Épisode 11
Ecrit par Mona Lys
11
CINQ ANS PLUS TARD
AALIYAH
‒ Regarde l’appareil et fixe-le intensément, ensuite croque dans la pomme.
J’obéis. Les flashs crépitent tandis que je croque lentement dans la pomme. Chaque petit moment est photographié. On fait une pause pour modifier mon maquillage en accentuant celui de mes yeux afin de les rendre plus captivants. La séance reprend. Après encore une autre heure, elle prend fin.
‒ Tu as été géniale comme toujours.
‒ Merci Darnell. Je peux voir ?
Il tourne son écran et me fait voir toutes les photos prises aujourd’hui. Il fait toujours un bon boulot avec son appareil. Mes yeux bleus m’ont valu plusieurs contrats de mannequinat pour différentes structures. Je fais dans les publicités dans les magazines. C’est ainsi que j’ai rencontré Darnell et depuis nous sommes de très bons partenaires en affaire. Quand il a des contrats, il me propose toujours comme mannequin et moi aussi quand j’ai des contrats je demande à ce que ce soit lui qui me photographie.
Je me fais de l’argent avec mes contrats. Je ne peux compter le nombre de magazines dont j’ai fait la couverture ces cinq dernières années. Mes photos sont placardées un peu partout dans les villes sur de grandes pancartes. J’ai fait des publicités de nourriture, de glace, de pâtisserie, de défrisants, de maquillage pour des grandes marques et plein d’autres choses. Tout le monde est fasciné par mes yeux bleus. Je ne pose jamais nue ou encore en des tenues trop dévoilantes. Ce sont de toutes les façons mes yeux les priorités. Mais en dehors de ça j’ai d’autres activités. Plus précisément des magasins de vêtements et autres accessoires. Après m’être inscrite à l’Université pour reprendre mes cours, j’ai investi une grosse partie de l’argent afin d’en avoir plus. Le reste je me suis fait plaisir avec dans les sorties de tous genres. Je me suis rattrapée en une année. J’ai fait tout ce que je rêvais de faire dans ma période de cécité.
Après le shooting photo, je me rends dans ma plus grande boutique y passer la journée avec mes deux vendeuses. Je les laisse gérer la boutique tandis que moi de mon côté je boucle un dossier de travail pour la boite où je bosse. J’ai terminé mes études et maintenant je suis à mon propre compte. Je travaille aussi en freelance dans la boite de la cousine de Mira même si je gagne déjà assez. J’arrive à tout agencer. Je déteste rester seule à la maison à ne rien faire donc je fais en sorte d’avoir des journées chargées. Je suis déjà assez restée enfermée durant trois années. Maintenant j’aime être en activité. Faire tout ce qui pourrait me distraire. Je ressens constamment la solitude. Je cherche toujours de quoi passer mon temps.
A 16h, Maurice fait son entrée dans la boutique, tout beau et frais comme à son habitude.
‒ Coucou ma princesse.
‒ Salut toi.
Il se penche vers moi et m’embrasse.
‒ Tu n’as pas oublié notre diner n’est-ce pas ?
‒ Bien-sûr que non. Allons que je me change.
Nous arrivons chez moi en trente minutes. A peine je referme la porte derrière nous que Maurice m’attire contre lui. Il m’embrasse. Je me laisse faire.
‒ Tu m’as grave manqué ma princesse.
‒ Toi aussi.
Je me dégage de lui quand je sens ses mains pétrir mes fesses.
‒ Nous serons en retard.
Je me précipite dans ma salle de bain me rendre propre très rapidement. Quand je ressors avec ma serviette nouée à la poitrine, je sursaute quand je vois Maurice assis sur mon lit.
‒ Mon Dieu tu m’as fait peur.
Il marche vers moi avec le regard plein de désir.
‒ Tu ne peux pas savoir à quel point je t’aime Aaliyah.
‒ Je t’aime aussi Maurice.
Il reprend possession de mes lèvres avec deux fois plus de sensualité. Je me laisse entrainer dans ce baiser. Il me traine vers le lit sur lequel il me fait coucher. Il promène ses lèvres entre mon cou et mes lèvres pendant que plus bas sa main glisse sous ma serviette avant de remonter vers le nœud qu’il entreprend de détacher.
‒ Maurice ! Dis-je dans l’optique de le stopper.
‒ S’il te plaît bébé. J’ai grave envie de toi. Ça fait un an que je patiente.
Il défait ma serviette. Je le laisse faire parce que je pense qu’il est peut-être temps pour moi de sauter cette étape. J’écarte mes jambes pour lui permettre d’être à l’aise. Je fais le vide dans ma tête. Je me laisse aller à ses caresses. Mais lorsqu’il me fait un suçon dans mon cou je suis frappée par des souvenirs lointains. Les souvenirs de cette nuit-là. Il m’avait fait un suçon dans le cou qui m’avait arraché un gémissement. Plus je revois cette nuit dans mon esprit, plus je me sens excitée. Je me détends totalement. Je donne accès à tout mon corps en revivant mentalement cette nuit.
‒ Liyah !
Mon corps se tend, mon excitation descend et je reviens à moi. Je repousse Maurice.
‒ Je suis désolée je ne peux pas.
Je me dégage de sous lui et recouvre mon corps de la serviette.
‒ Qu’est-ce que j’ai fait de mal ?
‒ Non ce n’est pas toi. C’est moi. Je ne me sens pas encore prête. Je suis désolée.
Je me précipite dans la salle de bain où je m’enferme. Pourquoi je n’arrive toujours pas à l’oublier ? A oublier cette nuit ? A oublier ses caresses ? A oublier la douceur de sa voix ? Cinq ans bon sang et je suis toujours aussi liée à lui. Je n’arrive même pas à coucher avec un autre. Après lui, personne d’autre n’a eu accès à ma fleur. C’est comme si tout mon être me criait qu’il n’y a que lui qui puisse me satisfaire. Qu’il n’y a qu’à lui qu’appartient mon corps.
‒ Je suis désolé bébé. Je n’insisterai plus. Je t’attends dans le salon.
Je le rejoins quelques minutes plus tard après m’être remise à moitié de mes émotions et nous prenons la route du restaurant. Durant tout le diner mon esprit est ailleurs. Pourquoi je n’arrive pas à tourner la page ? Je suis toujours autant hantée par mon bienfaiteur. Cinq ans que je n’ai cessé de penser à lui, de le désirer, d’attendre son retour, d’attendre un appel de lui. Cinq ans que j’attends qu’il revienne éteindre ce feu qu’il a allumé en moi cette nuit. Mon Dieu cet homme m’a ensorcelé. Je suis amoureuse d’un homme que je n’ai jamais vu.
‒ Aaliyah tu m’écoutes ?
‒ Hum ? Fais-je en levant les yeux vers lui.
‒ Je disais qu’un an a suffi pour me situer sur mes projets avec toi. Une année m’a suffi pour t’aimer à la folie. C’est pour cela que ce soir…
Il se met à genou devant moi. Je me redresse, sidérée par ce qu’il s’apprête à faire. Il sort un écrin qu’il ouvre sur une belle bague.
‒ Je veux te demander de m’épouser. Veux-tu bien me faire cet honneur-là ?
Dieu de miséricorde je ne m’attendais pas à ça. Pourquoi fait-il ça alors que je lui ai dit ne pas être prête ? Qu’est-ce que je fais, alors que les gens nous regardent ?
‒ Rassieds-toi s’il te plaît, lui sifflé-je doucement.
‒ Quoi ?
‒ Assieds-toi je t’en prie.
Il obéit.
‒ Ecoute Maurice, je t’aime. Mais… pas assez pour devenir ta femme. Tu mérites une femme qui t’aimera à la folie autant que toi tu l’aimeras.
‒ Que veux-tu dire ?
‒ Que non je ne peux pas t’épouser et je crois que nous deux ça doit s’arrêter là.
‒ Quoi tu es sérieuse ?
‒ Je suis désolée.
Je pose deux billets de 10 000 FCFA sur la table et je pars. J’ai mal de lui faire du mal mais c’est mieux ainsi plutôt que d’accepter sa demande et de le faire souffrir plus tard. Mon cœur est déjà pris par cet homme que je ne connais pas et ne connaitrai peut-être jamais. Je rêve de lui. Je le cherche en tout temps et partout. A chaque fois que je vois un homme qui serait susceptible de lui ressembler, je le suis juste pour entendre sa voix. Je reconnaitrai la sienne parmi mille. Elle est ancrée en moi. Impossible de l’oublier. Elle était si belle, si douce, si rassurante, si apaisante. Elle me donnait des frissons à chaque fois qu’elle résonnait à mes oreilles et lorsque dans cette voix sonnait mon nom, j’en devenait folle amoureuse.
‒ Qui es-tu et où es-tu ?
Je me détends dans mon sofa, mon portable en main. Je fixe son numéro que j’ai sauvegardé pour ne pas le perdre. Depuis cinq ans que je lance son numéro mais jamais personne au bout du fil. J’ai essayé d’un autre numéro mais pareil. Je crois que la puce a été déconnectée ou détruite. Je relance encore l’appel et toujours rien.
J’ai essayé de l’oublier en ayant des relations amoureuses mais à chaque fois, comme ce soir avec Maurice, je finis par rompre parce que bien que ma volonté y soit, mon cœur refuse d’aimer un autre homme que lui. La première année après son départ, je me suis concentrée sur mes études tout en espérant qu’il réapparaisse. J’ai même fait deux ans à refuser les avances des hommes jusqu’à ce que, lasse de l’attendre, je décide de l’oublier en sortant avec d’autres. Mais jusque-là rien. Je pense toujours autant à lui. J’espère toujours autant le revoir. Enfin, le voir. J’espère toujours autant qu’il reviendra terminer ce qu’il a commencé cinq ans en arrière.
*Mona
*LYS
Aujourd’hui je bosse dans la boite de la cousine de Mira où elle aussi travaille. Mira est revenue au pays il y a un an et la fille ainée de son oncle qui l’avait accueilli chez lui au Maroc l’a embauché dans sa boite ici en Côte d’Ivoire. Tout marche pour le mieux pour elle. Elle a pu enfin sortir sa mère et ses frères de la misère. Sa cousine, Angèle, qui est de 5 ans notre ainée à toutes les deux, a même aidé Mira à acheter le mois dernier une petite villa pour sa famille. Mais mon amie vit dans son propre appartement. Je lui avais proposé de venir vivre avec moi mais elle préfère avoir son intimité.
Malgré toutes ces années, elle reste ma seule amie. Je ne me suis pas faite d’autres amies pour m’éviter toutes ces embrouilles inutiles de filles. J’ai plus passé ces cinq années à me poser mais surtout à oublier cet homme dont je ne sais absolument rien qui pourrait me permettre de le retrouver.
‒ Ma mère est tellement heureuse pour la maison qu’elle ne fait que danser.
Je relève la tête de mon assiette de Tchep au poulet pour regarder Mira qui ne fait que sourire de bonheur de savoir sa mère à l’abri de tout besoin. Nous mangeons dans un petit restau Africain pendant l’heure de la pause.
‒ C’est tout à fait normal. Surtout quand on a longtemps galéré.
‒ Je ne te le fais pas dire. Je serai éternellement reconnaissante à mon oncle et sa famille. Tu n’as pas idée de tout ce qu’ils ont fait pour moi.
‒ J’aurais aimé avoir une famille qui m’aide autant que la tienne.
‒ Tu as eu des nouvelles de ta tante et sa famille ?
‒ Pas depuis deux mois que je leur ai donné la somme qu’ils m’ont demandé.
‒ Je ne sais même pas pourquoi tu leur donnes de l’argent. Ils t’ont déjà assez volé pour que tu leur en donne encore.
‒ T’inquiète, je le leur ai fait comprendre. Ils n’auront plus un rond de moi. Je ne travaille pas pour eux.
Nous sommes interrompus par Angèle qui est venue récupérer son plat.
‒ Aaliyah, je t’ai obtenu un contrat pub dans la boite de mon fiancé. Ils cherchent une belle jeune fille pour l’affiche de leur nouvelle structure. Je t’ai proposé et demain tu as rendez-vous.
‒ C’est vraiment gentil de ta part. C’est quelle boite ?
Elle sort une carte de son sac et me la tend.
‒ Voici l’adresse. Tu peux déjà y aller cet après-midi puisque tes heures de travail sont achevées.
‒ Merci encore, dis-je en prenant la carte. J’irai tout à l’heure.
‒ De rien. Bon j’y vais. Je ne serai pas au bureau.
‒ Je suppose que ton chéri est là, demande Mira à sa cousine. C’est seulement quand il vient que tu t’absentes.
‒ Oui il est arrivé ce matin. Bon, j’y vais.
Elle quitte les lieux avec sa démarche qui fait tourner les têtes à son passage.
‒ Son fiancé a intérêt à vite lui mettre la bague au doigt sinon ils vont la lui piquer, rigolé-je.
‒ Il le sait. Ils entameront les préparatifs du mariage ce mois selon ce qu’elle m’a dit.
‒ Toi tu te maries quand ?
‒ Quand toi tu te marieras.
Nous éclatons de rire.
‒ Et Maurice ?
Je rapporte mon verre à mes lèvres.
‒ J’ai rompu hier nuit.
‒ Encore ???? Hurle-t-elle en faisant de gros yeux.
‒ Arrête de me regarder comme ça.
‒ Comment veux-tu que je te regarde ? Aaliyah ça fait le cinquième mec que tu laisses partir tout ça à cause d’un homme qui n’existe même pas.
‒ Il existe, hurlé-je presque. Il existe et je sais qu’un jour on se rencontrera.
‒ Quand tu auras 300 piges ? Aaliyah tu as 28 ans, pense à te caser. Tu as rencontré des hommes qui t’aimaient réellement et qui étaient prêts à faire des projets d’avenir avec toi mais tu les as tous repoussé. Dis-moi ce qu’a fait Maurice pour que tu le jettes ?
‒ Il m’a demandé en mariage.
‒ Je jure que j’ai envie de te baffer. Ce genre d’occasion ne se rate pas.
‒ Mais je ne l’aime pas.
‒ Oui parce que tu as bloqué dans ta tête que tu es amoureuse de ton bienfaiteur. Pourtant si tu décides de le chasser de ton esprit et même de faire l’amour avec un autre, tu l’oublieras. Arrête d’attendre que ce fantôme revienne te dévierger de nouveau.
‒ Ça n’a rien à avoir avec le sexe. Je l’aime tu comprends. Je ne peux l’expliquer mais il s’est gravé dans mon cœur.
‒ Mais il n’existe pas. C’était juste un ange de passage dans ta vie.
Je soupire. Ni elle ni personne ne comprendra ce que je ressens. Il n’était pas un ange, il était bel et bien réel. Et je le sens au plus profond de moi que nous allons bientôt nous retrouver.