Chapitre VI

Ecrit par Tiya_Mfoukama

Chapitre VI
Je m’enfonce un peu plus sur la banquette arrière. Entre la fatigue et les douleurs çà et là, j’essaie de rester focaliser sur ce que je vais lui dire. 
C’est toujours après avoir agi comme une idiote que je me rappelle du plus important. 
On ne dirait pas comme ça, mais c’était la première fois que je me faisais un inconnu.
La journée d’hier était assez particulière, j’avais des attentes aussi bien provenant de mon père que de ma mère et aucun n’a su les combler. J’ai voulu jouer la maligne, pimenter un peu cette journée que je trouvais fade et qui malgré la soirée organisée par Emo, restait sans saveur particulière. 
Après l’appel de Liam, j’étais plus que jamais déterminée à ne pas finir cette soirée sur une note aussi terne. Je pensais titiller un peu Dylan, jouer avec lui avant de rentrer, mais …ça ne s’est pas vraiment passé comme ça.
« —C’est ici ? »
La question du taximan me sort de mes pensées.
Après un rapide coup d’œil par la fenêtre, j’acquiesce, lui donne un des billets que je conservais entre mes mains, puis sors du taxi. 
Le petit portail est ouvert, je l’emprunte et salue les gardiens se trouvant sur mon chemin, assis en ronde sur des chaises en plastique.
« —Emeraude est là ? je demande tout en connaissant la réponse.
—Oui. Elle vous cherche, on s’apprêtait à retourner à la fête où vous étiez. m’informe un des gardiens. »
Pas étonnant, toujours dans l’excès. Je me dis en souriant. 
J’efface rapidement ce petit sourire en atteignant la porte d’entrée. Elle est entrouverte et dessert directement le salon, ce qui me permet de voir Emeraude, dos à moi, assise sur le bras d’un des deux canapés. Elle est affairée sur quelque chose que je devine être un téléphone, et j’en ai la confirmation quand elle le porte à son oreille.
« —Ouais Gabi, c’est encore moi. Dis, t’es certaine que l’ami de ton homme n’est pas parti avec Tiya ? 
—….
—Hum. Ouais, je l’entends bien mais….Pffff, je sais plus où chercher. Il est 13h et je commence à paniquer. Je crois que je devrais prévenir son père
—…..
—Okay. Bon, je vais devoir te laisser, mais si de ton côté tu as de nouvelles informations, n’hésite surtout pas à m’appeler.
—….
—Ouais espérons. A plus. »
Elle pousse un gros soupir, affaissant ses épaules, puis se questionne à haute voix.
« —Bon sang Tiya, t’es passée où ? »
C’est l’occasion rêvée de faire mon entrée alors, je réponds d’une petite voix :
« —Juste derrière toi. »
Elle se retourne vivement vers moi, place sa main sur son cœur, pour probablement réguler les battements de son cœur ainsi, passer la surprise, puis prendre une expression furax.
« —Mais t’étais où tout ce temps ! elle hurle. J’étais hyper inquiète !
—Y’avais pas de raison. Je suis là, c’est l’essentiel. 
—Je suis là, c’est l’essentiel ? elle répète les yeux ronds. Tu te fous d’ma gueule ? 
—Emerau…
—ON A PASSE TOUTE LA MATINEE A TE CHERCHER ET A S’INQUIETER POUR TOI PENSANT QU’IL T’ETAIT ARRIVE UN MALHEUR ! elle crie en venant se placer devant moi. J’ETAIS A DEUX DOIGTS D’APPELER TON PERE ET TOI TU DEBARQUES COMME UNE FLEUR ET SANS AUCUNE EXPLICATION ! 
—Bon, t’as l’air sérieusement énervée alors je vais te laisser te calmer et on se revoit plus tard. je dis calmement en tournant les talons.
—Tu….»
Elle ne termine pas sa phrase et se met à rire en marmonnant dans sa barbe.
Je veux bien qu’elle soit énervée, mais j’ai passé l’âge pour les cris et les remontrances.
« —Non mais sérieusement, tu penses que tu vas aller où comme ça ? elle me demande en se positionnant en face de moi. Je vais pas me contenter de ton « je suis là, c’est l’essentiel ».
—Emeraude, ne fais pas ça. je dis calmement. Tu sais que je ne supporte pas ça.
—Mais là je m’en fous de ce que tu supportes Tiya ! J’ai passé toute ma matinée à te chercher persuadée qu’il t’était arrivé quelque chose, la moindre des politesses est de t’excuser et m’expliquer ce qu’il s’est passé, mais non. Toi tu débarques et joue les princesses encore une fois et tu…
—J’ai pas besoin de nourrice d’accord. Personne ne t’a forcé à me chercher dans toute la capitale. je balance en la coupant, excédée du ton qu’elle prend. Et pour ta gouverne, j’ai passé la nuit à faire l’amour avec un mec que j’ai rencontré à la soirée. C’est bon là. Tu peux arrêter de me soûler ?
—….. »
Elle secoue sa tête, déconcertée, puis dépose son téléphone sur le bras du canapé où elle était installée et me balance un « T’es qu’une idiote » avant de disparaître dans le couloir menant aux chambres.
Bien, ça c’est dit. 
Je ressors comme je suis arrivée, emprunte le premier taxi que je trouve pour chez moi. Enfin chez mon père. 
Qu’elle s’énerve s’était prévisible, mais à ce point, puis qu’on en arrive à se prendre autant la tête….
Nous avons des caractères totalement opposés mais sommes complémentaires.
Malgré ce à quoi ça ressemble, je sais que notre prise de tête ne va pas durer bien longtemps, l’une d’entre nous, souvent, c’est elle, va finir par craquer et faire le premier pas…
Je ne trouve personne en arrivant à la maison, et entre directement dans ma chambre. Ma robe balancée dans un coin de la pièce, je me rue dans la salle de bains pour prendre un bon bain chaud. C’est que je l’ai laissé un peu trop se lâcher je me dis en contemplant mes mamelons plus que douloureux. En y repensant, je me demande comment j’ai fait pour autant me laisser aller. Que ce soit avec un coup d’un soir, connu, ou un fuckin’ friend, j’ai toujours eu une part de réserve, et là, je me suis totalement abandonnée. 
Pas la tête à réfléchir, je me dis en attachant mes cheveux. Au moins c’était bon, particulièrement bon, je dois reconnaitre.
*
* *
« —Qu’est-ce que tu fais aujourd’hui ? Me demande mon père comme à chaque fois que je me trouve en face de lui, le matin, au petit déjeuner.
—Rien de spéciale. Je réponds en touillant mon bol de lait. 
—Ce soir, j’ai un diner assez important et je serai ravi de t’y voir. Il lance après avoir gardés le silence quelques secondes. Ça te dit ?
—Euh….oui, pourquoi pas. Je bafoue, surprise par la demande.
—C’est une soirée assez particulière. C’est un peu la soirée qu’on attend et à laquelle on souhaite assister une fois dans sa vie. Les personnes qui y assisteront seront particulièrement apprêtés, j’ai donc pris l’initiative d’appeler une maquilleuse et de commander quelques robes qui te seront soumises dans la journée par une conseillère en image. Tu pourras choisir celle qui te plait, ou celles qui te plaisent, c’est comme tu le souhaites. »
Ah, je me disais aussi…
Ça me semblait étrange qu’il me propose une sortie sans m’imposer quoi que ce soit. J’ai constaté qu’il était du genre à imposer son avis, peu importe si son vis-à-vis est en accord avec lui. Un comportement que je n’apprécie pas et que j’ai essayé de lui faire comprendre…sans y parvenir visiblement. Mais sur ce coup-ci, je ne vais pas le reprendre, je vais quand même pour voir « shopper à ma guise » !
« —Je dois être prête pour quelle heure ? je demande.
—17h, 18h dans ces eaux-là. 
—Okay. »
Je me lève de table. Notre échange pour la journée étant fini, et remonte dans ma chambre. 
Assise sur mon lit, je balaie la pièce du regard à la recherche de quelque chose à faire, mais… Il n’y a rien à faire, je constate dans un soupir. Quoi que… Je pourrais défaire mes valises qui me lorgnent depuis un bon moment, mais je ne fais rien. La flemme, le sentiment de ne pas vraiment être chez moi, un mélange des deux, je ne sais pas.
Je me laisse lourdement retomber, et les mains sur le ventre, contemple le plafond blanc. 
Il me faut moins d’une minute pour visualiser ses lèvres légèrement rosées, et ce sourcil interrogateur qu’il arque à chaque fois qu’il veut poser une question sans pour autant la prononcer. Ses épais sourcils assez disciplinés pour le coup se rejoignent quand il les fronce et dessine une petite barre entre eux, et des plis juste au-dessus que je n’ai pas arrêté de regarder. Je voulais les lisser du bout de doigt. Parce qu’il avait beau être sexy avec je préférais ne pas les voir sur son visage,
Je me souviens de ces détails comme si je l’avais vu la veille alors que notre rencontre remonte à une semaine aujourd’hui. C’est très con surtout quand on sait que je ne suis pas amenée à le revoir, mais ces images sont là, vives.
Je me relève de nouveau, attrape mon ordinateur et l’ouvre pour naviguer sur le net. 
Je ne suis pas du genre à ressasser un moment passé avec un mec, encore moins un inconnu. Et je pense que la seule chose qui justifie qu’il soit aussi présent dans mon esprit, c’est le fait que ce soit le meilleur coup que je me suis fait depuis le commencement de ma bordelerie comme le dit Emeraude. 
En pensant à elle, faudrait peut-être que je pense à l’appeler. Une semaine, ça commence à faire long.
*
* *
« —On peut savoir pourquoi tu ne réponds pas à tes appels ?! »
La porte du frigo toujours ouverte, je bascule ma tête vers l’arrière pour voir la personne qui vient de s’adresser à moi, bien que je reconnaisse la voix, puis reprends ma position initiale et tente de caler au mieux la bouteille de jus d’orange parmi toute la bouffe que je viens de prendre.

« —Je te parle non ! elle hurle presque. »

Je dépose tout mon « gain » sur le plan de travail, croque dans le sandwich que j’ai en bouche et lui demande en la regardant l’air de rien :

« —Et si tu commençais par un bonjour ? »

Elle balaie ma réflexion d’un rictus et d’un geste de la main, puis s’approche de moi en brandissant son téléphone.

« —Maman à essayer de te joindre à plusieurs reprises hier soir et ce matin encore. Il faut que tu réunisses rapidement tes affaires ! Elle devrait être là dans moins de… même pas, son avion a normalement atterri il y a quarante minutes. elle dit en avisant l'heure sur son téléphone
—…..
—Mais bouge-toi ! Vas préparer tes affaires ! On doit partir ! »

Je l’observe perplexe, pas certaine de comprendre ce qu’il se passe.

« —T"as fumé quelque chose ? je lui demande calmement.
—Ce n’est vraiment pas le moment de commencer tes choses d’accord ? Et pourquoi t’es coiffée, maquillée ?!»

Sans plus faire attention à Elle, je remets mon sandwich dans la bouche et rassemble mes provisions qui se sont étalées sur le plan de travail, puis ouvre grandement mes bras dans le but de tout attraper.

« —Tiya, ne fais pas ton enfant. Il faut vraiment prendre les paroles de maman au sérieux. Je sais qu’elle en fait souvent trop mais là, elle avait vraiment l’air paniqué.
—Elle a toujours l’air paniqué. j’arrive à articuler.
—Non Tiya, pas cette fois.
—Ah oui ? Qu’est-ce que t’en sais ? je demande en lâchant mon sandwich sur la pile en dessous de mes bras. Je suppose qu’elle n’a pas voulu te parler de cette chose si « sérieuse, et importante » qui nécessiterait que je m’en aille de la maison de mon père, hein ?
—…. »

Elle détourne le regard.

« —Ouais, c’est bien ce que je me disais. »

Les bras chargés, je la contourne et prends la direction de la salle à manger où je rejoins Didi, ma maquilleuse. 
J’ai été agréablement surprise par son professionnalisme. Elle a su sublimer mon visage, sans toutefois me donner l’impression d’être une autre personne. J’arrive à me regarder dans le miroir et me reconnaître.
Ça fait une demi-heure qu’elle devrait avoir fini de me maquiller, sauf que je lui ai demandé de s’arrêter, et d’attendre que mon père m’appelle pour m’informer de son retour, et lui permettre ainsi de finir son travail.

« —Donc tu ne comptes pas …Bonsoir. 
—Bonsoir.
—Didi, je te présente ma sœur Emeraude. Emeraude voici Didi, ma talentueuse maquilleuse.
—Ah enchantée.
—De même. elle lance avec un sourire tout ce qu’il y a de plus faux, avant de se tourner vers moi. Tu vas où ?
—J’accompagne le vieux à un diner.
—…. »

Elle pose sur moi un regard l’air de dire, « tu comptes réellement y aller alors que maman te demande de partir ? », et je réponds à son interrogation silencieuse par un « Didi, tu peux mettre juste un peu plus de fard sur mes paupières, je veux un regard plus profond ». Ce qui équivaut à un oui.
Didi me répond par l’affirmative, puis récupère son vanity contenant tous ses fards à paupières. 
Elle est en train d’imprégner un de ses pinceaux du fard marron quand des voix s’élèvent depuis l’extérieur.

« —T’es venue avec quelqu’un ? je demande à Emeraude. 
—Non. »

Les sourcils froncés, je me lève de la chaise où j’ai pris place et fait un pas vers la porte d’entrée pour me retrouver en face de ma mère. 
J’écarquille maintenant les yeux, surprise de la voir, et dans quel état ! Les vêtements froissés, la mine assombrie, elle fulmine de rage. Pour le coup, j’ai du mal à la reconnaître. 
Calme et doucereuse de nature, elle a toujours préféré le dialogue à toute forme de violence et s’est toujours évertuée à régler ses différends avec mes sœurs et moi de façon pacifique. Mais ça c’était avant. L’état dans lequel elle est actuellement, me laisse penser qu’aujourd’hui, elle compte bien employer une méthode différente pour s’expliquer avec moi.
« —Bonjour maman. je lance sereinement avec le dernier aplomb qu’il me reste.
—….. »
Les mains sur ses hanches, elle me détaille de la tête aux pieds avec un air dédaigneux que je ne lui connais pas et me jette au visage la réplique suivant :
« —MAIS QU’EST-CE QUI NE MARCHE PAS AVEC TOI ? »
Sur l’instant, je ne sais quoi répondre. C’est bien la première fois qu’elle me lance cette phrase avec autant d’amertume dans la voix. 
Un lourd silence s’installe alors que j’enregistre les paroles qu’elle vient de tenir. Je me retrouve déstabilisée et surtout estomaquée par son comportement bien trop excessif à mon sens. Emeraude profite de se flottement pour remercier Didi qui, comprenant ce qui est sur le point de se passer, range avec rapidité tout son matériel.
« —Qu’est-ce que tu fais encore dans cette maison ? reprend ma mère une fois Didi partie.
—Je te rappelle que je suis chez mon père. je réponds toujours sur un ton posé. »
A croire que ma dernière phrase à le don d’ouvrir les vannes de tout ce qu’elle retenait depuis un moment puisqu’elle me balance :
—Je ne t’ai demandé d’une seule chose Tiya ! Une seule CHOSE ! PARTIR D’ICI AU PLUS VITE ! Tu penses que je serais aussi insistante si ce n’était pas important ? Si ce n’était pas pour ton bien ? 
—Parce que c’est pour mon bien que tu veux m’interdire de vivre chez mon père. je rétorque piquée par ses mots. »
De nouveau, elle m’observe en silence puis ce met à rire brièvement en marchant de long en large et prononçant des paroles inaudibles.
« —Je reconnais m’être montrée un peu trop protectrice. elle commence sur un ton plus calme. Mais ai-je déjà fait une chose contre ton bien, ou contre ton intégrité ?
—Ça n’a aucun sens ce que tu dis. Je vois pas en quoi passer quelques semaines chez mon père met ma vie en danger. T’as un souci avec lui, ça te regarde, mais c’est pas pour autant que tu dois m’impliquer dedans !
—Parce que tu penses que c’est à cause de ce qu’il y a entre lui et moi ? Mais tu es encore plus bête que je ne le pensais ma pauvre fille ! Si j’avais envie de créer la zizanie entre ton père et toi, tu ne penses pas que je m’y serais prise plus tôt et plus crûment ? Tu m’as déjà entendu l’insulter ? Dire du mal de lui devant toi ou tes sœurs ? 
—…. »

S’il y a bien une chose que je ne supporte pas, c’est que l’on m’insulte. C’avait été une autre personne, j’aurais répondu avec un vocabulaire assez cru quelque chose qui ressemble à un « vas te faire foutre » mais parce que c’est ma mère, je préfère prendre la direction de ma chambre. Même si la planter là est déjà un manque de respect, ce sera toujours mieux que de lui balancer les saletés que j’ai au bord des lèvres.

« —Ah parce que tu penses que c’est maintenant l’heure de bouder ? Mais Tiya pourquoi tu es aussi bête ! Elle hurle !
—Maman, là je pense que c’est bon. je réplique en faisant volte face. Je suis bête soit, laisse-moi dans ma bêtise.
—Tiya, tais-toi. m’intime Emeraude…. Maman excuse-là… 
—Non, non, je ne vais pas l’excuser. Elle a raison. elle lance sur un ton calme, très calme, trop calme. C’est moi qui m’excuse, je ne sais même pas pourquoi j’ai fait le déplacement. Vraiment pardonne-moi. Tu es maintenant grande, tu peux donc te protéger et veiller sur toi sans l’aide de personne. C’est noté. A partir d’aujourd’hui, tu ne m’y reprendras plus. »

C'est n'importe quoi, ça va vite pour rien. En moins de cinq minutes on s'est pris la tête comme jamais auparavant ! Elle en fait trop, et je suis persuadée qu'elle le sait au fond d'elle même. Débarquer comme une furie, gueuler à tout va! Et tout ça pour quoi ? Parce que je m'expose en restant ici. M'exposer à quoi ? Elle ne le dit toujours pas. Preuve qu'il n'y a absolument rien...
Elle se détourne de nous puis s’avance vers la porte d’entrée avant de lancer :

« —Une dernière chose, il serait peut-être intéressant que tu saches qu’en venant ici, tu as accepté implicitement le mariage que ton père a arrangé pour toi. Et à l’heure où je te parle, la famille de ton père et ton père lui-même doivent être en train d’accepter la dot proposée par ta belle famille. »

Les jeux du destin