chapitre 38

Ecrit par leilaji

Chapitre 38


***Adrien***


Assis sur la tombe de ma mère, je laisse mes pensées vagabonder vers Elle. Elle est la seule personne à laquelle je peux penser sans me sentir seul au monde. 

Pourtant, elle ne m’a donné aucune nouvelle d’elle, ni du bébé. Je suppose qu’elle m’a exclue une bonne fois pour toute de sa vie. 


J’ai mal réagit à l’annonce de cette vie qui grandissait en elle. J’ai eu peur, de devoir laisser le rôle d’amant dans lequel je me sentais tellement parfait pour endosser celui de père. Peut-être s’est-elle dit qu’avec ses enfants je me suis suffisamment exercé pour me lancer définitivement dans l’aventure, le cœur léger. Quelle belle erreur ! 


Je ne crois pas qu’elle serait ravie de découvrir au fond, l’homme que je suis. Je sais ce que c’est que d’avoir des parents qui ne vous ont pas désiré surtout quand on traine avec soi un handicap. Elle a des enfants en bonne santé, adorables, qui ne voudrait pas d’eux ? Mais avec la chimio comme mélange, on joue à la roulette russe avec le bébé qu’elle porte. De la même manière qu’il y avait une infime possibilité pour qu’elle tombe enceinte, c’est de cette même manière qu’il se peut que le bébé n’aille pas bien. 


Et si finalement l’enfant venait avec une malformation congénitale, serait-elle toujours aussi ravie d’avoir un enfant de moi ? Lorsqu’il souffrira de troubles de l’apprentissage comme moi j’en ai souffert sera-t-elle encore aussi conciliante ? 


Je ne veux pas découvrir en elle la mère désabusée comme je ne veux pas découvrir en moi le père honteux. 


Etre parent… ce n’est pas aussi évident que ça. On se dit toujours, je serai le plus ceci et le plus cela puis la réalité de l’enfant nous rattrape et on se plante en beauté … On n’est jamais à la hauteur, jamais, d’une manière ou d’une autre nous brisons nos enfants et c’est ce qui en fait plus tard les adultes cabossés que nous sommes tous. Même les plus méritants, finissent par être pris au piège. Madame Evrard ne m’a-t-elle pas laissé entrer dans la vie de sa fille. Qu’est-il arrivé ? Le pire. Pourquoi les femmes pensent-elles que le fait qu’elle ait cette fibre maternelle chevillée au corps fait automatiquement de leur compagnon, des pères potentiels ?  


Mais tout de même, malgré toutes ces pensées obscures… je me dis :


C’est ton bébé. Et à chaque fois que j’y pense, ma peau est parcourue d’un frisson indescriptible. Cette sensation m’était encore jusque là : inconnue.


Je connais par cœur le développement d’un enfant dans le cocon du ventre de sa mère… Et j’imagine, je laisse dériver mon esprit vers les terres inconnues de la paternité. 


A une semaine, une forme apparait, quelques millimètres, presque rien et sur cet embryon, un sillon, la chorde dorsale, prémices de la colonne vertébrale. Vers trois semaines, une ébauche de cœur commence à battre. A un mois et demi que pèse l’embryon ? Quelques grammes. 

Quelques semaines plus tard, et enfin l’embryon prend forme humaine.  A trois mois, il devient un fœtus, son cœur bat pour de bon. Il n’est pas encore atteint par ce qui se passe hors de sa mère. Son monde se résume au battement de cœur d’Elle et aux mouvements qu’elle fait. A son tour, le cerveau se développant, il peut désormais aussi bouger. Aussitôt, il agite ses jambes, plie le bout de ses doigts, ferme ses poings, ouvre sa bouche…

Juste après avoir découvert sa grossesse, Elle a pu ressentir les "coups de pied" ou les hoquets du bébé, il devait avoir quatre mois à l’époque.  Je pourrai décrire chaque étape les yeux fermés… Mais le plus important c’est de savoir qu’Elle est à sept mois : le système nerveux du bébé est assez mature pour contrôler sa respiration et réguler la température du corps. Il est désormais viable. 


Je lance une nouvelle fois l’appel vers Libreville :

 

« Le numéro que vous essayez de joindre n’est pas disponible pour le moment. Nous ne pouvons donner suite à votre appel. Veuillez rappeler ultérieurement.»

 

Je crois que c’est la vingtième fois que cette voix mécanique me dit la même chose. De deux choses l’une : soit Elle a bloqué mon numéro, soit elle a résilié ce numéro pour en prendre un autre afin que je ne puisse pas la joindre.

 

Putain… Ca fait mal. Je pensais juste profiter de mon séjour chez ma mère pour faire le point sur ma vie avec elle. Ai-je eu l’intention, même une seule seconde, de la quitter ? Jamais. Mais j’avais urgemment besoin de faire le point, sur nous, sur elle et surtout sur moi-même et le fait d’être père. Mon séjour en France, auprès de ma mère aurait dû être propice à l’introspection. Mais non. Je n’en ai pas eu le temps. Je n’ai eu aucun repos. Dès que j’ai mis les pieds sur le sol français, les problèmes se sont enchainés et je n’ai pu que démontrer à ma mère qu’elle n’avait pas fait un fils en vain. Je me suis occupé d’elle, jusqu’à son dernier souffle. A-t-elle eu un seul mot de reconnaissance envers moi ? Non. Aucun. Je n’en attendais pas moins d’elle de toute manière. Elle a toujours été une femme égoïste. Penser que toutes les femmes sont faites pour être mères est un mythe. Je le sais, je l’ai expérimenté. C’est pour ça que je sais que par conséquent, tous les hommes ne sont pas faits pour être père. 


Mais.


Je ne pensais pas avoir aussi mal à sa mort.  C’est incompréhensible. Je ne me l’explique pas. Je me sens en deuil, mon cœur est lourd alors que mon esprit combat ce sentiment, cette peine. Pourquoi la pleurer ? Elle ne le mérite pas. Mais je n’y peux rien. C’était ma mère. 

Une partie de la famille qui réside en France depuis une bonne décennie m’a assisté pour les funérailles. Ils ont fait au mieux et je les remercie pour cela. La famille africaine, elle peut se montrer envahissante dans les bons moments dont on a envie de profiter seule mais au moins dans le deuil, elle ne laisse jamais tomber, elle accompagne, elle soutient. 


Mais ça ne m’empêche pas de me dire en boucle :

 

Je suis orphelin. Plus de père, plus de mère. Pour ce qu’ils valaient tous deux, c’est peut-être mieux ainsi. Une mère qui m’a utilisé pour grappiller un héritage chez un homme fortuné et un père qui voulait un héritier mais m’a rejeté quand il a compris à quel point j’étais fragile et différent. Aucun d’eux ne m’a réellement désiré comme un parent devrait désirer un enfant. Et je ne sais pas si je peux mieux faire qu’eux. M’occuper d’autres enfants, c’est mon job, je suis pédiatre. Mais m’occuper des miens sans la distance qu’impose la profession ? Je ne sais pas, j’ai peur … Pourtant, ça ne m’a jamais empêché de vouloir être avec elle. Peut-être aussi étais-je assez égoïste pour ne pas vouloir partager son amour avec un autre être… je n’ai pas eu le temps d’analyser tout ça, j’ai dû m’occuper de ma mère mourante, à la recherche d’une greffe qui n’est finalement jamais venue.

 

Mon téléphone sonne. Je regarde sur l’écran, c’est un appel de Libreville. Je décroche le cœur battant, peut-être est-ce enfin Elle :

 

-          Allo Adrien…

-          Maman ?

 

Je ferme les yeux un moment le temps d’accuser le coup. 

Pourquoi continuer à espérer, elle a tiré un trait.

La ligne grésille beaucoup, c’est à peine si je reconnais la voix fluette de ma belle-mère.

 

-          Comment tu vas ?

-          Je ne sais pas.

 

J’ai du mal à contenir ma peine. A elle, je n’ai pas besoin de mentir de paraitre fort quand je suis dans la détresse. Elle a toujours su lire en moi. 

 

-          Où es-tu ?

-          Au cimetière.

-          La cérémonie est terminée ?

-          Depuis plus de cinq heures de temps, tout le monde est déjà parti. Mais j’ai du mal… à m’en aller.  Les choses se sont précipitées et elle est partie en un clin d’œil, sans rien me dire. Tu te rends compte. Je veux rentrer maman, j’en ai assez de rester ici. Je veux être avec les miens. C’est là qu’est ma place. Revoir Elle et … le … les revoir tous…

-          Tu es parti sans rien me dire. Elle est restée seule en ton absence mais je lui rendais visite de temps à autre… Elle ne m’a rien dit à ton sujet, juste que tu n’étais pas là et que tu étais en France pour soutenir ta mère.


Au moins elle n’a pas tenté de me dénigrer auprès de mes proches. C’est déjà ça. 


-          Pourtant, elle ne veut plus me répondre et je ne sais pas quoi faire. J’ai déconné. Je n’aurai pas dû la laisser seule.

-          Tu es allé soutenir ta mère. Tu devais partir… Si c’est le bébé qui te tracasse… Sache que tu n’es pas différent des autres papas. Un homme face à la paternité c’est bien différent d’une mère face à la maternité. Nous les femmes portons l’enfant, le mettons au monde, on a largement le temps de s’y faire, de créer un contact unique en son genre. Mais vous les hommes, même si vous désirez cet enfant vous avez du mal à en appréhender la réalité. Ton père n'a réalisé qu'il était père que lorsqu'il a vu ta sœur Claire, lorsqu’il l’a tenue dans ses bras. Quand le médecin l’a appelé pour lui dire que finalement j’allais accoucher, il lui a répondu : «  ok, je dors d’abord et je reviens en après midi. » Pourtant, il était à son bureau et ce qu’il venait de dire n’avait aucun sens. Il était en panique totale. Ton père, l’homme d’affaires impitoyable a perdu tous ses moyens ce jour là. Quand tu verras ton enfant, quoiqu’il arrive ou quoi que tu en aies pensé, tu comprendras ce que veut dire être père. Exprime ce que tu ressens, parle à Elle, dis lui tout, tes doutes, tes angoisses et tes craintes face à l'avenir et à cet enfant. Je suis sure qu’elle te comprendra et qu’elle t’épaulera. Ce n’est pas une enfant… Elle saura faire la part des choses.  

-          Je crois que j’ai juste saisi l’occasion de la maladie de maman pour partir.

-          Ne te culpabilise surtout pas. Ca ne changera plus rien à l’affaire. L’enfant est déjà là. Ce n’est pas de ta faute tu n’as pas voulu cette situation. 


Elle parle comme Oyane. L’enfant est déjà là. 

Que veux-tu faire ? Rester avec sa mère et l’ignorer ? Impossible. 


-   Adrien, je te connais comme si je t’avais fait. Et je te le dis tout de suite, tu n’es pas ton père.

 

Comment peut-elle savoir ?

 

-          J’ai vu Elle et elle se porte bien malgré la grossesse et la chimio et je crois qu’elle supporte mieux les séances que la première fois.

 

De toute manière avait-elle le choix, avec plus personne pour la soutenir, elle ne pouvait que se montrer plus forte.

 

-          Elle m’a expliquée pour sa situation… As-tu eu peur des conséquences de la chimio sur l’enfant ?

-          …

-          Adrien tu n’es pas comme ton père si c’est ce que tu crains. Dieu seul sait combien de fois j’ai aimé ton père, j’ai tout quitté pour lui et il méritait l’amour de ta sœur parce qu’il a bien pris soin d’elle mais il ne pouvait pas en dire autant de toi. Je te connais et je connaissais ton père. Tu n’es pas comme lui. Si quoi que ce soit se passe pour l’enfant, je suis sure que tu ne le rejetteras pas. Tu en prendras soin comme de tous ceux qui sont passés dans tes mains…

-          Je ne suis pas comme lui… je murmure tout doucement. 

-          Tu ne feras jamais de mal à ceux que tu aimes. Tu n’es pas comme ça.

-          Mais j’en ai déjà fait à Elle… Elle ne veut plus de moi. J’ai juste envie de rentrer. Recommencer là où tout s’est arrêté.

-          Elle est dans son septième mois, il me semble. Il te reste deux mois pour te préparer. Parle à Madame Khan, elle saura préparer le terrain pour toi. 

 

Attendre encore deux mois ? Non, ça je ne peux pas.  Je n’ai plus rien à faire ici de toute manière, je peux rentrer.

 

Quelques heures plus tard, je me suis enfermé dans ma chambre d’hôtel devant mon ordinateur portable à la recherche d’une réservation pour un billet retour. Après quelques clics et un paiement en ligne, je trouve enfin un billet retour. Je vais pouvoir rentrer dans deux jours, je suis soulagé, ça ne sera plus long. J’appelle Leila sur les conseils de « Madame Evrard ».

 

Après quelques sonneries, elle décroche :

 

-          Oui allo…

-          Leila c’est Adrien, s’il te plait ne raccroche pas, dis-je en me levant du lit.

-          Mais où t’es bordel ? Elle va accoucher !!

-          Quoi ?

 

J’ai l’impression que les murs de la chambre se sont rapprochés de moi. Mon cerveau est envahi de gris,  sûr que mes neurones se sont déconnectés les uns des autres. C’est le noir complet dans mon esprit. Comment ça elle va accoucher ? Elle n’en est qu’à sept mois. C’est vrai que le bébé est désormais viable mais … Que se passe-t-il ?

 

-          Le bébé sera là bientôt. Nous sommes à l’hôpital. Elle a eu peur parce qu’elle ne le sentait plus bouger mais finalement, ils vont bien tous les deux. Franchement Adrien j’ai eu tellement peur et Elle était toute paniquée alors qu’elle a été tellement forte ces derniers mois. Elle ne faisait que répéter : mon Dieu le bébé d’Adrien, le bébé d’Adrien…Ce n’est pas normal qu’elle soit seule à un moment pareil. Ils vont faire une césarienne dès que le chirurgien sera là. Je ne sais pas si tu t’en rends compte mais tu vas rater la naissance de ton enfant. Je sais que ce n’était pas prévu mais tu sais souvent les plus belles choses de la vie sont celles qu’on ne voit pas venir, de vrais coups de massue sur la tête … Je te comprends, tu as le droit de ne pas vouloir être père mais je dois t’avouer que je n’aurai jamais cru que tu puisses l’abandonner, toi qui as tout fait pour elle.

-          Je ne comprends rien de ce que tu me racontes, c’est elle qui a coupé les ponts avec moi parce que je suis parti alors qu’elle avait dit que je pouvais revenir si … Elle ne répond pas à mes appels depuis trois mois, j’ai même écrit Leila. Elle sait à quel point je déteste écrire, j’ai écrit une putain de lettre chaque semaine et je n’ai obtenu aucune réponse. C’est Elle qui me largue pas moi. 

 

Peut-être que l’accent de vérité qui explose dans ma voix finit par la convaincre car elle se met à rire.

 

-          Vous allez me rendre folle tous les deux. Elle pense que tu as tourné la page, je ne sais pas ce qui s’est passé. Adrien, ce sera pour aujourd’hui ou demain au plus tard. Et tu ne seras pas là.

-          J’ai vérifié tous les vols Leila. Tous. Dans deux jours, accordez-moi deux jours, je serai là dans deux jours. 

-          Ce n’est pas moi qui décide mais les médecins. Ca sera trop tard tout est programmé. Elle passe au bloc. 

-          …

-          Je suis désolée. Ajoute-elle d’un ton contrit. 

 

J’ai envie de jeter le téléphone contre le mur mais je me retiens fort de le faire :

 

-          Passe la moi, je veux lui parler.

-          Je suis chez elle pas à l’hôpital. On est parti dans la précipitation, je suis revenue prendre ses affaires.

-          Je … Putain t’es en train de me dire que je ne serai pas là ? Vraiment. 

 

J’ai le cœur qui se sert. J’aurai dû rentrer plus tôt.

 

-          Je suis désolée Adrien, vraiment.

-          Dis-lui…

-          Non, tu lui diras toi-même quand tu la verras. Quand tu auras ton enfant dans tes bras. Vous pourrez vous parler, face à face. 

-          C’est un garçon ou une fille ? 

-          Elle n’a pas voulu savoir. 

 

Et Leila raccroche. Je regarde le téléphone et le pose sur le petit bureau de la chambre. Je recule d’un pas puis de deux et me retrouve coincé par le lit. Avec précaution je m’assois comme si j’étais devenu en quelques instants une petite chose fragile.


Je vais rater sa naissance. Il m’est impossible d’être là bas avant deux jours. 

 

***Elle***


Je suis couchée sur le lit et je pense à tout ce qui m’est arrivée cette année. Quelle aventure. Je ne sais pas où j’ai trouvé la force pour tout surmonter. 


On est toujours plus fort qu’on ne le pense. C’est un pas après l’autre, un jour après l’autre qu’il faut lutter au risque de se décourager trop tôt si on tente de bruler les étapes. 


Je me sens fatiguée. Je ne sais pas ce que mon petit bout de chou a. Il refuse de me signaler sa présence, pourtant à l’échographie, les médecins disent que tout va bien. Je leur fais confiance. La nuit va être très longue. L’opération est programmée pour demain. J’essaie de dormir. 


A mon réveil, Leila est là avec les enfants et ma mère. Ils font un raffut du diable pendant une trentaine de minutes essayant comme ils peuvent de masquer l’absence d’Adrien. Puis une infirmière fait sortir tout le monde pour que je me repose un peu mais Leila refuse de partir. On la laisse à mes côtés. 


Elle me regarde longuement et semble réfléchir. 


- Que se passe-t-il ? Il y a un problème avec le bébé ? 

- Non. Pas du tout. 

- Ok.

- Adrien a appelé. Il ne pourra pas être là car il n’y a pas de vol mais s’il le pouvait, je t’assure qu’il serait à tes côtés. 


Elle dit ça pour me remonter le moral ? Je n’en ai pas besoin. Ca va. 

Ca va n’est-ce pas ? Je suis entourée de ma famille, que demander de plus ?


- Quand est-ce qu’il a appelé ?  je demande tout de même. 


Mais je ne la crois pas vraiment. Ce n’est pas possible. Tout ces mois sans appels, même pas une lettre ou un mail… Elle le dit pour que je ne me sente pas abandonnée. 


- Tu crois que je te mens ? 

- Je crois que tu essaies de me remonter le moral. 


Elle fouille dans son sac et me tend des enveloppes. Une petite dizaine, des enveloppes blanches banales. 


- Il a appelé hier et il a dit que ça fait des mois qu’il t’appelle et que tu ne réponds pas. Il dit aussi qu’il t’a envoyé du courrier. 

- Adrien n’a pas appelé et je n’ai reçu aucun courrier… Arrête ça Leila. 


Elle prend son téléphone dans son sac et me montre le journal d’appel. Effectivement, il y a un numéro de la France. Et les enveloppes qu’elle m’a données… Je prends celui dont le cachet  de la poste est le plus récent et l’ouvre. 


- Chez toi j’ai demandé à ta ménagère si elle n’avait pas oublié des courriers quelque part. Elle m’a dit que non. Mais j’ai voulu vérifier. Elle m’a dit que c’est toi-même qui lui as dit de mettre les factures de la SEEG (société d’énergie et d’eau du Gabon) ainsi que les factures de Gabon télécom de côté. Que tu vérifierais plus tard. 

- C’est vrai que je le lui ai dit mais je ne comprends toujours pas où tu essaies d’en venir. 

- Elle a mélangé les courriers et les factures pour les poser à l’endroit où tu ranges toutes tes factures. 


Je n’y crois pas. Sous mon nez depuis tout ce temps ? 

Je regarde la lettre. Elle n’est pas longue. Juste une page blanche avec trois petits mots écrit avec des pattes de mouche illisibles.  Je reconnaitrai l’écriture d’Adrien entre mille. C’est bien de lui. 


« J t’aim »


Je tends l’enveloppe ainsi que la feuille à Leila. Elle crève d’envie de lire. 


- C’est tout ? Juste j t’aim… je ne comprends pas pourquoi l’a-t-il écrit comme ça. C’est un truc entre vous ? 


Non ce n’est pas un truc entre nous. C’est Adrien quand il est stressé et qu’il perd ses moyens, devient alors incapable d’écrire même les choses les plus simples… C’est Adrien et ses contradictions. C’est l’homme qui a fait de longues études mais n’était pas prédisposé à les faire. C’est l’homme qui est couvert de tatouages, ressemble à un gangster mais est tellement doux dans sa manière d’aimer. C’est l’homme qui aime les enfants mais n’en veut pas. C’est l’homme qui m’aime et qui m’a laissée. C’est Adrien et ses contradictions. 


C’est …

Adrien ? 


- Quoi ? 

- Adrien… je répète en regardant fixement la porte.


Je n’en crois pas mes yeux. Mais … que fait-il là ? Leila se retourne et se lève. Adrien vient d’ouvrir ma porte. Il est complètement essoufflé. Il a dû courir dans les couloirs de l’hôpital. 


- Je suis là. 


Trois petits mots qui disent autant que « je t’aime ». 

Trois petits mots qui effacent les mois d’absence…

Trois petits mots qui disent : recommençons. 


Je me lève du lit et m’avance vers lui. Il a une tête d’enterrement, il semble sur les rotules. 


- Et ta mère ? 

- Elle est morte. Dit-il tout simplement. 


Encore trois petits mots. Elle est morte. Je me suis souvent imaginée les gens dire cela de moi : elle est morte. Le bébé aussi. C’est trois autres petits mots. 

Les barrières, mes défenses, celles qui me permettaient de marcher tête haute malgré tout, s’effondrent à l’intérieur de moi. Au plus fort de la tempête, j’ai tenu bon et maintenant c’est comme s’il était l’heure de constater les dégâts, les ravages de la séparation. Leila s’éclipse discrètement après avoir fait une bise à Adrien.  


- Je suis désolée pour ta mère. Je n’ai pas pu être là pour toi. Pardonne-moi. 

- Ce n’est pas grave. Et moi je suis désolée de ne pas avoir été là pour toi non plus. Je …

- Non, ne dis rien. Je comprends. Je te jure. Je ne t’en veux pas. Je … J’ai juste peur pour moi et mon bébé. Et …


Les larmes perlent déjà au coin de mes yeux. Mais que m’arrive-t-il ? Pourquoi m’effondrer maintenant. 


- Ton bébé ? 


Je lève les yeux vers lui… Il semble déterminé. 


- Ne fais pas ça Elle. Je veux … je ne peux pas dire essayer car il n’y a pas d’essaie avec la paternité mais je veux … 

- Que veux-tu Adrien ? Dis le moi. 


Il inspire profondément et se lance : 


- Etre son père. 


Les trois petits derniers mots qui pansent toutes les blessures. Aujourd’hui je vais subir une opération, encore une. C’est comme si ça n’allait jamais finir. Mes dernières forces me quittent. Je me rends compte à quel point j’ai peur… 


Tellement de nuits se sont enchainées … des nuits seules dans le noir à pleurer. Que n’ai-je pas ressenti cette période ? Le froid, la peine et parfois même le désespoir mais je me suis accrochée… au petit bout qui a grandi en moi en pensant à celui qui me l’avait offert contre son gré. Et j’avais beau être heureuse pour moi j’étais en même temps si malheureuse pour lui. A l’idée de l’avoir forcé à vivre quelque chose qu’il ne souhaitait pas. J’étais mortifiée. 

J’ai essayé de tout gommer de ma mémoire… J’ai essayé tellement fort que j’ai cru y arriver. J’ai cru avoir oublié les nuits de plaisir dans ses bras, les mots tendres susurrés à l’oreille, la douceur de ses lèvres et la force de son amour pour moi. 


Mais quand il pose ainsi sa large main sur mon ventre … quand il me regarde aussi intensément comme pour me dire : vous êtes tous les deux à moi et je ne vous abandonnerai jamais…


Tout me revient. Absolument tout. Et je le serre très fort des mes bras. A l’étouffer de tout mon amour. 

Et bébé s’éveille. Je sursaute. Adrien enlève sa main comme s’il venait de se bruler. 


- Mon Dieu il … a bougé ? 


Je crois que oui. Je soulève mon large haut et Adrien recule un sourire béat aux lèvres. 


- Putain Elle regarde. 


On voit un petit pied parfaitement dessiné sur mon ventre. C’est incroyable. 


- Tu crois qu’il est en train de me dire, ne touche pas maman, tu ne la mérites pas ? 


Je souris à travers mes larmes. 


- Je crois qu’il est en train de te dire : JE SUIS LA.   


Trois petits mots qui veulent tout dire. 

Et pourtant nous avons encore tellement de choses à régler entre nous. L’amour ne peut pas tout faire à notre place. Il faut aussi y mettre su sien pour consolider ce que l’amour crée entre deux personnes. Et nous allons nous y atteler car rien n’a jamais été facile pour nous. 


*

*

*

Quelques temps plus tard…


Ce n’est que maintenant qu’Adrien m’explique comment il avait fait pour venir à temps. Il a appelé Denis. Je n’arrive pas à le croire. Adrien appeler Denis ?????!!! Ca a dû lui en couter de demander à un de mes ex de l’aide. Je suppose qu’il a mis son orgueil d’homme de côté et pris ses responsabilités pour être là à temps. Le jeu en valait la chandelle.

Denis lui a prêté son avion personnel contre un service qu’il devra lui rendre plus tard. Il a les moyens d’une politique très efficace et il n’est rien qu’il ne puisse faire quand il s’en donne la peine. Je sais qu’il va charrier Adrien le reste de sa vie avec ça mais je saurai le moment venu comment le faire taire et garantir la tranquillité de mon chéri. 


Ce que je sais maintenant que mon regard s’est posé sur mon petit bout que :

Vivre c'est mourir un peu chaque jour. Laisser filer le souffle précieux qui anime l'âme. Mais le jour où on donne naissance à un autre être, on cesse de mourir. Le souffle de vie qui s'écoule de nous chaque seconde, on le retrouve dans les yeux de son enfant. 


*

*

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Je t'ai dans la peau