Chapitre III

Ecrit par Tiya_Mfoukama

Chapitre III

« —C’est bon, c’est officiel ? me demande Jesse en m’indiquant la cuisine du menton.»

Je suis son mouvement pour voir Pamela enfiler une paire de gants aux mains, puis me repositionne avant de secouer négativement ma tête puis de sourire. Et nous éclatons de rires. Bien sûr que non, ce n’est et ça ne sera jamais officiel entre elle et moi. Je ne suis pas une exclusivité pour elle et elle ne l’est pas pour moi, c’est la base même de notre relation. Professionnellement parlant, j’ai de grosses responsabilités qui me prennent tout mon temps, et mon énergie. A la fin de la semaine, il ne me reste plus rien, je suis vidé de mes batteries et malgré ça, je dois encore bosser. Entre les voyages d’affaires, les horaires décalés, le boulot à la maison, la famille, je n’ai pas le temps d’entretenir une relation sérieuse et ce serait malhonnête de ma part d’essayer d’affirmer le contraire. Pam est adorable, s’occupe assez bien de moi, et est assez bonne au lit, mais ce n’est pas ma petit- amie, même si elle possède en partie tout ce qu’il faudrait pour l’être. C’est d’ailleurs ce qui m’a attiré vers elle lorsque je l’ai rencontré. Nous avons échangé pendant un long moment puis j’ai mis carte sur table avec elle, lui expliquant ce que je pouvais lui donner, ce qu’elle pouvait attendre de moi ou pas. Il semblait qu’elle était dans la même situation que moi puisqu’elle n’a vu aucun inconvénient à se conformer à la relation que je lui proposais… Mais ça, c’était avant.

« —Faudrait peut-être penser à lui dire. me fait remarquer Jesse ».

Il n’a pas tort.

« —T’as probablement raison. je dis en me passant la main sur le visage. Je le ferai bientôt. »

Faut seulement que je trouve un moment pour le faire. Que ce ne soit pas mal interprété.

« —Jesse, je te serre encore un verre sachant qu’on passe à table dans une dizaine de minutes. lui demande Pam.
—Oh non, je vais y aller. J’étais juste venu en coup de vent. Merci. Lui répond Jesse en se levant.
—Oh arrête, tu ne vas pas manger avec nous ? Tu penses que je ne sais pas préparer ?
—Bien sûr que non, ça ne m’est même pas passé à l’esprit de douter de tes capacités culinaires, mais j’ai un rendez-vous avec un client.
—Oh d’accord. Bon, je te fais une gamelle que tu emporteras avec toi. elle lui dit en se dirigeant vers la cuisine, ne lui laissant pas le temps de protester.
—N’attends pas trop longtemps. il murmure à mon intention. »

Là encore, il a raison. Je constate avec effroi qu’elle ne pense pas, mais qu’elle est persuadée que je vois la situation autrement. Cette façon de se sentir trop à l’aise, la façon qu’elle a de légèrement s’incliner devant Jesse en signe de respect, ses gestes avenants…. J’aurais dû le remarquer plus tôt.

« —On se voit plus tard bro.
—Okay.»
On se fait une rapide accolade, puis Pamela réapparaît avec un sac contenant des Tupperware, le lui donne et l’embrasse, en lui promettant de venir manger la prochaine fois. Nous nous échangeons Jesse et moi un regard entendu, suite aux propos de Pamela. Il faut vraiment que je lui parle.
« —Pam. je l’interpelle alors qu’elle veut retourner dans la cuisine.
—Je sais, tu as faim. Le repas sera prêt dans quelques minutes.
—Non, non. Je voudrais te parler et ça n’a rien à voir avec le repas. Est-ce que tu veux bien t’asseoir s’il te plait ? »
De nature, je ne suis pas une personne qui tourne autour du pot, j’aime être franc et dire les choses de façon claire pour éviter toute interprétation erronée, quitte à passer pour un rustre, que ce soit dans ma vie personnelle ou ma vie professionnelle. Mais avec elle en face de moi, je me surprends à vouloir prendre des pincettes. Ce n’est pas comme si il y avait un souci entre nous, je ne simplement peux pas être avec elle…

« —De quoi tu veux me parler ? elle me demande avec un sourire »
Le genre de sourire innocent, qui peut égailler une journée longue et éreintante. Le genre de sourire qui adoucie le cœur d’un homme…. Et qui rend mal à l’aise les imposteurs et les profiteurs. Comme moi.

« —Je sais pas trop par où commencer. je dis en prenant place sur le fauteuil en face de celui qu’elle occupe.
—Et si tu commençais par le commencement. ricane-t-elle. »
Je me fais la réflexion d’avoir manqué de vigilance, j’aurais dû faire attention. Etre attentif à ses changements pour pouvoir mettre fin plus rapidement à cette relation et ainsi éviter le moment de gêne que je suis en train de vivre. J’aurais vraiment dû faire attention au coche.
« —Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi tu prends cet air soudainement sérieux ?
—Parce que je voudrais que l’on parle clairement toi et moi. je dis les doigts pianotant sur la table basse qui nous sépare. Tu te souviens de ce que je t’ai dit lorsqu’on s’est rencontrés ?
—Oui. Et…. ? »
Dans ses yeux, je vois un petit éclat scintiller avec intensité, comme lorsqu’on espère voir une chose arriver et qu’elle finit par se produire. Si seulement elle savait….
« —Ça n’a pas changé. je dis de but en blanc. »
Sont sourire disparait de son visage, ainsi que l’éclat dans ses prunelles.
« —….
—Je voudrais pas que….
—Tu n’as pas à t’inquiéter. elle me coupe sèchement. Je sais pertinemment qu’il n’y aura pas plus qu’il y a actuellement entre nous.

Le sourire qu’elle affiche est trop étiré, sans aucune profondeur, totalement feint. Et les traits de son visage ne font que confirmer ma pensée.

« —Pam, tu es une femme extraordinaire et j’espère de tout cœur que tu trouveras l’homme qui saura voir toutes tes qualités et tous les trésors cachés par ton sourire. Je….
—Ah, ah, ah, ah, ah ! Excuse-moi Dylan, mais tu n’as vraiment pas besoin de ça. Dès le début, Tu as toujours été clair sur ce que tu attendais de moi, de notre relation, donc il n’y a aucun problème. »

Elle le dit sur un ton détaché qui pourrait laisser croire qu’elle s’en fiche royalement, mais je sens que ce n’est pas le cas.

« —Tu veux toujours manger ou… ?
—Pam…
—Ce n’est qu’une question ! Je veux pas que tu penses que je suis en train de m’imposer chez toi, alors si tu veux que je parte et avec la nourriture que j’ai préparée, je le ferai.
—Pam…
—Tu pourrais penser que j’ai fait, je ne sais quel trafic dessus.
—Pam arrête. je dis calmement en la regardant droit dans les yeux. »

Elle soutient mon regard pendant quelques secondes puis soupir et détourne la tête.
Je l’ai blessé, ce que je voulais éviter.

« —Je n’ai jamais insinué que tu cherchais à…
—Je sais Dylan. Excuse-moi. elle dit en me coupant la parole. Je vais y aller. 
—Non Pamela… »

Elle ne me laisse pas le temps d’en placer une, et se lève pour se précipiter vers la porte. Elle attrape au passage son sac posé sur le fauteuil proche de l’entrée puis ouvre la porte, mais je réussis à atteindre sa hauteur et refermer la porte dans un bruit sec.

« —Je suis désolé, si je t’ai vexée Pamela, ce n’était pas mon intention. je répète. Je voulais simplement que tout soit clair entre nous deux. Tu mérites une vraie relation, avec un homme qui s’implique sincèrement. Je suis toujours pas en mesure de t’offrir cette relation et par souci d’honnêteté avec toi, je préfère te le redire. C’est tout.
—…
—Je veux pas qu’il y ait de tension entre nous. Je tiens à toi. je rajoute en prenant sa main. »

C’est vrai je tiens à elle. Encore une fois, je me serais mis avec elle si je le pouvais. Mais ce n’est pas le cas.

La tête baissée, elle se gratte le sourcil droit avant de porter son regard vers moi. Je la laisse lire toute l’affection que je lui porte et ça semble la rassurer.
Elle est un peu troublée entre l’envie de partir et celle de rester, je le sens, alors j’en profite pour lui sortir mon plus beau sourire et lui demander :

« —On passe à table ? »

Je me fais un peu insistant en ne lui donnant pas le temps de réfléchir. Je la tire légèrement par la main et l’emmène dans la salle à manger où se trouve la table qu’elle a dressée.
Résignée, elle finit par s’asseoir et servir le repas. Après lui avoir souhaité bon appétit je la regarder baiser sa tête vers son assiette et jouer de sa fourchette avec les aliments.
Au moment où je veux engager la conversation pour combler le silence qui s’est installé, je reçois un appel de mon père. Manquait plus que ça.

« —Désolé, je dois répondre. Je dis en me levant de table. »

Elle acquiesce simplement en hochant la tête puis replonger sa tête dans son assiette.

« —Allô ?
—Dylan, je t’attends au bureau, j’ai à te parler.
—Ça ne peut pas attendre ?
—Si ça avait été le cas, je ne t’aurais pas appelé, tu ne penses pas ? il me demande avant de raccrocher.»

J’ai bien envie de le rappeler, lui dire, que ce n’est pas comme cela qu’on procède, mais je me retiens. Je travaille dans l’entreprise familiale au côté de mon père et dernièrement nous connaissons une mauvaise passe. Les chiffres ne sont pas bons, et les contrats sont de plus en plus durs à signer. Je me dis que c’est ce qui le rend nerveux, irritable, et c’est la raison pour laquelle, je laisse couler ses débordements.
Je range mon téléphone dans la poche, retourne dans la salle à manger prévenir Pamela, qui ne réagit toujours pas, puis sort de la maison.

Sur le trajet, je me demande comment je vais gérer ça avec elle, Pam. Quoi qu’elle me dise, je suis persuadé qu’elle pensait qu’entre elle et moi, il pouvait y avoir une relation sérieuse, alors je vais devoir m’éloigner d’elle sans pour autant passer pour le mec qui s’est servi, à épuiser l’enfant d’autrui et s’apprête à partir. C’est pas mon genre, vraiment pas. J’ai deux petites sœurs, plus si petites que ça quand on y pense, et si un idiot s’amusait à jouer avec le cœur et les émotions d’une d’entre elles, je n’hésiterai pas à aller chez lui pour lui casser la gueule et sans l’ombre d’un remord. Par respect pour elles et ma mère, je me permets pas ce genre de comportement.
Je passe la sécurité de l’immeuble en me promettant de trouver la solution adéquate, puis je descends de la voiture et pénètre rapidement dans les locaux de l’entreprise familiale dont je connais chaque recoin.

J’ai grandi dans ces locaux, je les ai vus s’agrandir puis subir des transformations. Mon père nous a élevé mes frères et moi avec l’idée première que nous serions amenés à poursuivre son travail, à porter cette entreprise jusqu’au sommet et la faire perdurer. Il disait toujours qu’il était fier parce qu’il avait réussi à inculquer à ses enfants cet amour pour l’entreprise familiale. Bon, ça c’était jusqu’à ce que Jesse décide de suivre son chemin…

« —Bonjour Dylan.
—Betty? Mais qu’est-ce que tu fais là ?
—L’équipe a été réquisitionnée par Buaka Senior. Elle me dit en grimaçant. 
—Quoi ?»

Mais c’est quoi ce bordel ?

Je fais un tour rapide dans mon bureau, puis rejoins celui de mon père situé un étage plus haut.
Je le trouve au téléphone, la mine détendue. Ce qui m’agace un peu, je dois le reconnaitre. L’idée qu’il ne m’ait pas fait venir pour un sujet important m’agace. Je passe mon temps à toujours remettre au lendemain, ce qui me concerne. Je m’investis corps et âme dans cette entreprise, au détriment de ma vie personnelle et ça commence à peser un peu. Je ne le dirais probablement jamais à haute voix, mais il m’arrive d’envier Jesse, cette liberté qu’il a de pouvoir faire ce qu’il aime réellement. Je ne dis pas que je n’aime pas ce que je fais, loin de là, mais j’aimerai pouvoir être plus libre…

« —Pourquoi tu as mis autant de temps à venir ?
—J’ai une vie papa, il arrive que j’essaie de la vivre. je réponds en prenant place sur un des fauteuils se trouvant en face de lui. Pourquoi Betty et toute mon équipe est présente ?
—Je les ai appelées, parce que je voulais qu’il traite un dossier en urgence.
—Mais ce n’est pas ton équipe, c’est la mienne, tu ne peux pas les appeler alors que je ne suis pas au courant, et leur demander de traiter un de tes dossiers.
—C’est là que tu te trompes Dylan. C’est mon entreprise, c’est mes locaux, ce sont mes employés, je peux me permettre de leur demander tout ce que je veux ! il dit d’une voix haute. »

Je ris jaune intérieurement. A croire qu’il la gère seul cette entreprise.
Jesse me dit souvent que je devrais prendre du recul, m’éloigner un peu de l’emprise qu’à la boite sur moi, mais je n’y arrive pas. Inconsciemment, je perçois cette idée comme un abandon, vis-à-vis de mon père et de la boite elle-même, et abandonner ce n’est pas dans mes cordes. Mais je vais peut-être devoir apprendre à le faire, après tout, il a raison, c’est son « entreprise ».

« —Je vois. Dans ce cas, je n’ai rien à faire ici. je dis en me levant.
—Dylan, rassieds-toi, je ne t’ai pas appelé pour que nous nous disputions… J’ai… J’ai mal formulé ma phrase…. Ecoute, cette entreprise représente beaucoup pour moi et tu le sais, j’y ai investi beaucoup de temps et d’énergie, et je ne veux pas la voir couler. On a eu une proposition de partenariat et ton équipe est très compétente alors je l’ai mise dessus. J’aurai du t’en parler avant de le faire.
—…
—Dylan…. Rassieds-toi…..s’il te plait. 
—Qui me le demande ? Le père ou le président directeur général ?
—Les deux.
—Faut choisir, tout en sachant que le PDG ne peut pas m’obliger puisque ce n’est pas inscrit dans mon contrat.
—Dylan arrête ça, je t’ai dit que je m’étais mal exprimé !
—Sauf que ce n’est pas la première fois ! je dis sur le même ton qu’il emploie. Je me tue comme un dingue pour cette boite !
—Je le sais Dylan, je le sais. il dit avec plus de calme…. Je le sais. »

La tension qui s’est installée quelques minutes plus tôt redescend graduellement et je finis par m’asseoir.

« — Je ne ferai plus appel à ton équipe sans t’avoir consulté avant.
—…
— On est tous à cran ces derniers temps. il dit en posant ses coudes sur son bureau, comme s’il n’était pas à l’origine de ça. Mais je pense avoir trouvé la solution. Nous avons besoin d’un partenariat fort, qui redonnerait confiance en nos anciens partenaires ainsi qu’à nos prospects.
—…
—Je ne sais pas si tu te souviens des temps où j’évoquais le nom d’un de mes camarades de chambré durant mes années universitaires, Ange-Albert. Ça te dit quelque chose ? »

Non, je réponds son entrain, toujours sous le coup de ses propos.

« —Son nom complet est Ange-Albert Mfoukama, et c’est lui le PDG de « Yoka compagnie ». Nous nous sommes revus durant un Gala organisé il y a quelques mois de ça. Tu n’imagines pas le plaisir que nous avons eu de pouvoir nous asseoir et discuter de nos vies de famille, de nos entreprises, de tout et de rien. Cette rencontre nous a amené à nous revoir, et durant l’un de nos rendez-vous nous avons évoqué l’actualité du monde des affaires, puis nous avons brièvement revu l’actualité de nos entreprises respective et figure toi qu’il m’a appris qu’il envisageait un partenariat, tout comme nous. L’idée d’être pour l’autre ce partenaire s’est imposée à nous et nous avons vu plus loin qu’un simple partenariat. Nous avons pensé à une fusion.
—….. D’accord.
—Tu ne sembles pas emballé.
—Si, si. C’est une idée intéressante, nos deux entreprises sont complémentaires, ils sont dans le secteur de la télécom’, nous aussi et on ne se positionne pas de la même façon, y’a pas de perdant. J’aime bien l’idée. »

C’est plutôt la façon dont il a organisé tout cela qui me plait moins.
Quand il parle de rendez-vous, je le connais assez pour savoir qu’il ne s’agit pas de deux ou trois mais plus de huit –neuf. Il a pris le temps d’analyser la situation, de peser les pour et les contre et vu tous les intérêts pour la boite. Et maintenant qu’il est prêt à s’engager, parce que je suis certain que c’est ce qu’il veut, il m’en parle comme s’il me soumettait une proposition. Ce qui n’est pas le cas. Ça décision est prise, et il est simplement en train de m’informer. Et c’est ce que je n’apprécie pas.

« —Mais qui va piloter tout ça ? La nouvelle entreprise ? Parce que je suppose que vous allez opter pour une fusion-absorption avec création d’une nouvelle entreprise ? Je vois juste ? 
—Oui, d’une certaine façon. il dit en se dandinant sur son siège. On partirait bien sur une fusion-absorption, mais avec une des deux entreprises absorbant l’autre. .
—Pardon ? je m’exclame en me redressant. Tu accepterais de laisser l’entreprise être absorbée par…
—Non, non, bien sûr que non ! Toi aussi ! Non ! C’est notre entreprise qui absorberait « Yoka compagnie » ! il me corrige.
—Mais comment ? Comment ça se fait ?
—Disons que Ange-Albert a bien aimé la vision que j’ai pour nos deux entreprises.

La vision qu’il a ?
Cette histoire n’est pas claire, je le sens, je connais mon père et tout me dis qu’il est loin de tout me dire.
Je ne sais pas dans quoi il veut s’embarquer, mais j’ai comme l’impression que de gré ou de force, je vais devoir le suivre …

Les jeux du destin