Chapitre III
Ecrit par Tiya_Mfoukama
Chapitre III
Bon, je suppose que le début de leur idylle vient de commencer. Je la sais très incisive et son histoire de fatigue à 22h30 je n’y crois absolument pas.
Je pousse un soupir en balayant du regard la table qu’elle n’a même pas pris le temps de débarrasser et commence à empiler les assiettes et les plats vides avant d’aller vers la cuisine. A mon deuxième aller-retour, je remarque aux pieds de la chaise où se trouvait Shomari, un portefeuille noir. Je le récupère et vérifie l’identité du propriétaire: c’est sans surprise Shomari.
Manquait plus que ça.
Après avoir embaumé ma maison de son parfum, troublé mon regard avec son sourire ravageur, voilà qu’il laisse une trace qui m’assurera à coup sur son retour chez moi. A moins que je le donne à sa nouvelle copine.
Fait chier.
Je vais aller me coltiner la vaisselle, prendre une douche puis me glisser dans le lit, ça vaut mieux pour moi.
Le lendemain, je rejoins difficilement les bancs de l’église et constate avec étonnement que Kala est présente.
-Pourquoi t’es en retard ? Me demande-t-elle pendant que la chorale entonne un cantique religieux
-J’ai eu du mal à me lever. Et toi, qu’est-ce que tu fais là?
-Ah mais c’est quoi cette question bête, je fais quoi à l’église un dimanche matin ?
-Non, mais t’étais sensée être avec Shomari non ?
-C’est ce que je t’ai dit ? Moi je suis partie dormir pour moi. Lance-t-elle agacée avant de se concentrer sur le chant
Je ne la crois pas une minute. Lorsqu’elle a quitté la maison, elle avait ce petit regard malicieux qu’elle arbore toujours lorsqu’elle est sur le point de satisfaire un de ses désirs.
Il a dû se passer quelque chose qu’elle n’a visiblement pas envie de me dire et je le respecte.
De toute façon, je ne suis pas sûre d’être en mesure d’entendre tout ce qu’elle me dira sur eux.
Je reporte à mon tour mon attention sur la chorale et chante le cantique dans mon coeur.
-Le repas est chez qui aujourd’hui ? Me demande Kala lorsque nous sortons de l’église
-Maman Delphine, mais je ne vais pas y aller, je ne me sens pas bien.
-Ohhhh donc tu vas me laisser y aller toute seule ?
-Je te dis que je me sens pas bien !
-Mais tu iras te reposer là-bas, on dirait que les lits manquent chez elle. Allons-y
Je m’arrête et la regarde monter dans sa voiture.
Un jour j’aurai assez de cran pour l’envoyer se faire foutre…. mais ce jour n’est pas encore arrivé.
Je finis par monter et c’est légèrement contrariée que je la laisse nous conduire en silence vers la maison de maman Delphine.
C’est l’une des deux soeurs de ma mère. Pour être plus précise, c’est la cadette, celle qui vient avant ma mère. Je n’aime pas aller chez elle, même si ça n’a pas toujours été le cas.
Quand j’étais plus jeune, j’allais souvent chez elle pour les vacances avec Kala et d’autres cousins. A l’époque maman Delphine n’avait pas d’enfants et se faisait un plaisir de nous accueillir pour remplir sa grande maison de rire, de cris d’enfants et ainsi combler le lourd silence qui y régnait en temps normal. Tous les enfants adoraient aller chez elle, parce que son mari et elle nous traitaient comme des rois et des reines. Tout se passait plutôt bien jusqu’à ce que mes premières formes apparaissent de façon précoce à l’âge de 9ans. C’est à cette époque que je me suis plus renfermée. Je n’aimais pas la façon dont on me regardait, et surtout la façon dont les hommes en général - et le mari de ma tante, en particulier - me regardaient. Leurs regards sur moi avaient changé, ils étaient devenus lubriques et me faisaient froid dans le dos. C’est à cette période que j’ai commencé à coller Kala. Je passais tout mon temps à la suivre comme son ombre afin de ne jamais être seule.
Mais un soir, alors que nous passions les vacances chez ma tante et que nous venions de changer de lit pour permettre à mes cousins nombreux, venus également, de dormir ensemble, je me suis retrouvée dans la chambre solo -celle qui avait un lit pour une personne. C’était un privilège de pouvoir dormir dedans et j’en aurais sûrement eu un bon souvenir si ce soir là, le mari de ma tante n’avait pas pénétré dans la chambre et ne s’était pas glissé dans mon lit. “ça va yaya” m’avait-il demandé en posant une main sur ma hanche. Je savais que si je restais silencieuse comme j’avais l’habitude de le faire, j’allais vivre le pire moment de ma vie, et celui-ci me marquerait à jamais. Je me suis donc mise à hurler de toutes mes forces et ma tante a déboulé dans la chambre.
“Je venais juste voir si elle dormait bien” avait-il dit lorsque j’avais expliqué à ma tante ce qui s’était passé. Elle a préféré le croire et a commencé à me maltraiter. Quand ma mère a été informée, elle est immédiatement venue me chercher. Elle m’a crue, mais pour garder les liens de famille soudés, m’a demandé de garder le silence, et ne m’a plus envoyé chez sa soeur. Plus personne n’a reparlé de cette histoire mais je n’ai pas tiré un trait sur elle et même si aujourd’hui j’ai grandi, je me sens toujours mal à l’aise lorsque je vais chez eux.
Kala le sait, et c’est ce qui m’énerve
-On ne reste pas longtemps, je dois voir Dany. Dans une heure on prend le chemin du retour
-...
Vaut mieux pas que je réponde.
Lorsque nous arrivons chez ma tante, comme à mon habitude, je salue tout le monde d’un vague geste de la main et vais m’asseoir dans un coin du salon. Mais ce n’est pas assez pour échapper aux bavardages de cette femme de petite taille au visage semblable au mien, qui se dirige droit vers moi une main sur la hanche
-Mayé tu as trouvé tes petits frères et soeurs dans cette maison pour saluer tout le monde d’un geste de la main
-Maman….
-Maman quoi? Je n’aime pas ça, lève-toi, tu vas saluer les gens et tu entres en cuisine aider. C’est quoi ces manières ? C’est pour qu’on vienne dire que je t’ai mal élevé !
Est-ce que j’ai le choix ? Pas vraiment à moins que je rêve de me faire laver verbalement par ma mère devant tout le monde !
Je prends sur moi pour saluer les personnes se trouvant dans le salon - et remercie le seigneur de ne pas trouver le mari de ma tante - puis je vais en cuisine et me mets à préparer les brochettes
Une heure elle avait dit non ? En voilà trois que je suis aux fourneaux
-Tu as mangé ? Me demande ma mère en entrant de la cuisine alors que je fais la vaisselle
-Non
-Mais tu attends quoi? Laisse la vaisselle là, bientôt il n’y aura plus rien
J’ai un sourire désabusé en l’entendant. Elle peut me rabrouer un minute et l’autre s’inquiéter pour moi avec une douceur maternelle qui m’attendrit et que je bénis de pouvoir encore jouir à mon âge
-Je vais me faire un “emporter, je vais pas tarder à rentrer
-Tu vas rentrer comment ?
-Kala va me déposer, d’ailleurs tu peux lui demander de venir ?
-Mais Kala est partie depuis un moment. M’informe-t-elle étonnée
-Quoi ?
Non, elle ne m’a pas fait ça ?
Faut croire que si.
Après avoir fait un tour dans le salon, je ne l’ai pas trouvé et j’ai eu confirmation par une autre de mes cousines qu’elle était bel et bien partie. Son mec l’a appelé semble-t-il.
Pourquoi je suis encore surprise, ce n’est pas comme si c’était la première fois.
Je laisse un sourire amer éclairer mon visage alors que je salue quelques membres de ma famille, dont maman Delphine qui me lance un regard noir en me voyant, puis je pars prendre un taxi.
C’était la dernière fois que je me faisais avoir par Kala.
*** Trois semaines plus tard ***
-Tu ne veux pas y aller ?
-Non Kala ça ne me dit rien, mais pourquoi t’y vas pas avec Shomari ?
-Tu me parles de lui pourquoi ? Si je te demande à toi c’est parce que tu es ma cousine et que j’ai envie de t’avoir à mes côtés
-C’est ça …
-Tchiiip, t’es vraiment une go ennui, il faut commencer à changer si tu ne veux pas finir vieille fille
-Merci pour le conseil mais ça ne change rien, je ne viens pas
-Tsss, bon reste là avec tes gâteaux ! Lance-t-elle avant de claquer ma porte d’entrée
Je me félicite ! En temps normal, j’aurais suivi Kala après qu’elle m’ait supplié de venir avec elle mais aujourd’hui, j’ai tenu bon. Je ne digère toujours pas le fait qu’elle m’ait laissée pour aller retrouver son mec, avec qui ça n’a pas l’air d’aller.
A plusieurs reprises, j’ai essayé de lui parler du portefeuille de Shomari - que j’avais complètement oublié, jusqu’à ce que je tombe dessus il y a trois jours- mais dès que je prononce son prénom, elle devient irritable. J’ai dû passer par ya Taliane. D’ailleurs, je vais devoir passer chez elle pour le lui remettre.
Je le ferai demain, pour l’heure, je vais me prélasser devant un vieux film et une bonne part de gâteaux au chocolat que j’ai préparé la veille.
“TOC, TOC, TOC”
Roh, je parie qu’elle revient pour m’inciter à la suivre !
-Je ne viens …. pas.
-Salut ! Tu ne viens pas où ?
-euh, euh, désolée, je pensais que c’était… Qu’est-ce que tu fais là?
-Il semblerait que ce soit toi qui es en possession de mon portefeuille
Oui, mais je pensais aller chez ya Taliane pour le lui remettre et ainsi tu le récupérerais là-bas. Ça m’évitait de te voir et d’empirer la torture mentale que je subis actuellement.
-Mayéla ?
-oh...oui, oui. Je l’ai. Entre
Je m’éloigne de la porte pour faire entrer Shomari et manque de défaillir en humant son parfum qui se répand rapidement dans la pièce avec plus de force que lors de sa première venue. Tout sur lui semble frais, de ses vêtements, à son odeur. Il doit certainement sortir de la douche pour qu’il soit aussi intense.
Je l’ installe dans le salon, l’invite à s’asseoir, ce qu’il refuse, et je pars chercher son portefeuille.
Je le lui remet puis comme à mon habitude, je ne sais pas quoi dire, encore moins soutenir son regard intense qu’il pose sur moi, alors je baisse les yeux et ai regardé mes orteils.
Tiens il faudrait peut-être que je pense à me faire une pédicure, mon vernis commence à s’écailler
-Je suis bien content de l’avoir retrouvé. J’avais déjà entrepris des démarches pour refaire mes papiers qui sont à l’intérieur. Dit-il en montrant son portefeuille. Tu sais comment l’administration congolaise fonctionne
Mon dieu, c’est vrai. J’avais complètement oublié qu’il y avait ses papiers à l’intérieur. En cette période préélectorale, et leur histoire de “mbata ya bakolo”* il n’est pas bon de marcher dans les rues de brazzaville sans ses papiers
-Je suis désolée. Je voulais te le remettre dès que je l’ai trouvé mais ça m’est sorti de la tête. J’allais le remettre demain à ya Taliane. Je peux te rembourser le montant des dépenses déjà engagé. Dis-je en allant vers ma chambre dans le but de récupérer mon chéquier…
-Hey c’est bon, t’inquiète pas, je suis le premier à avoir la tête en l’air, je vais pas t’en tenir rigueur. La prochaine fois, je ferai plus attention à mes affaires ça m’apprendra tout simplement.
-D’accord, d’accord
Un blanc s’installe de nouveau, et ce n’est pas sur moi que l’on peut compter pour le rompre.
-Bon, je vais te laisser retourner à ton sport. Lance-t-il avec un léger sourire en coin
-Mon sport ?
Je suis son regard qui examine ma tenue de la tête aux pieds et étouffe un cri avant de croiser les bras sur mon corps.
Punaise, je suis en brassière et boxer ! J’avais complètement oublié !
Quand je passe une journée devant la télé, j’aime être à l’aise, et étant donné que je vis seule, je vois pas l’utilité de me gêner…
Je cours en direction de ma chambre et enfile rapidement un t-shirt et un pantalon. Pfff, il a vu mes grosses cuisses et mon ventre pas si plat que ça. Je comprends mieux pourquoi il avait se sourire en coin. Il devait repenser au corps svelte de Kala et se demander si on était vraiment de la même famille vu ma quantité de graisses. Ça me saoule qu’il ait pu me voir…
Dépitée, je retourne au salon, où je le retrouve comme je l’ai laissé
-Je m’excuse, pour m’être présentée à toi vêtue, d’une tenue aussi indécente. Ce n’est pas dans mes habitudes
-T’inquiète pas, c’était agréable à regarder
-Pardon ?
-j’ai dit qu’il n’y avait pas de mal. Puis je ne me suis pas annoncé
J’aurai juré qu’il venait de dire que c’était agréable à regarder. Mais qu’est-ce qui serait agréable à regarder ? Mon bidon de bouda?
Non mais n’importe quoi moi ! Faut que j’arrête de prendre mes rêves pour la réalité
-Okay. Encore une fois, je te présente mes excuses pour avoir gardé ton portefeuille. Si e peux faire quelque chose pour me faire pardonner de la gêne que j’ai occasionnée… n’hésite surtout pas à me dire....
-Un gâteau et on oublie tout
-….Euh.. et bien… enfin… j’ai
-Je plaisante.
-Oh, ok… J’avais fait un gâteau au chocolat. Je pouvais t’en couper une part
-Tout compte fait, ce n’était pas une plaisanterie. Lance-t-il en riant
Son rire étant communicatif, sans m’en rendre compte, je le rejoins et me détends légèrement
-Je vais t’en couper une part
Je m’efface de la porte d’entrée et le précède dans le petit couloir. À ma grande surprise, il entre dans le salon et s’installe autour de la table à manger.
Ah.
Je pensais qu’il voulait simplement prendre une part de gâteau, et non la manger sur place.
Bon, autant profiter de sa présence
Je vais dans la cuisine, et prends deux assiettes que j’empile et sur lesquels je dépose deux verres puis prends le tout dans une main, et récupère le gâteau dans l’autre main avant de retourner au salon.
Des cascades acrobatiques comme celle-ci, qui risquent de finir en catastrophe, j’en fais pas tous les jours et connaissant ma maladresse légendaire. Je me demande pourquoi je m’amuse à tenter le diable et surtout aujourd’hui. A croire que mon subconscient veut saboter ce moment.
Étrangement, je ne casse rien sur mon trajet et pose même avec délicatesse tout ce que j’ai amené
-Ça va, t’es plutôt agile. Lance Shomari en me regardant faire
Ah. Ah ! Si tu savais…
Je me contente de sourire - c’est décidément tout ce que je sais faire quand il est là - et prendre place en face de lui. Je nous coupe une part de gâteau chacun et lui propose une des boissons posées sur la table
-J’ai aussi des boissons fraîches dans le frigo si tu veux. Moi je n’aime pas trop, parce que ça me fait mal aux dents…
Mais qu’est-ce qu’il en a à foutre de ce que ça peut faire à mes dents ?
-A oui ? Moi c’est tout le contraire, j’aime sentir quand le froid rentre en contact avec mes dents. J’ai les dents bien solides, d’ailleurs,je mange souvent des glaçons. Mais on va faire une exception aujourd’hui
-Mais non ! J’ai euh…. du jus de mangue, euh… du…
-C’est bon, celui qui est à la papaye devant moi, conviendra parfaitement ! Dit-il en prenant la bouteille de jus.
Je pensais qu’il allait s’en suivre un silence de plomb mais non, on s’est mis à discuter. Enfin il a commencé à parler, je l’ai longtemps écouté - mais surtout regardé - puis j’ai réussi par je ne sais quel miracle à rebondir sur une de ses anecdotes. Et c’est ainsi qu’une heure après son arrivée, on est toujours en train de parler
-Oh là ! Il manque que ça. Fait-il en indiquant une petite quantité avec son pouce et son index. Et tu dètrônes ma mère
-Ah ce point ?
-Je t’assure et il faut prendre ça pour LE compliment suprême, parce qu’il en faut beaucoup pour la détrôner. Ma mère est un chef étoilé méconnu du grand public
-Hummm permets moi d’en douter. Je trouve que c’est pas très objectif
-C’est en toute impartialité que je te dis ça et tu peux demander à toute ma classe de seconde, ils attesteront de la véracité de mes propos
-Ta classe de seconde ?! Répété-je en riant
-Ouaip….Gui-Gui, mon meilleur ami depuis l’enfance, et moi-même avons risqué nos jeunes vies pour leur faire goûter la nourriture de ma mère. C’était pendant la période des fêtes de fin d’année. Elle avait organisé une réception, et s’était préparée en conséquence: Réveil à 4h, tour au marché pour avoir les premiers produits frais et tout ce qui va avec. A midi il fallait voir la quantité de nourriture qu’il y avait, c’était dingue, on aurait dit qu’elle voulait nourir un régimen. De retour pour le déjeuner, Gui-Gui et moi nous sommes introduits discrètement dans la cuisine, lorsqu’elle est partie envoyer la bonne acheter des produits manquants, puis avons embarqué un mix de tout ce qu’elle avait fait avant qu’elle ne revienne. Mais on avait pas été assez rapide. Dit-il d’un ton faussement triste. J’ai jamais décampé aussi vite de la maison. On a enfourché nos vélos comme s’il s’agissait de motos et on a taillé la route
Hein? C’est pas vrai !
Je ne m’attendais tellement pas à cette chute que je me mets à rire sans retenue !
-Arrête, je suis sûre que tu me fais marcher !
-Non, je t’assure que c’est vrai. J’ai fui la maison tout le week-end et la semaine qui a suivi, sous recommandation de mon père “ fils, tu n’aimes pas ta vie, reste chez Guislain jusqu’à la fin de la semaine. Je vais faire en sorte qu’elle ne te tue pas à ton retour”. Mime-t-il avec une voix qui se veut grave
-Quoi, hihi ! Pour quelques plats ?
-Hey, hey ce n’était pas n’importe quels plats. Ils avaient été préparés par ma mère, ils avaient le goût de l’ambroisie, le nectar des Dieux !
-Pffff hihihi
Je ris de plus belle en voyant la tête qu’il prend quand il en parle.
-Ça valait amplement les cinq minutes que nous avions passées à pédaler comme des fous de peur qu’elle nous rattrape, même si c’était impossible. Je me suis senti comme un braqueur qui venait de réussir le casse du ciel. En plus on était tellement cons à l’époque, qu’on avait mis des petites bouteilles d’eau en plastique entre les chaînes de nos vélos, ce qui reproduisait le vrombissements des motos et nous donnait l’impression d’être sur des vraies motos
C’est plus que je ne peux supporter, pensé-je en éclatant de rire de plus belle ! Mes côtes implorent le silence afin que j’arrête de rire mais c’est impossible. Je l’imagine sur son vélo en train de pédaler, un sourire de pritate victorieux aux lèvres malgré le vent qui fouette son visage… Et j’arrive à entendre le bruit ridicule des vrombissements, permis grâce à la bouteille d’eau.
Je repars pour un autre fou-rire
-Roh, je te pensais pas aussi moqueuse…
-Non. Ai-je répondu en essuyant de mon index les larmes qui venaient de s’échapper. Snif, je ne le suis pas..hihi...snif… Pardon, je ne suis pas moqueuse, c’est de vous imaginer ton ami et toi sur vos vélo-moto ya guangzhou* qui me fait rire
Je me stoppe net quand les mots que je viens de dire font écho dans ma tête
Oh mon dieu ! J’ai pas dit ça, seigneur ne me dis pas que j’ai dit ça…
Qu’est-ce qui vient de me prendre là. A coup sûr, il va mal le prendre, se lever et partir sans demander son reste. Mais pourquoi il faut toujours que je foire tout ?
Je baisse la tête, honteuse et m’apprête à me confondre en excuse quand j’entends son rire, sonore et gaie. Je lève la tête pour le regarder jeter la sienne en arrière, me permettant de voir un large sourire sur les lèvres qui dévoile une magnifique dentition. Il semble très loin d’une personne qui a mal pris mes propos. Je l’écoute rire, sans le rejoindre savourant le son rauque faisant écho dans la pièce.
Il hoquette pendant de longues secondes, puis pose une main sur sa poitrine, comme pour se calmer
-Ah on me l’avait jamais faite, celle-là. Pas mal, pas mal
-... Désolée…
-Parce qu’on avait des vélo-moto ya guangzhou ? Lance-t-il avant de recommencer à rire.
Son rire est vraiment communicatif pensé-je quand je finis par rire avec lui quelques secondes avant que mon regard ne se pose sur Kala, debout devant l’entrée du salon un sac MK, porté au pli du coude.
Elle porte une magnifique robe verte à manche courte, qui lui arrive aux les genoux, sur une paire de sandales à talons marrons foncés. Et ses cheveux soigneusement tirés dans un chignon lâche, affinent encore plus les traits de son visage parfaitement maquillé.
Le tout lui donne une allure assez élégante sans trop en faire.
Ça n’en a pas l’air comme ça mais, elle a longtemps réfléchi avant d’opter pour cette tenue. Je n’étais pas avec elle lorsqu’elle l’a choisie mais, je le sais. C’est ce qu’elle fait. Tout le temps. Elle ne se permet aucun “écart” vestimentaire “ Tu ne sais pas qui tu peux rencontrer dans la rue, même en allant chez le boutiquier, il faut toujours être soigné”. Me dit-elle constamment.
En la voyant, j’ai le réflexe de tirer sur mon t-shirt en coton gris, qui me paraissait adapté lorsque je l’ai mis et qui fait tâche maintenant. Ou c’est moi qui fait tâche.
Elle s’avance lentement vers nous et ce n’est que lorsqu’elle se trouve en face de Shomari, que je remarque son sourire contrarié. Celui qu’elle offre lorsqu’elle n’est pas contente
-Salut.
-Bonsoir Mayé…. Ari ? Je suis surprise de te trouver ici. Je pensais que tu devais sortir boire un verre avec un de tes amis ? Dit-elle à l’attention d’Ari
-Humm humm
Mince, elle plisse légèrement les yeux, comme pour observer les moindres réactions de son visage. Comme si elle pensait qu’il allait lui raconter un mensonge.
Je sens qu’elle va lui poser plus d’une question, est à juste titre, ils sont ensemble, alors je décide de discrètement m’éclipser dans la cuisine, en emportant les assiettes vides de Shomari et moi même.
Je vais faire la vaisselle en attendant
*****
Mais elle ne lâche rien celle là ! C’est pas possible ?
Je passais étonnamment un bon moment avec Mayélà, à discuter de tout et de rien et ça me titille un peu qu’elle soit venue l’interrompre.
Ce n’est pas tout le temps que je vois, cette version de Mayéla. Celle où elle est détendue, souriante et surtout bavarde. D’accord, ce n’était pas non plus le bavardage d’une charlataña mais comparé à toutes les fois précédentes où je n’entendais que quelques bouts de phrases, c’était énorme.
J’ai aimé notre échange où j’ai pu enfin entendre le son de sa voix, fluet et doux, sans les tremblements et les bégaiements. Et je ne pensais rester; je devais récupérer mon portefeuille, puis retourner chez moi et végéter devant un programme abrutissant mais je n’ai pas regretté mon changement de programme… Jusqu’à maintenant. Jusqu’à ce qu’elle apparaisse
Ça va faire une semaine que je l’ignore intentionnellement. Celle-là, j’en veux plus comme NPQR, ni même comme mougou pan. C’est le genre de pétasse aussi dangereuse qu’un paludisme cérébral, qu’il faut éviter comme la peste. En temps normal, mon radar flair ce genre de spécimen à 5km à la ronde, mais cette fois, il a été brouillé, sûrement à cause de Mayéla. Je pouvais pas imaginer qu’une fille comme elle marcherait avec ce genre là.
Elle a vraiment cru qu’elle réussirait à me prendre pour sa nouvelle banque.
Je rigole intérieurement en me rappelant nos trois rendez-vous qui ont succédé notre nuit foireuse.
Après m’avoir annoncé qu’elle avait ses choses de femmes, j’ai pris sur moi malgré la “ pression” pour rester le plus courtois possible. Je voulais la raccompagner chez elle est enchaîner les longues minutes sous un jet glacial, mais, elle a tenu à dormir à la maison prétextant qu’il se faisait tard pour qu’elle rentre.
Un rire de gorge m’a échappé. On ne se connaissait pas, c’était la première fois qu’on se voyait, elle venait de me chauffer pour me laisser, coagulé et voulait quand même rester.
La meilleure partie a été le moment où elle m’a proposé de lui faire visiter la maison, “ pour faire passer le temps” avant de regarder des films.
J’ai pas voulu être grossier et lui ai simplement rappelé qu’elle avait ses choses et que je ne disposais de rien pour l’arranger. Elle a paru déçue et irritée quand je l’ai raccompagnée.
Malgré toutes ses péripéties, je l’ai rappelée le lendemain, afin de ne pas passer pour un connard frustré qui ne pense qu’à baiser -même si la veille c’était le cas. On s’est même donnés rendez-vous pour prendre un verre, et c’est à partir de ce rendez-vous que mon radar, c’est lentement mais sûrement remis en route.
En trois rendez-vous, dont le dernier de 10 min, j’ai découvert que la Kala rencontrée au supermarché qui me semblait juste ouverte d’esprit était en réalité une tchoukoumeuse. Une de ces filles dont l’ambition première est d’attraper un homme, un papa a pesa a tala té, disposant de ressources suffisantes pour satisfaire leurs désirs moyennant une prestation en nature. Une sorte de prostitution nouvelle génération que certains qualifie de nouvelle forme d’amour.
Ces filles m’horripilent à un point inimaginable, parce que beaucoup d’entre elles se font passer pour des modèles de vertu, ce qui est le cas de Kala, alors qu’en réalité, elles ne sont pas mieux que les prostituées. Et encore, je trouve les prostituées plus respectables, au moins elles assument clairement ce qu’elles sont.
Je ne juge pas, chacun fait son argent comme il peut, le pays est dur, ses réalités le sont encore plus mais, seigneur ….. préserve ma queue des tchoukoumeuses.
En tant normal, elles ont de multiples clients, pardon, amants, et je pensais qu’après l’avoir autant négligé Kala comprendrait qu’elle ne m’aurait pas dans ses filets, mais il semble que non, elle ne lâche pas.
-Humm, humm ? Ce n’est pas une réponse.
-Je suis venu récupérer mon portefeuille et j’ai mangé une part de gâteau offert par Mayéla. Dis-je simplement
-Tu as récupéré ton portefeuille? Où ça ? Ici ?
-Oui, je l’avais oublié, le soir où on a dîné ici.
Elle fronce des sourcils, l’air énervé puis tourne sa tête en direction de la porte, comme si elle voulait appeler quelqu’un, sûrement Mayéla, avant de se rétracter et reporter son attention sur moi.
-D’accord… Mais du coup tu es disponible là, on peut aller boire un verre ?
-Euh… Non, non, je ne suis pas dispo, je vais pas tarder à le rejoindre
-Dans ce cas, je t’accompagne. Balance-t-elle enjouée
Elle fait exprès de ne pas comprendre ?
Je cogite rapidement pour trouver une formule assez sympa qui voudrait dire “ C’était marrant mais les tchoukoumeuses, c’est pas pour moi ” quand Mayéla revient dans le salon et qu’une idée de génie me traverse l’esprit
-Oui, pourquoi pas, mais on va attendre Mayéla. Tu peux être prête dans combien de temps ? Demandé-je à l’attention de Mayéla
Elle se retourne en posant sur moi de gros yeux ronds, pleins d’interrogations.
-Quoi ? Je...Je...de-de quoi, tu pa-parles ?
_____
*Mbata ya bakolo= la claque/ gifle des aînés
*Guangzhou = canton de chine, mais utilisé pour parler des “chinoiseries”
*Mougou pan= relation sans lendemain
*Tchoukoumeuse= fille qui fait la vie
*Papa a pesa a tala té= papa donne, il ne regarde pas. Ce sont des hommes qui dépensent sans compter