CHAPITRE XXIII : L’interlude

Ecrit par dotou

Les personnes venues présenter leurs condoléances à la famille Worou prenaient déjà congé lorsque Cora arriva à la villa familiale. Mère et fille fondirent en larmes dans les bras l’une de l’autre.
- J’ai tant de chagrin Cora. Je le revois encore, hoqueta Cadia qui semblait avoir vieilli d’un coup.
- Maman, je suis là pour te soutenir, Dean aussi, compléta Cora en le voyant venir vers elles.
Il était vêtu d’une djellaba noire et malgré la douloureuse circonstance, Cora remarqua que cette couleur rehaussait son charme.
 Le lendemain matin, Cora alla se recueillir sur la tombe de son père et pria durant de longs moments. Comme aux temps de son enfance, elle se confia à lui et évoqua les moments difficiles qu’elle traverse depuis deux ans déjà.
- Donne-moi le courage nécessaire papa. Je sais que d’où tu es, tu n’abandonneras jamais ta fille chérie, conclut la jeune femme en se dirigeant vers la sortie du cimetière.
Le plus dur fut de voir déambuler sa mère dans la vaste maison telle une âme en peine. Elle savait que seul le temps la consolerait de la perte qu’elle venait de subir. Elle n’osa pas lui parler des durs moments qu’elle traversait dans son couple afin de ne pas lui causer des soucis supplémentaires. Mais si pendant la journée elle essayait d’afficher un air serein, le soir, seule dans sa chambre de jeune fille, elle n’hésitait souvent pas à pleurer. Les enfants lui manquaient, mais elle ne voulait pas non plus abandonner sa mère dans l’état de dépression actuelle où elle se trouvait. Dean avait proposé à Cadia de venir s’installer chez lui, mais elle avait aussitôt protesté avec véhémence.
- Jamais je ne pourrai quitter cette maison ; j’y ai tous mes souvenirs.
A contrecœur, Dean avait cédé sans plus insister. Mais il avait prié une cousine de sa mère de venir s’installer auprès d’elle. Muriel, veuve elle aussi, avait toujours éprouvé une grande estime pour l’éplorée, et ne s’était pas fait prier.
Quinze jours après le décès d’Ali, Dean proposa un soir une sortie à Cora. Elle avait essayé de protester, mais sa mère l’avait encouragé.
- Cela te fera du bien de sortir un peu. Depuis ton arrivée, tu restes cloîtrée. Tu n’as pas à t’inquiéter pour moi, Muriel me tiendra compagnie.
Vaincue, Cora monta se rafraîchir sans remarquer le coup d’œil de reconnaissance que Dean lança à sa mère.
Dean l’emmena voir un film d’humour avant de lui proposer d’aller dîner dans l’un des meilleurs restaurants de la ville. Insidieusement, Cora sentait renaître en elle des sensations qu’elle croyait oubliées. Etre avec Dean lui procurait les plaisirs d’autrefois. Alors qu’ils prenaient le dessert, Cora demanda d’après Adnane.
- Je ne l’ai pas encore vu une seule fois depuis mon arrivée.
- Il se porte très bien et passe même le week-end avec moi. Comme on devait sortir, J’ai loué les services d’une baby-sitter tout en espérant que tu accepterais mon invitation. Elle partira dès que je serai de retour à la maison.
- Peux-tu faire un détour chez toi afin que je puisse l’embrasser ?
- Avec plaisir. Mais j’espère qu’il ne dort pas encore.
Le jeune garçon ne dormait pas. En apercevant sa tante, il délaissa son jeu et se précipita vers elle. Il l’embrassa avec effusion, demanda des nouvelles de ses cousins avant de retourner à ses jouets. Cora l’observait de temps à autre. Il avait presque onze ans à présent et possédait déjà le même port altier que son père. De plus, son teint clair et ses cheveux légèrement frisés qu’il tenait de sa mère lui conféraient une captivante beauté. Comme Dean le lui avait annoncé, la baby-sitter partit aussitôt.
- Comment feras-tu alors pour me ramener ?
- Adnane viendra avec nous.
Mais bientôt, le jeune garçon s’endormit. Dean le réveilla et lui intima d’aller se coucher.
- Mais on doit raccompagner tata ensemble, protesta-t-il.
- Je te réveillerai dès qu’elle sera prête à partir, promit son père.
Aussitôt l’enfant parti, l’atmosphère au préalable détendu, se chargea d’électricité. Un même désir les portait l’un vers l’autre.
- Dean, je crois que je vais rentrer.
- Ne sois donc pas pressée Cora ! Parle-moi plutôt de tes relations avec Steve. Toutes les fois que j’ai eues à poser des questions le concernant tu te dérobes. Pourquoi ?
- Tu te trompes Dean. Tout va bien.
- A d’autres, Trésor. Je te connais trop bien pour ne pas savoir que tu ne me dis pas la vérité. Pourquoi n’es-tu plus heureuse avec lui ? Je le vois en toi, même si tu te crois assez forte pour le dissimuler.
- Tu as raison Dean. Tu me connais mieux que personne.
- Qu’y a-t-il alors ? Tu as changé, et ton regard devient parfois douloureux. Ouvre-moi ton cœur Trésor.
Face à la sollicitude de Dean, Cora ne résista pas longtemps et se libéra bientôt de tout le poids qu’elle portait sur ses frêles épaules depuis deux ans. Silencieux, Dean l’écouta. Une colère sourde et violente montait en lui. Même s’il essayait de comprendre les réactions de cet homme diminué par un malheureux coup du sort, il ne supportait pas qu’il fasse souffrir celle que lui-même n’a jamais cessé d’aimer.
- Cora, ne le laisse pas te détruire.
- C’est ce que je me dis aussi. Mais le plus dur pour moi est de voir mes enfants assister à la déchéance de leur père. Ils ne comprennent pas pourquoi il a brusquement changé. Certains soirs, Anna pleure et fait des cauchemars. Je voudrais les éloigner quelques temps de la maison. Ils sont tout à coup devenus trop sérieux pour leur âge.
- Leur père est-il conscient de cela ?
- Il me reproche sans cesse de vouloir éloigner ses enfants de lui. Par ailleurs, il est devenu si susceptible qu’il voit un amant en chacun de mes clients. J’ai eu à perdre un gros contrat avec un magazine parce que mon mari a menacé et violenté le Directeur Commercial.
- J’espère qu’il n’a jamais eu à porter les mains sur toi.
- Non, jamais. Mais ses paroles, ses suspicions sont plus dures que les coups.
- Es-tu sûre de pouvoir encore tenir dans cette atmosphère ?
 - Je prie pour cela. J’espère encore que les choses s’arrangeront.
- Pourquoi ne pas essayer de lui faire voir un psychologue ?
- Je le lui ai déjà proposé, mais ce jour-là il m’a accusé de le prendre pour un fou.
- Cora, tu mérites d’être heureuse. Lutte autant que tu peux, mais jamais ne te laisse détruire.
- J’essaie de toutes mes forces, murmura Cora tandis que ses yeux s’embuèrent.
- Ne pleure plus Trésor. Cela n’arrangera pas la situation.
- Je sais mais je ne peux pas m’en empêcher.
Dean s’approcha alors d’elle et l’entoura de ses bras réconfortants et la laissa pleurer de tout son saoul.
Après les larmes, Cora vidée de toute son énergie avait sa tête posée sur le torse de son compagnon. D’un geste tendre, Dean caressait ses cheveux. Avoir Cora à ses côtés, lui procurait une immense sensation de plénitude. Soudain il perçut le souffle régulier de Cora qui s’était endormie. Il consulta la Rolex à son poignet et constata qu’il sonnait déjà onze heures du soir. Il l’appela afin de la réveiller. A demi réveillée, elle murmura son nom d’une voix enrouée.
- Oui mon amour, répondit Dean ému de la sentir si alanguie contre lui.
- Je me sens si bien avec toi !
- Moi aussi, mais il est déjà onze heures du soir et il faut que je te raccompagne.
La jeune femme se mit sur son séant en baillant. Dean la trouva plus belle que jamais et les battements de son cœur s’accélérèrent. Cora ferma un instant les yeux et n’y tenant plus, Dean lui effleura la joue en avouant :
- J’ai une folle envie de t’embrasser Cora.
- Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, balbutia Cora les mains soudain fébriles.
- Juste un seul, supplia l’homme en se rapprochant.
Indécise, Cora avala une goulée d’air ; mais Dean, la bouche à quelques millimètres de la sienne murmura :
- Je peux Cora ? J’en rêve depuis si longtemps.
- Oui, souffla-t-elle en fermant les yeux.
- Non Cora, regarde-moi pour me donner ta réponse.
Le fixant, elle murmura :
- Oui Dean, embrasse-moi.
Heureux, il l’étreignit avant de s’emparer de ses lèvres. D’abord léger, leur baiser s’intensifia. Dean avait l’impression qu’une lave coulait dans ses veines. Ses mains avides s’insérèrent dans le chemisier de la jeune femme qui se cambra sous la caresse. Interrompant leur baiser, Dean descendit ses lèvres vers son cou où il sentit battre une veine.
Il lui fut soudain insupportable de se résigner à un seul baiser. Il en voulait des milliers, en couvrir le corps de la femme qu’il aimait. Mais il savait que Cora n’était pas prête à s’abandonner à lui. Alors, usant de toute sa volonté, il voulut se redresser. Mais Cora, d’un geste ferme le retint et reprit sa bouche. Son corps sevré réclamait plus et elle ne voulait pas qu’il s’arrête. Au cours de ces longues années, elle avait endigué ses sentiments ; mais maintenant qu’elle était dans ses bras, qu’elle retrouvait la saveur de son corps, elle n’avait plus le courage de le voir s’arrêter. Elle ne pouvait ne pas assouvir cette faim qu’elle avait de lui. Il lui était devenu vital de s’unir à lui, comme au lendemain de ses dix-huit ans.
- Dean, tu m’as tellement manqué durant toutes ces années !
- Toi aussi mon amour.
- Tu vas me faire l’amour Dean, n’est-ce pas ? Demanda la jeune femme en sondant son regard.
- Je ne supporterai pas le contraire.
Heureux, Dean se leva et tendit une main à Cora qui la saisit aussitôt. Tendrement enlacé, il la guida vers la chambre. Sans hâte, ils se débarrassèrent de leurs vêtements sans cesser de s’embrasser. Enfin, l’un contre l’autre, ils se redécouvrirent, émerveillés. Les mots entre eux étaient inutiles et chacun avait l’impression de revivre. Impatient, Dean la fit aussitôt sienne. En le sentant se joindre à elle, Cora poussa un cri de plaisir aussitôt capturé par le baiser de l’homme. Avec frénésie, ils se laissèrent enlever par les ailes de l’amour.
Lorsqu’enfin Dean se détacha d’elle, Cora bouleversée se mit à pleurer.
- Qu’est-ce qui ne va pas ma chérie ? S’enquit Dean aussitôt inquiet.
- Je me sens si bien.
- Alors ne pleure plus. Etre avec toi ce soir fait de moi l’homme le plus heureux sur terre.
D’une main tendre, il caressa le ventre de la jeune femme. Il se demandait s’il pourrait supporter la voir s’envoler dans deux semaines, date à laquelle elle avait fixé son départ. Malgré lui, il s’aperçut que ses yeux étaient aussi humides.
- A quoi penses-tu ? S’enquit sa compagne.
- Je ne pourrai plus supporter te perdre à nouveau.
- Ne parle pas ainsi.
- Mais c’est la vérité Trésor. J’ai été stupide il y a quinze ans. Par ma faute je t’ai perdue.
- Mais c’est du passé maintenant.
- Un passé si présent qui me torture. Beaucoup de femmes ont traversé ma vie. A chaque fois j’ai voulu te retrouver en elles sans jamais y parvenir. Je n’aurais jamais dû te laisser partir. J’aurais dû plus écouter mon cœur et faire un peu fi du devoir. Mais je l’ai réalisé trop tard. Je t’aime tant Cora.
- Moi aussi Dean, malgré toutes ces années, je n’ai pas pu t’oublier. Je t’ai toujours aimé aussi loin que remontent mes souvenirs.
- Alors reste avec moi ; ne me quitte plus jamais, murmura Dean d’une voix fervente.
- J’ai une famille qui m’attend, Dean et cela je ne peux pas ne pas en tenir compte.
- Mais Steve ne te rend pas heureuse Cora. Tu veux continuer à vivre ainsi ?
- Non, mais c’est mon mari. Et tu oublies les enfants aussi.
- Ce sont aussi mes enfants. Je serai heureux de les avoir avec moi.
- Non Dean, je ne pourrai jamais quitter Steve. Malgré ces deux dernières années de malheur, de mésentente, il demeure toujours mon mari, même pour le pire.
- Mais tu ne l’aimes pas.
- J’ai cru l’aimer et durant des années il m’a rendue heureuse. Si notre couple bât de l’aile, c’est parce qu’il se sent diminué par son infirmité. Le quitter maintenant lui sera terrible et je ne pourrai plus jamais me regarder dans un miroir.
- Tu restes avec lui par loyauté ?
- Oui, tu l’avais bien fait pour Andréa non ?
- J’avais cru faire le bon choix. Je ne pensais pas pouvoir faire autrement.
- Alors ne m’accuse pas. Comprends-moi aussi.
- Tu me punis ?
- Ne parle pas ainsi.
- C’est pourtant l’impression que tu me donnes.
- Tu as tord Dean. Ne pensons plus à tout cela.
Câline, Cora s’empara de ses mamelons et aussitôt le désir resurgit en lui.

Le Droit d'aimer