Chapitre 7 bis

Ecrit par Lilly Rose AGNOURET

Chapitre 7 bis

   

*** Idéale.

 

Deux heures après, alors que je me suis complètement calmé après une douche froide et deux tasses d’infusion de verveine, j’ouvre la porte de la chambre de Laïka. Je la trouve endormie. Je lève le drap qui la recouvre, la tire par les deux jambes, l’obligeant ainsi à se réveiller. Elle le fait brusquement et atterrit par terre sur les fesses. En reptation, elle se réfugie rapidement dans un coin en me suppliant :

- Je me tape pas, je t’en supplie. Ne me tape pas !

Je me place face à elle et lui demande :

- Avec qui as-tu couché la nuit dernière ?

Elle me répond alors :

- C’était un homme comme ça. Un inconnu. Il m’a dragué et je… Je l’ai suivi à son hôtel. Je…

- Tu as suivi un inconnu dans une chambre d’hôtel ! C’est la vérité, ça ? Qu’est ce qui t’a pris de le faire ? Je pensais que tu étais tranquillement en train de faire la fête avec tes camarades de classe.

Je ne sais pas la folie qui lui prend alors. Elle me crie :

- J’en ai assez de cet interrogatoire. J’en ai marre. Tu es mal placée pour me faire la leçon. Je me plaindrai à Mark. Je lui dirai que tu m’as battue !

 

Tentant de garder mon calme, je m’assois sur son lit, la regarde longuement avant de lui demander :

- Dis-moi, Laïka, pourquoi suis-je mal placée pour te donner des leçons ?

Elle hausse les épaules et me répond :

- Laisse-moi tranquille. Je ne veux plus te parler.

Je respire un grand coup puis lui répond :

- Laïka, j’assume la somme de toutes mes erreurs. Il n’est rien que je puisse faire pour effacer tout ça. Je crois même avoir eu beaucoup de chance que vous n’ayez jamais couru le risque qu’un de ces hommes que j’emmenais à la maison, comme tu dis, n’aie eu l’idée tordue, de venir dans votre chambre et vous faire du mal. Chaque jour, je remercie Dieu pour ça. Je lui suis reconnaissante de m’avoir sortie de la déperdition, de l’alcool.

Je m’arrête un instant de parler, respire, puis reprends :

- Laïka, tu es une enfant. J’aurais dû peut-être plus attentive que je ne l’ai été depuis que je suis mariée à Mark. Je me laisse absorbée par le travail et à chaque fois que je vous regarde, je ne vois que les lumières qui brillent en chacun de vous. Max est un mini-footballeur de talent, Annélie est une fabuleuse danseuse, tu es une sportive impressionnante. Je vous regarde et je ne vois que vos réussites prometteuses. Je me lève chaque matin, je vais travailler avec l’espoir qu’au-delà de tous les discours dont vous affuble Mark, vous compreniez combien, réussir en classe, décrocher un diplôme et rêver à une carrière est important. Ce que j’ai raté au début de vos vies, j’espérais y avoir mis des pansements. Pourtant, il a fallu que je sente ton haleine avinée, dans la nuit, pour comprendre que j’étais sur un nuage et qu’il me faut redescendre de mon nuage. Dis-moi pourquoi, de tous les travers que j’ai pu avoir, c’est le sexe que tu as décidé de suivre ?

 

Elle hausse les épaules et reste recroquevillée dans son coin. Elle a une partie du visage tuméfié et espère bien que je ne la touche plus. Elle me répond :

- Je suis majeure. J’ai le droit de faire ce que je veux. Je peux tomber amoureuse de qui je veux. Je peux faire ce que je veux de mon corps.

- Donc, si je te suis, tout ce que tu as fait hier en étant bourrée, c’était de l’amour ?

- Oui ! Et ça ne regarde que moi ! me répond-t-elle.

- Laïka, dis-moi, pourquoi es-tu en colère contre moi ?

Elle hausse les épaules et me répond :

- Je ne vois pas de quoi tu parles.

- J’ai remarqué un changement en toi depuis quelques mois. Tu es devenue plus secrète. C’est vrai que contrairement à tes sœurs, tu n’as jamais jugé bon de me prendre pour confidente, mais je veux savoir pourquoi j’ai l’impression que tu m’en veux !

Là, elle ose me répondre :

- J’aimerais que tu arrêtes de m’étouffer avec tous tes principes alors que tu as fait d’énormes erreurs dans la vie.

- Explique-toi parce que je ne comprends rien à ce que tu dis.

Elle se mure alors dans le silence. Nous restons là plus d’une demi-heure avant qu’elle ne finisse par me dire :

- Je ne t’en veux pas, maman. Je ne suis pas en colère contre toi. Tout ce que je t’ai dit comme méchancetés, je l’ai dit parce que… parce que… parce que…

Elle éclate en sanglots et me lance :

- Je préfère les hommes plus vieux. Je… Je ne supporte pas les mecs de mon âge. Ils sont barbants et stupides. Je… J’en ai marre de devoir faire semblant d’être amoureuse de Lukas alors que ce n’est pas vrai. J’en ai marre de devoir à chaque fois inventer des histoires pour que tu me fiches la paix. Ça m’épuise, tout ça. Je suis majeure. Je veux juste avoir la possibilité d’aimer l’homme qui me plaît.

 

Je suis tellement choqué par ces révélations, qu’il me faut un temps d’arrêt avant de réagir. Je lui demande alors :

- Pourquoi as-tu eu besoin de boire pour faire ce que tu as fait dans la nuit ? Cet homme avec qui tu étais, t’a-t-il obligée à boire de l’alcool ? Je veux comprendre.

- Laisse tomber, maman. Tu ne comprends jamais rien. J’ai toujours l’impression que je ne viens pas de toi, tellement toi et moi, nous sommes différentes. Va t’occuper de tes deux filles si parfaites et laisse-moi tranquille. De toute façon, dans deux mois, je serais sortie de ton périmètre. Je pourrais faire ce qui me plaît même si tu n’approuves pas.

- Je n’approuve pas l’idée que tu mentes. Je n’approuve pas l’idée que tu te jettes dans l’alcool. L’alcool brouille ta perception de la réalité. L’alcool te fait accepter des choses auxquelles tu n’aurais pas consenti si tu étais sobre. L’alcool te rendra esclave et affaiblira toujours ton jugement. Tu peux aimer qui tu veux, étant donné que tu es majeure. Mais, ma fille, si tu as éprouvé le besoin de boire pour être avec cet homme, c’est qu’il y a un problème.

 

Je respire un instant avant de lui dire :

- Tu estimes sûrement que je n’ai rien à dire et que je n’ai pas le droit de porter de jugement sur toi. Je te réponds que c’est faux. Si je me tais et ignore tout ce que j’ai ressenti en te voyant cette nuit, c’est te rendre un très mauvais service. Je suis ta mère, Laïka. Quand tu es face à moi, tu es mon enfant, peu importe l’âge. Que me reproches-tu aujourd’hui ? Le fait de t’avoir fait subir mon passé ou le fait que tu penses que jamais je ne supporterais que tu couches avec des hommes plus âgés ?

- J’ai le droit d’aimer des hommes plus âgés. La dernière fois tu regardais ce reportage à la télé. Ça parlait des Africaines et de leur tendance à préférer les sugar daddies » Tu as dit que c’était sale et bête. Ce n’est pas bête du tout ! Chacun a le droit d’aimer qui il veut.

- Laïka, qui est cet homme avec lequel tu as couché ? Depuis combien de temps êtes-vous ensemble ? As-tu pris tes précautions avec lui ? Pourquoi lui as-tu donné le droit de te prendre par tous les orifices, comme tu l’as dit ?

Elle tourne le visage loin de mon regard et me répond :

- Tout ce qu’on a fait, j’avais envie de le faire. Ne me parle pas comme à une bêtasse, maman. Je suis une grande fille.

- Donc, tu étais consentante ? Il ne t’a pas forcée ?

- Non, il ne m’a pas forcé. Je suis allée dans sa chambre, de plein gré. J’ai aimé tout ce que l’on a fait. Point à la ligne. Peut-on changer de sujet ?

- Qui est cet homme, Laïka ? Pourquoi as-tu accusé François, tout à l’heure ?

Elle hausse les épaules et me répond :

- Je n’aurais pas dû boire autant d’alcool. J’aurais dû me comporter avec plus de maturité. J’aurais dû avoir le courage de te dire que les jeunes ne m’intéressent pas. Je suis désolé d’avoir accusé François. Je…

- Nous sommes samedi. Repose-toi bien. Lundi, je t’emmène voir un gynécologue. Ce que tu feras ensuite ne concerne que toi. Promets-moi simplement une chose : évite de boire quand tu dois aller au lit avec quelqu’un, sinon, cette personne s’arrogera le droit de faire de toi un objet sexuel. La personne n’ira avec toi que pour assouvir ses phantasmes. Quand on aime vraiment, on n’a pas besoin de boire pour se sentir bien dans l’intimité. L’alcool sera toujours un mauvais conseiller.

 

Je me lève, très peu satisfaite de cette discussion, car je n’ai pas le nom de l’homme avec lequel elle a passé la nuit. Je reviendrai à la charge dans la soirée.

- Tu peux descendre et aller te faire à manger ! lui dis-je avant de quitter sa chambre.

Une heure plus tard, je suis assise dans le salon, devant la télévision, en train de regarder une rétrospective de toutes les informations importantes de la semaine. Une tasse de citronnelle en main, je réfléchis à tout ce que je n’ai pas vu, à tout ce que j’aurais dû remarquer dans le comportement changeant de Laïka à mon égard. Bientôt, mon téléphone portable sonne. Je délaisse la télévision pour répondre à cet appel qui me vient de mon amie, Amélie Rodinger.

- Hey ! Je pensais que tu serais injoignable, Idéale. Il y a le réseau en brousse ? me fait-elle.

- Mark est parti tout seul avec les enfants. Je suis restée en ville. J’en profite pour me reposer. Alors, je t’écoute. Qu’as-tu de beau à me raconter?

Nous nous retrouvons à parler de tout et de rien comme nous en avons l’habitude. Je sais d’avance qu’elle va se plaindre de sa mère qui possède une dizaine de chats, de son supérieur qui est imbuvable. De son prochain voyage prévu pour le Sénégal.

Nous en sommes au dernier sujet, c’est-à-dire celui de notre prochaine rencontre programmée à Port-Gentil lors de ce challenge interne au Groupe. J’entends soudain un bruit de vaisselle cassée. Je me retourne subrepticement et constate que Laïka est là, derrière moi, statufiée. Le plateau de nourriture qu’elle portait dans les mains a atterri par terre. Son verre et son assiette se sont brisés. Je suis obligée de mettre fin à la conversation avec Amélie. Je me lève du canapé et demande à Laïka :

- Qu’est-ce qui ne va pas ?

Je vois qu’elle a le regard fixé sur la télévision. Je reporte mon attention sur cette même télévision. Je vois alors un reportage sur la passation de pouvoir entre Jean-Luc de Cresson et son remplaçant, qui n’est autre que Louis-Gabin Chambon. C’est Jean-Luc de Cresson qui apparaît à l’image. Il lit un discours de circonstance. Le titre qui s’affiche à l’écran annonce que Jean-Louis de Cresson quitte le Congo aujourd’hui.

Je regarde Laïka qui est toujours pétrifiée. Là, je lui demande :

- Laïka, que se passe-t-il ?

Vu qu’elle ne réagit pas, je hausse le ton et lui dis :

- Tu vas parler, bon sang ! Qu’est-ce qui t’arrive ?

Là, elle me dit :

- C’est lui ! Il… Il ne m’a pas dit qu’il partait. Il a oublié de me dire que c’était aujourd’hui le départ. Je pensais que j’avais encore le temps ce week-end de le revoir.

Je regarde l’écran de télévision. Il y a un zoom fait sur la famille de Jean-Louis de Cresson. Il y a là, son fils aîné, étudiant à HEC Paris, son fils cadet, lycée dans la même classe qu’Annélie, et la petite dernière, qui va au collège avec Maxime. Je reporte mon attention sur Laïka et lui demande :

- C’est qui LUI ? Qui est cette personne dont tu parles ?

- Le mec dont je t’ai parlé, fait-elle en laissant échapper des larmes. C’est lui, l’étudiant à HEC Paris. Je… C’est avec lui que j’étais dans la nuit. Je…

Je regarde l’écran, je regarde Laïka. Je lui dis alors :

- Tu mens, Laïka. Le fils n’est passé que quelques secondes à l’écran. Ton plateau est tombé pendant le discours du père. C’est avec Jean-Louis de Cresson, que tu as couché, c’est ça ? C’est forcément avec le père. Sinon, jamais tu ne m’aurais dit que tu préfères les hommes plus vieux. Cet étudiant a à peine 4 ans de plus que toi. On ne parle pas d’homme plus vieux, lorsqu’il n’est question que de quelques années.

Là, elle me regarde furtivement puis baisse la tête. Elle me lance :

- Je pensais avoir tout le week-end pour lui parler et là, on dit qu’il part aujourd’hui.

- Le vol Air France a décollé ce matin, en effet ! Mais, dis-moi juste une chose, Laïka, que cherches-tu dans les bras d’un homme marié ? Dans les bras d’un homme qui pourrait être ton père ?

Elle essuie ses larmes et me dit alors :

- Si je sors avec les blancs, c’est bien pour éviter de me retrouver un jour au lit avec mon père, mes frères ou mes oncles, maman !

Je m’attendais à tout sauf à celle-là ! Je lui réponds simplement :

- Je ne sais pas à quel moment je t’ai perdu, Laïka. Tu semblais si équilibrée, si rayonnante et pleine de vie. Regarde-toi, là, devant cet écran en train de pleurer pour un homme trop vieux, trop marié, déjà père et qui a simplement voulu profiter de ta jeunesse, de ta naïveté. Que t’a-t-il promis ? Que tu pourrais ç jamais demeurer sa maîtresse ?

J’arrête la télévision, me lève du canapé et décide de monter me mettre en maillot de bain pour aller me prélasser dans la piscine et oublier l’image de cette enfant que j’ai face à moi et qui pense qu’avoir été l’objet sexuel d’un homme grand et puissant, on appelle cela être majeure et vaccinée !

     
 

À SUIVRE


Les fille d'Idéale M...