Chapitre 9

Ecrit par Verdo


Depuis quelques mois, ma vie semblait se dérouler sur deux fronts : l’intensité de mes missions professionnelles et les tumultes de ma vie personnelle. Mais avant d’aborder ce qui m’attendait en Allemagne, je dois mentionner une visite qui m’a beaucoup marqué.


Un matin, je reçus un appel de Sébastien. Nous avions gardé un lien solide malgré la distance. Il m’annonça qu’il souhaitait me voir en Allemagne pour discuter d’un sujet important. J’acceptai sans hésitation. Nous avions tous les deux besoin de ces moments d’échanges où la camaraderie masculine nous permettait de partager sans jugement. Je lui envoyai donc mon adresse.


Sébastien arriva. Il avait cet air pensif, presque absent. Nous prîmes place dans un café au coin d’une rue animée de Heidelberg, avec des serveuses souriantes et une douce odeur de pâtisseries qui flottait dans l’air.


« Alors, mon frère, qu’est-ce qui te tracasse ? » demandai-je en prenant une gorgée de mon café noir.


Il hésita, jouant avec la cuillère dans sa tasse. Finalement, il se lança :


« Thierry, je ne sais pas comment te le dire… mais je crois que je ne suis plus vraiment amoureux d’Akpedze. »


Je posai ma tasse, surpris. Akpedze et lui semblaient solides. C’était un couple qui avait traversé tant d’épreuves. Je choisis de le laisser s’expliquer.


« Pourquoi ? Qu’est-ce qui ne va pas ? » demandai-je calmement.


Il soupira profondément.


« Cela fait des années qu’on essaie d’avoir un enfant. Rien. Pas une seule grossesse. Je commence à croire que ce n’est pas pour nous. Et puis… » Il marqua une pause, évitant mon regard. « Il y a une femme ici, en Italie. Une collègue. Elle est différente, Thierry. »


Je fronçai les sourcils.


« Sébastien, tu réalises ce que tu dis ? Akpedze est ta femme. Tu l’aimes, non ? »


Il détourna les yeux.


« Je ne sais plus… Elle est distante et ne m'obeit presque plus. Imagine que je lui envoie deux cent cinquante mille francs par mois mais pour elle, ça ne suffit pas. Pourtant nous ne dépensions pas cette somme quand nous vivions ensemble à Lomé. 


Je me sens de plus en plus attiré par cette femme blanche. Avec elle, tout est facile, léger… »


Je pris une grande inspiration pour contenir ma frustration.


« Écoute-moi bien, mon frère. Ce que tu ressens peut sembler excitant, mais c’est une illusion. La vraie vie, le vrai amour, ce n’est pas toujours facile. Tu as juré fidélité à Akpedze. Ne fais pas quelque chose que tu pourrais regretter. »


Il hocha la tête sans conviction. Je savais que mes mots avaient du mal à le convaincre. Mais je devais essayer.


Nous passâmes encore quelques heures ensemble, mais une tension persistait. Au fond de moi, je craignais pour leur couple.



Mes missions, quant à elles, se déroulaient bien mieux que prévu. Chaque jour, je découvrais de nouvelles techniques, de nouvelles approches qui enrichissaient ma façon de travailler. L’échange avec mes collègues étrangers me poussait à dépasser mes limites. Ces expériences allaient sans aucun doute renforcer mes compétences et, je l’espérais, me propulser dans ma carrière.


Mais en parallèle, mon cœur était lourd. Sena, ma femme, restait distante. Je l’appelais régulièrement pour prendre des nouvelles, mais elle décrochait rarement. Je ne me reprochais rien. J'avais mis tout à sa disposition, même pour l'accouchement. Ce n'est pas comme si elle allait manquer de quelque chose. 


Un jour, ce fut Trinidad qui m’apporta une nouvelle bouleversante. Ma fille, m’appela avec une excitation à peine contenue.


« Papa, tu sais quoi ? Maman a eu un bébé ! »


Je restai figé.


« Quoi ? Comment ça ? »


« Oui, un petit garçon. Mais elle ne voulait pas te dire. C’est mamie et tante Yawavi qui s’occupent d’elle. »


Je n’arrivais pas à croire ce que j’entendais. Sena avait accouché sans même m’en informer. À cet instant, je sentis une colère sourde monter en moi, mais aussi une immense tristesse. Comment pouvait-elle me tenir à l’écart d’un moment aussi important ?


Les semaines suivantes furent un tourbillon d’émotions. En plus de cette nouvelle, je découvris que Sena avait vendu tous les articles de notre boutique et l’avait louée à un inconnu. Elle avait pris ces décisions sans même me consulter. J’avais du mal à comprendre ce qui l’animait. Était-ce de la rancune ? Un désir d’indépendance ? Quoi qu’il en soit, je savais que cette distance entre nous devenait insoutenable.


Six mois passèrent. Je continuai à me concentrer sur mes missions, mais l’idée de rentrer chez moi me hantait. Je voulais des réponses. Je voulais voir mon fils. Mais rien ne m’avait préparé à ce que je découvris en rentrant.


Le jour de mon retour, je trouvai la maison remplie de monde. Sena, sa famille, et même le fameux pasteur étaient réunis pour célébrer le baptême de notre enfant. Mon enfant. Et moi, le père, je n’avais même pas été informé.


Je me tenais à l’entrée, choqué. 

Sena portait une belle robe, rayonnante. Mais ce n’était pas la joie que je ressentais.


« Sena ! » criai-je au milieu du tumulte.


Tous les regards se tournèrent vers moi. Mais avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, Yawavi intervint avec un sourire moqueur.


« Oh, Thierry. Tu arrives à temps pour la prière finale. »


Je m’avançai, la colère bouillonnant en moi.


« Qu’est-ce que c’est que ça ? Comment osez-vous organiser le baptême de mon fils sans moi ? »


Sena me regarda brièvement avant de détourner les yeux. Sa mère prit la parole.


« Thierry, calme-toi. Tu étais absent. Nous ne pouvions pas attendre éternellement. »


« Absent ? Vous plaisantez ? J’étais en mission pour nous, pour notre avenir. Et c’est comme ça que vous me remerciez ? »


Les invités commencèrent à murmurer. Le pasteur tenta de calmer la situation, mais je n’en pouvais plus. Cette nuit-là, je pris une décision…


Je pris ma valise et partis pour Tabligbo. Cynthia m’attendait là-bas. Depuis quelque temps, elle avait été une épaule sur laquelle je pouvais m’appuyer, une amie fidèle. Quand j’arrivai chez elle, elle m’accueillit avec un sourire chaleureux et une lumière dans les yeux qui réchauffa mon cœur.


Quand j’arrivai à Tabligbo, le simple fait de voir Cynthia debout devant son appartement de la cité, vêtue d’une robe légère qui épousait délicatement ses formes, me réconforta. Elle m’accueillit avec un sourire radieux et un regard tendre, celui qu’on réserve à quelqu’un qu’on a attendu avec impatience.


« Thierry, tu es enfin là, » dit-elle en me prenant dans ses bras. Son étreinte était douce mais pleine d’intensité, comme si elle savait que j’avais besoin de me sentir aimé, compris.


L’intérieur de la maison était chaleureux et accueillant. Une table avait été dressée avec soin. Une nappe blanche ornée de motifs dorés, des bougies allumées qui diffusaient une lumière tamisée, et une douce mélodie jouant en arrière-plan donnaient à la pièce une ambiance romantique. Un délicieux parfum de plats mijotés flottait dans l’air. Je sentis mes épaules se détendre pour la première fois depuis des mois.


« Tu as fait tout ça pour moi ? » demandai-je, ému.


Elle sourit doucement, inclinant légèrement la tête.

« Oui, Thierry. Tu mérites un moment de paix. Ce n’est pas grand-chose, mais je voulais que tu te sentes bienvenu ici. »


Nous nous installâmes pour dîner. Elle avait préparé un ragoût épicé avec des bananes plantains frites, accompagné d’un verre de vin rouge. Tout était parfait. Chaque bouchée me ramenait à une réalité plus douce, loin des conflits et des tensions de Lomé.


Nous discutâmes longuement, entre rires et confidences. Cynthia me posa des questions sur mon voyage, mes missions, mais aussi sur ce que j’avais traversé ces derniers mois. Son écoute était sincère, sans jugement.


« Thierry, » dit-elle soudain, son regard s’assombrissant légèrement, « je vois que tout cela te pèse. Mais sache que tu n’es pas seul. Je suis là, et je serai toujours là pour toi. »


Ces mots me touchèrent profondément. Je pris sa main dans la mienne, la caressant doucement.

« Merci, Cynthia. Tu n’imagines pas à quel point ta présence me fait du bien. »


Après le repas, elle se leva et me tendit la main.


« Viens, » murmura-t-elle avec un sourire espiègle.


Elle m’entraîna vers le salon, où elle avait préparé un coin cosy avec des coussins moelleux et une couverture douce. Elle alluma une autre lampe, créant une ambiance encore plus intime. La musique changea pour une mélodie plus lente, presque sensuelle.


Nous dansâmes doucement, nos corps se rapprochant au rythme de la musique. Je sentais la chaleur de sa peau contre la mienne, le parfum délicat de ses cheveux envahir mes sens. C’était un moment suspendu dans le temps, un instant où tout ce qui comptait était elle et moi.


« Thierry… » souffla-t-elle en levant les yeux vers moi.


Je n’attendis pas une seconde de plus. Je l’embrassai avec toute la passion et la gratitude que je ressentais. Ses lèvres étaient douces, son baiser profond et plein de promesses. Elle répondit avec la même ardeur, ses mains glissant sur mes épaules pour se poser sur ma nuque.


Nous nous laissâmes tomber doucement sur les coussins. Nos gestes devinrent plus audacieux, plus pressés, mais toujours empreints d’une certaine tendresse. Nos regards se croisèrent plusieurs fois, comme pour nous assurer que nous étions sur la même longueur d’onde. Cynthia me souriait, et dans ce sourire, je voyais une femme prête à m’aimer sans réserve.


La nuit s’intensifia. Nos corps se trouvèrent dans une parfaite harmonie, chaque contact électrisant. Le temps semblait s’arrêter. Tout était naturel, instinctif. Nous faisions l’amour comme deux âmes qui s’étaient enfin trouvées, un mélange de passion et de réconfort. C’était une évasion, un moment où le poids de mes problèmes disparaissait, ne laissant place qu’à une sensation de plénitude.


Après, nous restâmes allongés, elle blottie contre moi, sa tête reposant sur mon torse. Sa respiration était calme, régulière, tandis que mes doigts jouaient distraitement avec ses cheveux.


« Je suis heureux que tu sois là, » murmurai-je.


Elle releva la tête pour me regarder, un sourire tendre éclairant son visage.

« Moi aussi, Thierry. Et peu importe ce que l’avenir nous réserve, je veux être là pour toi. »


C’était une promesse silencieuse, un engagement que nous avions scellé sans mots. Cette nuit-là, dans les bras de Cynthia, je me sentis enfin chez moi.



Après ma nuit avec Cynthia à Tabligbo, je pris la route pour Lomé au petit matin. Le trajet semblait interminable. Chaque kilomètre parcouru me rapprochait de cette réalité que je voulais fuir, mais dont je savais qu’il me fallait affronter.


Assis derrière le volant, je laissais mon esprit vagabonder. Les souvenirs de Sena et moi au début de notre relation refirent surface. Les éclats de rire, les discussions tard dans la nuit, ses efforts constants pour m’encourager à réaliser mes rêves… Tout cela semblait appartenir à une autre vie.


Mais alors, à quel moment les choses avaient-elles basculé ? Était-ce à cause de mes absences répétées ? Ou était-ce le poids de nos frustrations respectives ? Je me demandais si j'avais été trop dur avec elle, si je n'avais pas manqué de la comprendre ou de la soutenir dans ses propres luttes.


Ces réflexions me tourmentaient, mais je savais qu’elles ne suffiraient pas à régler nos problèmes. J’avais besoin de réponses, et Sena était la seule à pouvoir me les donner.



En arrivant chez moi, je remarquai que la maison avait changé. Pas dans son apparence extérieure, mais dans l’atmosphère qui y régnait. C’était comme si cette maison ne m’appartenait plus, comme si j’étais devenu un étranger.


Sena était dans le salon, assise sur le canapé, feuilletant distraitement une brochure. Lorsqu’elle me vit entrer, elle ne manifesta aucune surprise, aucun accueil, rien.


<<Tu es rentré, dit-elle simplement, sans lever les yeux de son papier.>>


Sa froideur me hérissa.


<<Oui, je suis rentré, répondis-je en m'approchant. Et je veux des explications, Sena.>>


Elle posa la brochure sur la table et croisa les bras.


<<Des explications sur quoi, exactement ? demanda-t-elle avec une voix qui suintait d’indifférence.>>


<<Ne joue pas à ce jeu avec moi ! rugis-je, la colère montant en moi. Pourquoi as-tu vendu le stock de la boutique ? Pourquoi l'as-tu mise en location ? Et pourquoi ai-je dû apprendre la naissance de mon fils par notre petite fille ?>>


Sena se leva calmement, son regard froid planté dans le mien.


<< Parce que je fais ce que je veux, Thierry. J’ai attendu, j’ai espéré, mais tu n’étais pas là. Alors, j’ai pris les choses en main.>>


Je sentais la colère bouillonner en moi.


<<Tu te rends compte de ce que tu as fait ? Tu as détruit tout ce que nous avons construit ensemble. Tu organises un baptême en mon absence, et maintenant tu fais comme si de rien n’était ?>>


Elle haussa les épaules.


<<Ce n’est pas de ma faute si tu préfères être ailleurs, Thierry. Peut-être qu’un jour tu comprendras que la vie continue, avec ou sans toi.>>


<<Je préfère être ailleurs ? J'étais en mission et tu le sais très bien! >>


<<Cela m'est égal.>>


Ses mots étaient comme des gifles. Je sentais une fissure profonde se creuser entre nous.


Je laissai échapper un soupir lourd et changeai de ton.


<<Où est-il ? demandai-je, la gorge nouée.>>


<<Qui ça ? répondit-elle d’un air innocent.>>


<<Mon fils, Sena. Où est-il ?>>


Elle sembla hésiter avant de pointer la chambre d’un geste vague. Sans attendre, je me dirigeai vers la pièce. Là, dans un petit berceau, dormait un bébé; mon fils.


Je m’approchai doucement, le cœur battant à tout rompre. Ses petites mains étaient repliées sur sa poitrine, et son souffle régulier résonnait dans le silence de la pièce. Je tendis les bras et je le pris avec une infinie précaution. Il me ressemble comme deux gouttes d'eau. 


<< Mon fils… murmurai-je, les larmes me montant aux yeux.>>


Je ne pouvais pas contenir mes émotions. Les larmes coulaient sur mon visage alors que je le tenais contre moi. Tout ce que j’avais refoulé depuis des mois éclatait en un torrent de sentiments.


<< Papa, ne pleure pas, dit une petite voix derrière moi.>>


Je me retournai et vis Trinidad, ma fille, debout à l’entrée de la chambre. Ses grands yeux brillaient de compassion. Elle s’approcha et posa une main sur mon bras.


<<Ça va aller, papa, murmura-t-elle.>>


Je la serrai contre moi, avec mon fils dans l’autre bras. C’était un moment doux-amer, plein d’amour, mais aussi de regrets.


*****************************************************


Le lendemain matin, je décidai de prendre un peu d’air pour apaiser mon esprit. Je sortis pour une courte balade dans le quartier. Les rues étaient calmes. Je saluai quelques visages familiers en chemin.


Près de l'épicerie du coin, je tombai sur un voisin, Paul, un homme d’âge moyen connu pour ses indiscrétions. Il m’accueillit avec un sourire complice.


<<Ah, Thierry ! Enfin de retour ?>>


<< Oui, Paul. Comment vas-tu ?>>


<<Ça va, ça va. Mais dis donc, tu as manqué beaucoup de choses pendant ton absence>>, lança-t-il, visiblement ravi de pouvoir partager des potins.


Je fronçai les sourcils.


<<Qu’est-ce que tu veux dire ?>>


Il se pencha légèrement vers moi, baissant la voix comme s’il s’agissait d’un secret d’État.


<< Tu sais, ta femme… Elle a eu des… visites régulières, si je puis dire.>>


<<Des visites régulières ? Que veux-tu dire par là ?>>


<<Eh bien, le pasteur venait souvent ici, presque chaque nuit. Je ne veux pas semer la zizanie, mais ça semblait un peu… étrange.>>


Mon sang ne fit qu’un tour.


<<Le pasteur ? Et c’est tout ?>>


Paul hésita, mais continua.


<< Pas seulement lui. Tu te souviens de ce jeune homme, Kossi, que tu avais chassé ? Eh bien, il est revenu. Je le voyais souvent ici, accompagnant ta femme au marché ou même au sport. Souvent ils se baladent dans le quartier et c'est lui qui porte ton fils. Il semblait très… proche d'elle.>>


Je sentis une colère sourde monter en moi. Mais je me retenus. 


<<Merci, Paul, dis-je en serrant les dents.>>


<<Fais attention, Thierry, conclut-il en posant une main sur mon épaule. Certaines choses ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être. Nous sommes en Afrique et les comportements de ta femme peuvent avoir des répercussions sur toi. >>


Je le remerciai d’un signe de tête et repris le chemin de la maison, mon esprit bouillonnant. Les révélations de Paul étaient comme une lame qui transperçait mon cœur. Je savais que je ne pouvais pas ignorer ces informations, mais je devais aussi garder mon sang-froid. Une confrontation avec Sena était inévitable, mais je devais choisir mes mots avec soin.


Mon retour à Lomé venait à peine de commencer, et déjà, il s’annonçait comme l’un des chapitres les plus tumultueux de ma vie.


NB: 


Je vous remercie pour votre longue attente. Excusez moi de vous avoir fait longuement attendre. Cette fois ci, nous sommes partis jusqu'au dernier chapitre. 



À suivre…


Écrit par Koffi Olivier HONSOU. 


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