chapitre III

Ecrit par EdnaYamba

Chapitre 3

Victoria LECKA

Les notifications sur mon écran de veille affichent cinq messages non lus que je n’ose pas encore ouvrir. Je sais que ces messages viennent de lui, mais je ne me sens pas prête à être à sa merci.

Je repose le téléphone sur mon vieux lit. Anxieuse, je décide de m’occuper l’esprit en finalisant le dossier que m’a confié Harry. Il faut que je fasse mes preuves, que je lui prouve qui je suis. Il est vrai que l’ombre de ma vie fait partie de moi, mais la partie lumineuse de ma vie mérite d’être connue. J’ouvre le dossier quand j’entends deux petits coups tapés à la vieille fenêtre de notre chambre entre la symphonie des animaux nocturnes. Une petite voix chuchotée que je connais bien m’appelle

-         Vicky, vicky c’est moi !

Annabelle !

Je me sens soulagée. J’ouvre la fenêtre afin que son petit corps svelte puisse se glisser à l’intérieur de la petite pièce exiguë qui nous sert de chambre commune.

Elle dépose ses baskets dans un coin.

Maintenant que je la vois et que je sais qu’elle va bien, je peux laisser la colère m’envahir.

-         Anna !

Elle sursaute et se retourne pour me faire face. Son regard attendrissant ne suffira pas ce soir. Elle nous a mis en danger.

-         Je sais Vicky… se contente-t-elle de dire.

-         Tu ne sais rien, Anna ! Tu sais que je voulais changer de vie, je me suis toujours battue pour changer de vie.

Je crie presque. Anna est la personne la mieux placée pour le savoir. Si Ma Léontine nous a gentiment recueillies, et tout ce qu’elle pouvait nous offrir de permanent était un toit et un peu de chaleur. L’argent ? il arrivait des périodes où elle en gagnait suffisamment. Cependant, son ivrogne et irresponsable de mari dilapidait tout dans les bistrots ou avec les femmes, nous laissant affamés. Il fallait se débrouiller. Un jour nous avions passé trois jours sans électricité et sans eau et nous avions faim. Ma léontine était partie pour deuil sur la route, en Ntoum.

Affamés, nous avions dérobé quelques beignets sur le plateau de maman gâteaux, la vendeuse du quartier. Il y avait du monde, acculée, elle manquait de vigilance, nos petites mains tremblantes avaient réussi à se frayer un chemin.

La peur au ventre d’être découvertes, nous nous étions enfouies dans un coin à l’abri des regards pour savourer notre butin. C’est ce que nous pensions.

Mais Gaspard, un gamin délinquant du quartier avait tout suivi. Il s’était avancé en ricanant vers nous.

-         Pour une première, ce n’était pas mal. Mais vous auriez pu vous faire prendre.

Il avait ce regard malin et dangereux. Un enfant que la rue avait formé et éduqué. Pas méchant dans le fond mais il pouvait se montrer dangereux pour atteindre ses objectifs. L’intrépide Gaspard n’avait peur de rien, sa réputation était toute faite !

-         Finissez de manger, je vais vous apprendre deux trois astuces !

Gaspard nous avait tendu la main. Pas par bonté d’âme, non. Plutôt parce qu’il avait flairé notre potentiel. Deux gamines invisibles, rapides et affamées. Il nous avait appris à éviter les regards, à repérer les angles morts, à fondre dans la foule. En échange, il réclamait une part. Toujours.

Pendant un temps, ce pacte tacite nous avait permis de survivre. Moi, je m’étais fixé une limite. C’était temporaire. Jusqu’à ce que je trouve une autre issue. Une vie différente.

Mais pas Annabelle.

Son jeune âge l’avait rendue influençable. Elle admirait Gaspard et toutes les réussites de ces coups, le rendait héros à ses yeux.

Il aurait suffi qu’un adulte soit plus attentif, mais à part insister sur le fait qu’il fallait impérativement que je sois scolarisée comme si une menace pesait sur elle, ma Léontine ne remarquait rien de nos petites affaires externes.

A présent, je la regarde, debout dans notre chambre. Je connais cette expression qu’affiche son visage. Elle nous a mises une fois de plus dans le pétrin.

-         Qu’as-tu fait cette fois-ci ?

Elle détourne les yeux.

-          C’était rien, Vicky. Une bêtise. J’ai rendu service à un type… enfin, il m’a proposé un truc. J’ai cru que c’était simple.

-         Qu’est-ce qui est simple Anna? Le vol ? la revente ? la drogue ? QUOIIII ?

Elle n’ose pas lever les yeux vers moi. Je crains le pire.

-         Vicky, pardonne-moi ! il m’a tendu un piège…. C’est toi qu’il veut !

-         Moi ?

-         Il sait que tu es en stage dans un cabinet. J’ignore ce qu’il mijote mais il a dit que tu lui seras très utile !

Je me laisse tomber sur le lit faisant craquer le bois déjà vieilli ! la chambre me semble tout à coup glacée. Il me surveille.

-         Il est très dangereux Vicky…même Gaspard a peur de lui !

 

Harry NDONG OSSAVOU

Le cabinet s’est vidé depuis plus d’une heure. Tous sont partis. Le gardien est quelque part au rez-de-chaussée. Je relis une énième fois le dossier SOUNA qui m’a été confié par maitre Jackson après le passage de son ami ce matin dans nos locaux.

Le dossier semble être une affaire classique aux premières lectures mais l’expérience m’a assez montré qu’aucune affaire n’est jamais ni trop simple ni trop banale.

Mais ce soir, le dossier ne veut me livrer aucun de ses secrets.

Le mur en face de moi est orné de quelques portraits, celui avec ma mère et mes frères, tous restés en France, celui avec les Jackson ma deuxième famille, un portrait avec Tia le jour de notre remise de diplômes. Des moments particulièrement heureux.

Plus loin, je lis l’écriteau qu’il y a dans chacun de nos bureaux. Notre credo :

Rien n’est plus beau que de rendre justice

Pourtant, un jour il avait failli à cette mission. Un détail négligé, et tout était parti en vrille. À l’époque, j’étais encore jeune avocat, trop sûr de moi, trop pressé de briller. J’ai signé, validé, défendu sans voir qu’un homme innocent se faisait broyer par un réseau bien plus vaste. A cause moi, la justice avait été trahie !

C’est un remord que je porterai certainement toute ma vie, à moins un jour de mettre la main sur Marcus EBANG. Celui qui était passé entre les mailles du filet par sa faute.

Et ce dossier SOUNA ? j’ai le pressentiment qu’il me réserve des surprises ! Instinct ou prédilection ? je n’en sais rien !

Ce sont des soirs comme celui-ci que je me dis que la solitude n’est pas forcément la meilleure des compagnies. Avant, j’aurai appelé Tia pour m’épancher sur le sujet mais aujourd’hui bien que son mariage avec Peter n’avait pas fait souffrir notre lien, je me devais de respecter son nouveau statut.

Je peux l’entendre dans mon subconscient se moquer de moi.

Le grand Harry songerait-il enfin à se caser ?

Je ris sans bruit.

Depuis son mariage, une sorte de vide s’est installé. Un espace. Un manque que je ne sais pas combler.

Je pourrais appeler Manuela, histoire de prendre du bon temps l’un avec l’autre mais je sais que le vide ne se comblera pas.

Pour ce soir, je pourrais m’en contenter !

 

Victoria LECKA

Je ne dors pas.
Pas vraiment. J’écoute le souffle régulier d’Annabelle, roulée en boule dans le lit d’à côté. Comme si de rien n’était. Comme si elle n’avait pas amené la menace jusque dans notre chambre.
Je fixe le plafond, les mains croisées sur mon ventre.

Ses mots tournent en boucle.

C’est toi qu’il veut !

Il sait que tu es en stage dans un cabinet.

Je ne peux pas repousser l’échéance plus longtemps. J’ouvre la messagerie de mon téléphone.

Un rendez-vous !

Une heure !

Un post-critum : Tu n’as pas intérêt à te dérober !


 
JUSTICE ET AMOUR TOM...