Chapitre XXVIII

Ecrit par Tiya_Mfoukama

Chapitre XXVIII


Faut que j’arrête de me ronger les ongles. Je déteste l’état de mes ongles une fois que je les ai rongé. Mais la, j’y arrive pas. 

Je soupire puis enlève mes doigts de ma bouche pour constater l’ampleur des dégâts. Bon, ça va encore, mon vernis n’est pas parti. Le vernis permanent c’était pas une si mauvaise idée que ça.


-Je vois pas pourquoi tu stresses. Lance Thierry, les yeux rivés sur la route.
-....

Ah non, tu ne vois ? On va aller dîner chez mon ex-mari, alors que la situation est assez tendue entre nous tous et qu’on a pas eu le temps de laisser l’eau couler. C’est déjà une bonne raison non, ai-je envie de lui dire.
C’était pas le moment pour cette rencontre, ça aussi nous le savons tous mais, lui comme toi persistez à vouloir à tout prix la faire cette rencontre. Puis mon intuition me dit que c’est une très mauvaise idée, que ça va mal finir ! 

-Mayéla… Ce n’est qu’un dîner.
-Non, ce n’est pas un dîner et tu le sais…. Je t’ai dit que je ne voulais pas qu’on y aille.
-Mais on irait pas pourquoi ? Faut bien qu’on fasse carte sur table une fois pour toute. Tu ne voulais pas qu’on y aille pour quelle raison ? Parce que c’est lui qui est à l’initiative de cette rencontre ?
-....
-Je te rappelle que je t’en ai moi aussi parlé, mais tu as coupé court à la conversation et tu es passée à un autre sujet.
-C’était pas le moment ! Soufflé-je énervée.
-Comment ça c’était pas le moment ? 
-C’était pas le moment ! Répété-je presque en criant. Je n’allais pas organiser une rencontre entre nous trois alors que toi et moi on venait juste d’entamer notre relation ! Je ne voulais pas prendre de risques et être sûre de mon choix. Cette rencontre ne devait ni être initiée par Shomari et encore moins sur un coup de tête, c’est pas quelque chose qu’on fait à la légère. 
-Rencontrer ton ex -mari n’est pas une chose qu’on fait à la légère ? Ca veut dire quoi ? Il y a un protocole à respecter ? Et tu dis que tu voulais être sur de ton choix, j’imagine que c’est me concernant, donc là tu ne l’es pas ? 
-....Thierry ne déforme pas mes propos.
-Je ne déforme pas tes propos Mayéla, je te pose une question.
-....

Voilà ce que je ne voulais pas. 

-Ca va faire deux ans qu’on se connait, partagé entre l’amitié et l’amour en tout cas de mon côté. Je t’ai toujours dit ce qu’il en était et j’ai respecté chacune de tes volontés mais à un moment Mayéla, il va falloir que tu me dises clairement ce qu’il en est. Je sais que parfois, je peux paraître insistant mais je t’ai dit pour quelle raison. Je sais clairement où je veux aller avec toi, ce que je suis prêt à faire, à construire avec toi. Je t’ai dit que j’étais prêt à m’engager et qu’on prendrait le temps qu’il faut pour avancer pourvu que tu me dises que toi aussi tu le veux…. Mais tu ne fais rien. 
-....
-J’ai aussi besoin de réponses, je vais rester encore combien de temps dans l’expectative ? 

Je sais pas quoi lui répondre. J’ai pas la tête à penser à tout ça alors qu’on est à moins de cinq minutes de la maison de Shomari. J’ai besoin de me concentrer sur le dîner, je peux pas tout mélanger !

-...Thierry, c’est … C’est compliqué et tu peux pas me demander d’avoir une discussion avec toi, sur mon engagement alors qu’on s’apprête à aller dîner avec Shomari !
-Justement. Fait-il en coupant le moteur. 
-Qu’est-ce que tu fais ? Le questionné-je en regardant autour de moi.
-On est arrivés. Dit-il calmement. 

Je soupire discrètement, puis me retourne pour ouvrir ma portière en levant les yeux au ciel pour remercier le seigneur du bout des lèvres. J’aurais pas pu répondre. Pas quand ma tête est complètement chamboulée.
Je sors de la voiture et passe ma main sur des plis de ma jupe trapèze, puis ajuste mon chemisier. et mon collier. Avec les cheveux courts, je suis devenue très "accessoire" pour me féminiser et ne pas laisser le côté garçon de ma coupe prendre le dessus. Je replace les lanières de mon sac correctement sur mon épaule gauche puis avise l’heure sur ma montre. Elle m’indique qu’il est 18h54. 
On va être en retard, si on y va pas maintenant.
Je me penche vers la vitre côté passager et toque. 
Thierry la descend.

-Dépêche-toi, qu’est-ce que tu fais ? On va être en retard !
-J’attends ta réponse. Dit-il sur un ton neutre.
-Ma réponse ? Par rapport à quoi ?
-Tu viens de dire que tu ne voulais présenter qui que ce soit qu’une fois que tu serais certaine de ton engagement, n’est-ce pas ? Et bien j’attends que tu me dises si tu es oui ou non certaine de ton engagement avec moi.

Quoi ? 
Mais il se moque de moi ?

-Thierry, tu es sérieux ?
-C’est toi qui viens de le dire Mayéla…
-Et tu te sers de mes propos déformés pour m’obliger à te donner une réponse ? Pourquoi tu me fais ça ?
-Pourquoi je te fais quoi Mayélà ? Pourquoi je te demande d’éclaircir ma lanterne concernant mon avenir avec toi ? Pourquoi je te demande d’assumer tes choix et arrêter de me mettre en pause ? Ce n’est qu’une simple question, pourquoi t’as autant de mal à répondre ? 
-Mais tu me mets contre le mur ! Quelle réponse cohérente tu veux que je sorte de ma bouche ?! Crié-je telle une hystérique. 
-.... Celle que tu as cogité et que tu es sensée avoir prise depuis un moment. Répond-il calmement. Celle qui coule de source quand tu la prononces. Celle où tu dis “je suis certaine de mon engagement avec toi Thierry. Je veux parcourir ce chemin de vie avec toi et voir jusqu’où cela nous mènera”. Voilà la réponse cohérente que j’aurais aimé entendre de ta bouche. 

Ses yeux, ses yeux quand il me parle. J’y lis de la sincérité, de l’espérance, du désir. Mais à cet instant, j’y lis de la peine, de la tristesse. Il remonte la vitre, puis détourne le regarde avant de retirer la clé de contact et ouvrir sa portière. Je me relève lentement, et sens une grosse boule se former dans ma gorge. J’avale péniblement ma salive pour la faire descendre. En vain. Elle est toujours là, bloquée en travers de ma gorge. 
Une larme coule.
Je voulais pas lui faire du mal, mais je peux pas répondre à ça question. La vérité est que je n’y ai jamais pensé, j’ai toujours repoussé le moment où j’y réfléchirais sérieusement en invoquant différents prétextes. C’est un homme bon, et je sais que je suis assez chanceuse de l’avoir dans ma vie, mais je ne sais pas si je veux réellement m’engager. J’ai pas envie de revivre tout ce qu’il s’est passé avec Shomari, je le supporterais pas. Si ça devait mal se passer… Je ne sais pas dans quel état je serai. 
C’était dur. Trop dur…. Je peux pas… Je peux pas risquer de retomber, encore.

-Thierry. Murmuré-je.

Il passe près de moi, me dépasse et j’étouffe un sanglot de la main, avant de me ressaisir et essuyer mes larmes.
Je peux pas craquer, pas maintenant. 
Je le rejoins devant le portail, il a les mains enfoui dans ses poches et la tête baissée. Je vais me placer en face de lui puis le pousse à me donner une de ses mains pour entrelacer nos doigts.
Il lève enfin les yeux sur moi, des yeux larmoyants.

-Je te demande pardon. Dis-je avant de capturer ses lèvres dans un baiser profond.

En plein milieu de la ruelle, malgré la pénombre, je ne me serais jamais permise une attitude pareille, mais j’en ressens le besoin. Je veux lui faire comprendre à travers ce baiser qu’il est important pour moi, qu’il n'est pas un simple compagnon sur qui je me repose par fatalité, que je ne joue pas avec ses sentiments, parce que j’en ai, j’en ai à son égard, je le sais. C’est juste que… m’engager… j’ai peur.
Il répond à mon baiser avec avidité et très vite, je sens une douce chaleur naître dans mon bas-ventre et s’étendre de façon exponentielle. Sa main au creux de mes reins m’attire un peu plus vers lui, et je suis enveloppée par sa chaleur, sa force, mais surtout par son désir.

Je ne sais pas comment, mais j’arrive à me défaire de ses lèvres. Haletante, les yeux clos, et le front collé contre le sien, je régule ma respiration à quelques centimètres de ses lèvres, que je sais rougies et gonflées. 

Le portail s’ouvre sur Didier, qui explique avoir entendu le bruit d’un moteur. 
Rapidement, Thierry reprend contenance et fait diversion, me permettant de remettre un peu d’ordre, et me montrer présentable.

Une fois fait, nous le suivons jusqu’à la porte de la maison, où Shomari nous accueille.
Après des salutations hésitantes et maladroites, il nous invite à le suivre dans le salon pour un apéritif. 

Mes épaules s’affaissent lorsque j’aperçois les apéritifs disposés sur la table basse. Mais qu’est-ce qu’il fait, je … On avait dit un dîner et lui organise un apéro ! On est pas des amis ! Je comprends pas où il veut en venir. 

-Un Kir Royal au champagne, ça vous tente ? Propose-t-il en levant une flûte. A moins que vous préfériez la recette originale.
-Euh… Non merci, ce ne sera ni l’un ni l’autre. Décline Thierry. Je ne bois pas d’alcool.
-Des problèmes d’alcoolisme ? Demande Shomari

Oh non, j’aurais du le sentir. Seigneur.

-Je plaisante. Humour lourd. Ricane-t-il en prenant une bouteille de jus de fruits qu’il présente d’un signe de tête à Thierry.
-Va pour. Sourit Thierry
-Okay.

Sans me demander ce que je souhaite boire, il me concocte un verre de Savanna, qu’il coupe avec du jus de pomme.

-Soft mais pas trop. Marmonne-t-il en me tendant le verre. 
-Merci. 
-Je voudrais revenir un court instant sur ce qu’il s’est passé hier. Commence-t-il en se préparant un kir au champagne. Notamment avec toi, je me permets de te tutoyer Thierry. Je me suis montré peu aimable, mais il faut me comprendre, je n’avais aucune idée de qui vous étiez, et vous voir avec ma fille m’a inquiété. Avec tout ce qu’il se passe, on est à l’abri de rien. J’espère qu’avec le temps nous apprendrons à nous connaître afin de montrer à Salomé que ses parents peuvent vivre en bonne intelligence, tout en étant séparé et en couple avec d’autres personnes. Mayéla, je voudrais également te présenter mes excuses pour ma réaction d’hier, tu avais totalement raison, j’aurais dû t’appeler sachant qu’il s’agissait de ton week-end de garde. Je te présente mes plus plates excuses.

C’est moi ou il est en train de se foutre de nous là ? Depuis quand Shomari sait prononcer les phrases, “ je suis désolé” et “tu avais totalement raison”. Il doit y avoir anguilles sous roche. Il doit préparer quelque chose, j’en suis certaine. 
C’est pourquoi, durant tout le dîner, je reste sur mes gardes, attendant qu’il montre son vrai visage, celui que j’ai connu quand tout allait mal. Mais à ma grande surprise, il n’en est rien, il ne revient pas sur ses excuses, et malgré quelques blagues douteuses, il ne dit et fait rien de déplacé.
On arrive à passer une soirée tranquille, dans une atmosphère un peu particulière que je n’arriverai pas à décrire. Mais bon, je n’ai plus à trop chercher, il est 21h30 et Thierry vient d’annoncer que nous y rentrons.
Nous le saluons, un peu moins hésitants qu’en venant puis prenons la route direction la maison.

-Tu n’as pas trouvé ce dîner étrange ? Interrogé-je Thierry.
-Non, quoique, tu paraissais crispée, un peu trop.
-C’est que je ne m’attendais pas à ça. Je suis même certaine qu’il trame quelque chose mais quoi concrètement, je ne sais pas.
-....

Le Shomari que je connais même calme, ne pouvait pas se montrer aussi serein, que le Shomari que j’ai vu aujourd’hui. Ce n’est pas dans sa nature. Il est du genre taquin et aime titiller pour le plaisir. A plusieurs reprises , il avait des perches pour pouvoir attaquer Thierry, et le connaissant, il aurait dû les saisir alors je comprends pas trop pourquoi il ne l’a pas fait.

-Il se peut aussi qu’il ait changé. Hier il devait être en colère, ce qui justifierait son animosité vis à vis de moi. 
-Nooon. Lâché-je en secouant négativement la tête. C’est difficile à expliquer mais. Je sens que ça cachait quelque chose. Quoi qu’il en soit, on finira par le savoir.
-Sûrement. Te voilà arrivée.
-Tu ne rentres pas ?
-Non, ce soir, je vais dormir chez moi, Je pense que ça vaut mieux pour nous. On aura chacun l’occasion de se reposer et réfléchir un peu à nous à notre avenir. 

Oh…. je vois, il m’en veut encore pour la conversation que nous avons eu devant le portail.
Je le comprends et ne cherche pas à le retenir, ce n’est peut-être pas si mal que ça. 

*****

-C’est une blague ?
-....

Je rajoute quelques mangues coupées dans mon quaker puis mélange le tout avant de porter une cuillère à ma bouche. 
C’est vraiment bon cette merde. Je l’ai découvert durant les débuts de ma convalescence. Je mangeais peut mais j’avais besoin d’aliments riches et nutritifs. Le flocon d’avoine s’est avéré être l’aliment parfait. Je n’avais aucun mal à le digérer, il était nourrissant même en n’en mangeant qu'en faible quantité et niveau goût avec du lait concentré et des fruits, c’était parfait. 

-Ari ?
-...

Il manque un peu de lait concentré.

-Passes-moi le tube près de toi s’il te plait. 
-Pourquoi tu fais autant de mystère. Le message que tu m’as envoyé me disant que tu dînais avec Mayéla et son homme hier ? C’était vrai ?
-Pourquoi je mentirais ? Lui demandé-je en plongeant ma cuillère dans mon bol.
-Et tout c’est bien passé, t’as pas fait le con ? 
-....

Je souris. 
Pourquoi tout le monde doute autant de moi ? 

-Okay, ton sourire veut tout dire. Qu’est-ce que tu as encore fait ? Soupire-t-il
-Je n’ai rien fait. Dis-je calmement. Ça n’aurait pas été en ma faveur. 
-C’est à dire ?
-....C’est à dire qu’entre la nuit de vendredi à Samedi, j’ai pris conscience de beaucoup de choses, et le repas de famille donné hier après midi en l’honneur de Lyne pour son 30ème anniversaire m’a apporté les réponses dont j’avais besoin. Si j'avais fait le con, je serais allé à l'encontre des décisions que j'ai prises. 
-Mais encore ? 
-....

Je souris un peu plus et me concentre de nouveau sur mon bol.

Vendredi soir, quand j’ai parlé du dîner, je reconnais que mon idée première n’était pas de me montrer courtois avec le dénommé Thierry. J’étais bien tenté de faire le con surtout que la discussion que j’avais eue avec Mayéla m’avait mis dans un état de colère son nom. C’est en essayant de la canaliser après son départ que je me suis demandé pourquoi ça m’énervait autant. 
Le seul fait que le Thierry ait récupéré ma gamine ne pouvait pas me mettre dans un état pareil, il y avait quelque chose d’autre. Une chose que je ne voulais pas spécialement m’avouer jusqu’à ce qu’elle s’impose à moi: ça m’énervait de savoir que Mayéla était en couple de façon sérieuse avec un homme. Ça m’énervait parce que je l’aimais, et je l’aime toujours. Je ne le lui ai jamais dit. Mais en même temps, je ne me suis jamais donné l’occasion de le dire. Excepté la fois où j'étais complètement bourré.

J’ai mal fait les choses avec elle alors je doutais que lui dire simplement que je l’aimais, suffisait.

Puis lors du repas d’anniversaire de Lyne, j’ai compris que les mots, ne servirait à rien, sans acte. Les actes étant souvent plus éloquents que les mots, j’ai décidé d’agir. 
Mais avant de faire quoi que ce soit, je vais devoir faire la seule chose que je n’ai pas encore faite et que j’aurais dû faire depuis le début: lui présenter mes excuses pour tout ce que je lui ai fait.

KULA