Chapitre 6

Ecrit par NafissaVonTeese

Précédemment

C’est avec l’aide de sa mère que Fama avait réussi à quitter la maison sans éveiller les soupçons de son père sur les véritables raisons de sa sortie. Ce dernier ne devait surtout pas apprendre l’existence de Seydina dans la vie de sa fille. Mais aussitôt elle franchit la porte, elle tomba sur les deux hommes entrain de se dévisager.

***

Aucun des deux n’avait voulu détourner son regard, et ils étaient restés ainsi pendant quelques secondes qui semblaient durer une éternité, avant que Seydina ne se décide enfin à faire le premier pas.

-         Bonsoir Monsieur GUEYE, avait-il timidement dit en lui tendant la main.

Fama suivait la scène en retrait, le souffle coupé et les mains affreusement tremblantes. Elle aurait voulu devenir transparente, ou même encore disparaitre en un claquement de doigts de la surface de la terre, pour ne pas que les foudres de son pères s’abattent sur elle à cause de cette bourde de Seydina. Vu la façon dont il le regardait, elle se dit qu’il était certainement au courant de leur relation.

Le vieux grincheux lui, s’était privé d’accepter son salut. Il continuait à le dévisager sans retenu.

Seydina avait très vite compris que cela ne présageait rien de bon. Il eut le réflexe de reculer d’un pas avant de jeter un regard interrogateur à Fama qui serrait nerveusement contre sa poitrine le livre qu’elle avait entre les mains.

Le manque de réactivité de Fama le convainquît que quelque chose n’allait décidemment pas. Il n’arrivait pas à comprendre ce que c’était, ni pourquoi tout le monde était resté mué et le regardait avec des expressions qu’il n’arrivait pas interpréter.

-         C’est un honneur de vous rencontrer Monsieur ; avait repris Seydina. J’ai tellement entendu parler de vous…

Avant même qu’il ne termine sa phrase, le vieux avait bondi vers lui et en le pointant du doigt, lui avait lancé d’une voix colérique :

-         Ne t’avise plus jamais de m’adresser la parole. Tu penses pouvoir me berner avec ton visage d’ange et ta fausse courtoisie ? Je sais très bien qui tu es et tout ce dont tu es capable. Tu es le diable en personne. Le mal coule dans tes veines !

Ses amis qui se faisaient jusque là discrets, s’étaient vite rapprochés afin de le retenir, pour éviter qu’il s’en prenne physiquement au jeune homme qui semblait complètement désabusé face cette réaction brutale et insensée. Il les avait aussitôt repoussé avant de respirer un grand coup en se rapprochant de Seydina. Il lui avait chuchoté à l’oreille des mots qui n’arrivèrent pas à l’assistance, mais laissaient deviner, à cause de la tête que faisait Seydina, qu’ils étaient loin d’être tendres.

Sans même se retourner, il avait quitté la ruelle à pas vifs, tout en demandant à ses compagnons de faire de même car il était presque l’heure de la prière.

Seydina et Fama s’étaient ainsi retrouvés seuls, à se regarder sans mot dit. Aucun des deux ne savait comment réagir ou même quoi dire. C’est Seydina qui avait brisé le silence en demandant, avec un soupçon de colère dans la voix :

-         C’était quoi ça ? Il ne va pas bien ton vieux !

Le jeune homme avait juste eu le temps de remarquer le regard de sa petite amie qui avait viré au noir, avant qu’il ne se fasse attraper par le bras pour se faire littéralement trainer par Fama qui se dirigeait vers le quai Roume. Il s’était laissé faire tout, mais en l’accablant de questions. Elle n’en avait répondu à aucune, et cela avait fini par l’agacer. Seydina l’avait obligé à lui lâcher le bras et refusa de faire un pas de plus.

-         Ça suffit maintenant, s’était-il écrié. Je ne suis pas ton pantin Fama. Il va falloir que tu me dises ce qui se passe avec ton père, et tout de suite. Qu’est-ce que j’ai fait de mal ?

Il avait suffit à Fama de regarder autour d’elle pour se rendre compte qu’ils avaient retenus l’attention de toutes les personnes présentes sur le quai. La plupart semblait être des touristes qui n’en avaient certainement rien à faire d’une querelle d’amoureux, mais elle se refusa de se donner en spectacle.

-         Ce n’est pas le moment d’en parler, avait-elle dit avec le plus de calme possible. Tes parents nous attendent alors s’il te plait, ne les faisons pas s’impatienter.

Ces mots ne semblaient guère raisonner Seydina. Les traits raides qui se lisaient sur son visage reflétaient la fureur qu’il essayait de contenir en lui en serrant le poing. C’était la première fois que Fama le voyait ainsi sortir de ses gonds. Cela l’irritait plus que ça ne l’inquiétait, mais il fallait qu’elle ravale son insolence habituelle pour laisser place à un peu de compassion. Elle s’était rapprochait de l’homme bouillonnant de colère, pour lui prendre tendrement la main avant de lui lancer, les yeux dans les yeux :

-         Qu’est-ce que t’es beau bébé quand tu t’énerves ! Je te promets de tout t’expliquer plus tard, mais là, il va falloir qu’on y aille. Tu peux faire ça pour moi ?

Il n’avait pas desserré la mâchoire, mais avait détourné le regard avant de lâcher un grand soupire. Fama connaissait assez son homme pour savoir que cela avait autant de valeur qu’une capitulation.

-         Ok !

-         Parfait !

-         Mais tu veux qu’on y aille comment ; avait-il demandé en retirant froidement sa main de celle de Fama. A pied peut-être ?

« Espèce de petit récalcitrant » avait-elle pensé avant de répondre aigrement :

-         Non en volant idiot !

C’était loin d’être le but mais cela fit aussitôt sourire le garçon.

-         Petite sorcière ; avait-il dit en passant son bras sur ses épaules. Tu t’envoleras un autre jour ! Mais aujourd’hui, c’est Monsieur Seydina Tall ici présent, qui va te servir de chauffeur.

Fama s’était aussitôt dégagée. Exaspérée, elle était. C’était l’un des rares moments où Seydina était à ses yeux limite repoussant. Même si cela était à son avantage, rien ne l’énervait plus que la facilité qu’avait cet homme à rendre les armes et passer très vite à autre chose. Elle lui enviait secrètement cela, elle qui avait toujours été habitée par une rancœur excessive. Elle n’avait plus qu’une seule envie : en finir une bonne fois pour toutes avec le dîner et que tout redevienne aussi simple qu’avant.

C’est sur un ton sarcastique qu’elle avait demandé :

-         Tu t’es payé enfin une voiture ?

-         Bien-sûr ; avait-il répondu avant d’éclater de rire. Tu sais très bien que je n’ai pas encore les moyens de m’en payer une. Mon père a insisté pour me prêter la sienne. Il trouve ça plus galant et plus je ne sais plus quoi encore. Il est tellement vieux-jeu, tu ne peux même pas…

-         C’est bon j’ai compris ; avait-elle sèchement rétorqué afin de l’interrompre. Où est-ce que tu t’es garé ?

Seydina avait secoué la tête avant de soupirer de désenchantement. Il avait pointé du doigt une Cayenne bleu roi de 2013, stationnée à une trentaine de mètres d’eux.

-         Il va falloir rebrousser chemin Mademoiselle.

« Vieux-jeu peut-être, mais avec des gouts de luxes. » Jamais Fama n’était montée dans une Porsche, mais cela ne la dérangea aucunement. Au contraire, elle en avait toujours rêvé et c’était sur le point d’arriver.

Elle admira la voiture, enfuie dans ses pensées. Elle savait tout, ou presque tout de son homme, mais concernant sa famille, elle venait de se rendre compte que c’était loin d’être le cas.

Son absence de réaction interloqua Seydina.

-         On y va ? Et puis c’est quoi ce vieux truc que tu traines ?

Fama avait réussi à oublier le livre que sa mère avait mise entre ses mains quelques minutes plus tôt. Elle était pourtant assez lourde, mais sa montée subite d’adrénaline en voyant Seydina pointé devant son père, lui avait fait oublier qu’elle l’avait toujours avec elle. Elle y jeta un bref coup d’œil avant de le plaquer avec toutes ses forces contre le torse du jeune homme.

Elle avait juste dit : « cadeau », avant de se diriger vers la voiture.

Fama ne lui en avait encore touchée aucun seul mot, mais elle lui en voulait ardemment d’être passé la prendre, alors qu’elle lui avait dit non quand il le lui avait proposé. Sa seule consolation était qu’elle allait le lui faire payer le moment venu.

***

Fama était décidée à rester silencieuse alors qu’elle était connue pour être un moulin à paroles. Elle avait ignoré toutes les tentatives de Seydina d’installer une discussion. Elle faisait semblant d’avoir la tête scotché à la vitre, mais il avait vite compris qu’elle n’avait juste pas envie de lui adresser la parole.

Tous les deux savaient qu’elle était excessivement nerveuse mais ne voulait pas le laisser paraître. La force et l’indifférence dont Fama faisait preuve n’étaient en réalité qu’une carapace qu’elle enfilait pour dissimuler sa vulnérabilité. Seydina l’avait découvert dès leur rencontre mais il faisait semblant de l’ignorer. Il se sentit coupable de devoir lui infliger ce dîner avec sa famille, mais la machine était déjà en marche. Il était impossible de revenir en arrière. Il se limita alors à lui jeter de temps-en-temps un petit regard pour vérifier si l’expression de son visage changeait, mais cela n’en était rien jusqu’à ce que la Cayenne s’arrête devant la maison de Seydina.

La nuit était déjà tombée, mais Fama n’avait eu aucune peine à reconnaître l’endroit. C’était la première fois qu’elle y venait, mais elle avait jalousement gardé le secret d’avoir installé un mouchard dans le téléphone de son petit ami, et avait ainsi pu récupérer les coordonnées GPS de sa maison. Il ne lui avait suffit qu’à les renseigner dans le logiciel de géo-localisation et d’imagerie satellite qu’utilisait l’entreprise dans laquelle elle travaillait, pour disposer en moins d’une minute des vues aériennes des lieux. Elle s’était très vite trouvée ridicule et s’était promise de ne plus jamais recommencer. Promesse qu’elle n’avait pas réussi à tenir. Elle continuait à tracer le moindre de ses déplacement à chaque fois que l’occasion se présentait.

C’est juste avant de descendre de voiture que Fama s’était rendue compte qu’elle n’avait pas sa pochette avec elle. Elle ne se souvenait même pas de l’avoir prise alors que son téléphone et ses papiers d’identité étaient dedans.

-         Ça commence mal ; avait-elle murmuré.

-         Qu’est-ce qu’il y’a encore ; avait machinalement demandé Seydina.

Avant même qu’elle n’eut le temps de répondre, elle remarqua la portière de la voiture s’ouvrir, puis le sourire chaleureux d’une jeune dame incroyablement pâle, se dessiner devant elle. Seydina avait aussitôt quitté la voiture et Fama fit de même. Il vint la prendre par la main et avec une bonne dose d’hésitation mal masquée dans sa voix, il fit :

-         Maman, je te présente Fama.

Elle l’avait aussitôt prise dans ses bras avec une tendresse qui surprit agréablement Fama. Toute la tension qui l’habitait depuis des heures, retomba d’un seul coup, comme par enchantement. Ses mauvaises appréhensions étaient infondées et elle venait d’en avoir la preuve.

-         Ravie de te rencontrer enfin ; dit-elle en se détachant de Fama. Moi c’est Isabella, la maman de ce charmant petit garçon qui ne cesse de me parler de toi. Je comprends pourquoi maintenant. Moi qui ai toujours eu peur de perdre mon petit ange, je vois que j’ai de sérieux soucis à me faire là. Tu es magnifique !

Fama commençait à se sentir un peu gênée. Elle souriait bêtement car ne savait pas quoi dire. Isabella prit sa main et y posa un doux baiser, avant de prier le couple de rejoindre la maison.

C’est bras dessus bras dessus que les deux femmes, devancées par Seydina, franchisèrent la porte d’entrée donnant sur petite véranda fleurie. Avant de s’engager dans une seconde porte menant à la surface habitable, Isabelle s’était alors brusquement arrêtée, retenant ainsi Fama par le bras. Celle-ci lui jeta un regard interrogateur accompagné d’un grand sourire falsifié.

-         Vire-moi ce sourire petite arriviste !

Le ton, de même que l’expression au visage de Isabella avaient radicalement changés. Elle paraissait désormais froide et impassible. Fama n’avait rien compris à ce changement soudain.

-         Excusez-moi ?!

-         Si tu tiens à quitter cette maison en seul morceau, je te conseille de rester bien sage et de faire exactement tout ce que je te dis de faire. Compris ?

Fama aurait aimé pouvoir se convaincre que cela n’était rien de plus qu’une blague de mauvais gout, mais quelque chose dans le regard de cette femme lui disait qu’elle était plus que sérieuse. Son reflexe fut de jeter un coup d’œil à la porte qu’elle venait de traverser. Quitter les lieux au plus vite, était peut-être la meilleure chose à faire avant de chercher à comprendre ce qui se passait. Mais elle entendit aussitôt la porte se verrouiller à double tour sans que quelqu’un n’ait à l’approcher. Quand elle se retourna vers Isabella, elle la vit décliner un sourire satanique avant de reprendre :

-         Compris ?

Fama était incapable de prononcer le moindre mot. Elle sentit tous les poils de son corps s’hérisser en un seul coup et son cœur battre à tout rompre. Elle rassembla tout son courage pour hocher nerveusement la tête de haut en bas.

NafissaVon Teese

Du bout des lèvres