Chapitre 5
Ecrit par leilaji
The love between us
Chapitre 5
Ouvrir un œil puis un autre. Bailler à m’en décrocher la mâchoire. Sentir une main sur un de mes seins. Me rappeler de comment on en est arrivé là. Me demander si je regrette ou pas l’homme enfoui dans les draps à côté de moi. Me sentir bien, même si j’ai pris une cuite hier. Me demander si j’ai honte. Décider en toute âme et conscience que non. Après tout le sexe c’est bon pour le moral, le corps, et plein d’autres choses. Des études le prouvent. Guetter avec une loupe mentale chaque sentiment qui me traverse. Respirer un peu mieux parce que je me sens bien. Je me sens bien ? Oui, à part cet arrière-gout d’alcool sur ma langue.
J’avais besoin de quelqu’un à côté de moi cette nuit.
Soupirer d’aise. Finalement je n’étais pas si saoule que ça puisque je me réveille sans mal de tête. Enlever la main et quitter le lit. Me laver et m’habiller puis sortir de la douche, fraiche et reposée. Tout ce que j’ai cru ressentir pour Idris cette nuit était dû à l’alcool. Ça m’a fait tourner la tête et mal interpréter les choses. Peut-être que je cherche inconsciemment à saboter son mariage parce que je ne veux pas me retrouver seule. Et là maintenant que je ne le vois pas, je pense à lui posément. Je n’ai plus le cœur qui bat la chamade. Je me sens mieux. Hier est passé. Le passé c’est le passé.
La journée commence très bien.
Il est temps que Monsieur le beau au bois dormant quitte les lieux. Je le pousse du bout de mon pied et il grommelle des mots incompréhensibles avant de s’éloigner et de se retrouver de mon côté du lit. Je contourne le lit et le pousse une nouvelle fois de la pointe de mon pied comme un chasseur vérifiant que sa proie est bien morte.
— Si tu me pousses encore, je te balance dans le lit et on recommence tout ce qu’on a fait cette nuit, dit-il d’une voix couverte par les oreillers posés sur son visage.
— Je ne voudrais pas paraitre malpolie mais il est temps que tu dégages de chez moi.
Il se débarrasse des oreillers et ouvre enfin les yeux. S’il est beau sur un terrain de foot, au saut du lit il est carrément canon. J’essaie de détendre mon visage pour qu’il puisse comprendre que je suis polie mais tout à fait sérieuse. Il s’assoit sur le lit pour bailler à son tour comme un ours sortant d’une longue hibernation.
— J’en ai rencontré des filles étranges dans ma vie mais toi tu bats tous les records. On a passé la nuit ensemble pas fait la guerre. Pourquoi tu réagis comme ça le matin ?
— Parce que j’ai eu ce que je voulais et je t’en suis très reconnaissante mais maintenant il faut que tu partes parce que j’ai des choses à faire.
— Tu pourrais au moins me faire un petit déjeuner… je crève la dalle. Tu as vidé toute mon énergie.
Il tente de me soudoyer avec une sourire de fripon qui doit faire des ravages dans la gente féminine. J’éclate de rire, ce n’est pas tellement le genre de chose qui marche avec moi. Un petit dej ? Mais il se croit où le mec ? A l’hôtel ?
— J’ai dit quelques choses de drôle ?
— Non, je suis juste en train de comprendre ce que les hommes ressentent quand une fille qu’ils avaient juste envie de se faire, s’accroche à eux. Ce n’est pas beau à voir.
Plutôt que de se vexer, il éclate de rire à son tour puis se lève pour enfiler son caleçon et son pantalon. Torse nu, abdos en béton dehors, il se rapproche de moi. Ce mec a un putain de corps de rêve.
— Est-ce que j’ai fait quelque chose qu’il ne fallait pas ? demande-t-il en se frottant les yeux pour mieux se réveiller.
— Non, tu as été parfait cette nuit. Mais maintenant il fait jour alors, habille-toi et prends la porte.
Il me fixe longuement avant de lever les mains en l’air en signe de reddition. Ça doit être un tic chez lui parce qu’il le fait souvent. Quelques minutes plus tard, il est prêt à partir. Je le raccompagne jusqu’à sa voiture sous le regard plus qu’intrigué de trois de mes voisines. C’est trois-là, c’est les pires du quartier. Je les ai surnommées ; riri, fifi et loulou. Une fois elles ont dit à tout le monde, que je ne vis pas du travail fait au garage mais plutôt de l’argent que les hommes me donnent quand je couche avec eux.
— Je suppose qu’on se verra aux entrainements...
— Non je ne viendrai plus.
— A cause de moi ?
— J’y venais pour me détendre mais vu ton attitude, je préfère changer de lieu de détente.
— T’es trop cash pour mon pauvre cœur.
— Il le faut bien.
— Alors je ne pars pas tant que je n’ai pas un autre rendez-vous avec toi.
— Non.
— Je t’invite, tu as juste à te ramener. Promis je ne te demanderai pas de me faire à manger. On pourra se faire un ciné, un restau, une boite tout ce que tu veux.
— Non merci.
— Ok, comme tu veux le jouer comme ça.
Il s’éloigne de sa voiture et s’assoit devant ma porte, par terre. Il sort son téléphone de sa poche, le pianote sans plus s’occuper de moi. Mais c’est son quoi son problème ? Je pensais que les hommes n’aimaient pas les filles « attachiantes ». Je reviens donc sur mes pas. Mes voisines n’ont pas bougé d’un pouce. Elles me regardent et chuchotent entre elles. Elles doivent se régaler là. Je me demande comment elles interprètent la situation. Ce soir même, tout le quartier saura que j’ai encore emmené un homme chez moi. Ca faisait longtemps que je ne l’avais plus fait. Ils auront tous de quoi me critiquer pour au moins un mois avec les conneries de Pierre qui ne veut pas s’en aller.
— Bon c’est quoi le problème ?
— Rien. On a passé une bonne soirée n’est-ce pas ?
Je croise les bras et tape des pieds en signe d’impatience. Il insiste pour que je réponde. Je roule des yeux, agacée. Son ventre gargouille. Il fait une grimace, contrit de dévoiler par ce bruit combien de fois il est affamé. Il ne mentait pas quand il disait avoir faim. J’ai l’impression maintenant d’être une vraie emmerdeuse.
— Alors donne m’en une autre. Avec ou sans sexe, je m’en fous, je veux juste une autre soirée avec toi.
Je soupire et fais semblant de réfléchir un moment.
— Ok. Je t’appellerai quand je serai libre.
— Voilà ! Comme quoi tu vois c’était très simple.
Il se lève et se tapote les fesse pour en enlever la poussière et me tend la main. Je la prends.
— Manuella tu me prends vraiment pour un idiot hein. Tu n’as même pas mon numéro de phone.
On rigole tous les deux de bon cœur. Ca a bien failli marcher, je m’étais presque débarrassé de lui.
— Je trouverai ton numéro alors décroche quand j’appellerai. Promis ?
J’hausse les épaules. J’ai plus la force de chipoter, il n’a qu’à faire ce qu’il veut. Il lève les yeux et pose son regard sur mes voisines qui n’ont toujours pas quitté leur cours.
— Elles font souvent ça ?
— Oh que oui !
— Tu veux qu’on leur fasse un petit show ?
— Non merci ça ira.
Cette fois-ci, je ne le raccompagne pas à sa voiture. Je me contente de m’adosser à mon mur. Alors qu’il fait une manœuvre, une des voisines s’approche du muret qui sépare nos deux cours.
— Hé ma chérie, c’est ton nouveau gars ?
Je sais pourquoi elle s’intéresse à lui. C’est un beau gosse, apparemment plein de frics, vu la voiture qu’il conduit alors elle se demande comment j’ai fait pour le mettre dans mon lit. Je crois que dans leur groupe de décérébrées, c’est elle que je supporte le moins. J’ai même pas le temps de lui répondre que Pierre sort la tête de sa voiture et crie bien fort pour que tout le monde entende.
— Oui oh, je suis son nouveau mec. On se revoit dans le prochain épisode.
Une fois à l’abri des regards chez moi, je peux enfin soupirer. Pierre est un homme plein de surprise finalement. Mon téléphone posé sur la table vibre. J’ai reçu un message. Je sais que c’est forcément Idris. Il m’a vu partir avec Pierre hier soir. Je sais aussi qu’il ne supporte pas de me voir agir ainsi. Il ne comprend pas le besoin que j’ai parfois d’être avec quelqu’un, même si c’est juste pour du sexe. C’est un moyen de noyer la solitude dans le corps de l’autre, de se vider la tête pour repartir du bon pied. Contrairement à beaucoup d’autres femmes, pour moi il n’y a rien de sacré dans le sexe.
Je ne suis pas prête à lire ce qu’il m’a écrit. J’ouvre les placards de ma petite cuisine et en sors tout ce dont j’ai besoin pour un petit déjeuner : thé, biscotte et sucre. Puis je sors du frigo le beurre et le lait liquide. Une fois mon ventre lesté, je consulte mon whatsapp. J’ai effectivement reçu des messages d’Idris tout au long de ma nuit. Il m’a envoyé des photos de pieds de femmes devant lesquels mes chaussures sont posées. Au début je ne comprends pas le lien entre ces pieds et mes chaussures. Ce n’est que lorsque je lis son dernier message que tout s’éclaire.
« Cendrillon, le prince a convié toutes les princesses du village afin de retrouver la proprio de ces pantoufles de verre. Tu manquais à l’appel. »
Je repose le téléphone sans lui répondre. Est-ce qu’il sait que le prince est censé épouser la princesse ? Il le sait forcément. Personne n’est mieux calé qu’Idris en culture générale. Alors à quoi joue-t-il ? je pensais que c’était l’alcool qui me faisait délirer la nuit la nuit dernière.
*
**
Je remplis les fiches de paie en machine, les imprime et les signe. Je viens à peine de finir tout le travail administratif du mois et je ne sais plus quoi faire de mes mains. Alors j’ouvre youtube et regarde quelques-unes des vidéos qu’Idris et moi avons filmées pour son compte. Il y a plein de messages de femmes qui lui demandent quand est-ce qu’il publiera une autre vidéo. Si son compte a autant de succès c’est parce qu’il propose aussi des astuces pour cuisiner vite et bien. Les working moms en raffolent et le lui font savoir. J’aime entendre nos rires en fonds sonores. Même si on ne me voit sur aucune des vidéos, je suis sure que sans moi ça ne donnerait pas la même chose.
Ma porte de bureau s ‘ouvre sur Patrick et ses cheveux désormais blancs et Edmond qui travaille pour moi depuis maintenant un an. Je referme la vidéo et me concentre sur ce que j’ai à faire.
— Salut papi, je lance joyeusement à Patrick.
— Arrête de m’appeler comme ça. Je viens récupérer ma paie.
— Salut cheffe, dit Edmond en s’asseyant sur une des chaises libres devant mon bureau tandis que Patrick reste debout.
Normalement, il devrait déjà prendre sa retraite et se la couler douce quelque part. Mais c’est un homme qui n’a pas l’habitude de rester sans travailler, sans occuper ses mains. Je le soupçonne aussi de rester pour veiller sur moi. Je crois qu’après Idris, Patrick est la personne qui me connait vraiment. Contrairement à Idris, il m’a vu souffrir puis renaitre de mes cendres.
Dès qu’on est à plus de deux personnes dans le bureau, on étouffe vite. Il va falloir que je pense à installer un climatiseur. J’en achèterai dès qu’il y aura des promos dessus. Enfin la pièce tient plus du cagibi que d’un véritable bureau. C’est sur les conseils d’Idris que je l’ai aménagée. Tout y est minimaliste et sobre, gris acier avec des touches de noires. Je tends son bulletin à Patrick ainsi que le chèque l’accompagnant. Il signe dessus, empoche le chèque. Je fais une copie du bulletin que je range dans mon classeur comptabilité et lui rend l’original. Edmond attend le sien patiemment. J’inspire longuement pour me préparer à dire ce que je vais dire.
— Edmond tu ne me dois pas quelque chose par hasard ?
— Pas à ma connaissance cheffe ? je vous ai remboursé le petit crédit que vous m’avez donné la dernière fois.
J’ai eu beau lui demander de ne pas m’appeler comme ça, il continue toujours. Mais de toute manière, ça va s’arrêter aujourd’hui.
— Il y a un de mes très bons clients qui m’a appelé la dernière fois pour me dire que tu lui as proposé de réparer sa voiture chez lui pour deux fois moins que le prix que je propose au garage. Son chauffeur a emmené la voiture et comme tu ne le connaissais pas, tu lui as proposé le deal et tu es allé la réparer chez lui. Sauf que lui a su que tu avais empoché la somme toi-même, que tu n’as pas travaillé pour mon compte.
Ses yeux s’écartent de stupeur. C’est Patrick qui m’a fait constater que certaines des pièces de réserve que je facture pour des réparations manquaient au débarras. Lorsque j’ai ressorti la fiche de diagnostic de la voiture de mon client, les pièces manquantes correspondaient aux réparations dont sa voiture avait besoin. J’ai vite fait le lien. Qu’il ait la fibre entrepreneuriale et décide de se lancer en dehors de ses heures de boulot à min garage passe encore, mais qu’il me vole mes pièces et mes clients… Ah ca non. Et pourtant j’avais toute confiance en lui, Il venait toujours à l’heure, travaillait bien et ne se plaignait jamais des heures sup que nous imposaient certains clients les jours de fête.
— Tu me dois du respect Edmond. Voilà ce que tu me dois.
— Mais cheffe. Laissez-moi vous expliquer. J’allais rembourser les pièces.
— Je crois qu’on va arrêter là. Je vais te donner ton dernier chèque. Tu prends tes affaires et tu te barres de mon garage.
— Cheffe ne fais pas ça, begaie-t-il sans se rendre compte qu’il est passé au tutoiement. J’ai un enfant en bas âge, je ne peux pas me permettre de perdre mon boulot. C’était pour arrondir les fins de mois.
Il parait qu’on devrait mettre plus souvent les femmes à la tête des entreprises. Il parait qu’elles sont plus sensibles à la souffrance des employés, plus à l’écoute, plus compétentes, moins difficiles et qu’elles demandent moins d’argent pour faire tout ça. Il parait aussi qu’une femme qui ne s’excuse pas de trancher dans le vif du sujet, sans sentiment, sans prendre des gants parait plus inamicale qu’un homme prenant la même décision. Une femme doit avoir ce caractère rond qui ne heurte personne. Elle ne doit pas afficher trop d’ambition. Mais ça c’est des « il parait ». Parce que je suis une femme mais mon caractère est à la hauteur de mes traits, sans concession.
— J’aurai pu demander à Patrick de te virer. Mais je ne voulais pas que tu crois que je me défile et que je suis incapable de le faire moi-même. Ce garage c’est tout ce que j’ai. Tu crois qu’on s’amuse avec le seul trésor qu’on a ? j’ai appelé certains des clients qui n’étaient plus venu faire leur réparation chez moi alors qu’ils avaient rendez-vous et il y en a trois autres qui m’ont dit la même chose. Ce qui veut dire qu’en un an, tu m’as déjà volé je ne sais combien de pièces pour faire des réparations à ton compte. Qu’aurais-tu fais à ma place ?
— Une nouvelle chance. Je demande une nouvelle chance. Ca ne se reproduira plus.
— Hé ben heureusement que tu n’es pas à ma place. Prends tes affaires. Et merci pour cette fructueuse collaboration.
Ils s’en vont tous les deux et j’appuie play pour regarder d’anciennes vidéos d’Idris. Je reçois une notification me signalant qu’il vient de mettre en ligne une nouvelle vidéo sur laquelle je ne suis pas. Je ne sais pas ce qui me fait le plus mal. Voir qu’il continue tranquillement sans moi ou voir qu’il continue avec une autre.
*
**
Le placard à balai est trop étroit pour nous deux. Mais il m’y a tiré sans ménagement et nous obligeant à chuchoter à voix basse pour régler nos comptes. Tout le monde se trouve au salon à regarder un match de foot et nous nous sommes serrés comme des sardines dans une boite. Je savais qu’en venant à cette soirée j’aurai 50% de chance de l’y croiser. Mais j’avais besoin de sortir pour m’enlever de la tête toutes les choses négatives qui envahissent ma vie à présent. Pourquoi ne suis-je pas restée chez moi tout simplement ?
— Je ne comprends pas comment tu peux être à la fois si courage et si peureuse.
— De quoi tu parles ?
— Pourquoi tu m’évites ?
— Je ne t’évite pas, je suis occupée.
— A faire quoi ?
— J’ai un travail je te signale.
— Moi aussi et pourtant on a toujours su se voir malgré ça. Maintenant je dois te coincer dans un placard à balai pour qu’on puisse se parler.
— Les choses changent…
Je l’entends soupirer. Il fait trop noir ici pour que je puisse voir clairement l’expression de son visage. Son parfum a envahi tout l’espace. De nouveau mon cœur bat la chamade. Foutu traitre.
— J’ai été l’homme le plus patient du monde. Mais apparemment… T’en as absolument rien à foutre. A chaque fois tu fais des conneries pour m’éloigner de toi et tu en fais une encore plus grande pour que j’accours à ta rescousse. Et à chaque fois je reviens. Grandis un peu putain. J’ai tout fait pour ne pas t’effrayer, pour te faire comprendre que tu n’as rien à craindre, que je ne te juge pas, je te prends telle que tu es. Mais tu laisses tous ces hommes se servir de toi…
— Je t’arrête tout de suite. Personne ne se sert de moi.
— Je t’ai vu partir avec Pierre. Tu as couché avec lui ?
A quelqu’un d’autre, j’aurai dit sans hésiter « Ca ne te regarde pas ». Mais à Idris, je n’y arrive pas. Alors je ne réponds pas.
— Pourquoi tu fais ça maintenant ?
— Quoi ? De quoi tu parles…
— Tous ces sous-entendus que tu me balances au visage sans jamais dire clairement les choses. Pourquoi ce n’est que maintenant que tu vas te marier que tu le dis ? Tu as eu cinq ans … Et tu n’as rien fait. Et maintenant t’es devenu le roi des messages subliminaux. Tu ne te demandes pas pourquoi ?
— Parce que j’ai un choix de vie à faire et que je voulais être sûr de faire le bon choix.
— Il n’y a qu’un seul bon choix. Et tu le connais déjà.
Je me rappelle très bien la toute première fois qu’il m’a emmenée chez lui. C’était pour la fête de fin de jeune du mois de ramadan. Ça a été l’une des pires expériences de ma vie. Je n’ai pas pu trouver ma place en cuisine alors j’ai aidé à acheter les boissons avec les hommes. J’ai fait du mieux que j’ai pu, mais la mère d’Idris ne s’est pas gênée de faire comprendre à son fils que je n’étais pas la bienvenue. Ils ont parlé en langue mais j’ai tout compris en déchiffrant les mille et une émotions qui se reflétaient sur le visage de son fils. Il ne m’a plus jamais emmené et je n’ai jamais remis cette histoire sur le tapis.
Je sais ce que c’est de ne pas être désirée par une famille. C’est le genre de choses qui tue à petit feu, vous bouffe de l’intérieur. Il est hors de question que je me replonge la dedans. Même pour lui. Si pendant cinq ans il n’a pas eu le courage de me dire qu’il m’aimait alors qu’on était qu’à deux, ce n’est pas lorsque toute sa famille sera impliquée qu’il saura.
Le silence s’étire entre nous. On entend la voix des personnes qui entrent dans la cuisine s’approvisionner en boissons fraiche.
— Tu sais où sont passés Dupont et Dupond ?
— C’est qui Dupont et Dupond ?
— Bah Idris et Manu. Ils sont tout le temps fourrés ensemble.
— Ah d’accord. Non je ne les ai pas vus.
— Tu crois qu’il se passe un truc entre eux ?
— Non pourquoi ? ils sont justes amis il me semble.
— L’amitié entre un homme et une femme n’existe pas. Du moins ça ne dure pas aussi longtemps. Il y en a toujours un qui finit par tomber amoureux et tout gâcher. Quand on est ami, on se pardonne bien plus facilement les conneries. Si tu as promis de l’argent à ta meilleure amie et que tu ne lui en donnes pas. Elle va te dire que ce n’est pas grave. Mais si tu fais la même chose avec la meuf avec laquelle tu sors, elle va chauffer de l’huile la nuit pour te verser ça dessus.
Dès qu’ils partent, Idris reprend notre conversation.
— Je n’en ai pas parlé parce que j’avais peur de tout gâcher. T’es indépendante et forte et tu gagnes bien mieux ta vie que moi. Je voulais avoir toutes les chances de mon côté avant de te le dire… J’attendais un signe de ta part ou même de Dieu. Et tout d’un coup cette histoire de mariage est venue tout chambouler. C’est peut-être ça le signe que je cherchais. Mais je ne peux savoir que c’est un signe que si tu réponds à ma question.
On entend au loin quelqu’un crier mon nom et tout le quartier se faire l’écho des cris du salon. Une équipe à surement marqué un but.
— Il faut qu’on sorte de là, les autres vont finir par nous chercher.
Je lui tourne le dos et pousse le battant doucement pour qu’il ne grince pas. Idris pose son front sur ma nuque et sa main sur mon ventre. Je me fige parce que par ce simple geste il me transmet tellement de sensations étranges que je ne sais même pas comment réagir. Puis il murmure :
— Est-ce que tu m’aimes ?
Nous y voilà. Avec des mecs comme Pierre, je n’ai rien à perdre. Avec des mecs comme Pierre, je ne suis pas assez proche d’eux pour leur permettre de me faire du mal. Avec des mecs comme Pierre, il n’y a pas de travail à faire sur soi. Et c’est pour ça que je laisse des mecs comme Pierre traverser ma vie.
Mais avec Idris, ce sera quitte ou double. Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ?