CHAPITRE 5 : A Visages découverts
Ecrit par delali
En
écoutant leur oncle Fabien, les sœurs de Kenji sont complètement surprises.
Elles s’offusquent à la limite et se mettent à ronchonner. La grande sœur
Simone déclare :
-
Mais oncle, lui seul il fera tout
ça ? Et nous, c’est aussi notre papa. Et puis c’est moi l’ainée.
-
Oui, elle a raison, disent en chœur
ses autres sœurs.
-
Toi la petite fille là, tu es
décidée à ne respecter personne ici hein. Tes oncles qui sont des hommes ici
n’ont rien dit. Et puis toi tu te lèves gaillardement et tu parles. Tu ne sais
pas que ce sont les hommes qui prennent les décisions dans cette famille ?
Vous pouvez être ainées de Kenji dix fois, vous n’avez pas droit à la parole.
Vous devez vous conformer à ce que les hommes décideront.
-
Han ! disent-elles.
-
Mais lui seul, ne peut pas tout
faire, il est encore trop jeune et ne travaille même pas encore, lance Simone.
-
Mais vous êtes là, vous allez lui
donner les ressources nécessaires pour ça. C’est lui l’homme, c’est lui qui
doit prendre le devant.
-
Ah oncle ! C’est nous seules
qui allons prendre en charge ? Et les cotisations que doit faire la
famille ?
-
Lequel de tes oncles tu as vu
travailler ici ? Vous toutes travailler déjà et êtes mariées. Vous allez
cotiser et vos maris aussi. D’ailleurs, celles qui n’ont pas encore été dotées
là, dites à vos belles-familles que si on voit pas la dot en double cette fois
ci, on ne veut pas voir leurs pieds ici hein.
-
Ah oui, faut bien leur dire
ça ! répondent en chœur les autres oncles.
Un
silence accueille la déclaration des oncles. Les sœurs de Kenji sont sidérées.
Puis après un temps de silence, le regard de la grande sœur Simone croise celui
de son petit frère, qui depuis le début de la réunion n’avait rien dit. Ce
qu’elle lit sur le visage de son jeune frère la pousse à déclarer :
-
Oncle, on a compris. Mais comme
Kenji lui-même est là et que c’est lui l’homme comme vous l’avez dit,
donnons-lui aussi la parole pour entendre ce qu’il a à dire. En plus c’est lui
qui est resté le plus avec le vieux, il doit avoir une idée de ses dernières
volontés.
-
Ok, dit l’oncle. Kenji, tu as la
parole.
Il
se donne une contenance en se raclant la gorge puis se lance :
-
Merci oncle. Pour commencer, le
désir le plus cher de mon père était d’être inhumé dans sa demeure et non au
cimetière comme vous l’avez décidé…
-
Quoi ! s’esclame l’oncle
Fabien. C’est hors de question !
Kenji
continue de parler comme s’il n’avait même pas entendu l’objection de son oncle.
-
… Et puis son corps ne fera pas un
mois à la morgue, on l’enterre dans la semaine. De son vivant, son corps avait
déjà trop souffert, après sa mort, pourquoi faire souffrir encore son
corps ? Qui veut, fait « agô », en tout cas pas moi, ni ma mère.
Nous n’avons rien à célébrer.
-
Tu n’es qu’un enfant Kenji ! déclare
l’oncle Fabien.
-
Pourquoi vous ne voulez pas que mon
père soit enterré dans sa propre maison ? demande Kenji.
-
Tu ne vois pas que nous, nous
habitons ici. Les morts ne restent pas avec les vivants !
-
Pourquoi avoir peur d’un
mort ? Vous craignez quoi de lui ?
-
Tu veux dire quoi par-là
Kenji ?
-
Moi je n’insinue rien.
-
Méfie-toi hein. On ne peut pas
l’enterrer ici, c’est hors de question. Tous les locataires partiront !
Kenji
et ses sœurs détectent alors les motivations de leur oncle. Kenji est hors de
lui, il est révolté et est prêt à ne reculer devant rien, il affronterait son
oncle s’il le fallait. Sa sœur Simone se lève et le force à sortir de la pièce.
Elle le prend en aparté au dehors et lui dit :
-
Calme-toi mon frère, tu es encore
trop jeune.
-
C’était la dernière volonté de
papa. Il faut qu’ils respectent ça. Sinon à quoi…
-
éééécoute moi petit frère, je suis
d’accord. Ce sont les dernières volontés de papa. Mais papa n’est plus de ce monde,
c’est seulement un cadavre qui là.
Kenji
affiche un air horrifié en entendant cela, elle reprend :
-
Oui, je dois te choquer pour que tu
comprennes. Il n’est plus, c’est seulement une enveloppe corporelle qui reste,
mais toi tu es encore vivant, alors ne leur donne pas l’occasion de trouver un
prétexte pour te faire du mal. Déjà qu’on n’a pas pu élucider la maladie qui a
emporté papa, ne va pas toi aussi te jeter dans la gueule du loup.
Kenji
a écouté attentivement et baisse la tête en la remuant. Il tourne sur lui-même
un long moment comme pour se calmer, puis, il pousse un soupir avant de
reprendre :
-
Ok, c’est compris. Mais il est hors
de question qu’on reporte son enterrement à un mois.
-
Ça, on peut négocier et l’obtenir.
Mais avant calme toi. Je me ferai ton porte-parole.
-
Ce « ça profite » là te
laisseras parler ?
-
Je gère. Ne t’inquiète pas.
-
Et il n’y a pas de
« agô » qui tienne pour moi. Si vous vous voulez, faites-le !
-
Hum ! On fera juste un petit
quelque chose pour étancher ceux qui viendront de loin afin de nous soutenir.
Si je savais que tu allais t’emporter de la sorte, je n’aurai jamais suggéré de
te donner la parole. Mais ton oncle, je m’en occupe. Je commence à le
connaitre.
-
Maman avait trop raison à son
propos.
-
Tu as d’ailleurs vu sa mine de
mécontentement quand tu t’es emporté ?
-
Je ne pouvais laisser ça passer,
maman s’est déjà trop tue.
-
Parfois le silence est d’or Kenji,
surtout avec quelqu’un comme ton oncle.
L’avidité de leur oncle n’a fait que confirmer
ce que leur mère disait à son propos du vivant de leur papa. Selon elle Fabien
attendait seulement que son frère quitte ce monde pour les expulser de la
maison.
De
retour dans la salle où se tenait la réunion, la sœur Simone reprend :
-
Oncle, vraiment excusez mon petit
frère. Il est encore très jeune et ne sais pas encore maîtriser ses pulsions.
Il m’a fait part de ce qui l’anime et je peux parler en son nom….
Elle
se lance ainsi dans un argumentaire afin de convaincre ses oncles de ce dont
elle a discuté avec son jeune frère.
***
Quelques heures plus tard à La Línea
Mélina tourne en
rond sur elle-même dans son appartement. En ce beau samedi, elle ne sait pas
quoi faire pour s’enlever Marcus de la tête ne serait-ce que pour quelques
instants. Ils se sont déjà échangés des mots doux tôt ce matin, mais elle est
déjà en manque. Elle vient de terminer son ménage et son déjeuner. Mais là,
elle ne tient plus en place.
-
Méli, trouve-toi quelque chose à
faire. Ce n’est pas bon que tu penses tout le temps à lui. Tu risques de lui
mettre la puce à l’oreille et il se lassera de toi, se dit elle tout haut.
La minute qui
suit, son téléphone vibre. Elle se précipite là-dessus en disant :
-
C’est lui ! C’est lui !
Il a pensé à moi.
Dès qu’elle a le
téléphone en main, son entrain et son sourire disparaissent. Ce n’est pas
Marcus, c’est plutôt Alexandro, son Directeur Artistique.
« Elle va comment en ce beau samedi ma donneuse de vie préférée ? »
Elle est tellement déçue qu’elle
dépose le téléphone et se laisse tomber sur son fauteuil qui est juste derrière
elle. Elle pousse un soupir et se porte les mains au visage.
-
Il faut que je me reprenne. Je
crois qu’une bonne douche me fera du bien.
Elle se dirige
sans perdre une seconde vers sa salle de bain. Au bout d’une vingtaine de
minutes, elle sort de la douche. Elle est alors alertée par des coups virulents
sonnés à la porte. Affolée, Mélina ne fait que nouer en un geste instinctif la
petite serviette qu’elle avait en main autour de sa poitrine, laissant ainsi
paraître la nudité de ses jambes galbées. Elle court presque ouvrir la porte.
Dès qu’elle fut ouverte, elle se retrouve nez à nez avec Alexandro. Celui-ci
sous l’effet de la surprise reste les yeux grands ouverts à la dévorer du regard
de la tête aux pieds. Mélina, quelques secondes après, ouvre la bouche.
-
Mais Alex ! Tu m’as fait une
de ces peurs.
Elle s’efface
ensuite et fait demi-tour sur elle-même en prenant la direction de sa chambre.
Elle lui lance en cours de chemin :
-
Mais que se passe-t-il ? Entre
et accorde-moi un instant, je m’habille.
Alexandro LIMA,
remis un tant soit peu de sa surprise, entre et ferme la porte derrière lui.
Voyant qu’elle a disparu dans le couloir qui mène à sa chambre, il en profite
pour se retrouver une contenance. Alexandro est un homme espagnol de 35 ans
assez émotionnel qui le plus souvent sait percevoir au-delà des apparences. De
taille moyenne 1m 70, mais de corpulence robuste, il est également un homme qui
prend grand soin de son allure, surtout sur le choix des couleurs. En ce jour,
il porte un pantalon taillé sur mesure gris et une chemise manches longues
blanche. Il y a ajouté des boutons de manchette de la couleur grise, et des
souliers relax d’une couleur noir qui se confond avec le noir de ses cheveux et
de ses yeux. Ce goût raffiné qu’il a pour le beau et l’harmonie des couleurs
ainsi que son œil artistique très développé, justifie assez aisément le poste
qu’il occupe au sein de Royal DrawArt. Les yeux balayant la pièce, il essaye de
repérer un endroit où il pourrait s’asseoir.
-
Mais qu’est ce tu as ? Tu te
sens bien ? Tu es tout rouge.
La voix de
Mélina vient de lui faire tourner la tête. Il la regarde, elle porte à présent
une robe droite blanche à fine bretelles, 100% coton, qui lui est près le corps
laissant deviner ses courbes. Il détourne aussitôt son regard avant de lui
dire :
-
Méli, quand te décideras tu à
meubler correctement cet appartement ?
-
Pfff ! dit-elle en levant les
yeux au ciel. Vanité des vanités, tout est vanité !
-
Regarde, on ne trouve même pas un
endroit confortable pour s’installer.
-
Pas aujourd’hui Alex, s’il te
plait ! Je te l’ai déjà dit, je suis enfant de famille pauvre. Quand on
était petits, mes frères et moi, on s’asseyait à même le sol, alors j’y suis
habituée. Aussi je te le répète, l’Espagne, ce n’est pas chez moi, je rentrerai
dans mon pays un jour, alors je ne vois pas l’intérêt de m’encombrer avec des
meubles et tout autre chichi qui va avec.
-
Je n’aime pas t’entendre dire ça ma
Dona. Tu pourrais faire de l’Espagne ta seconde patrie, moi je ne veux pas te
perdre.
-
Arrête Alex. Tu as déjà de très
bons dessinateurs à l’interne. D’ici quelques années, ils feront des
merveilles.
Alexandro ne dit
plus rien et s’assoit finalement en coin sur l’un des fauteuils sur lequel
était déjà posé des revues et autres magazines.
Mélina se dirige vers sa cuisine et revient quelque instant après avec
un verre d’eau fraiche.
-
Tiens bois, j’ai l’impression que
tu étouffes… Il ne fait pas si chaud pourtant.
Il s’exécute et
prend de bonnes gorgées. Puis elle lui demande :
-
Alors raconte, qu’est ce qui
t’amène ?
-
Je t’ai écrit et tu n’as même pas
daigné me répondre.
-
Alex ! Ça fait à peine trente
minutes que tu m’as écrit, dit-elle en riant.
-
Eh ben ça alors ! D’habitude
tu ne mets pas autant de temps à me répondre. J’ai eu la frousse, j’ai cru
qu’il t’était arrivée quelque chose, ou pire encore, que tu as tellement broyé
du noir que… que tu as avalé des cochonneries…
-
Alex !!!
Il se tait, et fait attention à
elle à présent. Elle reprend :
-
Tu as raison. Désolée...
En dehors d’être son supérieur
hiérarchique, Alexandro est aussi un ami à elle qui la soutient beaucoup dans
les moments qu’elle traverse !
-
Tu sais que tu m’es précieuse…, déclare
alors celui-ci.
-
Oh ! dit-elle tant surprise
qu’émue.
-
Enfin, je veux … dire que tu es
précieuse pour moi et … et toute l’équipe. On n’a besoin les uns des autres.
- Bien sûr. J’avoue qu’aujourd’hui je suis particuli?