Chapitre 5
Ecrit par Eli
Chapitre 5
Juillet 2010
J’arpente les couloirs de cette bâtisse qui représente depuis tellement longtemps mon chez moi comme si c’est la première fois que je la découvre. Je me revois encore au premier jour avec toutes ces valises et ces nombreuses marches que j’ai dû grimper des millions de fois depuis lors. Je n’avais qu’une mission à moi assigné : m’instruire en faisant honneur à l’éducation que j’avais reçue. Je devais faire attention à ne pas me faire ‘’détourner’’ ou ‘’convertir’’ par les esprits de cet univers. J’y suis arrivé en étant une toile blanche parsemée des traces de peinture qui représentaient à l’époque ma personnalité , personnalité définie uniquement par ce que j’ai toujours connu jusque-là, ma famille et l’éducation qu’elle m’a donnée.
J’étais sensé me retrouver entre 4 imposants murs qui devaient me permettre de m’agripper fermement à mes études et rien d’autre tout en faisant l’impossible pour faire fi de toutes les personnes qui devaient m’entourer, surtout si ces dernières risquaient d’être les responsables de mon ‘’détournement’’. Mais aujourd’hui, force est de constater que je suis maintenant devenue une toile digne d’une œuvre de Picasso, toile qui portent les coups de pinceau apposés par chacune des rencontres que j’ai faite dans cette communauté que j’ai rejointe, une communauté qui de l’extérieur est soit marginalisée ou étiquetée de regroupement d’enfants jugés ingérables par leurs parents, soit adulée par tous ceux qui prennent le risque de la côtoyer et d’y voir le positif et le fun.
Je suis devenu un disciple d’une des meilleures écoles, l’école de la vie en société.
Je suis passé par des moments assez durs mais d’un autre côté j’en garde surtout les souvenirs les plus drôles, les plus magnifiques et les plus indicibles lors d’un repas que je pourrais avoir en famille une fois rentré chez moi. Sans l’internat je n’aurais pas rencontré ces amis fantastiques qui plus que des amis sont devenus des frères, et qui plus que des frères sont devenus des sœurs LOL. Je sais que dès demain, je quitterai ces lieux qui m’ont transformé.
Pour moi, l’internat a été de devoir partager mon espace avec des personnes que je ne connaissais ni d’Adam ni d’Eve, avec la peur de se résoudre à cohabiter avec des gens étranges ; de devoir abandonner du jour au lendemain le cocon familial et toute la sécurité qu’il procurait et me retrouver à vivre ‘’seul’’ comme un grand ; de devoir faire avec des repas préparés pour la masse et qui n’avaient de bon que leur imperfection qui feraient tâche à un concours d’arts culinaires ; de devoir me lever avant tout le monde pour aller sous la douche ou attendre mon tour pendant 15 minutes à une heure selon le degré de propreté ou de métissage que voulait y atteindre celui qui précédait. C’était aussi de devoir supporter les manies et les sales habitudes de certains que je devais me coltiner sans aucune possibilité de trouver un espace vierge dans leur esprit pour y apposer un changement ; de constater que les humeurs des uns et des autres s’imposent à toi et définissent ta propre humeur la majeure partie du temps.
Mais c’était aussi les après-midi foot sur le terrain de l’école, les soirées télé ensemble dans une salle de classe qui était réaménagée à cet effet les vendredis et samedis soir ; la lessive du samedi où on brillait plus par nos pitreries et la parlotte (car non, les garçons ne font pas le kongossa) que par la restitution à nos vêtements leur propreté et leurs couleurs initiales (en clair le blanc finissait presque toujours gris ou beige et le noir devenait encore plus noir lol); le rangement ultra-rapide, quand l’alerte « contrôle surprise » des dortoirs par les maîtres était lancée, au cours duquel on faisait preuve de ruse et d’ingéniosité pour planquer tous les objets et toutes les substances illicites dans des cachettes qui feraient pâlir d’envie et de jalousie les trafiquants de drogue colombiens ; les moments de ‘’jachère financière’’ où on devenait soit acquéreur, soit vendeur à des prix défiant toute concurrence d’objets en tout genre (ça allait du vêtement de marque encore neuf ou pas trop usager aux appareils électroniques en passant par les provisions dont les boites de corn flakes et les conserves en tout genre avaient la part belle).
Je me rappelle les nuits de ‘’délayage d’ensemble’’ de GARI (Grand Aliment de Résistance des Internes lol) qui débutaient à 2h du matin et ne s’achevaient qu’une fois les derniers grains d’arachides grillés disparus de l’immense bol qui servait pour ce festin; les plus jeunes qu’on brimait gentiment pour officiellement les endurcir et les préparer aux réalités de la vie mais officieusement s’en servir comme larbins (m’en voulez pas ooh, la règle est « plus t’es vieux, plus t’as de droits »).
J’ai découvert grâce aux « grands frères de termo (Terminale)» au cours de ma première année ici les douleurs et les moments de plaisir que procure la pratique de la musculation. J’ai vu mon corps changer et devenir plus attrayant. Et encore plus, j’ai vu tout le chocolat qui était liquéfié sous l’effet de la chaleur insoutenable de la ville de Cotonou et s’était entassé sous la peau de mon ventre se solidifier grâce à la seule puissance de ces nombreux abdos que je prenais finalement plaisir à faire les matins. Oui, au cas où vous l’auriez pas compris, j’ai maintenant la tablette de chocolat et je suis physiquement loin de l’époque bonhomme Michelin.
J’ai découvert au travers du sens hallucinant du style et de la fraîcheur des gaboma (gabonais) la force mentale et présentielle que procure un vêtement bien choisi et accessoirisé dans les tons qu’il faut ; au travers de l’association explosive de la détonante joie de vivre qui s’exprime dans chaque mot et phrase que prononce un pur ivoirien, du choix et de l’usage à un level très difficilement égalé en Afrique francophone du verbe par le gaboma couplé à une limitée mais suffisante compréhension du Nouchi (argot ivoirien), du Camfranglais (argot camerounais), du Toli bangando (argot gabonais) et de cinglantes insultes en arabe apprises des tchadiens, comment par ce qui sort de ma bouche me rendre intéressant face à mes interlocuteurs.
J’ai appris que de la diversité des cultures et des origines découlent une diversification des personnalités qui explique la définition que chacun pouvait se faire de la normale. J’ai appris à vivre amplement, à élargir ma vision sur ce monde malgré le cadre restreint de cet école où loin de n’y apprendre que ces matières scientifiques et littéraires, j’y ai acquis une des connaissances ultimes de ce monde : la compréhension de la personnalité humaine.
J’ai adoré vivre ici. J’aime les horizons que j’ai pu y explorer. J’aime les expériences que j’y ai faites et qui m’ont permis d’enrichir ma vie.
Ce qui me semble le plus important est la somme de tout ce qui nous a uni Alex, Steeven, Jo, Will, Andy et moi, aussi bien positivement que négativement.
Je me sens vicieusement plus à mon aise de leur faire porter le chapeau pour toutes les conneries que j’ai faites et refaites avec plaisir. Après tout je suis un saint moi. Hahaha.
Mes cuites lors de nos soirées vizza (vin + pizza), le mur que j’ai ‘’tapé’’ ces nombreux samedis soirs pour les virées en boîte au retour desquelles j’ai acquis le pouvoir de la marche silencieuse et soûle dans le noir du ninja, mon premier joint (PS : Dites NON à la drogue oooh), mon tout premier tatouage qui a failli engendrer mon décès quand ma mère l’a vu pendant les vacances à la fin de la 1ère et j’en passe ; tant de faits qui contrastaient avec nos réussites dans les études dont la seule fausse note était l’échec au Bac de Joachim que nous avions tous les 5 rattrapé en Terminale.
Dans les moments difficiles où tout semblait perdu, où je n’entrevoyais pas de solutions aux problèmes que la vie érigeait en travers de mon chemin, j’ai pu compter sur eux pour faire front.
Ces moments de colère et de tension entre nous qui nous ont permis de trouver cette phrase qui désamorçait ces situations là et qui s’avère aujourd’hui être encore ma solution miracle face aux conflits : « Souris, et essayes de pas te tuer ». C’était la clé, c’est la clé. Comprendre qu’un sourire même forcé au début, apaise et nous aide à prévenir la conséquence la plus fâcheuse engendrée par la colère, le mal qu’on se fait à nous même.
Nous sommes une famille qui s’est étendue aux originales. Nos parents respectifs lors des visites ont fait connaissance avec tous et on a pu jouir à plusieurs reprises des bienfaits du partage sur ordre des parents des provisions entre nous, jouissance qui était plus grande quand c’était pas mes provisions mais celles des autres.
Dans la gamme des souvenirs pas très glorieux, je garde encore frais en mémoire mon dépucelage par une un peu trop généreuse nymphomane de l’école (Tchruuum ne jugez pas, regardez bien dans vos lycées et collèges, y en a toujours) que ces ‘’bâtards’’ ont mis en place une semaine après mon premier exploit sur le terrain avec Anna pour selon leurs dits « me faire goûter tôt au plaisir des rois et démystifier le sexe ». Cela n’avait duré que 30 secondes (si un mec me dit qu’il a fait plus pour sa première fois, honte à lui), mais elles ont suffi à me rendre accro. Lol. J’ai beaucoup appris d’elle, notamment à donner et à trouver comment je veux recevoir (suivez mon regard).
Ils m’ont montré comment séduire plus efficacement les filles en les prenant en exemple et en faisant de chacun des points positifs de leur force ma force de persuasion.
Le côté blagueur de Steeven, la puissance lyrique de Jo, la perversion d’Alex et Andy qui arrivait à toujours ressortir le côté sa**pe qui sommeillait en chaque fille, l’atout charme et romantique quoiqu’efféminé de Will et ma propension à adapter chacune de ces aptitudes à chacune des filles que je croise m’ont hissé au rang de virtuose.
Du point de vue relationnel, j’ai été durant ses 3 années un polymorphe au délicieux mélange de gênes de papillon qui butine de fleurs en fleurs et de serpent qui lâche son venin sur chacune de ses proies. Je suis passé maître dans l’art du baratinage, de la vente de rêves et de la débauche. En preuve les 47 filles qui en ont fait les frais. C’est bien peu glorieux mais c’était moi, du moins c’est moi.
Je dois tourner une page de ma vie qui sera des plus inoubliables. Je passe les dernières heures de ma vie d’interne. Mais la douleur est encore plus grande quand je me rends compte que cette fin rime avec une inévitable séparation d’avec mes frères. On a certes mis sur pieds un programme d’enfer pour ces vacances après les oraux du Bac (seul le divorce de Nicki Minaj d’avec ses protubérantes fesses pourra nous faire échouer à l’écrit), mais j’ai conscience que plus rien ne sera pareil après. On ira à l’université et là on devra faire face aux exigences de la vie d’adulte. Je ne peux qu’espérer que la vie nous réunira à nouveau.
Pour l’heure, je ferais mieux de ne pas y penser et rejoindre les autres pour finir de faire nos valises.
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Flashforward
Moi (paniqué) : Vite aidez-moi, on va la perdre
Infirmière : installez-la sur le brancard. Ne vous inquiétez pas on va prendre soin d’elle. DOCTEUR !!! DOCTEUR !!! ON A UN CAS CRITIQUE
Merde merde et remerde !!! Qu’est–ce que j’ai foutu ? C’est quoi ce pétrin dans lequel elle me plonge ? En plus il a fallu qu’elle le fasse chez moi. Comment vais-je expliquer cela à ses proches que je ne connais même pas ? Seigneur Dieu, fais qu’elle s’en sorte je t’en prie.
Voilà le médecin qui sort de la salle des soins urgents. Non, il n’a pas pu la mettre en condition aussi vite. C’est irréalisable, même pour le plus chevronné médecin urgentiste. Elle a dû perdre pas moins de 1000cc (1 litre) avec tout ce sang dans lequel je l’ai vu baigner à mon retour à la maison. Il ne peut pas l’avoir mise en condition. Il ne peut pas. Pourquoi ne va-t-il pas la sauver? Il fait quoi ici au lieu d’être avec elle ?
Pourquoi il affiche ce visage que je connais trop bien pour l’avoir arboré à chaque fois que je devais annoncer LA nouvelle aux proches d’un de mes patients ? Non non non… Pas ça. Pas elle…
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Je vous propose des suites les Mercredis (et/ou Mardi) et les Samedis (et/ou Vendredi) pour le moment, ça montera après promis. En attendant, j’espère que tu aimes ce que t’as lu jusque là. Le meilleur reste à venir…