Chapitre II
Ecrit par Tiya_Mfoukama
.Chapitre 2.
« —
O zui[1] bien fait pour toi. me
dit Rachel entre deux éclats de rires. Voilà comment les blancs passent à
l’étape supérieure ! Dans les pays africains, lorsqu’un homme entretient une
relation sérieuse avec une femme et qu’il souhaite passer à l’étape supérieure,
il fait les « ko,ko,ko [2]»
ou même mieux, il la dot, il fait en sorte de lui donner du poids auprès de sa
famille !
—
Mais j’ai du poids auprès de sa famille ! Et ce n'est pas un mariage qui va
définir ma relation et ma place !
—
Oh arrête ton bruit de toubab là. Tu n’as aucun poids et si tu penses le
contraire, il serait temps que tu redescendes sur terre. Tu es simplement la
petite noire qui permet à leur fils chéri, de s’évader et de connaître des plaisirs
« exotiques » comme, ils aiment dire, en attendant qu’il trouve une jolie
blonde aux yeux bleus qui aura tous les critères de la bru idéale selon eux.
—
Là c'est toi qui te trompes. Tu te méprends sur eux parce que tu ne les connais
pas. Ils ne sont pas comme ça. Ils m’apprécient énormément et ne cessent de
faire des éloges sur moi à chaque fois qu’ils me voient.
—
Mais ça c’est pour mieux te critiquer derrière mon enfant. elle affirme le
menton fièrement relevé.
—
Si j’admettais qu’il me critiquait derrière, et ça c'est si je l'admettais, ce
serait toujours mieux que d’avoir une belle mère qui passe son temps à faire de
l’ingérence dans mon couple. je réplique sur le même ton qu'elle a employé. »
A l'instant même où je la prononce, je regrette aussitôt
ma phrase. Je voulais la piquer, mais pas en utilisant cette information
qu'elle m'a confiée. Je sais que ce n'est pas facile pour elle de dealer avec
une belle-mère aussi invasive que la sienne et me servir de cette confession
n'est pas vraiment sympa, je dois le reconnaître.
« —
Excuse-moi, ce n'est pas ce que je voulais dire.
—
Si c'est ce que tu voulais dire, mais ce n'est pas grave. Les belles mères qui
font de l’ingérence se trouvent dans tous les continents et ça tu le sauras
bien vite très chère. Et je peux t’assurer qu’à ce moment-là, tu prieras pour
avoir une belle-mère qui vient de la terre de tes ancêtres. Au moins là, tu
sauras sur quel pied danser et quelle arme utiliser. Enfin, quand tu prendras
conscience qu'il est important que tu la connaisses. Tu sais cette terre d'où
vient tes parents.
—
Je m’en contre fiche, et t'as pas besoin de me balancer cette réplique. Je t'ai
présenté mes excuses.
—
Ça n'a rien à voir avec ce que tu as dit plus tôt. Tu sais qu'il est temps pour
toi que tu t'informes et que tu t'interroges sur tes origines. C'est en sachant
d'où tu viens que tu sais qui tu es et où…
—
Mais je sais qui je suis ! je la coupe excédée. Je sais également d’où je viens
et d’où mes parents viennent : je suis Abigail Rachel Mfoukama, benjamine de
Ange-Albert Mfoukama et de Jeanne Mfoukama qui sont respectivement originaires
du Congo Brazzaville et du Gabon. Je viens de Paris et plus précisément du
XXIIe arrondissement où je suis née à Saint Antoine. Le reste, ça n'a pas d'importance.
je termine fièrement.
—
C’est pathétique et choquant d'entendre autant d'absurdités dit avec une telle
fierté et par une personne qui est sensée avoir un minimum d'intellect.
C’est vraiment désolant. elle lance en secouant la tête d’un air triste.
—
Bon Rachel, tu me saoules là, on a dit qu’on déjeunait sans se prendre la tête,
alors s’il te plait, arrête de tout rapporter à l'Afrique et si t'as vraiment
envie de le faire, retiens-toi, mets ça de côté pour les 45 prochaines minutes
s’il te plait
—
Désolée mais ça ne va pas être possible.
—
Bien dans ce cas, on se verra plus tard. je dis en prenant mes affaires. »
C’est
toujours comme ça avec elle. D’aussi longtemps que je me souvienne on n’a
jamais réussi à déjeuner toutes les deux sans se prendre la tête à propos de
l’Afrique. Oui j’englobe souvent en disant l’Afrique et non en parlant d’un
pays précis car pour moi c’est la même chose, puis Rachel m’en parle tellement
que tout ce mélange. Elle a visité une bonne dizaine de pays et s’est amourachée
de chacune de leur tradition au point où faire connaître l’Afrique, les pays
qui la composent et leurs histoires, est devenue sa cause première pour ne pas
dire une obsession. Elle est de ceux qui prônent le retour au pays après les
études afin de mettre tous les acquis et les connaissances des jeunes au
service des pays d’Afrique pour les faire émerger et développer.
Je
préfère ne pas donner mon avis parce qu'il attise la verve de ceux qui aiment
se museler sur du flan puis là, je n’ai vraiment pas le temps, je dois
retourner m’occuper de certains dossiers urgents.
Arrivée
dans l'entreprise, je prends les escaliers pour aller à mon étage, histoire de
m'éviter de tomber sur un de mes supérieurs dans l’ascenseur. Ils ont tendance
à faire des débriefings lorsqu’ils ne savent pas quoi dire, chose qui
m’exaspère. Si on ne sait pas quoi dire, on se tait tout simplement. De toutes
les façons, je n’ai pas trop à me plaindre, monter ces marches me permet
d’avoir des jambes bien galbées et un fessier en béton, et n'étant qu’aux
troisième étages, ce serait déraisonnable de ma part de créer à la torture.
Dans
mon bureau et sors mon téléphone de mon sac afin de le mettre sur silencieux
pour mieux travailler. Je lis d’abord les deux messages qui sont dans ma boîte
de réception. Le premier est de Jean-François qui me dit qu’il a hâte que l’on
emménage ensemble. Ça c’est parce que j’ai répondu oui après que la surprise
soit passée.
Et
le second vient de Rachel.
« Rachou
: tu comptes venir à la crémaillère de Stella et Pat ?»
« moi
: oui et toi ? »
« Rachou
: idem »
«
moi : on y va ensemble ? »
« Rachou
: ok, je viens te prendre pour 20h »
« moi
: non 19h. Bon, je retourne au boulot »
C'est
comme ça entre nous. On se prend la tête et la minute d’après on se parle comme
si de rien n’était.
Après
lui avoir répondu, je dépose mon téléphone dans le tiroir qui se trouve à ma
portée et me jette âme et corps dans mes dossiers sans m’arrêter jusqu'à seize
heures trente, histoire d'avoir le temps d’aller prendre le cadeau de Stella et
Patrick.
Je
décide d'aller au BHV leur prendre du linge de maison, des ustensiles de
cuisine et une fois fait, je rentre assez vite à la maison pour enlever mes
talons et mettre une paire de ballerines. Je suis beaucoup plus à l’aise et le
rendu assez strict de ma tenue est atténuée. Je garde tout de même mon petit
carré noué au cou pour me protéger d’un éventuel coup de froid.
On
a beau être en juin, les nuits sont malheureusement encore fraîches.
Un
tour devant le miroir et je suis plutôt satisfaite du résultat.
Contente
du reflet que me renvoie le miroir et dans les temps, je patiente durant la
demi-heure qu'il me reste en emballant les cadeaux que j’ai achetés pour le
couple.
Quarante
minutes plus tard, Rachel n’est toujours pas là, et je commence déjà à
m’impatienter. J’ai horreur d’arriver en retard. J’assimile cela à un manque de
respect et j'irai même plus loin ; pour moi c’est comme dire à l’hôte « je ne
te considère tellement pas que je me moque de ton programme ». C’est un comportement
déplacé que je ne tolère absolument pas et ça, Rachel le sait mais on dirait
qu’elle a décidé de me faire sortir de mes gonds aujourd’hui.
La
colère que je ressens est à son paroxysme lorsque je reçois à vingt et une
heures le message de Rachel me disant qu’elle se trouve en bas de mon immeuble.
Je récupère mes affaires ainsi que les cadeaux dans un état de furie sans nom
et sors de l’appartement pour arriver devant son coffre, où je place tous les
cadeaux sans lui accorder le moindre regard, même pas pour répondre à sa
salutation.
« —
Ça va arrêter de faire ta fâchée, ce n’est qu’une pendaison de crémaillère, ce
n’est pas une soirée avec le président de la République.
—
….
—
Ok, je vois. Bon, je vais mettre de la musique pour meubler ce silence hein !»
Le
regard tourné vers la vitre passager, j'attends simplement qu'elle démarre sa
voiture. Elle sait pertinemment que j’ai horreur des gens qui arrivent en
retard. Si je n’avais pas les paquets cadeaux et si ma voiture n’était pas chez
le garagiste, je serais partie toute seule.
« —
Défroisse ton visage, on est arrivée. elle dit en coupant le contact quarante-cinq
minutes plus tard. »
Je
sors de la voiture, toujours remontée contre elle et vais récupérer les cadeaux
dans le coffre avant de rentrer dans l’immeuble.
« —
Tu leur as pris quoi ? me demande Rachel dans l’ascenseur.
—
Du linge de maison et des ustensiles de cuisine et toi ?
—
Un pilon et un mortier que j’avais pris le soin d’acheter lors de mon dernier
séjour au Sénégal, ainsi que des aliments du pays.
—
C’est n’importe quoi. je dis en bousculant ma tête. »
*****
« —
Ça va ? me demande Stella, tu veux une autre bière ?
—
Non merci, je me gère avec celle-là. je lui répond en souriant.
—
Okay. Fais-moi signe si tu as besoin de quoi que ce soit. »
Je lui réponds en souriant puis la regarde s'éloigner
de nous, son plateau de boissons en main.
« —
Pat, mais ta femme là, elle n’a pas une petite sœur dans le même style qu’elle
? lui demande Christopher.
—
Non malheureusement pour toi et heureusement pour moi ! Elle est fille unique,
il n'y a pas de copie, je suis le seul à posséder la version originale ! répond
Pat fièrement.
—
Et merde !
—
Quoi ? Tu cherches à te caser maintenant ?
—
Il est temps surtout. Je ne rajeunis pas avec l’âge, je vais sur mes trente et
un ans là, je dois penser à me construire, fonder une famille. Les conneries du
genre quoi !
—
Les conneries du genre ? répète Pat.
—
Gars tu m'as compris. reprend Christopher en buvant un gorgée de bière au
goulot.
—
Et parmi tes nombreuses ex, tu n’as trouvé personne avec qui te construire ?
—
Mes quoi ? Toi aussi, tu n’es pas sérieux ! C’est pas avec le genre de go que
je me tapais que je vais fonder un foyer quand même. J’ai besoin d’une bonne
africaine qui me prépare de bon petit plat de chez nous et qui me traitera
comme ma mère traite mon père. »
Jusqu'ici, je suivais la discussion entre Christopher
et Pat d'une oreille abstraitement, sans trop la commenter, mais là, avec sa
dernière réplique, je me sans obligé de lui demander sur un ton un peu taquin:
« —
Et toi tu la traiteras comment ? comme ton père traite ta mère ?
—
Va te faire foutre ! »
Tout
en me calant de nouveau sur mon siège, je souris en secouant la tête, les
images des nombreuses incartades de son père, le grand T, remontant à la
surface. Tonton T, pour Tsotseur et non Théodor - qui est son prénom - en a
fait des frasques. Un sacré numéro. Il a réussi à se faire la quasi-totalité
des femmes qui habitaient son quartier, mais également celles des quartiers
voisins. Ça n'a pas été son plus grand exploit. Non. Le plus grand a été de
faire rentrer dans leur maison, sa jeune maîtresse enceinte, en la faisant
passer pour sa nièce et cela jusqu'au quatre mois de l'enfant. Cette histoire a
fait tellement de bruit, que tout le monde a fini par connaître le nom de
tonton T, puis les femmes trompées en sont venues à en faire une insulte:
« elle s'est faite Théodoriser ».
« —
J'ai posé une simple question ! je dis en levant les mains innocemment. C’est
bien beau de demander le meilleur d’une personne mais encore faut-il être prêt
à lui donner le meilleur de soit en retour.
—
Jedden n’a pas tort. rebondit Pat. En tout cas, sache que ce soir, il y aura
des amies à Stella qui pourraient te correspondre.
—
Ah ça c’est une bonne nouvelle. Mais j’espère qu’elles seront aussi belles que
celles qui viennent d’arriver. Jedden mate à trois heures, la fille en jupe. »
Je suis son regard pour tomber sur une jeune femme
plutôt belle, qui obtiendrait facilement un 8,5/10. J'aurais pu monter jusqu'à
9,5/10 mais ses ballerines viennent de lui faire perdre un point.
« — C’est vrai qu’elle n’est pas mal. je dis en la suivant du
regard.
—
Pas mal, seulement ! s'exclame Pat. C'est un avion d’chasse ! Je la marierais
sur le champ si je pouvais.
— C’est toi Christ qui parle ou c’est ta
queue ?
—
Les deux, man. Sur ce coup-là, on est en total symbiose.
—
Gars laisse tomber. lance Pat. Je te fais déjà gagner du temps : tu n’as
aucune chance avec cette fille. C’est une bounty. Noire à l’extérieur, blanche
à l’intérieur. Si tu n’es pas blanc, tu n’as aucune chance avec elle. Elle est
plus blanche que la vraie blanche.
—
C’est pas vrai ! soupire Christ dépité. Un joli morceau comme ça ? Je me
contenterai de la mettre seulement dans mon lit alors. »
Pat recrache littéralement son verre, puis se met à
rire à gorge déployé pendant une bonne minute.
« —
Mettre Abi dans ton lit ? Si tu y arrives, je t’offre cent bouteilles de Jack.
— Tu doutes de moi ?
— Mec, à toute chose, il y a une exception. Abi est une exception. Elle est une
exception pour le pseudo tombeur que tu es ! Hermétique à tout ce qui est noir,
je peux t'assurer que si hercule avait été noir et qu’essayer de coucher avec
Abigail Mfoukama aurait été l’intitulé d’un des 12 travaux il aurait échoué !
—
C’est parce qu’elle n’est pas encore tombée sur « Mista Lova Lova ». balance
Christ en se levant. »
Il
réajuste le col de sa chemise, passe deux doigts sur ses sourcils puis une main
sur son bouc fraîchement taillé et déclare :
« —
Je vais te montrer comment ça se passe. Regarde-moi faire et prends-en de la
graine petit.»
La
minute d'après, il se dirige vers la dénommé Abigail, ce qui déclenche de
nouveau l'hilarité de Pat.
« —
Le record pour discuter avec elle est de quatre minutes et vingt et une
secondes, voyons voir en combien de temps il va se faire rembarrer. dit Pat en
sortant son téléphone pour chronométrer Christ.
—
Tu es sérieux ?
—
Jedden, je te jure que cette fille est un cas d’étude à elle seule. Tu me
comprendras mieux quand tu l’entendras parler. Pour l’instant laisse-moi le
chronométrer. »
Je
regarde la scène en imaginant le baratin que Christ est en train de sortir. Je
ne vois pas vraiment le visage de la jeune femme mais je sais que ça marche. Ça
marche toujours. Christ est comme son père et …
« —
Quatre minutes quarante-trois secondes. Nouveau record ! crie Pat en voyant
Christ revenir vers nous.
—
T’es grave ! Il a peut-être réussi à avoir son numéro de téléphone.
—
Impossible ! …. Alors ? il demande à Christ.
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