Chapitre I

Ecrit par Tiya_Mfoukama

Chapitre I


Si avec ça, je n’arrive pas à lui faire changer d’avis, c’est que je ne m’appelle plus Dylan Emmanuel Buaka. je me dis en sortant de ma voiture le panier plus que garnie des mets qu’affectionne Jesse.

Il a été préparé part ma mère parce qu’il n’y a rien de plus efficace que de bons plats préparés par une mère pour faire baisser les armes et 

réussir à corrompre plus facilement un homme. Parce que c’est de cette façon que je vois les choses, et que j’aurais capitulé, je me dis que Jesse aussi capitulera de la même façon. 
Je pousse la porte d’entrée, toujours ouverte en journée, et me dirige directement vers la cuisine. Vu l’heure qu’il est, il ne peut pas être dans un autre endroit que son lieu de prédilection ; la véranda. Je suis quasi-sûr qu’il est installé sur sa chaise en rotin, tournée vers son jardin que beaucoup envie, moi le premier – ce qui n’est pas surprenant lorsqu’on connait la passion qui l’anime – un crayon et une feuille blanche à la main.
Je dépose le contenu du panier sur le plan de travail et prends la direction de la véranda. Qu’est-ce que je disait….

« —Monsieur, Buaka. dit-il en levant à peine les yeux sur moi. Que me vaut l’honneur de votre visite ?

Je vais m’affaler sur le canapé grand canapé parallèle à sa chaise où il se trouve, m’installe confortablement avant de lui répondre. 

—Quoi, je ne peux plus venir voir mon grand frère sans raison particulière ?

Il arque un sourcil sans pour autant détacher son regard de son croquis et me répond :

—Bien sûr que si, mais mon petit doigt me dit que cette visite n’est pas anodine.
—Et pourtant c’est le cas. Revois les informations que te transmet ton petit doigt. »

Je mens, il le sait, je le sais, nous le savons et pourtant, je persiste. Je n’aime pas me prendre la tête avec Jesse cependant, le sujet que je souhaite aborder avec lui va indéniablement nous emmener vers une prise de tête. 
Demain c’est l’anniversaire de notre mère et comme chaque année depuis maintenant 6 ans, elle espère voir son fils ainé, Jesse, à ses côtés pour souffler ses bougies. Mais depuis 6 ans, il refuse catégoriquement d’avoir à faire avec nos parents, qu’il s’agisse de mon père ou de ma mère. Autant je peux comprendre son différend l’opposant à mon père, qui l’a renié après qu’il ait choisi de faire des études d’architecte paysagiste au lieu de poursuivre un cursus de management, ou de gestion, autant j’ai du mal à comprendre sa réaction vis-à-vis de ma mère. D’accord, elle ne s’est pas montrée très présente pour lui lorsque mon père prenait la décision de lui couper les vivres et de le renier par la suite, mais je sais qu’elle le regrette. Qu’elle plaide chaque jour sa cause afin que mon père reconsidère la question, mais…Koffi senior est un homme buté… Cette année, elle va avoir 55 ans, et nous avons réussi, mes frères et sœurs et moi-même à nous organiser et être tous présents, ce que nous n’avions pas réussi à faire pour ses 50. Pour que la surprise soit parfaite, il ne manquerait que mon frère et cette année, je me suis fait le serment de réussir à le convaincre d’assister à l’évènement. 

« —Tu veux vraiment me faire croire que t’es là simplement pour me regarder dessiner ? il me demande après un certain moment dans le silence.
—Hum, hum. Ouais.
—Soit…okay….Admettons que ce soit ça… je te laisse admirer la merveille qui se trouve en face de toi. il lance avec un sourire éclatant.
—La merveille qui est en face de moi ? Je veux bien, mais elle est où ? je le questionne en regardant autour de moi l’ignorant volontairement.
—Ah, ah, ah. Pauvre jaloux !
—…C’est quoi, un nouveau projet ? je demande en indiquant du menton son croquis.
—Ouais. Une femme de diplomate a assisté à un mariage dans un des jardins de Didier, tu sais ceux qu’il met en location pour certains évènements, et elle a semble-t-il harcelé Didier pour avoir les coordonnées de « la fabuleuse personne qui a su sublimer ce jardin ». dit-il en mimant grossièrement une voix trop aigüe.
—Elle à l’air assez spéciale ou je me trompe ?
—Une hystérique, je ne te dis pas. Mais bon, elle n’a pas chipoté lorsque je lui ai annoncé le prix. »

Je souris en acquiesçant avant de tourner mon regard vers le jardin. Le travail qu’il a fait est tout bonnement spectaculaire. De la véranda, un petit chemin fait de graviers poncés mène à un petit bassin d’eau entourée de différentes plantes et arbustes, des bougainvilliers à des cannas rouge en passant pas des roses de porcelaine, des magnolias ou encore des banzaïs. Tout en étant coloré, il reste apaisant et pousse à la quiétude, un peu comme les jardins japonais. Au-delà de la vue qu’il offre, ce jardin raconte une histoire, qu’on est prêt à écouter durant des heures. Il est à l’image de ce que l’on peut retrouver en dehors de la ville, après quelques heures de marche durant une excursion pour découvrir la beauté de Brazza, mais on ne se doute pas un moment qu’un havre de paix se trouve en plein milieu de Poto-poto, quartier dans lequel vit Jesse. 

« —C’est cool, je vois déjà le repas que je vais commander. je dis en m’étirant.
—Le repas que tu vas commander ?
—Oui, j’imagine qu’elle va sacrément bien te payer. 
—T’es un marrant toi ! Je vais plutôt payer les petites factures qui attendent depuis un moment. Et je te rappelle que c’est toi qui me dois trois repas. Disons que maintenant, tu ne m’en devras plus que deux.
—C’est vrai… Tiens, je saute sur l’occasion pour t’inviter à déjeuner, ça me fera un repas en moins. 
—Quoi, là maintenant ?
—Non, demain.
—Okay, je choisis le resto !
—Non, c’est moi qui choisis….Et ce ne sera pas dans un restaurant, mais tu y mangeras tout aussi bien….. 13heures chez Buaka sénior ?»

Comme je l’imaginais, son visage se ferme à la prononciation du lieu de rendez-vous. Durant tout le trajet qui m’a amené ici, j’ai pensé à tous les arguments que je pourrais lui sortir pour l’obliger à accepter.
Après avoir poussé un gros soupir, il pose son croquis et son crayon, sur la table avant de me dire :

« —Je pensais que t’étais venu pour admirer ma magnifique personne? il dit sans rire.
—C’est le cas, mais tu m’as rappelé que je te devais plusieurs repas, alors j’en profite pour m’acquitter de mes dettes. 
—Hum, je vois. Tu sais quoi ? Tu ne me dois plus rien, ton ardoise est effacée. 
—Jesse…
—Je viendrai pas, ça ne sert à rien d’insister. Il lance en se levant.
—Jesse a un moment, il faut que tout ça s’arrête ! »

Il est déjà au niveau de la porte lorsqu’il se retourne pour me faire face.

« —Que quoi s’arrête ? Les moqueries de ton père ? Le dédain et du mépris qu’il affiche lorsque je parle lui parle de mon travail ? Du manque de respect qu’il a envers moi ? Ouais, tu as probablement raison, tout ceci devrait s’arrêter mais je pense pas que ce soit à moi que tu dois dire tout cela !
—Et tu as raison, mais là, il ne s’agit pas de lui mais de maman. 
—Que ce soit lui ou elle, c’est la même personne ! 
—Non, ce n’est pas la même personne et tu le sais. Elle n’a pas parlé devant nous lorsque papa a fait ce qu’il a fait, mais nous savons tous les deux que derrière elle a plaidé en ta faveur. Tu ne peux pas lui en vouloir pour une chose qu’elle ne maitrise pas ! 
—…
—Cette année on a tous fait en sorte d’être sur Brazza pour elle. Mais on sait tous que c’est toi qu’elle aimerait voir. »

Je sens qu’il est en train de capituler alors je rajoute :

« —Je suis venu avec un panier bien garni préparé spécialement par elle. 
—Parce que tu penses qu’il suffit d’un panier plein de bouffe pour tout oublier.
—Non, et ce n’est pas ce que je te demande. Je veux juste que tu mettes de côté vos différends pour lui offrir un bel anniversaire. Elle le mérite. »

Il reprend la direction de la porte menant à l’intérieur de la maison, et je me dis que j’ai encore échoué quand je l’entends dire :

« —Tu me dois toujours trois repas ! 
—Sans souci, je réponds satisfait. »

*
* *

« —On attend encore une personne ? me questionne ma mère avec les yeux plein d’espoir. »

Je vois la même interrogation dans les yeux de Rosy, Andrew et Lisa, mes frères et sœurs. Je leur ai dit que Jesse avait fini par accepter et nous nous étions tous réjouis maintenant, même si j’ai envie de leur dire à tous oui, un coup d’œil à ma montre me fait me préparer à leur dire non. Hier, j’ai cru comprendre que Jesse m’avait dit oui, qu’il serait présent et c’est ce que j’ai laissé entendre à ma mère lorsqu’elle m’a appelé ce matin, mais il semble que ce ne soit pas le cas. J’aurai dû me douter qu’il ne viendrait pas. Nous sommes installés dans le jardin et je me dis que c’est dommage d’annoncer une mauvaise nouvelle un jour aussi beau et agréable qu’aujourd’hui.

« —Euh… 
—Bonjour.»

Tous les regards se sont tournés vers l’endroit d’où provenait la voix. J’ai rapidement détourné mon regard pour observer le visage de ma mère et le voir s’illuminer. Ses traits crispés quelques secondes plus tôt se sont considérablement détendus, et un vrai sourire, non celui qu’elle feignait depuis mon arrivée, s’est dessiné sur ses lèvres. Ses yeux se sont embués de larmes et je la vois se battre avec elle-même pour ne pas les laisser couler. Ce n’est que maintenant que je prends pleinement conscience du mal que lui fait toute cette histoire. 
Avec une voix tremblante, elle se lève de sa chaise pour aller saluer son fils.

« —Bon-bonjour Jesse. »

Ses gestes sont hésitants, un peu comme si elle avait peur de mal procéder et le pousser à repartir, mais Jesse met fin à toute cette peur en la prenant dans ses bras et en l’embrassant. Leur étreinte dure bien plus longtemps que le demande une salutation d’usage, mais ce n’est pas une salutation comme les autres. Et tout le monde autour de cette table en a conscience, y compris notre père.
D’ailleurs, c’est maintenant sur lui que toute l’attention est portée. Les prochains mots qui sortiront de sa bouche détermineront le déroulement de ce déjeuner…

« —Prends place ici. Dit ma mère en tirant la chaise vide à ses côtés.
—Merci.
—Donc il n’y a que ta mère qui est à saluer à cette table ? intervient mon père, dans une posture nonchalante.
—Bonjour, tout le monde, bonjour monsieur Buaka.
—Tu es donc venu pour faire le guignol ?
—Koffi ! lance ma mère…S’il te plait. »

Elle échange avec lui un regard dans lequel on peut lire une discussion, qu’ils sont les seuls à pouvoir entendre et comprendre, mais dont on imagine sans aucun mal le sujet.
Il semble que ma mère ait réussi à se faire entendre puisque mon père, après un signe de capitulation, a demandé à chacun d’entre nous de rejoindre ses mains afin qu’il puisse bénir le repas.
Une fois le bénédicité prononcé, il faut avouer qu’un silence lourd s’est installé, que mon père se sent obligé de briser.

« —Alors Jesse, comment vas-tu, que fais-tu de beau ?
—Koffi ! dit ma mère.
—Quoi ? Je ne peux plus lui poster de questions ?
—Je vais bien, merci de demander. Actuellement, je prépare un nouveau chantier. Ma cliente à une idée bien précise de ce qu’elle veut et je vais devoir satisfaire ses envies tout en prenant en compte le climat tropical. 
—Et ben ! Je ne savais pas que couper des feuilles mortes, arroser la terre et planter des fleurs demandait autant d’organisation. Notre jardinier fait ça en quelques heures. N’est-ce pas Tamara ?
—Koffi s’il te plait. Arrête ça. marmonne ma mère le regard suppliant
—C’est peut-être vrai. répond Jesse. Sauf que je ne suis pas jardinier mais Architecte paysagiste.
—Où est la différence ?
—Papa ne fait pas ça. dit Rosy.
—Ne pas faire quoi ? Non mais arrêtons de nous mentir un instant. C’est comme une femme de ménage qui dirait qu’elle est technicienne de surface ! C’est la même chose !
—Non, ce n’est pas la même chose. Dit Jesse en se levant. Dylan, je suis désolé, j’ai essayé. Joyeux anniversaire maman.
—Attends, Jesse, reviens s’il te plait ! l’implore ma mère. »

Mais c’est déjà trop tard, en quelques enjambés Jesse s’éloigne de la table où nous sommes est disparait de notre champs de vision.

« —Merci beaucoup Koffi. lance ma mère avant de prendre la même direction que Jesse. »

Il faut moins de 5min pour que la table se vide et que mon père et moi nous retrouvons seuls.

« —T’étais de faire ça ?
—Quoi dire la vérité ? Il fallait m’expliquer que les jardiniers étaient aussi susceptibles, j’aurais évidé de lui dire la vérité.
—Papa arrête, il est Architecte paysagiste et tu sais pertinemment que ce n’est pas la même chose. 
—C’est ton grand frère tu as toujours défendu même…
—Non pas, ça n’a rien à voir avec le fait que Jesse soit mon grand frère. je dis pour le couper. C’est un fait, il n’est pas jardinier et ce n’est pas parce qu’il a refusé de suivre le parcours que tu envisageais pour lui que tu vas constamment lui manquer de respect. Faut t’y faire, le management, la gestion et tout le reste, ce n’est pas pour lui !
—Et c’est une raison pour que toi tu me manques de respect en me criant dessus ? »

Je ne me suis même pas rendu compte que je criais, mais c’était le fruit d’un trop plein emmagasiné. Dans cette histoire, Jesse et mon père ne sont pas les seul à subir les conséquences, nous autres aussi et mon père ne semble pas s’en rendre compte. Il a tellement d’orgueil, tellement de fierté qu’il préfère jouer les aveugles plutôt que regarder la vérité qui se trouve juste sous ses yeux. Quand je pense qu’il y a encore quelques années nous étions tous soudés, mon père ne jurait que par son fils Koffi Jesse Buaka junior, sa version miniature, son héritier comme il l’appelait. Et aujourd’hui…. C’est un beau gâchis.
Je me lève de table à mon tour, non pas sens avoir prononcé de phrase d’excuse et rejoins mon petit frère et mes petites sœurs dans le salon.

« —Où est maman ? je demande à Lisa, la plus grande des trois.
—Dans sa chambre, on a essayé de lui parler mais elle a fermé la porte à clé. elle me répond.
—Faut vraiment que tu parles à Papa ya D, ça devient pénible cette affaire. intervient Rosy, la petite dernière.
—Tu sais comment il est. Mais t’inquiète pas, je suis certaine que ça va bientôt s’arranger. je la rassure en la prenant dans mes bras.
—Je me disais qu’on pourrait aller voir ya Jesse propose Drew. Il doit pas être bien là. »

J’acquiesce d’un signe de tête, pour une fois que Drew ne nous propose pas une idée farfelue. C’est un peu le guignol de la famille et celui sur qui on nous compter pour désamorcer une situation tendue. L’entendre débiter un tas d’anecdotes et de conneries nous fera à tous un grand bien, j’en suis certain.

« —Bonne idée. allons-y dit une voix derrière moi. »

Je me retourne pour voir à qui elle appartient. Elle est à ma mère. Je l’avais deviné, mais je voulais être sûr qu’il s’agissait bien de la sienne parce que c’est assez particulier.
Depuis le début du conflit opposant Jesse et mon père, elle n’a jamais pris l’initiative d’aller chez Jesse. C’est donc une première et elle est inattendue. Tellement inattendue que je me demande si j’ai bien entendu. 

« —Excuse-moi, je crois avoir mal entendu, tu as dit que tu voulais venir ? je lui demande.
—Oui, allons-y, je vais prendre quelques condiments rapides et j’irai préparer là-bas. Laissons ce qui est ici.
—Et papa. demande Rosy.
—Allons-y. répète ma mère pour toute réponse.»

Je lui réponds un simple « okay », même si je suis persuadé qu’elle a changé d’avis, surtout lorsque mon père, qui vient d’entrer dans le salon nous demande où nous allons.

« —Je récupère quelques condiments et nous allons chez Jesse. »

Elle l’a dit sur un ton calme, mais ferme et sans appelle. Il est clair qu’elle ne cherche plus à l’amadouer ou à l’apaiser comme les fois précédentes. Sa réponse dit « je t’informe, et rien de ce que tu diras ou feras n’y changera quelque chose ». Elle le lui a dit pour l’informer, et il semble comprendre puisqu’il ne dit rien.

Je la laisse récupérer ses fameux condiments avant de monter en voiture, avec ma mère devant, Rosy, Drew et Lisa derrière.

« —Je n’aime pas être au milieu comme ça, j’ai l’impression d’être la raie entre deux fesses. lance Drew.
—Drew ce n’est vraiment pas la peine. soupire ma mère »

Sa bêtise à au moins le don de faire rire tout le monde et permettre un échange jusqu’à ce que l’on arrive chez Jesse.
Je sens ma mère se crisper lorsque je gare dans la cours de Jesse.

« —Il laisse son portail ouvert comme ça ? me demande ma mère, visiblement inquiète.
—Toujours, lorsqu’il est là, mais le soir, il le ferme.
—Humm. 
—Qu’est-ce… Qu’est-ce que vous faites ici ? lance Jesse sur le pas de la porte d’entrée.
—Tes frères et sœurs ont proposé de venir te voir et je me suis jointe à eux. Répond ma mère. J’espère que tu n’es pas en colère.»

Il secoue négativement la tête puis s’écarte de l’embrasure de la porte pour nous laisser la laisser entrer.
Moi qui avais peur que la journée se termine mal…

Les jeux du destin