Chapitre 6 :

Ecrit par EdnaYamba

Chapitre 6 :

Isabelle MOUKAMA

C’est la pause. L’équipe médicale a décidé d’aller au dépôt gouter le vin du village. Ils m’ont invité mais j’ai décliné, je me sens un peu fatiguée. Je préfère rester là pour me reposer mais quand je vois le bazar qu’ils ont laissé. Je comprends bien que mon repos ce n’est certainement pas pour maintenant.

Je débarrasse les assiettes quand soudain je sens deux mains se poser sur ma taille. C’est en sursaut que je me retourne pour faire face à Jonathan.

Je me dégage doucement.

-         Jonathan tu m’as fait peur ! je croyais que tu étais parti avec les autres !

-         Non, je suis revenu…

Il y a quelque chose d’étrange dans son regard, dans sa voix, je me tiens à distance.

-         J’étais en train de débarrasser, dis-je nerveusement.

-         Tu es belle Isabelle, me dit-il, tu es vraiment très belle…

-         M…erci, lui dis-je.

-         Qu’est-ce qu’il y a ? je te fais peur ? dit-il en se grattant la tête et rigolant.

-         Un peu oui, avoué-je

-         Tu n’as rien à craindre, ne t’inquiète pas ! reviens terminer ton travail, je vais te laisser tranquille !

Il s’en va me laissant le cœur battant et l’esprit perturbé. C’était bizarre tout ça ! Je chasse les idées qui me viennent, ce n’est certainement pas un épisode que je raconterais à BOUMI. Je continue ma tâche mais Jonathan revient quelques minutes plus tard, il est placé à l’embrasure de la porte me détaillant de la tête aux pieds. Il ferme la porte.

-         Qu’est-ce qu’il ya ? lui demandé-je inquiète.

Il s’approche de moi.

-         On t’a déjà dit que tu es très belle Isabelle, me murmure quand il s’approche alors que je recule.

-         Jonathan ouvre la porte s’il te plait, j’ai fini je vais rentrer.

Il continue de s’approcher.

-         Ça devient trop difficile de t’avoir tous les jours sans te toucher…

-         S’il te plait, supplié-je, qu’est-ce que tu fais ?

Il n’y a pas d’issue pour moi. il est proche.

J’entends la voix de BOUMI.

« Isabelle fais attention avec ce médecin ! »

Il avait raison.

-         Ce n’est pas la peine de crier, personne ne viendra !

Il a bien raison. Qui me viendra en aide ?

Il touche mon visage alors que je tremble de peur.

-         Je pensais que tu étais mon ami, pleuré-je

-         Je le suis, mais les amis doivent s’aider, je t’aide et en retour que fais-tu pour moi ? tu pourrais juste etre gentille.

Il essaie de m’embrasser, je mets le visage à coté et ses lèvres tombent sur ma joue.

-         S’il te plait , j’ai un petit-ami

-         Il ne saura pas ce qui s’est passé entre nous, dit-il en placant ses bras sur moi.

Il faut que je trouve une solution, je ne peux pas le laisser me violer sans rien faire, non je ne peux pas. C’est Antoine qui avait raison. Il n’y a-t-il pas une seule personne bonne sur cette terre ? il continue à lécher mon visage sans se préoccuper des larmes qui perlent sur mon visage . Non je ne peux pas le laisser me faire ça, munie de toute ma volonté, je lui donne un coup de pied violent dans son entre-jambe avant de le repousser violemment. Je m’empare de la clé et ouvre tremblante la porte. Je me mets à courir dans tous les sens sans regarder où je vais. Je cours jusqu’à la maison me blessant au passage. Quand j’arrive à la maison, je reste dehors un instant pour retrouver une respiration normale et ne pas attirer l’attention de mamie. J’ai soudain une envie de vomir. Je cours vomir, ça doit être due à la peur que j’ai ressentie.

-         Isabelle, me crie mamie !

-         Oui , répondis-je en essuyant mes yeux.

J’entre dans la maison, elle est assise sur son banc.

-         C’est comment ?

-         Je me suis blessée lui dis-je en lui montrant mon genou blessé.

-         Viens je vais soigner ça. C’est à cause de ça que tu vomis, je t’ai entendu vomir !

-         Non , en venant j’ai senti une odeur bizarre, mentis-je

-         D’accord , viens par-là !

-         Mamie, je suis fatiguée , je n’irais plus travailler à la caravane médicale.

Elle me regarde avant d’hocher la tête.

 

Antoine BOUMI

-         Gars accompagne-moi prendre le vin à mon père au dépôt , me dit Ghislain.

Quand nous arrivons au dépôt , nous voyons l’équipe médicale qui discute joyeusement, Ghislain s’approche de la vendeuse quand j’entends :

-         Jonathan, nous prend pour des idiots , il croit qu’on ne voit pas tout ce qu’il fait, ricane l’un

Jonathan c’est le prénom du médecin, la conversation m’intéresse aussitôt.

-         Il est parti retrouver la petite, on voit bien qu’elle l’intéresse. Il perd tous ses moyens. Réplique un autre.

-         Tous seuls là-bas, ils doivent faire ce à quoi on pense tous, oh le coquin

-         Et quand on arrivera, ils feront comme si rien ne s’était passé !

Et ils rigolent.

Isabelle se fout de moi alors.

Elle sort avec lui. Et avec moi. Elle me prend pour un idiot. Elle pensait que je ne le saurais jamais ? moi qui pensait que c’était une fille bien. Je suis tellement déçu qu’à ce moment se mélange colère et amour.

Mais je me calme après tout, ce ne sont que des suppositions, je vais écouter ce qu’elle aura à me dire, je saurais si elle me ment…

Mélanie BOMO.

Je m’avance dans la forêt sinistre, j’ai un peu peur. Le vent souffle, les feuilles des arbres se balancent de gauche à droite. Je grelotte de froid , de peur ? je n’en sais rien.  Je me demande si j’ai bien fait. Mais maintenant que je suis là, je ne peux plus reculer. J’ai attendu la nuit quand personne ne risquerait de me croiser pour venir.

-         Qui est là ? fait une voix rocailleuse qui me fait frémir.

Je ne réponds pas. Quand je vois un homme élancé maigre sortir. Qu’est-ce qu’il fait peur avec ses yeux on aurait dit ceux d’un serpent ! Il a le torse nu bourré de poils gris et un bout de pagne attaché autour de sa taille. Avec une barbe qui n’est pas tout à fait blanche, entre le blanc et le marron, serait-ce due à la poussière ?

-         Que fais-tu ici jeune fille ?

-         Je suis venue vous voir. Il parait que vous pouvez m’aider !

-         Humm ! toi si jeune quel aide puis-je t’apporter ?

Il me dévisage de la tête aux pieds avant de me dire :

-          viens !

Il entre dans la hutte alors que je le suis. Il n’y a qu’une natte au sol. Pleins de gris-gris accrochés un peu partout, une calebasse d’eau au sol. Je me demande comment il peut vivre dans un désordre. L’atmosphère me semble chargée. Peut-être que la pièce est remplie d’esprits invisibles.

-         Assieds-toi ! m’ordonne-t-il presque. J’écoute !

Je lui raconte mon désespoir de ne pas arriver à séduire le garçon dont je suis follement amoureuse. Mais qui en aime une autre qui n’est certainement pas celle qu’il lui faut.

-         Tu es encore jeune, comment peux-tu savoir qu’il s’agit de l’homme de ta vie ?

-         Je le sais c’est tout. allez-vous m’aider ou pas ?

Pour quelqu’un qu’on prétend sans scrupules il en pose des questions. Pff. Il ricane en prenant sa calebasse pleine d’eau qu’il bouscule de part et d’autres, quand il souffle, la calebasse s’agite. C’est spectaculaire. Puis il regarde à l’intérieur.

-         Ce jeune homme dont tu es amoureuse aime quelqu’un d’autre, ils sont vraiment amoureux !

-         Et je m’en fous !

-         Chut !!! me fait-il, la jeune fille est protégée par sa grand-mère

Comment ça protéger par sa grand-mère ? ça veut dire qu’il ne peut rien faire pour moi ?

-         Dites-moi seulement si c’est possible de séparer ces deux-là et d’avoir BOUMI pour moi ?

-         On m’appelle BOUTSOUROU, il n’y a rien qui me dépasse. Mais le prix est élevé. Les choses ne sont pas si simples.

Je fais sortir ma bourse et lui présente quelques billets de 10.000Fcfa espérant que ça soit suffisant pour lui. Il me les arrache presque de la main.

-         Tu peux encore faire demi-tour ! me prévint-il

-         Je veux BOUMI, dis-je déterminée.

-         Alors tu l’auras mais sache une chose, il n’y a rien de contre-nature sans conséquences. Tu priveras un enfant de son père

Je réalise qu’il vient de m’annoncer qu’Isabelle est enceinte.

-         …alors tu n’en auras pas toi-même ! complète-t-il, je n’ai pas l’habitude de décourager tous ceux qui viennent mais toi, tu es encore si jeune, tu veux vraiment te lancer dedans ?

-         Je vous ai dit que oui, répondis-je agacée.

Ce n’est pas un caprice d’enfant. J’aime BOUMI et je suis sure que c’est avec lui que je veux faire ma vie. Il a un brillant avenir devant lui, il est intelligent, posé et surtout fidèle en amour y a qu’à voir comment il se comporte avec Isabelle. Pourquoi n’aurais-je pas le droit d’avoir tout ça ?

On me dit souvent que c’est à cet âge qu’on doit savoir ce qu’on veut, on doit avoir une vue claire de l’avenir. Et moi l’avenir je le vois aux bras de BOUMI. C’est comme ça et puis c’est tout !

-         Tu es déterminée à ce que je vois ! ricane-t-il comme s’il avait lu dans mes pensées. Ah la jeunesse !

Il regarde encore dans sa calebasse.

-         Ce jeune garçon a de l’avenir, il a une bonne étoile, est-ce à cause de ça que vous graviter tous autant autour de lui ? tu l’épouseras, mais son cœur jamais ne t’appartiendra totalement !

Que m’importe ? Pas totalement mais si j’ai déjà une place c’est suffisant.

-         Ce que tu m’as donné, dit-il en regardant sa main, est petit comparé au travail que je vais accomplir ! au moment opportun je viendrais prendre le reste.

-         D’accord, dis-je pressé qu’il en finisse et que je parte de là.

-         Je vais te donner quelque chose, tu devras suivre à la lettre les instructions que je te donne mais sache une chose les yeux qu’on ne ferme pas naturellement, ne reste jamais totalement fermés.

C’est quoi ces proverbes à deux balles, dont on ne comprend pas le sens.

Je ne me fatigue même pas à chercher un sens à tout ça.

Quand je rentre dormir, je sais que bientôt BOUMI me mangera dans la main. Ce n’est qu’une question de temps.

 

                                                          ***

-         Bonjour maman ! fais-je à la mère de BOUMI, je suis venue encore t’aider ce matin, qu’est-ce que tu prépares ?

-         Viens que je t’apprenne comment on fait les paquets de concombre. Prends les feuilles là-bas !

Je m’exécute et vais m’asseoir avec elle. Je suis de bonne humeur aujourd’hui de très bonne humeur !

 

Isabelle MOUKAMA

Quand je me suis réveillée ce matin, c’est avec le sentiment d’être trahie. Je n’aurais jamais cru que Jonathan, celui que je considérais comme un ami si compréhensif me ferait un coup pareil. Quand j’ai dit à mamie que j’étais fatiguée que je n’irais pas travailler à la caravane médicale ce matin, prétextant la fatigue ce qui n’est pas totalement faux , elle m’a juste regardée et hocher la tête. J’ai besoin de temps, je sais qu’on a besoin de cet argent c’est pourquoi je n’arrêterais pas mais je ne peux pas aller là-bas et faire comme si de rien n’était. J’ai besoin de réfléchir et lui laisser aussi le temps de se rendre compte qu’il a mal agi. Hier j’étais assez bouleversé que je ne suis pas allée retrouver BOUMI. Je n’avais pas envie qu’il me voit dans cet état ni qu’il me dise qu’il m’avait prévenue. J’ai été naïve, ça je le sais déjà. J’ai voulu miser sur la bonté humaine mais il faut croire que j’ai perdu le pari.

Soudain j’entends des cris de douleurs provenant du côté de mamie.

-         Mamie, qu’est-ce qu’il y a ? lui demandé-je paniquée alors qu’elle se tord de douleurs, mamie…

Je panique. Je ne sais pas quoi faire. Faut-il que je cours vers la caravane, faut-il que je reste là avec elle. Que faire ? Les douleurs s’amplifient.  Je décide de courir vers la caravane. En chemin je croise Antoine et ses amis.

-         S’il vous plait, les supplié-je, s’il vous plait, aidez-moi !

-         Qu’est-ce qu’il y a ? me demande Antoine en approchant alors que les autres restent à l’écart.

-         Ma grand-mère est en train de mourir, aidez-moi à l’amener à la caravane !

Je finis de parler et aussitôt BOUMI se dirige vers la maison

-         Les gars allons-y !

C’est vraiment un meneur. Sans discuter, sans riposter, ils l’ont suivi jusqu’à chez nous, aucun d’eux n’a jamais mis les pieds, ils soulèvent ma grand-mère qui me dit :

-         Fais attention mon Petit, fais attention !

Sa voix est de plus en plus faible.

Les garçons pressent le pas jusqu’à la caravane. Quand Jonathan nous voit, il appelle aussitôt ses collègues qui prennent mamie. Mais quelques minutes plus tard quand il sort le visage défait. Je comprends qu’une fois de plus je suis seule au monde. Je pleure à chaudes larmes en tombant sur mes genoux. La vie est injuste. La vie est tellement injuste. Jonathan et BOUMI accourent tous les deux. Mais Jonathan est bien plus rapide et c’est lui qui me prend dans ses bras pour me consoler alors que BOUMI s’éloigne.  J’ai bien envie de me dégager et de le repousser en pensant à ce qu’il m’a fait la veille, mais à ce moment je suis tellement remplie de tristesse que rien n’importe plus. J’ai l’impression d’être morte avec elle.

Seule.

Voilà ce que je suis.

Je pleure de plus belle. Ce n’était pas le moment de me laisser. Ce n’était pas le moment de me laisser mamie…. Avec qui vais-je rester ? Qui va nous protéger ?

La vie est si injuste.

Plus de parents.

Famille dispersée

Maintenant plus de grand-mère bienveillante, aimante. C’est le seul amour parental qu’on a connu et qui nous est enlevé.

Je me sens faible, si faible.

 

Antoine BOUMI

Je retourne à la maison triste. Je l’en veux c’est sûr mais voir sa détresse comme ça, a suffi pour que j’oublie ce que j’ai entendu sur le docteur Jonathan, je pourrais éclaircir cette histoire plus tard…même si en le voyant la consoler tout à l’heure, la conversation de l’équipe médicale m’est revenue.

-         C’est comment ? me demande maman

-         La grand-mère MOUKAMA est morte ! dis-je, c’est nous qui l’avons emmené jusqu’à la caravane médicale mais c’était trop tard.

Ma mère reste muette un moment.

-         C’est bien triste quand même ! cette famille n’a vraiment pas de chance. C’est bien vous avez fait quelque chose de bien !

-         Oui, pensé-je

-         Je comprends que c’est difficile. Mais mange d’abord ce plat, c’est Mélanie et moi qui l’avons fait !

Je regarde le plat devant moi, je n’ai pas vraiment faim. Je pense plus à Isabelle, à ce qu’elle doit vivre en ce moment mais pour ne pas attirer l’attention de maman. Je trempe ma cuillère à l’intérieur et j’avale quelques bouchées.

         


L'orpheline