Episode 6
Ecrit par Mona Lys
6
***CHRIS
Je m’étais juré ne jamais franchir cette ligne. Je viens de commettre la bêtise de trop. Ça me sera fatal, je le sens. La première a été de la ramener avec moi de la Côte d'Ivoire. La deuxième a été de l’introduire dans mon monde et maintenant ça. Maintenant elle va se faire plein d'illusions. Ça risque de créer d'autres choses que je voulais éviter à tout prix. Quel merdier !
Un coup est donné sur la porte et quelqu'un entre. Sans détourner mon regard de la ville que j’observe au travers la baie vitrée de ma chambre d’hôtel, je reconnais les pas d'Alana.
— Que fais-tu à 2h du mat dans une chambre d’hôtel ?
— J'avais besoin de réfléchir sur ce qui nous est tombé dessus.
— Ici ? Ton immense maison t’empêche de réfléchir ?
— Alana !
— Ok.
— Du nouveau ?
— Les hommes ont trouvé quelque chose mais rien d’encore clair. Ils continuent d’enquêter. Comment se porte Inayah ?
— Plutôt bien, pour quelqu’un qui a failli mourir.
La sonnerie de mon portable nous interrompt. Alana me l’apporte. Je décroche sans regarder l’écran.
— Oui ?
— « Où as-tu mis tes bonnes manières, Chris IVANOV ? »
Cette voix ! Cet accent ! On aurait dit…
— « Quoi ? Tu as perdu ton latin ? Tu ne dis pas bonjour à ton parrain ? »
— Je te croyais pourri sous terre entre les asticots ?
— « Je l'ai dit à ton défunt père, Romario GOMEZ ne mourra pas sans avoir achevé sa mission sur terre. Et cette mission, c’est d'en finir avec ce qui reste de la lignée des IVANOV. J’espère que tu as apprécié mon show de ce soir ? »
— C’était donc toi ?
— « En chair et en os. Oh ! Ne me remercie pas de vous avoir gardé en vie, ta dulcinée et toi. Ce n’était pas encore le moment d'en finir. Je vais d'abord t'en faire baver et célébrer ta descente en enfer. Au fait, comment va Inayah ? Pas trop eu de bobo je l’espère bien ? Je tirerai sinon les oreilles à mes hommes. »
Je me retiens de dire quelque chose qu'il pourrait utiliser contre moi.
— « Elle me plaît bien. Et si au lieu de la tuer, je la prenais comme femme. Une aussi belle jeune femme ne doit être veuve trop longtemps. Juste une journée et c’est bon. »
— Tu peux l'appeler directement pour discuter de tout ça avec elle. Je suppose que tu as déjà son contact ? Ou veux-tu que je te le donne ?
Il rigole de sa vieille voix rouillée par la vieillesse.
— « Ne fais pas celui qui s'en fiche. Tu tiens à cette femme plus que tu ne veux me le faire croire. Tu sais, je t'ai beaucoup observé ces six derniers mois. J’ai appris à te cerner. Mais ce soir, pendant votre dîner, j’ai eu la confirmation que je voulais. Tu es obnubilé par cette femme. »
— Si ça peut te faire plaisir de le penser.
Il rigole de nouveau.
— « Ton père, c’était mon meilleur ami et j’ai connu ton grand-père. Tu regardais cette fille ce soir exactement comme ton père regardait ta mère durant toute leur vie. Pareil pour tes grands-parents. Vous avez tous le même regard quand vous êtes amoureux. Et c’est ÇA le pire défaut des IVANOV. Vous devenez faibles lorsque vous aimez. Palvskov IVANOV s’est fait buter stupidement en voulant protéger sa femme. Ton père Andreï n'a pas vu venir sa mort parce qu’il était trop occupé à s’amouracher avec ta mère. Ou plutôt, il ne m'a pas vu venir. Les femmes vous rendent faibles et stupides. »
Raison pour laquelle je me refuse toute relation amoureuse. Ça a détruit ma famille. L’amour rend faible, même le plus fort des hommes.
— « Je vais te frapper là où ça fait mal. Très très mal. Tu es intelligent, tu sais de quoi je parle. »
Il raccroche.
— Qui c’était, Chris ? me demande Alana.
Je lève de nouveau les yeux sur la ville.
— Renforce la sécurité autour d'Inayah.
— Pourquoi ?
Parce que mon pire ennemi veut frapper là où ça fait mal.
*Mona
*LYS
« — Tu ne dois jamais fléchir devant qui que ce soit. Même quand tu te sens défaillir, montre à tous que tu restes le maître du jeu. Ce sera bientôt toi le Roi de l’ombre. Tu dois être fort en tout temps. Tu dois maîtriser absolument tout et tous. Tes ennemis, tu les gardes à portée d’œil. Ne te fais jamais surprendre. Sois redoutable, crains par tous. Ne leur montre jamais, jamais, jamais, qu'il peut y avoir une quelconque affinité entre eux et toi. Ce sont tes ennemis. Il n’y a jamais d’amitié dans l'ombre. Juste des échanges de bons procédés. M'as-tu compris ?
— Oui, Dark.
— A la première erreur de ta part, à une quelconque petite faiblesse, ils te buteront et prendront ta canne en or.
— Aucune faiblesse. Aucune erreur. Nikogda (Jamais, en Russe).
Il sourit de satisfaction.
— Rentrons maintenant. Ta mère doit nous attendre avec impatience.
Nous tournons dos à la falaise au bord de laquelle nous nous tenions. Mon père a tenu à avoir une conversation entre hommes avec son fils de 16 ans que je suis. Nous avions eu ce genre de conversation en tête à tête mais celle de ce jour m'a semblé différente. Il me parlait comme si c’était la dernière fois. Il me parlait comme s’il me donnait la place sur le trône alors que le fils ne peut monter sur le trône quand le père vit encore. C’est vrai qu'il se fait vieux mais ce vieux Russe tient encore debout comme un jeune de 18 ans. Il me forme depuis mes 12 ans à le remplacer à la tête de l’entreprise familiale. Je suis issu d’une famille des plus grands mafieux qui ont pu exister. C’est une succession. Je serai la quatrième génération à diriger l'ombre. Le quatrième Dark. Je me sens déjà prêt après toute la formation que j’ai reçue. Je vais par moment avec mon père régler certaines affaires. Alors oui, je suis prêt à prendre la canne.
Lorsque nous approchons de la maison, des bruits d’armes nous font sursauter. Le chauffeur arrête la voiture brusquement. Mon père regarde en direction de la maison où les coups de feu continuent. Il ordonne au chauffeur de m’emmener loin pendant qu’il descend de la voiture.
— Papa, où vas-tu ?
— Chercher ta mère.
— Mais elle doit être déjà morte. Allons-nous-en.
— Je n'irai nulle part sans ma femme.
— Papa !
Il fait signe au chauffeur qui démarre et roule en marche arrière. Je regarde mon père rentrer dans notre demeure en sortant son arme de son dos.
— Arrête-toi ! j'ordonne au chauffeur.
— Le boss a dit…
— Je suis aussi ton boss alors tu m’obéis. Tu gares maintenant.
Il obéit malgré lui. Je descends tout doucement et suis les traces de mon père. Dans la cour, les corps des gardes sont couchés çà et là. Je me faufile entre eux. Je crois que cette histoire est en rapport avec hier. Mon père était rentré avec du sang sur ses vêtements. Ensuite je l’ai entendu se disputer avec maman toute la nuit. J’ai aussi entendu le nom d'oncle Romario. Depuis quelques temps ils sont en froid. Pire, je dirai qu’ils sont devenus ennemis. Il y a deux gardes postés à l’entrée de la maison. Je me baisse dans la pénombre et entre par un autre accès. La voix grave d’oncle Romario est la première que j’entends. Je le vois faire face à mon père en lui pointant son arme. Deux hommes tiennent ma mère et trois autres font juste le guet.
— Laisse-la partir, Romario. Tu sais pertinemment qu’elle n’a jamais rien eu à avoir dans tout ça.
— Mon fils non plus.
— Il m’avait manqué de respect, ce petit enculé. Moi qui lui ai torché le cul quand il était un échantillon humain. Et ta connasse de femme n’était pas mieux.
— Que tu la tues elle, ça m’est égal. Mais mon gosse ? Mon héritier. C’était à lui que revenait le trône de l’ombre.
— Il était trop faible et tu le savais. Chris, lui, est prêt. Pourquoi refuses-tu de le reconnaitre ? Ça ne t’a pas suffi de me planter un couteau dans le dos, tu veux encore voler le trône qui appartient à ma famille depuis trois générations ? Chris en sera la quatrième. Que tu me menaces moi, c’est une chose, parce que c’est moi ton ennemi. Mais que tu menaces de t’en prendre à ma femme, ÇA NON !
— Regarde comme cette femme te fait perdre tes moyens. Toi qui as toujours été insensible et redoutable. Te voilà qui défaillis à chaque fois qu’on menace de s’en prendre à cette pute.
— Je ne te permets pas !
Mon père fait un pas mais il s’arrête très vite devant l’arme d’oncle Romario.
— Tu veux tuer quelqu’un ? Vas-y ! Tue-moi !
— Non, c’est elle que je veux. C’est de sa faute. J’ai menacé de la tuer et tu as fait disparaitre ma famille. Mon seul et unique fils. Je vais donc te la prendre.
Il pointe son arme sur ma mère qui ne fait que pleurer.
— Non, non, non. Je t’en prie ne fais pas ça, supplie mon père.
Je reçois un choc. C’est bien la première fois que j’entends mon père supplier une personne.
— Je t’avais pourtant averti lorsque tu commençais à la fréquenter, reprend oncle Romario. Je t’avais prévenu de ne pas tomber amoureux. Mais tu n’en as fait qu’à ta tête.
— Ma vie privée ne te concerne en rien. Ce n’est pas de sa responsabilité si tu m’as tourné le dos pour t’allier aux Mexicains dans le but de me combattre. Ce n’est nullement elle qui t’a dit de trahir ton meilleur ami. Tu as tout simplement envié ma place et nous voilà aujourd’hui.
— Oui, le trône ne doit appartenir à un homme qui se laisse manipuler par une femme. Tu devenais la cible de nos ennemis. Ils pouvaient t’atteindre par cette femme. Nous avons tous une famille, d’autres en ont plusieurs, mais l’amour pour nos femmes n’a jamais existé. La règle c’est : On prend des arrivistes, on les épouse, elles nous donnent nos héritiers et les prochains membres de la League de l’ombre et c’est tout. PAS D’AMOUR. Toi tu as pris une femme qui sortait de ce lot, tu es tombé amoureux et tu as commencé à faire n’importe quoi. Tu manquais des réunions parce que MADAME avait envie d’un diner en amoureux. UN ROI N’EST JAMAIS FAIBLE, MÊME DEVANT UNE BONNE FEMME.
— Elle ne m’a jamais empêché de conduire à bien la League. Je reste malgré tout le plus fort de vous tous.
Oncle Romario rigole.
— On verra bien ça.
Il se rapproche de ma mère, sous le regard assassin de mon père. Il glisse son arme sur sa joue.
— J’ai bien envie de me la taper avant de ta tuer.
— Ôte tes sales pattes d’elle.
Oncle Romario la retire des mains de ses hommes. Il la ramène devant mon père et pointe son arme sur sa tempe.
— Tu veux que je l’épargne ?
— Laisse-la partir.
— Agenouille-toi devant moi.
— Tu as perdu la tête.
Il tire près des pieds de ma mère. Elle hurle de peur. Mon père… également.
— ROMARIO !!! gueule mon père.
— A genoux, j’ai dit !
Mon père ferme ses poings. Ma mère commence à supplier d’être épargnée. Elle n’a jamais aimé cette partie de la vie de mon père. Elle espérait juste qu’un jour il changerait. Je vois mon père faiblir devant les larmes de ma mère.
— Andreï, tu m’avais promis que jamais rien ne m’arriverait. C’était la condition pour que j’accepte de t’épouser.
Mon père baisse la tête. Je le regarde attentivement, curieux de voir comment il retournerait la situation. Je déglutis quand il pose un genou au sol. Ensuite le deuxième. Mon monde s’écroule. Cet homme qui n’a cessé de me dire, depuis mon premier jour sur terre, de ne jamais fléchir genoux devant qui que ce soit ; cet homme qui m’a toujours dit que devant n’importe quelle situation je devais toujours montrer que j’en reste le maitre ; cet homme vient de s’humilier devant… un autre homme ??? Pour… une femme ??? C’est la pire des humiliations qui pouvait arriver à toute la lignée des IVANOV.
Oncle Romario et ses hommes se tapent un fou rire. Mon père relève la tête et m’aperçoit. Il me fait non de la tête. Je comprends qu’il ne veut pas que j’intervienne malgré l’arme que j’ai en ma possession.
— Tu vois, cette sorcière t’a rendu faible, conclut oncle Romario.
Il se tourne vers ma mère et lui tire une balle dans la tête. Mon père regarde avec horreur le corps sans vie de sa femme tomber par terre.
— NOONNN !!!
Il rampe vers le corps et le prend dans ses bras.
— Je t’en prie, réveille-toi ! Ma perle, ouvre les yeux, pour l’amour du ciel.
— Tu ne mérites pas la canne en or de la League.
— Allez tous vous faire foutre.
Mon père fonce sur lui en sortant son arme mais reçoit vite une première balle dans l’épaule de la part de son ex meilleur ami. Il recule de deux pas mais revient à la charge. Il tire à son tour dans le ventre d’oncle Romario. Ses hommes ne mettent pas du temps à réagir. Mon père se fait cribler de balles sous mes yeux. Tout son corps en fait les frais. Il finit par s’écrouler au sol. Malgré toutes les balles reçues, il rampe vers le corps de ma mère. Il prend sa main.
— Je te demande pardon.
Ce sont ses derniers mots avant de s’éteindre. »
J’ouvre les yeux et regarde le plafond plusieurs minutes avant de me lever de mon lit. J’ouvre mon grand coffre et j’en sors la canne en or. Cette canne représente mon pouvoir dans la League. Je l’ai depuis mes 18 ans. Après ma fuite cette nuit, je suis resté dans l’ombre pendant deux années à relever de façon anonyme les affaires des IVANOV. J’avais été trop bien formé pour échouer. Je suis réapparu deux ans après en pleine réunion de la League et devant tous, j’ai tiré une balle dans l’œil de Romario. J’ai ensuite récupéré la canne qu’il avait volée à mon père et j’ai repris la place qui me revenait. Je le croyais mort. Faut croire qu’il a une putain de longue vie, cet enfoiré. Maintenant qu’il est revenu, il voudra me reprendre la canne. Il a toujours été obsédé par le pouvoir. Il n’a pas hésité à se révolter contre mon père quand ses compatriotes Mexicains lui ont fait une proposition alléchante. Prendre la canne des mains des IVANOV pour la remettre aux Mexicains qui gouverneront à jamais la League, mais aussi toute la mafia américaine. Il savait déjà où frapper pour y arriver.
Mon père a été faible à cause de ma mère. Moi je ne le serai pas. Ma mère, je l’aimais. Mais la League passait avant tout. Je me devais de relever le nom de ma famille que mon père avait trainé dans la boue en perdant la tête à cause d’une femme. Mon grand-père n’est pas mort pour une femme, il a juste été distrait. Mais c’est tout comme. C’est pourquoi je n’ai pas hésité à tuer mes anciennes fiancées. Fallait que tous savent qu’au grand jamais je ne cèderai à leurs chantages. Je dois éloigner Inayah de moi avant qu’elle ne devienne un problème. J’appelle de ce fait Alana à qui je confie une mission.
Je reste assis dans la salle de séjour à attendre Inayah à qui j’ai exigé un tour chez le Docteur pour se rassurer qu’elle n’ait rien eu comme mal dans son corps. Je bois une gorgée de mon scotch en écoutant le bruit des cliquetis de ses talons. Elle me rejoint comme j’avais laissé l’instruction.
— Tu as demandé à me voir ?
— Qu’a dit le Docteur ?
— Tout va bien.
Je bois une autre gorgée.
— Prends ces documents, lui dis-je en indexant l’enveloppe sur la table en verre.
— C’est quoi ? demande-t-elle en la prenant.
Elle sort le contenu.
— Un passeport ? Avec une nouvelle identité ? Un chèque de plusieurs millions ?
— Pour te permettre de t’installer sans laisser de trace. Un compte te sera ouvert une fois installée.
— De quoi parles-tu, Chris ?
— Tu t’en vas.
— Quoi ?
Je me lève et pose mon verre sur la table.
— Ton vol c’est pour 1h du matin afin de t’en aller incognito. Tu ne devras plus jamais me contacter.
Je passe près d’elle en sortant.
— Je n’irai nulle part.
Sa phrase m’oblige à m’arrêter.
— Tu ne peux pas décider à ma place, continue-t-elle dans mon dos.
— Je suis le maitre de tout ça, lui rappelé-je en me retournant.
— J’ai aussi mon mot à dire.
— Non mais tu ne comprends pas que tu es en danger ?
— Et pourquoi ça ? Si je suis un pion que tes ennemis pourront utiliser contre toi, tu n’as qu’à me tuer. Ça ne sera pas ta première, non ? Tuer une compagne. Sois tu me tues, soit tu me supportes. De toutes les façons, ma vie n’aura plus de sens sans toi.
Elle jette l’enveloppe sur la table et part en direction des marches. Cette fille ne me facilite pas la tâche. J’appelle Alana.
— « Oui Chris ? »
— Trouves un moyen de me débarrasser d’Inayah. Elle a refusé de s’en aller.
— « L’unique moyen que je vois, c’est de la tuer toi-même pour être sûr que personne ne l’utilisera contre toi. »
Je raccroche. Ça commence à me faire chier.