Etre prête pour une famille

Ecrit par leilaji

Chapitre 20

 

***Leila***

 

J’ai fait l’effort de ne pas sursauter, de ne pas m’énerver, de ne pas me sentir angoissée par une proposition aussi indécente. Je n’ai laissé paraitre aucun sentiment négatif. Mais qu’ai-je donc fait au ciel pour mériter à chaque fois des énergumènes pareils ?

Non mais est-ce qu’il connait Leila Larba ? Est-ce qu’il connait mon histoire avec Xander ? Non ! Il doit surement se dire « cette pauvre togolaise qui sort de je ne sais où, elle sautera surement sur cette occasion en or pour s’en mettre plein les poches. »

 

Putain mais est-ce qu’il me connait ?

 

Je le regarde et souris tout doucement. C’est mon sourire qui souvent précède les tempêtes. Mais c’est l’ami de mon homme, alors je me retiens. J’enlève mes lunettes de lectures et les pose doucement sur mon bureau en bois massif. Je l’ai spécialement choisi moi-même ce bureau. Tout le monde dans cette entreprise travaille sur des bureaux en verre au design très moderne. Je suis la seule qui en a un de ce type, de l’ancienne école. Je l’ai choisi parce qu’il est massif et imposant. Il impressionne les clients qui s’attendent de la part d’une femme aussi discrète que moi à un bureau minable. Je leur fait comprendre par ce bureau, d’entrée de jeu que je compte jouer dans la cours des grands. Je caresse le bois du bureau pour me souvenir de qui je suis et pour ne pas me laisser impressionner par l’homme en face de moi.

 

     Je ne comprends pas ta proposition.

    Moi je crois que si.

    Tu veux me payer pour que … je quitte Xander ? Pourquoi ? Je veux dire ce n’est pas parce que toi et moi nous ne nous entendons pas que ça justifie ce que tu es en train de faire.

    Mon envie de le protéger justifie largement ce que je suis en train de faire comme tu dis. Je connais  les filles de ton genre, tu es ambitieuse, ça se voit.

    Et dans ton monde de machos, c’est mal pour une femme de vouloir réussir ? Je devrais me contenter de balayer chez moi et d’attendre patiemment que mon mec rentre à la maison c’est ça ?

 

Il ne m’écoute plus. Pendant que je lui parle, il note un chiffre sur une carte de visite qu’il a tiré de sa poche. Cette scène me rappelle étrangement celle que j’ai vécue avec Alexander. Je comprends maintenant d’où lui vient cette sale manie de payer les filles. Il a dû prendre exemple sur l’imbécile en face de moi !

 

    Passons aux choses sérieuses, dit-il avec un sourire énigmatique.

    Je t’écoute avec plaisir, je réplique en croisant mes doigts devant moi.

 

Il glisse vers moi la carte annotée et je la lis calmement. Ce n’est pas très long à lire une somme pareille. Il veut jouer avec mes nerfs ! Et bien je vais lui montrer comment les grandes filles jouent.

 

    C’est tout ? C’est à ce montant que tu estimes … ton frère ? Tu veux le sauver de mes griffes ou pas ?

    Je me disais bien qu’on parlait le même langage !

 

Il reprend la carte et y ajoute tout simplement un zéro. J’ai vraiment l’impression que ce type est prêt à tout pour m’éloigner d’Alexander. La somme est énorme. Mais je ne cille même pas une seule seconde. J’aurai pu être rassurée que Xander ait un frère comme lui pour le protéger des prédatrices si la haine de son mentor n’était pas dirigée contre moi. Et puis de quoi se mêle –t-il au final ? Alexander est un grand garçon non ? Il peut se démerder tout seul !

 

    Je crois que tu pourrais faire un tout petit effort encore. Tu sais, il en faut plus pour me convaincre parfaitement.

 

Je lui jette une nouvelle fois sa carte. Il me fixe intensément, à la recherche de je ne sais quelle réponse sur mon visage. Mais mon visage est de marbre. Il mesure mon sérieux dans mon regard. Il semble comprendre que je ne plaisante pas. La tension dans le bureau est à son comble.

 

    Alors ? Découragé par mon prix ? je lui demande avec arrogance.

 

Il déchire la première carte et en prend une nouvelle qu’il tripote un moment. Puis il écrit un nouveau chiffre. Je sens que je commence vraiment à l’énerver, son sourire fanfaron de tout à l’heure a complètement disparu quand il me tend le nouveau montant.

 

     Ne sois pas trop gourmande.

    Ce n’est pas assez ! je lui fais remarquer en lisant attentivement le chiffre inscrit et lui tends à nouveau la carte pour dire d’un ton ferme

     Bon assez joué ! Je double la somme inscrite sur ma carte et c’est mon dernier mot.

 

Je lui souris et répète inlassablement le même discours : « ce n’est pas assez ».

 

     Tu te moques de moi ?

    Tu parles de ta richesse à qui veut l’entendre, appâte moi. Je suis sure que tu peux faire mieux.

     Tu crois que c’est un jeu ? Ne me fais pas perdre mon temps, dis moi combien tu veux qu’on en finisse.

    Il n’y aura pas assez de place sur ta minable carte pour ça.

 

Il écarquille les yeux de surprise et j’ai presque envie d’éclater de rire devant son air déconfit.

 

    Depuis tout à l’heure j’essaie de te faire comprendre que tu n’as pas assez d’argent pour m’éloigner de lui. Tu pourras ajouter autant de zéros que t’as de neurones bousillés sur cette carte, ça ne m’éloignera pas de lui. Je l’ai trouvé, je le garde que tu le veuilles ou pas. Aujourd’hui je suis prête à tout perdre pour lui. Comment veux-tu que je te le prouve ? Que dois-je faire ? Tu veux que je te donne tout ce qui m’appartient, puisqu’il semblerait que ce soit le seul langage que tu comprennes, celui de l’argent. Je vide mon compte courant, mon compte épargne, je vends mes actions BGFI et je te donne tout et tu retournes d’où tu viens. Tu nous laisses tranquilles. Je sais que pour toi ce ne sera qu’une goutte d’eau dans la mer mais moi ce sera tout ce que je possède, tu comprends ? Tout. Pourrais-tu en faire autant ? Peux-tu donner tout ce que tu possèdes pour le protéger de moi ?

 

J’ai parlé vite, avec orgueil mais sans faux semblant parce que je sais que je dis la vérité. Mes yeux ne peuvent mentir. Il s’en rend compte lui-même. Je ne sais pas ce qu’il a vécu qui l’a rendu aussi amer mais je ne peux pas accepter qu’il me manque de respect !

 

Il se lève puis lisse sa veste. Il a une classe indéniable mais ça ne m’impressionne toujours pas.

 

     Maintenant dégagez de mon bureau !

 

Puis je me rassois tranquillement et soulève un gros dossier posé devant moi. Je commence à le parcourir pour lui faire comprendre qu’il n’y a plus rien à ajouter.

Il s’en va.

 

****Une semaine plus tard. ****

 

C’est l’anniversaire d’un des fils d’Elle : Ekang. C’est mon préféré alors je l’ai gâté. Je lui ai acheté un ordinateur. On n’est jamais trop petit pour les nouvelles technologies. Il est fou de joie mais je crois qu’Alexander a fait plus fort que moi. Il lui a carrément acheté un mini quad. Tous les enfants sur place en sont verts de jalousie. Je ne m’attendais pas à ce qu’il fasse un tel geste pour un enfant qu’il a vu juste quelques fois. Je sirote une grenadine avec Elle tandis que les enfants s’échauffent autour d’Alexander et Ekang. Ca crie de partout. Elle et moi sommes de bonne humeur, la fête est très réussie.

 

    Il t’aime vraiment beaucoup, murmure-t-elle en touchant mon médaillon.  C’est extraordinaire ce que vous vivez. Vos sentiments sont si intenses !

    Merci, j’en suis consciente, ne t’en fais pas.

    Béatrice a dit que tu ne viens plus la voir depuis que tu tournes de nouveau les reins avec ton indien.

 

J’éclate de rire. Cette Béatrice est trop ! Mais son salon est tellement bondé les week-ends que souvent ça me décourage de traverser toute la ville pour pouvoir me soumettre aux soins de ses doigts magiques. Elle se tourne vers Alexander qui a soulevé Ekang pour l’installer sur le quad.

Ce genre de fêtes me rend toujours nostalgique de l’époque où ma mère vivait. Les grosses fêtes avec des DJ’S, des ballons, de la nourriture et des boissons à volonté, des enfants qui courent partout, je n’y ai jamais eu droit faute de moyens. Rien que le gâteau d’anniversaire d’Ekang pouvait payer notre loyer à l’époque. Je me rends compte que j’ai parcouru beaucoup de chemin. Qu’on m’envie aujourd’hui alors que je reviens de loin. Je n’ai pas couché ou triché pour réussir et que j’ai de quoi être fière de moi. Mais ma mère n’est plus là pour m’embrasser et me féliciter… C’est bien dommage. Cette douleur, je ne la souhaite à personne. 

 

    Il est très à l’aise avec les enfants. On ne dirait même pas le directeur d’une grosse société.

    C’est ce que je constate.

    Ce sont des signes qui ne trompent pas tu sais. Je crois qu’il est prêt pour …

 

Je lui coupe la parole immédiatement, je vois où elle veut en venir :

 

    Hors de question que je fasse un enfant dans de telles conditions, Elle, n’y pense même pas !

    Mais pourquoi ? Toujours obnubilée par ta carrière ?

    Ce n’est pas ça du tout. Je sais qu’ici au Gabon, on fait des enfants quand on veut, qu’il y ait mariage ou pas. Mais je suis togolaise avant tout. Ma mère a amèrement regretté d’avoir conçu hors mariage. Je ne peux pas reproduire les mêmes erreurs qu’elle ! Il me faut me marier pour penser à pouponner.

    Tu t’entends là Leila !

    Quoi ?

    Tu es prête à te marier ? Avec lui ? Je te pensais allergique à ce genre d’idée.

    Il est parfait Elle. Et je l’aime. Malgré notre différence de culture, de peau… Je le trouve parfait pour moi.

    Je suis heureuse pour toi petite.

 

A peine je vide mon verre, qu’une grosse berline noire entre dans la concession et se gare pas très loin de ma voiture. Le chauffeur en sort avec un énorme cadeau en main tandis que la portière arrière s’ouvre. Mon cauchemar sur pied est là. Je ne sais toujours pas ce qui se passe entre Elle et Denis. Ils ont une attitude qui prête à confusion mais je ne veux pas tirer de conclusions hâtives. Elle est marié à Gaspard et ce n’est vraiment pas de gaité de cœur qu’elle a commencé à le tromper avec Didier, vraiment pas. Ca a été un choix particulièrement douloureux pour elle, après qu’elle se soit rendu compte qu’en réalité son mari ne méritait pas tout l’amour qu’elle lui portait.

Depuis notre dernière altercation, Denis et moi ne nous sommes pas revus. Je ne sais pas quelle attitude adopter.  Il sourit à tout le monde, même à moi ce qui est une première. Alexander nous rejoint immédiatement et salue Denis d’une brève accolade.

Elle se lève pour lui faire la bise et lui tirer une chaise pour qu’il s’installe avec nous sur la terrasse. Moi, je reste assise. Pas question d’être agréable avec l’ennemi tant que je ne sais pas sur quel pied danser avec lui !

 

    Bonjour la togolaise, dit-il avec juste le brin d’ironie suffisant pour m’agacer.

    Bonjour Denis.

 

Xander nous regarde un peu tendu. Tous le monde s’attend à ce qu’on pourrisse l’après midi mais on s’en tient aux bonnes manières pendant trente minutes jusqu’à ce qu’il gâche tout.

 

    Elle est à qui l’épave là ?

 

Elle et Alexander me regardent. C’est ma voiture qu’il désigne. Non mais même quand il y a une trêve, faut qu’il fasse l’intéressant.

 

    L’épave est à moi.

    Alexander, comment peux-tu la laisser rouler dans ce tas de ferrailles ?

    Elle refuse que je lui en achète une autre.

    Pour la simple et bonne raison que je peux me l’acheter moi-même. J’attends juste le bon moment pour le faire. N’en déplaise à certains !

 

Il n’ajoute plus rien. J’ai comme l’impression qu’il ne cherche plus à me poignarder dans le dos. C’est assez étrange d’ailleurs parce qu’il ne me jette même pas ses piques habituelles. Il m’observe juste avec insistance. Même quand je rejoins Alexander auprès des enfants, je sens tout l’après-midi son regard sur moi. Je ne dis rien, ne me plains pas à Alexander pour son comportement. Après tout, je suis formée pour gérer les crises dans de grosses sociétés alors lui, je peux bien manager son sale caractère le temps que la situation se décante. Alexander non plus n’était pas un cadeau mais il s’est adouci avec moi. Je saurai convaincre Denis que je ne cours pas après l’argent ou la position de son ami. C’est à moi de le convaincre que j’aime son frère. Il n’a qu’à me tester autant qu’il veut. Je finirai par le convaincre. Il ne peut en être autrement.

 

Le reste de l’après midi se déroule bien. Ekang, accompagné d’un de ses meilleurs copains, a enfin délaissé son quad pour allumer son ordinateur. Je suis heureuse de lui avoir fait plaisir et j’aime par-dessus tout quand il m’appelle « tata Leila ». C’est trop mignon ! Je n’ai jamais vraiment trouvé les enfants super chou et je n’en ai jamais été gaga, mais ceux d’Elle, je les aime vraiment beaucoup. Peut-être que l’âge aidant je commence à sentir mon horloge biologique tourner sans m’en rendre compte. Ca doit être ça. Mais il n’y a pas lieu de s’inquiéter de toute manière, j’ai encore le temps devant moi pour fonder une famille. Je ne suis pas encore hors circuit !

Après nous avoir un peu surveiller pour empêcher « toute bagarre » Alexander décide du départ.

 

Elle me murmure tout doucement à l’oreille au moment de nous séparer : « donne lui une famille ! ».

 

Je ne peux m’empêcher de me poser une seule et unique question : « Lui qu’en pense-t-il ? »

Les amoureux du Taj...