Chapitre 5 : La guérisseuse
Ecrit par Alexa KEAS
Noah DJEVOU
-Toutes mes excuses madame.
-Noah ! Murmura-t-elle presque pour elle-même mais je l’entendis tout de même.
-On se connait ?
-Oui. Enfin…non. Moi je te connais mais toi pas. Je m’appelle Nayanka GUEDJE et nous étions voisins si je peux le dire ainsi. Nous habitions le même quartier pour être plus véridique. Je suis la fille de la vendeuse de bouillie de mil et de beignet.
-Désolé, je me rappelle de ta mère puisque je raffolais de ses beignets (sourire) mais, de toi pas.
-Oui je le sais, c’est évident. Répondit-elle d’une voix dans laquelle je crois déceler de la tristesse.
-Bon ben Nayanka, je suis ravi de t’avoir croisé. J’ai ma mère qui m’attend. Et toi au fait, tu as un malade dans cet hôpital ou alors tu y travailles peut-être ?
-Non, répliqua-t-elle en me fixant étrangement. Je devais y rencontrer quelqu’un et apparemment (pause) cette personne c’est toi.
-Comment ça ? Fis-je ébahi.
-C’est un peu compliqué à expliquer. Pouvons-nous aller nous asseoir sur le banc là-bas ?
Sceptique, je la suis quand même et nous allons prendre place sur le banc dans le couloir.
-Je suis une guérisseuse et je communique avec les esprits de la nature également. Ce sont eux qui me disent quelle plante cueillir pour guérir les malades vers qui ils m’envoient. Mon don est plutôt sélectif, je ne guéris pas tout le monde. Ceci dit, ce ne sont pas les malades qui viennent à moi mais plutôt le contraire.
-C’est quoi ce délire ?
-Je sais que ça semble irréel mais je te dis la vérité Noah. J’ai été envoyé vers toi pour te soigner toi ou alors un proche à toi. Les esprits ne m’ont pas donné de précision mais ils m’ont juste ordonné de me rendre dans cet hôpital et c’est toi qui porte la marque de reconnaissance.
Je me lève subitement et cherche la fameuse marque sur moi.
-La marque n’est pas visible. Me dit-elle en me fixant d’un air calme.
Malgré moi, je sens des frissons me parcourir le corps.
-Ecoute-moi bien jeune fille, je ne sais pas à quoi tu joues et ne sais pas quelles sont tes attentes mais je te conseillerai d’aller jouer ailleurs que sur mon terrain. Je viens de te dire que ma mère est dans cet hôpital alors tu inventes des absurdités pareilles pour je ne sais quelle raison. Ah ! Laisse-moi deviner, tu es une experte en escroquerie. C’est bien dommage pour une belle femme comme toi.
Elle ne pipe mot et se lève à son tour, me défiant du regard. Elle pousse le bouchon loin en réduisant la distance qui nous sépare. C’est le visage presque collé au mien qu’elle me répond.
-J’ai fait des études Noah, j’ai également un boulot qui me permet de vivre. Je suis la fille d’une battante, une guerrière qui m’a bien appris comment me battre pour survivre dans cette jungle qu’est la vie. Si j’avais eu le choix, peut-être n’aurais-je pas choisi d’avoir ce don ou alors j’aurais défini les contours. Quand le devoir m’appelle, je laisse tout tomber pour l’accomplir au risque d’entendre des voix dans ma tête et de paraitre folle devant les gens normaux.
Au cas où cela t’intéresserait, si j’arrive à plaquer mon boulot pour me lancer à la recherche du prochain ou de la prochaine à soigner, c’est parce que les esprits m’avaient amené à guérir l’unique fils de mon patron… Dans mon sac ici présent se trouve ma carte de visite ainsi que toutes les informations qui pourront te prouver que je suis une honnête personne qui gagne sa vie à la sueur de son front.
Elle recule après avoir prononcé son discours et reprend sa place sur le banc comme si de rien n’était. Elle respire comme si elle venait de courir un marathon.
-Suis-moi. Lui dis-je sans autre forme de procès.
Au point où j’en suis avec cette nouvelle, je suis prêt à tout essayer pour sauver la vie de ma mère. J’ai encore tant besoin d’elle…
Nayanka se lève et me suis sans un mot jusqu’à la chambre de maman. Cette dernière s’était endormie.
-Elle est restée belle ! Dit Nayanka en regardant maman.
Elle se rapproche d’elle et la fixe d’une telle manière que j’ai l’impression qu’elle regarde à travers elle.
-Il faudra que nous nous rendions dans un petit village dans les montagnes d’Agou. C’est là-bas que se trouvent les plantes que j’utiliserai pour la soigner. Récita Nayanka d’un trait.
-Ecoute, c’est assez sérieux comme cas. Supposons que je crois tout ce que tu me dis, penses-tu vraiment pouvoir guérir un cancer à un stade très avancé ?
-Ce n’est pas par ma propre force cher Noah. Je ne suis qu’un instrument.
Elle plonge la main dans son sac et en sort une carte de visite qu’elle me tend.
-Il faut faire vite. J’ai transmis mon message, à vous de vous décider et plus tôt nous commencerons le traitement, mieux ce sera. Au revoir Noah.
*
*
Cindy Nana
Je toque à la porte et entends la voix de mon père me donner la permission d’entrer. Ici, entre ces quatre murs loin des regards indiscrets, il redevient l’homme simple qui pourrait même pleurer devant sa fille.
Je prends place sur le lit à côté de mon père et demeure toute ouïe sur ce qu’il s’apprête à me dire.
-Ma fille, ma princesse. Depuis que tu es en âge de comprendre certains aspects de la vie, il ne t’a jamais été caché que tu avais une lourde responsabilité entant qu’héritière de ce royaume. Bientôt tes vingt-cinq ans, âge auquel tu devras effectuer le voyage qui te fortifiera et te préparera à accéder au trône en tant que reine. Ta mère et moi t’avons toujours dit qu’il fallait que tu gardes ta pureté jusqu’au jour de ce voyage. Tu auras besoin de cette énergie pour combattre les forces du mal qui apparaitront sur ton chemin…
Je déglutis à l’écoute de cette dernière phrase. Mon père se lève et va ouvrir son immense armoire. Il en sort un couteau ou plutôt une épée en forme réduite et revient vers moi avec.
Ce jour-là, je te remettrai ceci comme mon père avait eu à me le remettre et son père avant lui ainsi que les reines qui avaient déjà porté cette couronne.
-Père, tu es sérieux ?
Il sourit.
-Penses-tu que je sois en train de plaisanter ?
-Pourquoi devrais-je passer par un tel rituel pour te succéder au trône ? De plus, les temps ont changé ! Je savais qu’une mission m’attendait mais je pensais à autre chose qu’à tout ce que tu viens de me dire papa.
-Cindy, tout va bien ?
- Oui papa mais j’avoue que j’ai du mal à saisir le bien fondé de ce dont tu me parles.
-Ai-je eu tord de t’envoyer au pays des blancs ? Et pourtant j’ai pris le soin de t’inculquer nos valeurs avant !
-Papa, je n’ai pas perdu mes valeurs africaines mais…
-Je comprends que tu sois frustrée mais crois-moi, si je t’ai demandé de rentrer plus tôt, c’est pour avoir le temps de te préparer avant ton retour à Londres. Dans six mois tu auras vingt-cinq ans ma princesse. Tu effectueras ce rituel à cette même date et après nous penserons à ton mariage.
Je passe une main sur mon visage, histoire de vérifier que je ne rêvais pas.
-Tu peux te retirer ma fille, ça se voit que tu as besoin de repos.
-Merci papa, fis-je en me levant.
J’étends ma main vers la poignée de la porte quand j’entends sa voix rauque résonner de nouveau.
-Rassure-moi, tu es toujours pure ?
Je sens mes jambes devenir frêles aussitôt.
-Oui papa, murmurai-je avant de sortir de la chambre en vitesse.
Je tombe sur maman dans le couloir et l’esquive. Les battements de mon cœur ne se calment un peu qu’une fois dans ma chambre avec la porte bien verrouillée. Mes affaires avaient déjà été soigneusement rangées. Je saute sur mon sac à mains posé sur le lit et le fouille pour chercher mon téléphone.
Quand je le retrouve, je réalise qu’il est éteint. Je cherche le chargeur et le branche. J’attends anxieusement durant cinq minutes avant de l’allumer et de lancer l’appel vers le numéro de ma tante.
-Hello aunty Joy
-Hello my baby.
-J’ai un sérieux problème ma tante.
-Quoi donc Cindy ? Fit-elle inquiète.
-J’ai perdu ma virginité.
-Quel stupide acte as-tu posé ma fille ?
-I fall in love, lui dis-je.
-Et alors? Etais-tu obligée de te donner à lui?
-Aunty help me. Je viens de discuter avec mon père qui m’a expliqué ce qui m’attendait à mes vingt-cinq ans. Que puis-je faire ?
-Dire la vérité ma fille, répondit-elle en poussant un soupir de désolation.
Je me laisse choir sur le lit, inquiète.
-Cindy, je vais sauter dans ma voiture et arriver au château le plus vite possible. Il faut trouver une solution à cette histoire.
-Je t’attends impatiemment ma tante.
-J’espère qu’il en vaut la peine et qu’il t’offrira un mariage digne de ce nom pour sauver ton honneur…Lança-t-elle.
Je raccroche et laisse tomber le téléphone sur le lit. Je me redresse et pose mes deux mains sur la tête. Qu’est-ce qui m’a pris ?
*
*
Noah DJEVOU
Au réveil de maman, son regard tombe sur celui de son mari assis à ses côtés et elle m’en lance un plein de reproches.
-Je lui ai dit. Déclarai-je.
-Chérie, dit papa en essuyant ses larmes naissantes. Pourquoi ne m’as-tu rien dit ? Pourquoi garder ça pour toi ?
-Je ne voulais pas que tu sois triste, encore moins que tu verses des larmes comme si j’étais déjà morte alors que je suis toujours en vie…
-Nous avons peut-être une solution, aussi absurde soit-elle. Dis-je.
Maman me regarda sans un brin d’espoir dans les yeux.
Pendant qu’elle dormait, j’ai eu le temps de m’entretenir avec papa au sujet de Nayanka et il trouve que nous ne perdrons rien à essayer. Pour ma part, je ne crois pas trop à ces choses…
Je relate les faits à maman qui ne démontre aucune émotion. Elle semble s’être déjà faite à l’idée de mourir bientôt et ça me brise le cœur malgré mes doutes. Je lui insufflerai la dernière lueur d’espoir qui me restera car l’espoir fait vivre.
-Elle a dit que nous devrions vite nous décider…
-Du moment que j’aurai du bon agouti à manger dans ce milieu, pourquoi pas ? Plaisanta-t-elle, ce qui nous fit rire tous les trois.
Le médecin avait déjà signé son ordre de sortie alors nous quittons cette chambre d’hôpital sinistre.
Papa était venu avec le chauffeur mais nous comptons rester ensemble alors ce dernier s’en va seul à bord de la voiture des parents.
Sur le trajet retour, la discussion s’anime sur la médecine traditionnelle africaine et jusqu’à ce que je me gare devant chez eux, la décision fut prise pour que j’appelle Nayanka.
J’attends d’être à l’intérieur pour le faire. Elle décroche à la première sonnerie.
-J’attendais ton appel, dit-elle aussitôt.
-Nous avons décidé d’essayer. Lui annonçai-je.
-D’accord. Dans ce cas, nous partirons demain. Prenez des vivres et tout le nécessaire pour vivre loin de la civilisation durant trois mois ?
-Quoi ?! Ne peut-on pas attendre quelques jours de plus afin que nous puissions mieux nous préparer pour le voyage ?
-Il n’y a plus de temps à perdre cher Noah. Chaque temps perdu est une avancée de plus pour la maladie…
Elle raccroche sans autre forme de procès et je reste éberlué face à son attitude. Cette fille m’intrigue au plus haut point. Son apparence et ce qu’elle dit être sont deux aspects totalement contradictoires. Mais, je suis forcée d’admettre qu’elle a raison. Il n’y a plus de temps à perdre… Rien n’empêche que nous y allions demain et que je revienne par la suite. J’espère seulement qu’elle ne se fout pas de nous.
*
*
Alexa KEAS