit près de lui.

- Je suis à tes côtés. Je ne t'abandonnerai pas ! Tu es mon frère. Et tout autant que toi, mon monde n'est plus le même sans Cica et ce neveu ou cette nièce que je suis impatiente de connaître.

Elle passe la main dans les cheveux ébouriffés de son frère.

- Cica aura peur de te voir ainsi, si méconnaissable !

- Mon physique n'a plus d'importance pour moi. Je n'ai plus envie de jouer au beau mec. Je veux juste revoir ma Cica, la serrer dans mes bras, caresser son ventre et lui dire combien je suis désolé !

- Je sais. J'ai quelque chose ici qui va sûrement te redonner le moral. Je reviens.

- Quoi !

- Je reviens tout de suite.

Il se lève et s'assoit sur le bord du lit.

Satine se ramène avec une boîte rectangulaire en carton fleuri.

- Regarde. N'est-ce pas mignon ?

Les yeux  de Richmond scintillent.

- Je l'ai confectionné spécialement pour le bébé. C'est un ensemble de vêtements en pagne unisexe.

Elle sort les vêtements, un par un, et les lui montre :

- Grenouillère, body, chaussons, moufles, bavoir …

Il les touche avec délicatesse.

- Oui, c'est tout beau et tout petit. Tu es vraiment talentueuse, Satine ! Je me rappelle encore de la première fois que nous t'avions vue à l'hôpital. Tu étais toute miniscule et tu pleurais beaucoup.

Elle rit.

- Alors à chaque fois que tu sombreras, regarde, touche ces bouts de tissu et dis-toi que ton enfant les portera un jour.

- Il les portera, j'en suis sûr ! renchérit-il en souriant.

- A présent, file te transformer et on repart les chercher.

- Où ? Nous avons tout parcouru.

- Non, nous étions tellement concentrés sur les endroits lointains que nous avons oublié qu'elle peut être ici à Cotonou, tout près de nous.

- Je n'y avais même pas pensé. Mais ce n'est pas impossible.

-  Cette fois-ci, nous prendrons des directions séparées, suggère Satine, pour rentabiliser nos recherches. Le premier qui la retrouve informe l'autre.

- D'accord soeurette. Merci pour tout.

Ils se lèvent et se donnent une accolade fraternelle…



Par les rues, les chemins de Cotonou, ils passent. Chacun de son côté. Sans succès. Dans la répartition, il reste un endroit que Richmond doit visiter. La maison du soleil à Hindé, devant laquelle il se gare. Elle est l'oeuvre des Soeurs Salésiennes et se trouve à quelques centaines de mètres du marché de Dantokpa, l'un des plus animés et dynamiques de l’Afrique occidentale.

La Maison du soleil est une structure où les jeunes filles mères victimes de violence sont écoutées, accueillies et accompagnées par une équipe compétente, avec leurs enfants. Là, on leur offre un soutien autant social, psychologique, juridique que sanitaire.


Richmond lève les yeux vers la maison à un étage et remarque une enseigne accrochée en haut : le dessin d'une main tendue vers une adolescente et son enfant. Tout doucement, il pousse le portail rouge, couleur de l'amour.

Devant ses yeux, elle est là. Cica est là. A quelques centimètres de lui. Il la voit de profil.

Elle y travaille et y loge en tant que bénévole. Elle porte une robe portefeuille bleue qui sied bien à sa nouvelle morphologie. Elle semble avoir pris plus de ventre que de poids. Elle achève une discussion avec deux adolescentes qui viennent vers le portail, saluent Richmond et sortent. Elle est sur le point de s'en aller à l'intérieur quand elle entend une voix familière l'appeler. Elle se retourne. Elle regarde Richmond et demeure figée. Il accourt vers elle, l'entoure de ses bras et sent son ventre bien arrondi contre lui. Une certaine paix envahit Richmond. Quant à elle, elle garde ses bras le long de son corps et ne bouge pas. Son visage n'exprime aucune émotion. Elle est telle une marionnette, inerte. Il relâche son étreinte, lui prend les mains et lui dépose un baiser sur le front. Elle le laisse faire.


- Ma Cica, mon amour, je t'ai tant recherchée ! Je te demande pardon pour tout le mal que je t'ai fait. J'ai été lâche et idiot. Tout n'a été que manigance de la part de mon entourage. La lettre qu'Afi m'a remise était une fausse (elle hausse un sourcil ) qui ne faisait pas allusion à ta grossesse.

Elle continue de le fixer en demeurant toujours immobile.

- Dis moi quelque chose, Cica ! reprend-t-il. Crie, pleure, frappe-moi. Ton silence et ton regard me déconcertent.

Tout doucement, elle retire ses mains des siennes et laisse sortir les mots qu'elle retenait depuis peu dans sa gorge. Sa voix et le rire, qui s'y mêle par moments, sont empreints d'un sarcasme déroutant.

- Si tu penses que je vais fondre en larmes ou perdre mon temps à te crier dessus, tu te trompes largement ! commence-t-elle en haussant les épaules. J'ai tellement pleuré ta trahison, que les larmes ont tout simplement tari de mon corps. Je te regarde et je n'éprouve rien du tout (Il est abasourdi, déçu ), même pas de la pitié, ni de l'amour ou de la haine. Tu m'es complétement indifférent, Richmond AKOWE ! Quand je pense que je me suis laissée humilier, injurier, jeter à terre par amour pour toi, je me rends compte à quel point j'ai été naïve ! Je me suis toujours dit que je ne méritais pas ton amour ; mais en réalité, c'est plutôt toi qui ne méritais pas le mien.

Elle met une main sur son ventre et poursuit :

- Sache que nous n'avons pas besoin de toi ! A présent, tu peux t'en aller ! achève-t-elle en levant un doigt vers le portail.

Elle se retourne. Il la retient par la main.

- Je peux comprendre que tu m'en veuilles, mais ne me prive pas de la joie d'être père, d'autant plus que je  ne l'ai jamais vraiment rejeté. Je ne renoncerai pas à lui, Cica. Ce bébé, nous l'avons conçu avec amour, même si tu sembles l'avoir oublié. J'ai autant de droits que toi d'être avec lui.

A nouveau, elle lui rit au nez méchamment.

- Tu aurais dû y penser avant de t'en prendre à moi ! Je me fiche de savoir si oui ou non tu savais que je suis enceinte. Certes, je n'ai pas oublié qu'il a été conçu avec amour, je n'ai pas oublié que tu étais sincère quand tu m'as parlé de ton désir d'être père. Mais à présent, c'est en moi qu'il grandit et je le couvre d'un amour si fort, si grand, si désintéressé, si pur, que le tien n'est rien du tout à côté du mien. Alors, va-t'en et laisse nous vivre notre vie !

- Tu n'as pas le droit de me faire cela, pas le droit de m'éloigner de lui !

Elle retire sa main.

- J'ai tous les droits, figure-toi ! Et même celui de te demander de t'en aller d'ici, si tu ne veux pas que j'alerte la maisonnée.

- Je ne partirai pas avant qu'on se soit mis d'accord concernant le bébé.

Il resserre son étreinte.

- Lâche-moi !

- Non ! Je refuse.

Quelqu'un qui observait la scène s'approche d'eux.

- Cica, tout va bien ? intervient l'homme.

Richmond lâche sa main.

- Oui Marc, allons-nous en d'ici.

Marc reluque Richmond.

- Je suppose que c'est le lâche qui t'a abandonné !

Richmond serre les poings.

- Oui, un vrai lâche ! Ne perds pas ton temps à te rabaisser à son niveau. Il n'en vaut pas la peine. Allons à l'intérieur !

Il les regarde avec rage et désespoir, se promettant de revenir et s'interrogeant sur ce Marc si familier avec Cica.

Il se retourne et tombe sur Sœur Anne.

- Tu es encore venu martyriser ma fille ? Cela ne t'a pas suffit de détruire nos vies et surtout la sienne.

- Je suis vraiment désolé !

- Et tu l'as abandonnée avec ton enfant.

- C'est un malentendu. Jamais, je n'aurais rejeté la chair de ma chair. Pour moi, qui ai eu le meilleur père du monde, être père est une merveille, un miracle, une joie indescriptible. Mais votre fille s'obstine à me punir, à me priver de ce droit, qui est aussi le mien.

Elle lit de la sincérité dans ses yeux.

- Je te comprends, mais tu aurais dû y réfléchir avant. Cica n'est plus la même. Elle s'est endurcie pour affronter sa nouvelle réalité. Donne-lui du temps par rapport au bébé.

- Je sais, mais le temps est ce que j'ai le moins. Notre enfant naîtra très bientôt. Je vous en supplie.

Il lui prend les mains.

- Raisonnez-la. Elle peut ne pas me pardonner si elle veut, m'ignorer mais pas me priver de moments si importants pour un futur papa.

- Je te promets de lui parler. A présent, il vaut mieux que tu partes.

- Merci.


Il s'en va, en passant la main dans ses cheveux. Dehors, il regarde au premier dans l'espoir de remarquer Cica. Mais il ne la voit pas. Il entre dans sa voiture, s'apprête à démarrer quand le numéro d'immatriculation de la voiture devant lui attire son attention. Le propriétaire vient juste de se garer. Richmond est visiblement en rogne. Il descend précipitamment pour aller à la rencontre de l'homme.


- Tu as toujours su où elle était, grogne-t-il en direction de l'homme.

Le vieux se retourne et le regarde fièrement. Un sourire se dessine sur son visage.

- Oui, tu ne méritais pas de le savoir !

- Quel sorte de père es-tu pour empêcher un autre père de retrouver la mère qui porte son enfant ? Je t'ai toujours admiré, toujours respecté mais là, tu m'as vraiment déçu. J'ai perdu quatre mois éprouvants, quatre longs mois à la rechercher alors que tu savais qu'elle était ici.

- Je te le redis. Tu ne mérites pas de les avoir, ni elle, ni le bébé. J'aurais préféré que tu ne les retrouves jamais, pour que tu ais cela sur ta conscience jour et nuit, jusqu'à ton dernier souffle.

Richmond serre les poings.

- Tu veux me frapper ? s'enquiert le vieux.

- Essaie et tu te retrouveras direct aux urgences !

Il desserre ses poings.

- Tu n'es qu'un lâche ! lance le vieux en se moquant de lui.

Richmond serre les dents. Ses yeux sont pleins de colère et d'amertume.

Le portail s'ouvre. Cica vient à la rencontre du vieux. Elle ne fait pas attention à Richmond. Elle parle avec une voix plus posée et plus mature que celle qu'elle avait avant. Un léger sourire apparaît à la commissure de ses lèvres et disparaît l'instant d'après.

- Je suis bien contente de te revoir. Je t'ai aperçu depuis le premier étage.  

- Cica !

Richmond l'appelle. Elle ne le calcule même pas.

- Viens, le vieux ! Nous serons plus à l'aise à l'intérieur. Il y a trop de bruit nuisible par ici !

Richmond les regarde s'en aller et refermer le portail. Fou de rage, il donne un coup de pied au bac à ordures et démarre en trombe.


Cica et le vieux vont s'asseoir sur un banc dans la cour. Les pieds, un peu enflés de Cica sont relevés, grâce à un petit tabouret posé sur le sol.

- Je me demande bien comment il a pu te retrouver, commence le vieux. Je t'assure que je ne lui ai rien dit !

- Je sais. De toute façon, cela m'importe peu. Richmond n'existe plus à mes yeux.

- Tu es vraiment sûr que tu ne l'aimes plus du tout ? Que tu ne finiras pas par lui pardonner ?

Elle lève les yeux vers lui.

- C'est une certitude. Je ne ressens plus rien du tout pour lui. Et je ne sais pas si inconsciemment, je lui ai pardonné ( Elle soupire ). Je me suis (elle reprend son souffle) longtemps demandée comment je réagirai lorsque je l'aurai en face de moi. Si j'allais pleurer, crier ou courir dans ses bras.

- Et ? s'enquiert-il.

- Et quand je l'ai revu tout à l'heure, je n'ai rien ressenti du tout. Aucune émotion. Il n'a rien réveillé en moi. Pas même de la haine. Rien. Comme si tout en moi était mort, malgré la vie qui pousse en mon sein. Certes, j'aime toujours aider les nécessiteux autour de moi, mais je sens que ce n'est plus comme avant, plus avec cette lueur qu'il y avait dans mes yeux, cette passion, ce sourire qui enchantait et ces larmes qui sortaient sans effort. C'est comme si la meilleure partie de moi s'est envolée. Et je n'ai même pas la volonté de faire des efforts dans ce sens.

- Qu'est-ce qu'ils t'ont fait, ma petite ? En quoi t'ont-ils transformée ? Viens.

Elle pose sa tête sur son épaule. Il l'entoure de ses bras. Son regard est triste. Celui de Cica, vide.

- C'est juste une armure pour te protéger. Cela passera, j'en suis sûre. Quand tu auras ton bébé dans tes bras pour la première fois, tu comprendras ce que je dis. Ne t'inquiète pas pour cela. Tu es une personne bien et tu le resteras.

 - Je l'espère vraiment, parce que je me dois de l'aimer pour deux et de le protéger envers et contre tous ceux qui voudront lui faire du mal.

Il hoche la tête et pose une main sur son ventre.

- Il pousse bien, ce petit monsieur ! (s'adressant au bébé )J'espère que tu donnes de bons coups de pieds à ta maman pour lui rappeler que tu es là.

Elle affiche un léger sourire

- Oui, Leo est un boxeur en devenir comme toi !

- Leo !

- Oui, C'est ainsi que je l'appelle. C'est ainsi que je compte l'appeler en hommage au seul homme qui m'a vraiment aimée. Et je suis sûre, je prie pour cela, qu'il le ressemblera, qu'il aura son altruisme, sa générosité, sa passion pour les lettres, son sourire rassurant.

- Je vois. Et si au contraire, il est le portrait de son père, tu l'aimeras toujours autant en voyant chaque jour Richmond à travers lui ? Parce qu'il est plus probable qu'il ressemble à son géniteur.

Elle se relève.

- Je préfère ne plus y penser. De toute façon, l'amour d'une mère est inconditionnel.

Anne s'approche d'eux.

- Michel ( il se lève), je tenais à te remercier pour tes dons à l'association et tout le soutien que tu apportes à ma fille. Je regrette, chaque fois, d'avoir douté de tes bonnes intentions envers elle.

- Anne, c'est toujours un plaisir pour moi de venir en aide à des femmes aussi exemplaires.

Anne lui tend une main qu'il serre.

- Je vous laisse.

Il la regarde s'en aller. Cica le scrute attentivement. Des adolescentes, avec leurs enfants au dos, passent près d'eux avec Marc. Elles les saluent de loin. Marc s'approche d'eux.

- Je vois que vous prenez bien soin de ma petite.

- Oui, tout le monde l'adore ici. Elle a la main sur le cœur et n'hésite pas à aider, mais un peu trop parfois. Dites-lui qu'il est temps de se ménager.

- Tu as entendu ! demande le vieux.

- Je vais essayer, c'est promis !

Marc s'éclipse.


Plus tard, mère et fille discutent sur le balcon.

- Cica, il faut que nous parlions de Richmond.

- J'ai des choses plus importantes à faire que m'attarder sur lui.

Elle veut s'en aller. Anne l'en empêche.

- Je n'approuve pas ce qu'il a fait, Cica mais il était sincère en parlant du bébé.

- Peut-être, mais moi j'ai pris ma décision. Nous n'avons pas besoin de lui.

- Tu es injuste ! Ne laisse pas tes ressentiments te faire prendre de mauvaises décisions. Je ne voudrais pas que tu deviennes aigrie comme je l'ai été.

- Injuste et aigrie, tu dis ! J'ai toutes les raisons de l'être, maman. J'ai passé la majeure partie de ma vie à me préoccuper de ce qu'on pensait de moi, à essayer d'attirer l'attention des autres, à essayer de leur plaire pour quelques miettes d'amour. Mais aujourd'hui, c'est fini. Je me préoccupe de ce que je pense, de ce que je veux sans que personne n'ait à me dicter quoi que ce soit. Je me dois d'être forte pour cette petite âme qui n'a pas demandé à être là. (Elle parle avec rage). Je ne laisserai plus jamais quelqu'un m'humilier, me rabaisser, me marcher dessus. C'est fini, maman ! Richmond peut s'affliger toute sa vie, s'il le veut. Je me fiche de son état d'âme, de ses angoisses, de ses regrets et de cette envie qu'il a d'être avec mon bébé. Parce que c'est le mien, rien que le mien, maman !

- Un père est important dans la vie d'un enfant, et tu le sais très bien.

- Je m'en suis sortie sans père ! Et ce sera pareil pour mon bébé. Il ne manquera pas d'amour.

- Il y' a une grande différence. Ton géniteur ne souhaitait pas être papa tandis que celui de ton bébé a la rage, la volonté et l'impatience de l'être. Réfléchis-y ! Ne prends pas des décisions que tu regretteras lorsque ton enfant te confrontera par rapport à ses origines, par rapport à son père. Tu as le pouvoir de changer son futur dès maintenant ! A toi, de faire le bon choix, Cica ! Ne te trompe surtout pas !

La mère s'en va. Cica demeure pensive.


Du côté de Fidjrossè.

Satine est près de la piscine avec son frère.

- Allez, affaire-moi ! J'ai hâte de t'entendre. A quoi est-ce qu'elle ressemble maintenant, je parie qu'elle doit être mimi et toute ronde ?

- Oui, la plus belle femme enceinte que mes yeux aient jamais vue. Et en même temps, la femme la plus froide que j'ai eu à cotoyer. Elle ne veut plus de moi, ni en tant qu'homme, ni en tant que père. Mais je ne m'avoue pas vaincu.

- C'est normal qu'elle se comporte ainsi. Elle a été profondément blessée.

- Je sais, mais ce bébé n'y est pour rien dans tout cela.

- Peut-être mais pour le moment, c'est  en elle qu'il grandit. Il fait partie d'elle. Ils sont indissociables. Ne la presse pas. Sois patient. Nous l'avons retrouvée, c'est l'essentiel. Je suis impatiente de la revoir et de la serrer dans mes bras.


Le lendemain matin, Richmond est encore au lit, quand il reçoit un texto d'un numéro inconnu.

"J'ai changé d'avis par rapport au bébé. Tu es son père après tout. J'accepte qu'on se voit pour s'entendre sur les choix le concernant, je précise, le concernant. Je t'attendrai demain à 10 heures, à la maison du Soleil. Cica".

Il sourit et s'empresse de répondre.



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