En cavale

Ecrit par Aura

La journée n’aurait pas mieux commencé pour moi. La nature semblait s’être revêtue de sa plus belle robe pour marquer ce jour. Il suffisait de voir à quel point le soleil déversait ses rayons très tôt ce matin. L’air était frais qu’il semblait purifier et guérir les poumons défectueux, en dépit de la pollution automobile que nous subissons au quotidien. Ce matin semblait être fait pour moi. J’étais le premier à prendre ma douche, ce qui arrivait rarement en raison de la multitude de personnes avec qui nous partageons la douche et même la cour. Je n’ai donc pas attendu longtemps dans la file comme d’habitude. L’eau était propre et froide, de quoi me rafraichir après une nuit longue et chaude. Je me suis vêtu de mon uniforme qui sentait encore l’odeur de la lessive. Je me suis rendu à mon lieu de service en 15 minutes, ce qui représentait un véritable record. Car, à cette heure habituellement, j’aurais subi les embouteillages incontournables du matin. Bref, tout semblait montrer que cette journée serait parfaite pour moi. Mais j’étais loin de m’imaginer qu’elle présageait le pire : je me suis fait virer. 

Les jambes flageolantes, le cœur meurtri, le souffle-court, je tenais tant bien que mal à garder la face. Je voyais le regard des uns et des autres se poser sur moi avec tant de questions en suspens. Il ne fallait pas être psychologue pour deviner que tous voulaient savoir pourquoi je rentrais plus tôt que d’habitude. Les visages connus au quartier se contentaient de me dévisager comme un spectre qui leur apparait. Par contre mes connaissances du quartier, celles avec qui je partageais une bière en soirée ou encore une partie de dame le dimanche n’osaient que la salutation à mon adresse. Pas besoin d’aller plus loin, pour savoir que rien ne va. Le respect et la dignité ici sont de mises et tout le monde y tient, car tels sont les plus grandes richesses que chacun détient en ces lieux. 

Je me rends dans notre cour commune et je tombe sur ma femme qui comme toutes ses congénères s’active à faire les travaux ménagers. Toutes me regardent avec surprise, l’air de se dire que fait-il là à cette heure de la journée. Tous les hommes de la parcelle devraient être au boulot en ce net moment, c’est ce que la logique voudrait. Cette heure était réservée aux femmes de la cour. Les hommes eux devaient être en train de chercher le gagne-pain à pareil instant. Il n’en restait qu’un seul connu de tous qui paressait à la maison le jour comme la nuit. Il était en quelques sortes l’exception qui défie la règle. Alors que faisais-je donc là ? Surtout que j’étais réputé travailleur. Leurs interrogations se lisaient sur leurs visages. Mais elles ne représentaient rien devant le désespoir qui se peignit en une fraction de seconde sur le visage de ma femme. Elle avait compris. Je me suis rendu dans notre modeste demeure direction la chambre. Elle avait déjà dressé le lit ; tant mieux parce que j’ai plus que besoin de repos. Je m’y jette sans ménagement et me détends. Je ne suis pas surpris quelques instants plus tard de sentir sa présence dans la chambre à mes côtés. Elle s’attèle à retirer mes chaussures et mes chaussettes en silence. Je la connais et je sais qu’elle n’est qu’à la recherche d’une confirmation de ce qu’elle pense déjà. 

- Que s’est-il passé ? osa-t-elle enfin

- Ils m’ont viré. 

- Pourquoi ? Qu’as-tu fait ? 

         Là la colère sourde en moi, enfouie depuis tout ce temps vient finalement se déverser sur elle. 

- Comment voudrais-tu que je le sache grondé-je ? Est-ce qu’il y a quelqu’un qui peut deviner qu’on peut le virer d’une minute à l’autre ? Quels sont ces raisonnements idiots ? Sois plus intelligente quelques fois non ! 

- Mais….ils ont peut-être pu te donner une explication non ?  Cela ne se fait pas de mettre quelqu’un à la porte sans motif. 

- Ne m’énerve pas Sandrine ! Si tu veux des raisons, vas les leur demander toi-même. 

- Comment pourrai-je ? Je ne connais même pas tes patrons. Qu’allons-nous faire maintenant ? Les enfants ? Le manger ? Le loyer ? Ne t’ont-ils pas indemnisé ? Ils le devraient pourtant. C’est une injustice……

- SORS DE CETTE CHAMBRE tonné-je ! IDIOTE ! Répètes-voir et tu verras à quel point je peux battre une femme. 

     Là, sans attendre son reste, elle s’enfuie à l’extérieur au risque d’envenimer la situation. Voilà ce que je voulais : le répit. Je n’avais aucune envie de lui donner d’explication compte tenue de la gravité des faits qui me sont reprochés. Comment dire à ma femme que j’ai été viré parce que j’entretenais une relation extra-conjugale, pis encore avec ma patronne et que tout se passait dans le lit de mon patron ? Comment lui dire que mon patron a tout appris et qu’il m’a viré après une bonne bastonnade ? Comment lui dire que je ne mérite pas d’indemnisation à cause des faits reprochés ? C’est impossible de le lui dire, car je l’ai trahie. Je l’ai déshonoré au plus haut point. Elle qui m’a soutenue pendant toutes ces treize années. Elle qui attend frénétiquement que notre condition financière s’améliore pour qu’on se marie enfin. Elle qui a tout sacrifié pour être à mes côtés. Je ne peux pas lui faire ça. Non, je préférais encore me servir de mon autorité de mari et chef de famille pour dissimuler les faits.

Mes yeux se posent sur mon poignet pour regarder l’heure qu’il fait. 21h 15 minutes, annonce-t-elle. Je ramène ma bouteille à mes lèvres pour ingurgiter le contenu : de bière locale. Je la dépose sur la table à côté de toutes les autres bouteilles déjà consommées : quatre au total. Quelle chance ou je dirais, quel luxe. Des semaines se sont écoulées depuis que je n’ai plus touché à un verre d’alcool. Non pas que je sois en train d’entamer un sevrage volontaire, mais plutôt parce que ma situation actuelle m’impose de mettre un terme à ce genre de dépenses, que ma femme juge inutiles. Je suis sûre qu’elle aurait encore déblatéré tout un chapelet de reproches à mon égard si elle me voyait en ces lieux. « Quel gaspillage tu fais ! » ou « Comment un père de famille peut-il agir de la sorte en faisant preuve d’irresponsabilités à ce point » ou encore « N’as-tu aucune gêne de t’abreuver d’autant d’alcool pendant que nous nous affamons tes enfants et moi-même ? » ou bien d’autres répliques du même genre qui nous amèneraient à nous disputer une fois de plus comme ces deux derniers mois. Bref, elle aurait pu le faire si elle était présente. Mais ce soir, en cet instant, je ne l’ai pas sur mon dos, et je ne peux refuser un cadeau de celui que j’appelle mon bienfaiteur. 

Je dévisage mon ami actuel et je le vois en train de sourire de toutes ses dents, qui ont perdu de leur blancheur éclatante. Il lui en manque quelques-unes, mais cela n’a point d’importance pour moi. Il me dévisage et me propose une autre tournée, que je décline immédiatement. 

- Désolé, mais je me dois d’être sobre pour ce nouveau boulot. 

- Oh tu y penses encore ? Ne t’en fais pas, tu ne crains rien. Et puis l’alcool te fera beaucoup de bien. C’est moi qui te le dis. 

- Oui, tu as sûrement raison. Mais j’ai toujours pour habitude d’être capable de disposer conscience de mes actes quand je rencontre mon employeur. 

- D’accord. Mais tous les entretiens d’embauche ne sont pas pareils. 

- Ah oui…bégayais-je. Oh mon vieux, tu aurais pu me le faire savoir depuis. J’aurai pu mieux me préparer pour la circonstance. 

- Non ne t’en fais pas. Ta tenue est convenable. Le plus important ici c’est d’être courageux. Les pleutres ne servent à rien. Ici, il te faudrait aussi de la force, sinon ce sera du temps perdu. 

- D’accord. Est-ce que je dois savoir autre chose ? 

- Oui, tu dois être discret, très discret. 

- Ok, ok, ok. Tu peux compter sur moi sur ce coup. Je serai une tombe. 

- Alors tu es mon homme. J’ai toujours apprécié ce côté chez toi. C’est vraiment une qualité. Continues ainsi et tu verras que ta vie changera d’ici peu. 

MATONDO que j’appelais affectueusement Mathos depuis quelques jours, et moi-même continuons la discussion tranquillement sans trop d’encombres. Qui aurait pu imaginer que quelqu’un comme lui serait mon Joker au moment où je m’y attendais le moins ? Personne, en tout cas pas moi. J’en aurai mis ma main à couper. Jusqu’à présent, il avait toujours été l’inconnu, le paresseux, le gigolo de la parcelle. Il vivait en retrait de tous. S’il n’avait pas de femme et des enfants qui manifestaient une certaine présence humaine, on dirait que c’est un fantôme. Je l’ai rencontré à de rares fois lorsque je rentrais du boulot et qu’il allait pour je ne sais quelle direction ou encore en se croisant au détour des toilettes. Mathos était jusqu’à présent un curieux personnage. Il ne s’intéressait à personne, paressait à longueur de journée à la maison, sortait à peine et surtout restait enfermé chez lui. Ma femme, Sandrine m’avait parlé de lui lors de nos discussions ou encore quand elle avait envie de me parler de son quotidien qui se résumait en grande partie à colporter les ragots de la parcelle, une cour commune avec près de dix appartements. Bref, ce n’est qu’ainsi que je connaissais cet homme, c’est-à-dire de façon très évasive. 

Pourtant, le destin a voulu s’en mêler un peu. Nos chemins se sont rapprochés et aujourd’hui, il est le sauveur de ma famille, la personne qui va faire changer notre quotidien misérable en une destinée heureuse. Il a pu me donner ce que nombreux n’ont pas osé m’offrir : un travail. Quel gentilhomme ! Je m’en tiens donc à ses directives et boit littéralement toutes ses paroles. On m’a toujours dit que les actes valent plus que milles mots et je le confirme à présent. Mathos qui paressait semble-t-il tous les jours, travaille, il a un emploi. Je ne sais dans quel domaine, mais c’est un brave homme et qui n’as pas hésité à me venir en aide. En plus, il suffit de voir comment ses appartements sont aménagés pour le croire. Je comprends mieux pourquoi beaucoup de femmes jalousaient son épouse. Cette femme et leurs enfants vivent dans de bonnes conditions et ne manquent de rien, ils ne connaissent pas de retard dans le paiement de leur loyer, ils n’ont pas de dettes avec tout le voisinage, ils ne manquent pas de quoi manger. En un mot, ils sont à l’abri du besoin. 

Cependant, les circonstances ont fini par nous rapprocher. J’ai perdu mon boulot récemment. Je me suis fait virer un matin sans préavis parce que mon patron avait fini par découvrir la liaison que j’entretenais avec son épouse. Mais ma femme ignore cette version des faits. Je n’avais pas d’économies et nous faisions désormais face des difficultés de tout genre. Ma femme qui prenait désormais toutes les charges familiales a fini par trouver une stratégie peu commune. Elle s’est proposée de discuter avec l’épouse de Mathos et lui faire état de notre situation devenue misérable. J’ai toujours détesté étaler mes problèmes sur la place publique, encore moins être pris en pitié par un individu, mais dans ce cas, nous n’avions plus le choix. Les deux épouses ont discuté, je ne sais pas ce qu’elles se sont racontées, mais aujourd’hui, ce soir j’aurai un nouveau boulot qui nous sortira de cette précarité. 

Je jette de nouveau un regard à ma montre et il est 22h. Je prends mon courage et ose quand même questionner mon bienfaiteur, tant l’interrogation me brûle les lèvres et l’attente se fait longue et vaine.

- Mathos, mon cher ami, qu’attendons-nous depuis tout ce temps ? 

- Le signal répond-il calmement. 

- Quel signal ? 

- Tu verras. Sois patient. 

Je le dévisage et m’attends à ce qu’il soit un peu plus clair dans ses propos, qu’il donne davantage de détails, mais rien. Il se referme comme d’habitude et me laisse sur ma faim. Pourquoi autant de cachotteries m’interrogé-je ? Qu’attendons-nous donc et pourquoi autant de mystère sur ce boulot ? Bref, je décide de faire taire toutes mes réflexions pour mon bien être, car ma tête commence déjà à tambouriner. Je sors de table tout en faisant signe à mon ami et me rends au petit coin pour me rafraîchir. Je ne veux en aucun cas louper un détail de cette soirée, alors je retourne au plus vite à ma place. Cependant, je constate la présence d’un inconnu à ma place en grande discussion avec Mathos. Serait-ce lui le signal dont il faisait allusion ?


Les petits pots d'Au...