Chapitre 70

Ecrit par Jennie390

⚜️Chapitre 70⚜️

Émile Biyoghe

Depuis que je suis sorti de prison, j'ai juré de leur faire payer à tous, un par un, pour ce qu'ils ont osé me faire. Et jusqu'à présent, tout se passait à merveille : j'ai donné une humiliation publique à Vincent tout en touchant à son égo d'homme lorsque j'ai publié la se*xtape. J'ai envoyé en prison cette fouine d'Hortense et son mari. J'ai récupéré Mel...

Comment les choses ont pu déraper autant en si peu de temps ?

Je viens de terminer mon appel avec Philippe, disons plutôt qu'il a raccroché après m'avoir dit qu'il était en route pour l'aéroport afin de sauver ses fe*sses étant donné que le navire est en feu. J'ai donc fait un tour rapide sur les réseaux sociaux pour me rassurer que Philippe était juste en train de me faire une mauvaise blague. 

Mais quelle n'est donc pas ma surprise en découvrant que je suis la tendance qui fait actuellement ravage sur internet ?

Les articles, les audios, les vidéos, il y a absolument tout ce qui m'incrimine. J'ai l'impression d'être dans un mauvais cauchemar duquel il faut impérativement que je me réveille. Je fais les cent pas dans le salon en naviguant sur internet. Plus j'avance, plus je me demande comment de telles informations confidentielles ont pu être divulguées publiquement. 

Pour les vidéos de surveillance où on voit le traitement que je donnais à Yolande à la maison, je comprends qu'elle a pris certains CD en s'enfuyant ce soir-là. Mais en ce qui concerne mes échanges de mail avec Philippe sur la mort du jeune procureur de la république, de toutes les magouilles qu'il m'a aidé à maquiller, je ne comprends vraiment pas, parce que le seul moyen d'y avoir eu accès aurait été de passer par mon ordinateur portable que je garde précieusement.

C'est sûrement un plan de ces imbéciles, vu que ce sont eux qui ont intérêt à me voir à terre. Comment ces infos sont-elles sorties ? Puis j'ai une pensée vers Hortense lorsque je me souviens que la s*alope est une pro en tout ce qui est informatique et piratage. Je tourne la situation dans ma tête des millions de fois, puis la visite de Richard et Vincent me revient subitement en mémoire. C'est le seul moment où mon ordinateur a été sans surveillance parce qu'en temps normal, je le laisse toujours dans mon coffre-fort à chaque fois que je quitte mon bureau. 

Donc, pendant que Richard m'assenait de coups, que faisait Vincent ?

—Merde !, hurlé-je en réalisant que je me suis fait prendre comme un débutant. Ils m'ont eu ! 

Je me précipite vers la fenêtre pour guetter à l'extérieur.

—Et si la police était déjà à ma recherche ? Pensé-je à haute voix. Non impossible ! D'ailleurs, même si c'était le cas, ils n'ont aucun moyen de savoir où je me trouve. Personne ne sait où je suis exactement.

Aussitôt que j'ai formulé cette pensée, une autre traverse mon cerveau : Sigma. 

Je repense à comment il était très pressé que je lui donne son argent pour qu'il puisse s'en aller. Je me souviens qu'en arrivant, je l'ai trouvé avec son téléphone. Il devait sûrement être en train de regarder le scandale qui a explosé sur internet. Il n'a même pas eu la décence de me dire ce qui se tramait contre moi. C'est vraiment un petit s*alopard de traître qui ne paye rien pour attendre.

Bon, qu'est-ce que je fais ? Par où je commence ? 

Il me faut savoir comment les choses se passent à Libreville, si les autorités ont pris une quelconque décision en ce qui me concerne. J'essaye d'appeler Philippe, mais je me rends compte que son téléphone est éteint.

Le co*nnard, il est réellement en train de sauver sa peau. Je lance l’appel vers l’actuel procureur de la République, mais ce dernier renvoie mon appel à deux reprises. 

J’ai vu que nos conversations par mail sont également sur la toile. Lui aussi doit surement être en train de chercher à sauter dans un avion. Comme le navire est en feu, tous les rats s’en fuient. Pourquoi ne vais-je pas faire de même ? Bon je ne peux tout de même pas chercher à partir comme ça sur un coup de tête. Il faut que je m’organise correctement.

Je file dans la cuisine et fouille dans les placards à la recherche de quelque chose de fort à boire. 

Je ne trouve qu’une bouteille de vin rouge et quelques bouteilles de bières dans le frigo. Ce sale traitre de Sigma n’a pas pensé à acheter ne serait-ce qu’une bouteille de whisky ou de vodka. Alors, j’opte malgré moi pour la bière parce que depuis la mauvaise surprise que j’ai eue avec Yolande, je ne supporte plus de voir le vin, même en peinture. 

Je prends une bonne gorgée et mes pensées se redirigent vers Melissa qui se trouve dans la chambre à côté. Des images très peu catholiques défilent dans mon cerveau. Mon membre durcit sur le coup, je dois quand même prendre mon pied avec elle, avant de m’asseoir pour penser à une façon de m’échapper du pétrin qui se pointe à l’horizon.

—Oui, je vais m'amuser, dis-je en prenant encore une gorgée de bière. Il faut tout de même que je goûte à ce pour quoi je me suis battu pendant autant de temps !

Je sirote ma boisson, le sourire aux lèvres, l'esprit en feu tout en manipulant à nouveau mon téléphone. C'est alors que je me retrouve sur Facebook et que je tombe sur un lien qui me redirige automatiquement sur YouTube. Le titre de la vidéo que je vois me glace le sang :

« Le passé sombre de l'architecte Émile Biyoghe, décrypté »

Je clique sur la vidéo, les doigts tremblants :

«Émile Alan Biyoghe, est né le 27 avril 1986 à Libreville. Fils de Jean & Amélie Biyoghe, il...»

Pendant que les noms de mes parents sont cités dans la vidéo, au même moment, leurs photos sont également diffusées, ce qui me fait une sorte d'électro-choc. Quand mes parents sont décédés, des années plus tôt, j'ai brûlé toutes leurs affaires personnelles : vêtements, bijoux, photos afin de me débarrasser de tout ce qu’il y a comme souvenir d’eux. Je ne regrette pas la façon dont j’ai agi avec eux, mais je n’ai pas non plus envie de m’en rappeler.Je suppose que les créateurs de cette vidéo ont dû fouiller dans les archives un peu partout pour sortir ces images.

Revoir leurs photos plus de 10 ans plus tard me fait l’effet d’une grosse douche froide qui me replonge automatiquement dans le passé. Je m’assois rapidement pour ne pas vaciller. Les images de cette enfance chaotique que j’ai vécue refont surface : les nombreuses bastonnades, les fois où j'ai dormi dans le sous-sol avec les rats, où on me plongeait dans un tonneau d'eau glacée, où je mangeais du pain rassis pendant des jours. Mon cœur se met à battre à une vitesse vertigineuse parce que non seulement mon esprit se retrouve replongé dans cette époque, mais j'ai même l'impression de m'y trouver physiquement.

—Non, papa, pitié, hurlé-je de peur. Pas là-bas, j'ai peur du noir. Papa...

—Ferme ta gu*eule ! Petit b*âtard! Tu vas rester là-bas avec ta s*alope de mère !

—Non, papa !

Je me retrouve debout dans cette pièce sombre où je suis déjà resté plusieurs jours sans manger, sans boire et vu qu'il n'y a pas de toilette, je fais mes besoins dans mes vêtements. Je ne vois rien, mais je peux entendre ma mère pleurer, se lamenter. Moi, encore, au bout de quelques jours, papa me fait sortir du sous-sol pour rejoindre la maison. Il me donne d'abord une bastonnade mémorable avant de me servir à manger. 

Puis, au bout de quelques heures, je retourne dans cet enfer avec maman et les rats. Mais maman ne sort plus de la pièce depuis un bon moment déjà. Ça fait tellement de temps qu'elle n'a pas vu la lumière du jour, à tel point qu'elle a commencé à parler seule ou pire, à parler avec les rats.

—Maman?!, demandé-je, la voix toute petite, en m'approchant de ma mère. Maman, tu es là ?

...

— Maman ?, dis-je en essayant de la toucher. Ma...

—Ne me touche pas ! hurle-t-elle, me faisant sursauter au passage. Ne me touche pas ! Sale rat ! Petit ingrat ! Ne me touche pas ! Ne me touche pas ! Laisse-moi ! Laisse-moi !

Je regarde maman crier, tout en se tenant la tête et en hurlant à s’en rompre les poumons. La pièce est beaucoup trop sombre pour moi, l’unique source de lumière n’est qu’une lampe-tempête qui n’éclaire pas grand-chose et qui me fait voir comme des ombres qui se déplacent dans l’obscurité. Je m’assois contre le mur en entourant mes bras autour de mes genoux, les larmes coulant sur mes joues, la peur me tirant la peau.

Pourquoi ma vie n’est pas comme celle des autres enfants ?

Je sors de ces souvenirs torturés tout en sueur, je regarde autour de moi paniqué. Je me rends compte que je suis toujours assis dans le salon. Je ne suis pas dans ce sous-sol sombre et humide qui empeste la pisse de rat. Je n’y suis plus, ce n’était qu’un mauvais souvenir. Oui, un mauvais souvenir qui est maintenant derrière moi et que je dois définitivement oublier. Je ne suis plus ce petit garçon apeuré. C’est derrière moi !

Je me rends dans la salle de bain. Une fois devant le lavabo, je me lave le visage à plusieurs reprises afin de faire redescendre la pression. Quand je relève la tête et regarde mon reflet dans le miroir, j’aperçois mon père derrière moi. Je sursaute et me retourne automatiquement, il n’y a personne. Je regarde à nouveau dans le miroir, il n’est plus là.

—Non ! Non ! Je ne peux pas commencer à avoir des hallucinations !

Je sors de la salle de bain et file sur la terrasse où j’aspire un bol d’air frais.

—Calme-toi, Emile, me dis-je à moi-même pour me rassurer. C’est la fatigue accumulée de ces derniers jours, l’adrénaline en retrouvant Melissa et surtout les photos. Ce sont ces foutues photos qui m’ont perturbé. Il faut juste que je me calme pour que tout revienne à la normale.

Je ferme les yeux et je vois instantanément des images de ma mère dans ce trou à rats en train de pleurer. Elles apparaissent par flash. Je me passe une main sur le visage pour chasser ses mauvais souvenirs qui polluent mon esprit.

—Qu'est-ce qui m'arrive aujourd'hui, bon sang ! Je dois absolument me changer les idées. Penser à quelque chose de plus agréable : Mélissa par exemple !

Je file dans la chambre de Mélissa et je la trouve cette fois-ci debout face à la fenêtre. J'entre dans la pièce et claque la porte, ce qui la fait sursauter. La peur traverse ses yeux dès qu'elle pose ses derniers sur moi. Le fait de la voir réveille à nouveau des envies enflammées en moi.

—On va s'amuser, ma petite chérie, dis-je en m'avançant rapidement vers elle. Je dois au moins goûter ce pour quoi je me suis autant battu pendant tout ce temps ! Même si on doit m'attraper (ce qui ne va pas arriver), je dois d'abord prendre mon pied parce que j'ai tellement attendu ce moment.

Une fois devant elle, je la saisis par le bras et la tire jusqu'au lit. Elle se débat et se met à crier.

—Non ! Laisse-moi ! Yoyo !

—La ferme !, hurlé-je en la poussant sur le lit. Ta sœur n'a pas besoin d'être là pour assister à ce que je suis sur le point de faire. Même si c'est vrai qu'après réflexion, ce serait mieux qu'elle soit aux premières loges lorsque je vais m'enfoncer en toi !

—Yoyo ! Laisse-moi ! Toi, méchant !

—Oui, très méchant, mon bébé !

Dès que je pose une main sur sa cuisse, c'est comme si on lui avait frotté du piment au corps. Elle s'agite de plus belle, crie, pleure sa sœur, jusqu'à ce que, dans sa furie, elle saisisse ma main et la morde de toutes ses forces. Ma colère, quant à elle, monte d'un cran, je serre les dents et lui administre une bonne gifle au visage. Elle pose sa main sur sa joie en hurlant de douleur. Je profite alors du fait que ses mains soient un peu plus loin pour saisir ses cuisses et les tirer vers moi. Lorsque je m'apprête à baisser son pantalon de pyjama, j'entends une voix bien trop familière à mon goût :

—Emile, qu'est-ce que tu fais ?

Je lève la tête, surpris. Je me rends compte que ce n'est plus Mélissa qui est couchée sur ce lit, mais ma génitrice qui me regarde droit dans les yeux.

—Est-ce de cette façon que tu vas traiter ta mère, Émile ?

Je bondis hors du lit, totalement affolé, et je quitte la chambre en trombe. J'arrive au salon et je me mets à tourner en rond comme un lion en cage, le cœur battant la chamade. 

Mais qu'est-ce qui m'arrive ?

—C'était maman !, hurlé-je en pleine hystérie. Non, non, impossible ! Tu commences à délirer, oui, c'est ça, tu délires !

Le jour se lève petit à petit et je me sens de plus en plus mal avec de violents maux de tête qui assaillent mon crâne. J’ai passé toute la nuit à ressasser dans mon esprit, les fragments de mon passé torturé. Je n’ai plus osé mettre les pieds dans la chambre de Melissa de peur de tomber sur quelque chose qui ne va pas me plaire. Je passe dans la salle de bain afin de me rincer le visage pour la énième fois, mais en sortant de là, rien n’a évolué, mon corps me fait comprendre que quelque chose cloche réellement. 

En passant dans le couloir, j’entends la sonnerie d’un téléphone provenant de la chambre de Melissa. Je m’arrête et tends l’oreille parce qu’au point où je suis, je dois encore être en train d’imaginer des trucs. Je reconnais la sonnerie d’un iPhone. J’ouvre la porte à la volée et je vois Melissa assise sur le lit, un téléphone dans les mains.

Mais d’où ça sort, putain ?!

Mes yeux se portent automatiquement sur le sac à dos en forme de peluche, il m’en faut très peu pour comprendre que le téléphone était dans ce sac. J’ai vraiment été négligent, j’aurais dû fouiller ce sac quand j’en ai eu l’occasion.

Apeurée, Melissa veut cacher le téléphone, mais je suis si rapide que je le lui arrache des mains en deux temps, trois mouvements. Je regarde l’écran, je me rends compte qu’elle a déjà décroché l’appel et que le nom qui s’affiche, c'est Landry. 

Landry Ratanga ?!

Je le porte à mon oreille et j’entends :

—Allo, Mel, ma chérie ?

Entendre sa voix m’énerve davantage.

—Toi, le Doc, au lieu de t’occuper de tes malades, tu mets ta bouche dans les affaires d’autrui ?

Un léger silence s’ensuit avant qu’il ne me réponde :

—Ne t’inquiète pas, ton temps est plus proche que tu ne le penses ! On va te mettre la main dessus !

—Avant que vous ne m’attrapiez, j’aurais ba*isé et tu*é Mel !

—Si tu la touches, c’est moi qui vais te tu*er Émile, hurle la voix de Yolande en fond. Je te le promets.

—Yoyo ! Yoyo ! Viens chercher Melissa, Emi loup fait peur à…

—Oh toi, la ferme ! 

Je lance le téléphone qui se fracasse automatiquement contre le mur. J’attrape Melissa par le bras et la tire hors de la chambre. On ne sait jamais, ils ont peut-être repéré notre localisation grâce au téléphone, il faut que je dégage d’ici illico presto. Quand j'ouvre la porte de la maison, je me rends compte qu'il pleut des cordes.

—Yoyo ! Yoyo ! 

—Tu vas la fermer, oui ?! Je gronde en déverrouillant le véhicule dans lequel je pousse Melissa.

—Toi méchant ! crie cette dernière en me mordant à nouveau.

Cette fois-ci, c’est la morsure de trop. Je lui donne une bonne claque qui la fait s’écrouler sur la banquette arrière en pleurs. Je passe derrière le volant et démarre sans vraiment savoir où je vais. Je fouille dans ma boîte à gants, un flingue que je cache souvent dans un sac en cuir, qui sait, peut être qu’aujourd’hui, il va me servir.

 Je sors mon téléphone et navigue sur internet où j’apprends que je suis recherché dans tout le pays et que ma photo circule déjà aux frontières et aux gares, aux ports, etc.

—Merde ! Merde ! Merde ! Je m’écrie en tapant violemment contre le volant. 

Les choses s’empirent, merde ! Je dois trouver un plan et vite !

***

Landry Ratanga

L’appel téléphonique se coupe brusquement, je comprends que ce malade a très certainement éteint ou même brisé le téléphone, vu comment il était hystérique à l’autre bout du fil. Yolande est assise près de moi dans le véhicule, en larmes.

—Yolande, il faut que tu te calmes, la consolé-je en conduisant. On va la retrouver, ce n’est qu’une question de temps.

Elle hoche la tête en reportant son regard vers la vitre. Quelques heures plus tôt, grâce à la maison de téléphonie mobile, on a pu repérer où se situe le téléphone qui est dans le sac de Melissa, étant donné que la puce est à l’intérieur. Le téléphone a donc été localisé dans la zone de Ntoum, à environ 38km de Libreville. Les forces de police ont été mobilisées dans cette zone et vu que Yolande n’est pas tranquille, on a décidé de partir à la recherche de notre côté.

Je suis assez confiant sur la situation actuelle ; Hortense et Richard seront relâchés dans à peu près 2 h de temps, le nom d’Émile et de ses complices circule partout. Sans compter que son avocat Philippe Martins a été arrêté hier dans la nuit aux alentours de minuit à l’aéroport international de Libreville, sur le point d’embarquer dans un avion en partance pour l’Italie. J’espère que d’ici, la fin de la journée, Émile Biyoghe, sera mis hors d’état de nuire.

La pluie est tellement forte que la chaussée est glissante, donc j'essaye de conduire prudemment. Mon téléphone sonne subitement, c'est Vincent.

—Allo Vincent, du nouveau ?

—Oui, ta sœur et Richard viennent d'être relâchés.

—Oh, c'est super ! Ils sont sortis plus tôt que prévu.

—Oui, leur avocat et moi avons fait pression, me répond-il. Les policiers sont normalement déjà dans la zone de Ntoum à la recherche de Mélissa et Émile.

—Oui, ils y sont ! D'ailleurs, Yolande et moi, nous y sommes également. Dans le cas où on trouverait quelque chose avant et...

—Arrête, arrête la voiture ! hurle tout à coup Yolande près de moi. Arrête la voiture, Landry !

Je décolle le téléphone de mon oreille et la regarde, surpris.

—Qu'est ce qui se passe Yolande ? Pourquoi tu veux que je m'arrête sous une telle pluie ?

—Tu n'as pas vu le véhicule qu'on a dépassé? me demande-t-elle en regardant en arrière, toute agitée. Fais marche arrière tout de suite et...

—Yolande il pleut, on ne peut pas s'arrêter comme ça. Pourquoi tu ne...

Elle ne m'écoute plus et pendant que je jette un coup d'œil rapide vers la route, Yolande en profite pour déboucler sa ceinture et sauter hors du véhicule.

—Mais tu as perdu la tête ou quoi?

Yolande atterri sur la chaussée et vu sa chute, je sais qu'elle s'est fait mal. Mais elle ne se laisse pas faire pour autant. Je la vois depuis le rétroviseur de mon véhicule, courir dans le sens inverse comme une folle. 

Mais, qu'est-ce qu'elle a vu là bas Seigneur ?

Je décide de stopper la voiture et de faire demi-tour aussi vite que possible, ce qui n'est pas facile vu la grosse pluie qui s'abat actuellement.

***

Yolande Otando

Je suis vraiment au bout du rouleau avec cette histoire d’Émile Biyoghe. Je veux qu’elle se termine une bonne fois pour toutes, je n’en peux plus de vivre continuellement dans la peur, le désespoir, le stress…


Pendant le trajet avec Landry, j’aperçois une voiture garée sur le côté de la route. Elle capte rapidement mon attention parce que c’est rare de voir une BMW dans un coin perdu comme celui-ci. Quand je vois la plaque d’immatriculation et la couleur rouge, mon cœur fait un bon dans ma poitrine : elle appartient à Émile.

Landry n’a pas arrêté la voiture à temps, donc sous l’effet de l’adrénaline, je saute hors du véhicule et je me fais très mal en atterrissant sur la chaussée glissante à cause de la pluie. 

Je me relève et cours aussi vite que possible en ignorant Landry qui crie mon nom derrière. Dès que j’arrive devant la voiture d’Émile, je guette à l’intérieur, elle est vide.

Je jette un coup d’œil circulaire, il n’y a rien à l’horizon. Aucune maison, aucune autre voiture, rien. Il n’y a que de la brousse, des hautes herbes…

Mais où est-ce qu’il a bien pu aller sous une pluie pareille, Seigneur ?

Je me rends compte que non loin du véhicule, il y a comme un sentier tracé avec des traces de pas. L’endroit est bizarre, mais le cœur me dit de me lancer. De toute façon, Émile ne peut traverser aucune frontière du pays vu le dispositif de sécurité qui a été mis en place et en plus, il est à pied.

J’entends le véhicule de Landry qui revient vers moi, je ne m’arrête pas. Je sais qu’il va me suivre. Je me lance donc dans ce sentier plein de hautes herbes, puis, je me mets à crier :

—Melissa ! Melissa ! Je hurle davantage, même si c’est peu probable qu’elle m’entende vu le bruit de la pluie battante. Meliiiiiiii !

Plus j’avance, plus je m’engouffre dans les hautes herbes, et ce, pendant de longues minutes. Je cours. Mon souffle est court, ma poitrine me brûle, mais je ne ralentis pas. La pluie frappe mon visage, ruisselle sur ma peau glacée, s’infiltre dans mes vêtements trempés. Chaque pas est un combat contre la boue qui aspire mes pieds, contre l’herbe haute qui fouette mes jambes. Mais je n’ai pas le droit de m’arrêter.

Mon cœur bat si fort que j’en ai mal. La peur m’étrangle, se tord en moi comme un nœud brûlant. Et si j’étais trop tard ? Et si je ne la retrouvais jamais ? L’angoisse me ronge, mais je la refoule. Je n’ai pas le droit d’avoir peur. Je n’ai pas le droit d’abandonner Melissa parce que c’est moi qui l’ai mise dans le filet de ce monstre.

Soudain, le sentier s’ouvre sur une clairière bordée d’arbres immenses. Mon souffle se bloque. Là, devant moi, il est là. Cet homme que je hais de tout mon être. Celui qui m’a volé ma sœur, qui fait jusqu’à présent de ma vie un enfer. Il est en train d’essayer d’entrainer Mel dans la rivière. Mon corps se fige un instant, glacé par la rage et le dégoût.

Je suis pétrifiée. Mon cœur bat si fort qu’il m’en fait mal, tambourinant contre mes côtes comme s’il voulait s’en échapper. La pluie me fouette le visage, brouille ma vision, mais je le vois distinctement. Là, au milieu de la rivière en crue, il serre ma sœur contre lui.

Elle est terrorisée. Son visage est crispé, ses lèvres tremblent, ses doigts agrippent le tissu détrempé de son vêtement. Dès qu’elle m’aperçoit, ses yeux s’écarquillent. Elle veut me crier quelque chose, mais l’eau rugit si fort que je n’entends rien.

Puis, Émile tourne la tête et nos regards se croisent.

Son expression change. Ses yeux s’écarquillent un instant avant qu’une ombre passe sur son visage. D’un geste brusque, il resserre son emprise sur mon bébé et, de son autre main, sort un revolver.

Il me le braque dessus.

—Yoyo ! Yoyo ! s’écrie Meli, les yeux chargés de peur. Yoyo !

—Oui, mon bébé, je suis là, dis-je en avançant doucement. Tout va bien se passer, je te le promets.

— N’avance pas ! hurle Émile, la voix tremblante, agitée par une rage trouble.

Mon sang se glace.

Je lève lentement les mains, mon corps entier figé par la peur. La pluie ruisselle sur le canon de l’arme, ses doigts crispés tremblent légèrement autour de la crosse.

— Lâche-la, je supplie d’une voix tremblante. Je t’en prie, Émile, prends-moi à sa place.

—Arrête de me proposer tes vieilles fesses là ! J’emmène ça où ?

Son regard dérive, fuit vers un point vide à sa droite. Il hoche la tête lentement, comme s’il écoutait quelqu’un que je ne peux pas voir.

— Maman… Tu vois ? Elle est veut me prendre Mel, pourtant elle à moi. J’ai travaillé dur pour l’avoir.

Un frisson d’effroi me traverse.

Son visage se crispe soudain, ses traits se durcissent sous la pluie battante.

— Ah non ! Donc toi aussi, tu la soutiens ?! Mais quel genre de mère es-tu ?

Et il relève son arme, tandis que mon cœur explose dans ma poitrine. Il a un moment d’hésitation et c’est à ce moment que Mel bouge à nouveau. Dans un ultime élan de survie, elle baisse la tête et plante violemment ses dents dans le bras d’Émile qui hurle de douleur et desserre son étreinte.

L’instant de flottement est suffisant. Je fonce sur lui. L’impact nous fait basculer dans l’eau glacée. Un instant, tout devient un chaos de boue, de pluie et de hurlements. Le revolver lui échappe des mains et tombe dans l’eau trouble, mais d’un geste agile, il me flanque une grosse gifle en plein visage. La douleur me pique au visage et mon cœur bat à tout rompre alors que je me débats, cherchant à retrouver mes appuis. Puis, mes doigts heurtent quelque chose de dur sous la surface.

L’arme.

Je l’attrape malgré l’eau glacée qui engourdit mes muscles, je sers la crosse avec une force que je ne pensais pas posséder. Je me redresse en titubant, trempée, essoufflée. Et cette fois, c’est moi qui pointe l’arme sur lui.

—C’est moi qui t’ai fait entrer dans nos vies, c’est donc moi-même qui vais t’en sortir.

Il s’arrête net.

Dans le secret