chapitre 8
Ecrit par leilaji
LOVE SONG
Tome II
(suite de Xander et Leila + Love Song)
LOLA
Episode 8
Il ne reste plus que quelques personnes dans la salle d’attente éclairée par d’énormes néons. Les chaises en plastique sont alignées contre le mur et donnent un aspect martial aux lieux. Ca sent le propre comme si l’endroit venait d’être nettoyé pour les circonstances. C’est le dernier jour de sélection apparemment. Les quatre femmes présentes font travailler leur voix à bonne distance les unes des autres tout en essayant de se détendre. Ca m’avait manquée. Le fait de me remettre en question pour comparer mon talent à celui des autres.
Mais peut-être que ca aurait été mieux que cela se passe ailleurs qu’au Taj.
Ces lieux me rappellent des souvenirs à la fois douloureux et réconfortants. C’est ici qu’a eu lieu le braquage avorté des Khan. C’est ici que j’ai vu pour la première fois la vraie nature de Mickael : sauvage, ultra violente mais tellement protectrice. Voir ses mains aux paumes pales et savoir qu’elles peuvent éteindre le feu de la vie dans un homme en quelques seconde me permettait d’apprécier à sa juste valeur chacune de ses caresses. Je dois laisser tout ça derrière moi.
Prince me regarde en souriant. Il n’a aucune idée du tourbillon d’émotions qui rugit en moi et me paralyse littéralement.
Je ne pensais pas pouvoir un jour revenir sur les lieux. Mais en même temps, c’est aussi ici que j’ai lâché la main de Gabriel pour me rapprocher de Mike. Je pense que symboliquement tout s’est joué entre nous trois à ce moment précis.
Prince me pousse doucement de l’épaule et me fait sortir de ma rêverie. Je ne sais pas pourquoi mais sa présence à mes cotés m’apaise. C’est lui qui a raison. A défaut de savoir si les morts sont partis heureux ou malheureux, il faut au moins leur laisser l’espoir que nous sommes restés avec le bonheur qui leur a échappé.
— Je t’ai envoyé mille messages pour te demander de venir avec moi. Je t’ai même envoyé une note vocale.
— Ah oui, la chanson de Disney ?
— Un jour mon prince viendra … chantonne –t-il avec une drôle de mimique sur le visage.
— T’es dingue !
— L’important c’est de te faire sourire Madame la diva. Je savais que tu allais adorer la chanson de la princesse …. Je ne sais plus trop quoi. Même si tu n’as pas daigné me répondre.
— Désolée… J’avais trop de choses à décider, trop de page à tourner.
— Ne te justifie pas. Le principal c’est que t’es là maintenant. Je ne m’attendais plus à un tel revirement. Tu veux vraiment tenter ta chance ? te donner à fond et tout…
— Oui.
— Tu étais fabuleuse sur la vidéo Youtube, j’ai hâte de te voir en live.
— C’est le passé cette vidéo. La fille qui y dansait avec un parapluie… ce n’est plus moi.
— Alors j’ai hâte de voir ce que cette fille est devenue !
— …C’était ici, le premier grand spectacle, je lui avoue d’un air rêveur. C’était magique, d’être sur scène et de savoir exactement comment le feeling allait passer entre le public et moi. Je ne sais pas si un seul autre métier peut procurer ce frisson… Tu as déjà passé tes auditions ?
— Oui. Et je suis pris. Ma voix n’a rien d’exceptionnelle mais je gratte bien la guitare. Il parait qu’ils ont besoin de belles gueules dans les émissions télé. Et au cas où tu ne l’as pas remarqué : j’ai une très belle gueule.
— T’es pas trop vieux pour être aussi con ? je demande pour le taquiner.
— J’aime m’amuser et prendre la vie comme elle vient. Et puis j’ai envie d’y être avec toi.
Son sourire qui révèle ses belles dents blanches me fait sourire aussi. C’est comme cela que la vie devrait être : pleine de sourire et d’espoir de lendemains meilleurs.
On entend au loin, la personne qui passe, finir sa prestation sous les applaudissements de la salle d’audition attenante. C’était une chanson d’Angelique Kidjo et c’était vraiment pas mal.
— Dis-moi, c’est pas toi la Lola d’umbrella ? me demande soudainement l’une des participantes qui s’est rapprochée de moi sans que je ne m’en rende compte.
— C’est moi. Oui.
— Dis donc ! On prend aussi les « has-been » maintenant ? se moque –t-elle en me lançant un regard haineux.
— Il vaut mieux être has-been que has-ZERO. T’es qui toi ?
— Ca chante à poil en anglais et maintenant tu viens participer à un concours africain. T’as rien d’une africaine maman.
— Etant donné que les africaines ont la réputation d’avoir été bien élevées par leur mère… je dirai qu’en ce moment c’est toi qui prouve que tu ne l’es pas.
— Mtchrrrrrr. Je suis Patricia Boateng.
Bon quand elle me sort son nom comme d’autres sortent des cartes de visite, je suis censée lui faire la révérence ?
— Connais pas.
— Aucune culture musicale en plus, ajoute-t-elle d’un ton sec.
Je lève un sourcil d’étonnement face à cette virulente approche. Elle parle fort sans se soucier de gêner les autres. Cette fille je ne la connais pas mais elle ne semble pas vraiment me porter dans son cœur. Je n’ai aucune envie de m’énerver alors je garde mon calme en crispant fort les mâchoires. Prince nous observe. Je lui tiens la main pour qu’il n’intervienne pas.
— Tu as eu ta chance. Et elle est derrière toi.
— Est-ce qu’on se connait ? C’est quoi ton problème à la fin ?
— Mon problème c’est que je connais ton histoire. Tu couches avec les gens pour réussir. Même si c’est l’émission de ton ancien producteur, tu ne passeras pas. Secouer les fesses à moitié nue ne suffit pas toujours ! Ici, tu as de vraies chanteuses, je ne pense pas que tu feras le poids.
— Heureusement que le but de ce concours ce n’est pas de penser… je lui réponds froidement. Tu n’aurais pas tes chances.
Les autres participantes relèvent la tension entre nous deux et s’approchent comme si on allait leur offrir un spectacle gratuit.
— Je viens du Conservatoire privé de Douala. Celle que tu vois là-bas revient de la BRIT School de Londres et l’autre de la Juilliard School à New York aux USA… Pour nous la musique ce n’est pas un accident de route parce qu’on a rencontré un producteur génial. C’est ce que nous sommes. Qu’est-ce que tu leur apporteras toi à cette production panafricaine?
— …
Elle croise les bras l’air d’attendre que je réponde. Mais je n’ai aucune réponse à sa question. Je n’ai aucun diplôme… de chant ou de music. Je ne connais aucune des écoles qu’elle vient de citer. J’aime juste chanter et c’est tout. Je ne me pose pas plus de questions.
La porte qui nous sépare de la salle d’audition s’ouvre et Gabriel apparait avec une liste en main. Je suppose que c’est la fin du round car elles s’éloignent de moi. Il appelle un nom et la jeune fille de Juilliard lève la main.
— Il ne reste plus que trois candidates, dit-il tout en barrant un nom sur sa liste.
Il ne lève toujours pas la tête, occupé par sa foutue liste. J’inspire profondément et prends la parole.
— Ne m’oubliez pas monsieur Valentine.
Il lève les yeux. Passent sur son visage plusieurs émotions : l’étonnement, la colère puis la réserve. Son attitude redevient immédiatement distante. Il fait signe à celle qu’il a appelé de le suivre et ils entrent tous les deux dans la salle d’audition sans plus s’occuper de nous. Je ne peux empêcher un sourire triste de naitre sur mes lèvres.
— Il ne me prendra pas, je murmure tout bas plus pour moi-même que pour Prince toujours à mes cotés. Il aime bien ses principes à la con. Il ne me redonnera pas de chance alors qu’il dit avoir fait tout ça pour moi.
— Il va te donner une chance, t’inquiète.
— Tu ne le connais pas comme moi.
— Et toi tu ne me connais pas non plus. Prépares-toi.
Une heure plus tard, je broie du noir et la dernière participante est passée. Gabriel revient nous voir. Le mécontentement se lit sur son visage. Il porte un costume sombre, parfaitement taillé. Le costume lui va si bien.
— Il n’y a plus de place, Lola. Je te l’avais dit, il me semble.
— Je sais.
— Ecoute Gabriel, intervient Prince, toi et moi on avait une entente. Je te propose de laisser tomber ce truc idiot si tu la laisses tenter sa chance. Lola et là à l’audition avec moi alors que tu ne pensais pas qu’elle vendrait. Passe outre ta liste et laisse-la chanter.
— Ca va pas être possible, répond-il froidement.
J’ai la gorge sèche et je ne sais plus quoi dire pour l’inciter à me prendre. Mes mains qui tremblent me sont difficiles à cacher. Habituellement à cette heure, je chante ivre au Vamp à moitié dénudée. Mais pour moi, le fait d’être à moitié nue n’était pas le plus important. Ce qui comptait c’était que je pouvais enfin chanter sans m’effondrer. Je me distançais de toute la peine que contenait mon cœur en l’arrachant de ma poitrine pour l’offrir au public. Il me fallait un anesthésique pour ça et je l’avais trouvé dans l’alcool comme d’autre le trouvaient dans une thérapie.
Les mauvaises habitudes ne nous épargnent pas quand on essaie de les abandonner, ils s’accrochent à nous tels des enfants qui ont peur d’être abandonnés par leur géniteur. J’ai besoin de boire un peu d’eau ou autre chose... Mais il n’y a rien autour pour soulager ma soif. La porte de la salle d’audition est entrouverte. Gabriel et Prince discutent. C’est mignon de la part de Prince de vouloir convaincre Gabie mais je sais qu’il n’y arrivera pas. Alors au lieu de plaider mon cas auprès de Valentine, je fais ce que je sais le mieux faire : arracher à la vie ce qu’elle se refuse de m’offrir. Je fonce vers la salle. Les sièges sont plongés dans le noir et seule la partie de la scène où est planté le micro est faiblement éclairé. J’entends Gabriel m’appeler au loin. Je marche encore plus vite.
Je m’accapare du micro comme s’il était une bouffée d’air frais dans mon monde étouffant. J’ai déjà triomphé ici. Ce n’est pas comme si c’était nouveau. Mais le décor est complètement différent car une émission télévisée s’y tournera.
J’égrène une première note. C’est pas terrible mais ça suffit à attirer l’attention des juges qui bavardaient entre eux sans faire attention à la scène. Dans le public à présent éclairé, je reconnais les quatre filles qui attendaient dans la salle tout à l’heure. Mais il y a des dizaines d’autres têtes, tous candidats heureux ou malheureux. Tous les participants du jour sont là assis et je suis terriblement intimidée avec l’impression qu’il y a d’écrit sur leur front : je sors d’une grande école et toi misérable dévergondée tu n’es personne. Eux ils sont diplômés. J’ai fait ma culture musicale toute seule, à l’oreille. Moi je n’ai rien appris nulle part.
— Je suis la dernière participante.
— Ah bon ? répond la seule juge femme en me souriant. Je pensais qu’on avait fini.
Je reconnais dans ses traits, le visage d’une célèbre chanteuse congolaise dont j’ai oublié le nom. Ils sont trois. Les deux autres juges me sont inconnus. Gabriel entre à son tour et traverse la scène pour aller s’installer à coté des juges. Son regard furieux me transperce alors j’évite de le regarder trop longtemps.
— Je vais chanter une chanson de Sam Smith.
Je joue la carte de la sureté car « writing’s on the wall » est une chanson que je chante au Vamp quasiment tous les soirs sous les acclamations du public. Sauf que là, je ne suis pas saoule et je ne sais pas si je réussirai à transmettre l’émotion sans me lancer anéantir par elle.
— Doucement petite. Présente-toi d’abord.
— Je suis Lola Bekale.
— Tu reviens de quelle école ?
— Aucune.
— Ok. C’est pas grave. Mais on a eu de très belles voix tu sais. Il va falloir que tu te surpasses.
Le silence se fait dans la salle. Gabriel croise ses bras. Alors le temps que les gens se remettent de ce que je viens de dire, je regarde le plafond. J’ai surement l’air d’un cerf pris dans les feux d’une voiture. Je suis tétanisée.
— Bon Lola, la plupart des chansons populaires de Sam Smith nous a été chantée trois fois déjà au moins. Alors tu vois, moi, elles me tapent sur les nerfs en ce moment. Propose-nous autre chose.
L’homme qui vient de prendre la parole n’a pas l’air commode. Je m’éclaircis la gorge. C’est bête à dire mais rien d’autre ne me vient à l’esprit. Je connais des centaines de chanson par cœur et là c’est le black-out. Je ne sais pas quoi chanter.
— Bon je sais que tu es stressée. Ca se voit sur ton visage. Comme tu es la dernière, prends le temps de décompresser et propose-nous quelque chose… de bon.
J’égrène à nouveau quelques notes qui se perdent aussi vite qu’elles sont apparues. Je me gratte la tête puis prends une grande bouffée d’oxygène avant de descendre de l’estrade et de m’avancer vers le jury pour me servir un verre que j’avale devant eux. Ca ne se fait pas. Je le sais.
La salle murmure et l’alcool me brule la gorge. Je remonte sur scène aussi vite que mes jambes me le permettent. Je ne sais toujours pas ce que je vais chanter jusqu’à ce que mes yeux tombent sur Gabriel au regard toujours aussi désapprobateur. Je m’accroche à sa présence.
Je m’étonne moi-même quand les premiers mots sortent de ma bouche avec un rythme jazzy qui ne m’est pas familier.
I cheated myself
Je me suis menti à moi-même
Like I knew I would
Comme je savais que je le ferais
I told ya, I was trouble
Je t'ai dit que j'apportais que des ennuis
You know that I'm no good
Tu sais que je ne te conviens pas
J’interprète la chanson « you know i am no good » d’Amy Winehouse sans quitter Gabriel des yeux. L’émotion remonte, encore et encore jusqu’à m’étouffer. Au Vamp, l’alcool m’aidait à l’anesthésier mais là, je ne peux que recevoir en pleine face la douleur que je chante. Je joue avec ma voix comme si elle était un instrument de music pour me débarrasser de ma peine lorsque les paroles m’abiment. Et ça me fait un bien fou de laisser ma voix, la chanson, parler à ma place.
A chaque fois que je reviens sur le refrain et que je chante « tu sais que je ne te conviens pas », Gabriel ferme les yeux un bref moment puis détourne son regard de moi. La voix tremblante, je termine la chanson et repose le micro.
Je transpire. Je me sens bouffée de toute part. Mais au moins j’ai chanté. Les juges se regardent. Je crois qu’ils ne savent pas quoi penser de ma prestation. J’ai l’impression d’avoir chanté ridiculement faux et merveilleusement juste en même temps.
— Qu’est-ce que t’en penses Malick ? demande la seule femme du jury
— Je ne sais pas. A vrai dire, c’était étrange comme prestation. J’ai perçu quelques petites fausses notes mais je ne savais pas si c’était fait exprès ou un manque d’expérience.
— Et toi ? demande-t-elle en regardant l’homme à sa droite.
— On a déjà eu plein de belles voix. J’avoue que la sienne est particulière mais est-ce que ça vaut la peine de l’ajouter, je ne sais pas. Et toi qu’en penses-tu ?
— Ce regard. Je suis là pour écouter des chansons mais j’avoue que ton regard m’a interpelée.
J’essuie mes mains moites sur ma jupe et baisse les yeux. Après une chanson comme celle-là, je me sens toujours à vif. J’ai du mal à en émerger tout en me sentant bien trop exposée. Comme si je venais littéralement de me dénuder devant des inconnus.
— J’ai senti mon cœur se briser pour toi et franchement tu m’as fait oublier l’interprétation d’Amy qui pourtant est phénoménale avec cette chanson. Tes yeux brillaient comme si tu étais au bord des larmes, comme si les paroles de la chanson étaient des scènes vécues dont tu ne pouvais que te rappeler en pleurant. J’ai jamais vu un regard aussi triste. Cette chanson te touche ?
— Oui.
C’est tout ce que je réussis à dire.
— Tu te sens de taille contre les autres ? Cette salle est pleine de talent et si tu n’es pas capable de maitriser ton émotion quand tu chantes… ca va être difficile. Bon il est temps de se prononcer définitivement...
— J’ai quelque chose à ajouter, intervient Gabriel.
L’attention se détourne vers lui et m’offre un moment de répit. J’ai envie d’un verre.
— J’ai déjà travaillé avec Lola. Il est important que les choses soient claires dessus. J’ai produit une chanson pour elle qui a bien marché. Elle n’a pas fait de grande école ça c’est sur. Mais elle peut être phénoménale sur scène quand elle se donne à fond. Voilà. J’ai fini.
Je suis soulagée car il a tu l’autre moitié de mon histoire.
— Moi je veux qu’on vous prenne, décide la femme. J’ai encore la chair de poule. Ca va être intéressant de te confronter aux autres. On a beaucoup de style traditionnel.
Les deux autres acquiescent et je peux enfin cesser de retenir mon souffle. C’est la fin de la session et les gens se lèvent doucement pour quitter la salle d’audition. La pression retombe. J’ai les jambes coupé alors je me contente de m’asseoir tout simplement en attendant que la salle se vide. Ce qui se fait très rapidement car il est tard. Je ferme les yeux et laisse toute tension quitter mon corps.
— On voit que tu es abimée quand tu chantes.
J’ouvre les yeux et Gabriel se tient devant la scène. La salle est vide.
— Si elle a vu ce que j’ai vu, l’émission va profiter de ça. Tu vas te faire bouffer Lola. Elle n’est pas seulement juge, elle était conseillère pour la star academy… Elle sait comment exposer les candidats pour attirer des téléspectateurs… et je vais la laisser faire parce que je veux que l’émission soit un carton mais je ne sais pas si toi…
— La vie me bouffe déjà Gabie. Autant que ce soit sur scène.
— Il va falloir que tu cesses au moins de boire.
— Un verre ça ne tue pas.
— Si. Et tu le sais. Tes mains tremblent. Tu penses que c’est le stress… Mais c’est le manque.
Je rigole jaune.
— Tu veux que je te chante Rehab d’Amy Winehouse? Je viens de l’apprendre.
— Tu sais comment elle a fini ? Bouffée par la coke, l’alcool et son amour destructeur …
— Tu en as pensé quoi toi ? je coupe car je ne veux pas qu’il s’étale sur le sujet.
— De quoi ?
— De ma prestation…
— …
— Quand je chante, il n’y a que toi qui compte. Tu sais toi…
Je me rends compte que cette phrase est à double sens mais je ne la retire pas. Il en fera ce qu’il voudra. Gabriel plie le poing et pose sa fichue liste sur la table des jurés avant de se retourner vers moi. Il regarde ses chaussures et semble hésiter à me répondre.
— J’ai vu en toi la diva pop. Et j’avoue que cette facette torturée ne m’est pas encore familière.
— Tu pourras travailler avec ?
— Ce n’est pas de cette Lola dont … J’en sais rien. Et puis cesse de penser que tout tourne autour de toi. Il y a de très bonnes chanteuses parmi celles qui ont été prises et aussi de bons chanteurs dont ton nouvel ami Prince par exemple.
J’éclate de rire. Il a prononcé le prénom de prince comme si c’était la chose la plus horrible à dire sur terre.
— T’es jaloux ?
Sans même me répondre, il quitte la salle. Assise sur le plancher, je m’allonge pour de bon et regarde le plafond.
Quand on prend une décision, il faut s’y tenir aussi difficile que cela soit. Je n’ai plus envie de me lamenter. Je veux aller de l’avant, rendre mon fils fier de sa maman. Mon téléphone vibre dans ma poche. Je m’en saisis et jette un coup d’œil sur l’écran.
Prince : «J’ai du partir pour une petite urgence, je reviens au Taj. Tu es toujours là ? »
Moi : « Oui ».
Prince : «Comment ça s’est passé ? »
Moi : « Super, je s8 priz »
Prince : « Félicitations ! Donc on va être des concurrents »
Moi : « Apparemment. Prépare-toi à 1 lourde défaite »
Prince : « T’inquiète, je sais me défendre. A ta place je m’inquiéterai plus des rivales type ProBlem »
Je lui envoie le smiley qui tire la langue, avant de me lever et de regarder une dernière fois la salle dans son ensemble et de me forcer à effacer de ma mémoire tous souvenirs douloureux. Je descends de scène pour faire quelques pas en attendant que Prince me rejoigne, et me retrouve devant la table sur laquelle traine la liste de Gabie. Je la parcours des yeux et remarque les noms originaires de divers horizons. Puis je tombe sur le mien.
Je souris en comprenant que Gabriel avait mis mon nom sur sa liste bien avant que je ne me décide à participer car il était convaincu que je viendrais tôt ou tard. Je prends la liste et retourne vers la salle à coté de la salle d’attente. A mesure que j’en approche, je constate qu’ils s’en échappent, des éclats de voix.
— Est-ce que vous comprenez Monsieur Gabriel. Ca va pas être possible votre histoire de casino. Je ne veux pas que tout ça finisse mal. Vous savez qui m’envoie. Il vous a laissé un délai de réflexion et nous sommes venus entendre votre réponse. Faite votre connerie de chanson mais pas de casino. Est-ce que vous comprenez ?
Je m’avance tout doucement vers la salle et regarde par l’entrebâillement. Trois hommes parlent avec Gabriel et rien qu’en l’observant, je sens qu’il est crispé même s’il essaie de ne pas le faire voir.
— Dites à votre patron que je l’emmerde. Ici je suis chez moi et si j’ai envie d’ouvrir un casino c’est à l’Etat gabonais de m’accorder la licence ou pas à un putain de corse de merde de décider pour moi. Je vais encore faire semblant pendant 5 secondes que ce que vous dites m’intéresse.
— Donc mon frère c’est comme ça que tu le prends ? intervient un second homme.
— Je ne suis pas ton connard de frère ! réplique immédiatement Gabriel en fourrant les mains dans ses poches. Et maintenant dégagez d’ici.
Le troisième homme dont je ne peux voir le visage se recule sans se retourner, s’adosse à la porte, la fermant et m’empêchant ainsi de voir ce qui se passe. J’ai le cœur qui bat à cent à l’heure. Je sens que tout ça va mal finir. Il faut que je cherche de l’aide. Et sans savoir pourquoi je prends mon téléphone et lance l’appelle vers celle en qui j’ai toujours eu confiance pour me sortir de choses qui me dépassent.
— Allo ? Lola ?
— Leila.
— Oh mon Dieu Lola, ça fait tellement longtemps ! Comment ça va ?
— Moi ça va bien mais j’ai l’impression que Gabriel va avoir des ennuis. On est au Taj et il y a des hommes qui le menacent… je ne sais pas qui appeler…
Un bruit de meubles cassés me fait violemment sursauter.
— Leila. Viens.
— Ok, j’arrive. Cache-toi.
C’est la seule chose qu’elle a le temps de me dire avant que la porte ne s’ouvre violemment et que je ne sois tirée en arrière dans la pénombre. Une main sur ma bouche m’empêche de crier d’effroi. Le sentiment de déjà vue qui m’inonde me donne la chair de poule.
J’ai déjà été au Taj, avec une main sur ma bouche, dans un coin sombre. J’ai envie de me retourner mais la personne qui me maintient dans l’ombre m’empêche de le faire. Les larmes me montent aux yeux et mon cœur bat tellement fort que je n’entends plus rien. Les trois hommes s’arrêtent juste devant la porte et nous restons cachés dans la pénombre. Je vais m’évanouir…
— On le laisse comme ça ou …
— Appelle le corse et demande.
Le chef de la bande lance l’appelle et met son téléphone sur haut parleur.
— Alors ? Il dit quoi le petit, demande une voix d’homme avec un accent français du sud très prononcé
— Il est têtu. Patron, on l’a un peu amoché. On fait quoi ?
— Il pense qu’il peut ouvrir son casino de merde juste comme ça. Ok, on va voir s’il va continuer. Rentrez !
Il raccroche et les trois compères s’en vont. Je me retourne enfin.
C’est Prince.
J’ai envie de le cogner pour m’avoir fait croire une seconde, une seule seconde que ce pouvait être… Je me laisse glisser au sol. Je vais devenir folle si ça continue.
— Tu vois ce genre d’hommes et tu restes plantée là. T’es folle ou quoi ? demande Prince en s’agenouillant devant moi. Tu vas bien ?
Mes mains tremblent et j’essuie la morve qui coule de mon nez. Un bruit de chaise renversée me rappelle que Gabriel est toujours à côté. Je me lève d’un bond et ouvre la porte. C’est le chaos dans la pièce. Le bureau est cassé, les chaises retournées. S’ils ont voulu lui foutre la trouille, je suppose que c’est réussi. Il est assis par terre, le visage blême, la lèvre fendue, un œil au beurre noir. Je le rejoins rapidement. Il grimace puis regarde Prince en souriant.
— Il va falloir que tu ailles chercher ma voiture. Je l’ai garée un peu loin. Ces connards ne m’ont pas raté.
— J’ai appelé Leila, je pensais que ça allait dégénérer. Attends je la rappelle, pour lui dire que ce n’est plus la peine.
— Type, t’es sur que ça va ? demande Prince dubitatif. Il faut que tu te lèves et qu’on aille à l’hosto.
— Prince peux-tu faire ce que je te demande. S’il… te plait.
— Ok.
Prince sort. Gabriel tapote la place vide à ses cotés. Je refuse de m’assoir.
— Ne reste pas par terre comme ça. Lève-toi, on va marcher vers la sortie, je lui dis en sortant le téléphone de ma poche pour appeler Leila.
Il le repousse et grimace une nouvelle fois en se tenant le coté gauche du bas du ventre. Il a du recevoir un coup de poing dans le ventre. Je n’avais encore jamais vu monsieur chocolat dans un tel état. Un sourire fantomatique nait sur ses lèvres, comme s’il était très loin de ce chaos à voir quelque chose qui le mettait de bonne humeur… Ils lui ont peut-être tapé trop fort sur la tête.
— J’ai mis ton nom… et j’ai aimé te voir te battre …. Insister, pour y participer. Et aussi … chanter pour moi. J’ai adoré la journée d’aujourd’hui …tu sais. Je me suis aussi menti à moi-même… La chanson… était… bien choisie…
— Gabriel lève-toi, on a tout le temps pour parler de tout ca…
J’essaie de l’aider à se lever mais il ne fait aucun effort.
— Non. Je dois… dire…maintenant.
Et parce que sont regard est fiévreux et ses paroles commencent à être incohérentes, je soulève sa main pour me rendre compte qu’elle est pleine de sang car il est blessé. Le sang gicle. La veste me le cachait. Je pose précipitamment mes deux mains sur la blessure en appuyant le plus fort possible.
C’est chaud et légèrement gluant sous mes mains.
— Je sais … que c’est mal. Mais… tu es tellement belle. Si tu pouvais… te voir à travers mes yeux… si seulement tu pouvais… te voir comme je te vois… Tu comprendrais tout.
— Ne parle pas. Pourquoi tu as dit à Prince de partir… Il aurait pu te soulever. Putain Valentine.
— Je … voulais te parler … seule.
— Mon Dieu si j’enlève ma main… qu’est-ce que je dois faire ? Qu’est-ce que je dois faire putain ?
Je suis paniquée. Anéantie. La foudre ne frappe jamais deux fois au même endroit dit-on. Le ciel ne peut pas me faire ça.
— Regarde-moi Lola, dit-il en prenant mon visage entre ses mains ensanglantées. Je … voulais prendre soin de toi et te … rendre heureuse… Je t’aime Lola. Tellement. C’est mal … mais j’y peux rien. Il n’y a pas un matin où… je n’ai pas eu envie te le dire.
J’enfouis mon visage au creux de son cou sans jamais relâcher la pression sur sa blessure. L’odeur de sang mélangé à son aftershave me retourne les trippes.
— Accroche-toi. Reste avec moi.
— Chaque jour était terrible… parce que Mike …n’était plus là. Mais chaque… jour était aussi un cadeau… une occasion de continuer à t’aimer… Je n’ai aucun regret.
— Reste ! Accroche-toi …
— Pour quoi faire Lola ? Te voir foutre la… merde dans ta vie ?
— Accroche toi… et je te promets que les choses vont changer… je te promets… Moi aussi je m’accrocherai à toi et … je ne retournerai plus jamais dans l’ombre… Accroche-toi.
Les secondes se transforment en siècles. Sa respiration est sifflante.
Sa main glisse de mon visage et je la replace sur ma joue. On se regarde longuement. Sans ouvrir la bouche, je lui dis que je n’ai rien oublié… rien. Que je le remercie de ne m’avoir jamais abandonnée. Jamais. Que je comprends.
Les larmes me montent aux yeux mais je ne pleure pas. J’ai déjà trop pleuré. Trop pleuré. Je suis fatiguée de pleurer.
La porte s’ouvre enfin… sur Leila suivie quelques secondes après de Prince. Elle se tourne vers Prince pour essayer de comprendre ce qui se passe et le choc se lit sur son visage. Comme si elle venait de voir un fantôme. Elle ne cesse de le dévisager. Le temps de les quitter des yeux et de reposer mon regard sur Gabriel…
Ses yeux se sont fermés.
Pourquoi est-ce que c’est toujours à l’instant où on perd une chose qu’elle nous révèle sa valeur ?
A bientôt
Leilaji.
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