Il n’y a rien de plus difficile à avaler qu’un peigne de Vénus !
Ecrit par Liseur
Il
n’y a rien de plus difficile à avaler qu’un peigne de Vénus !
A présent ma vie est faite de
paillettes. Je passe le plus clair de mon temps sur les plateaux de
télévisions. Je suis reçu dans plusieurs pays avec les mêmes égards que ceux
réservés aux grands de ce monde. Ma liste d’invitations ne cesse de s’allongée.
Des chefs d’Etat, des rois des, des Princes, des Emirs. Je n’ai que l’embarras
de choix. Des offres de passeport me parviennent à chaque heure. Je crois même
que je serai immortalisé au cinéma très bientôt. Tout cela m’arrive parce que
j’ai sauvé la vie d'un homme broyé par le désespoir. Et pourtant bien après mon
exploit je ne peux dire, entre lui et moi, lequel de nous deux était
le plus désespéré avant que nos deux mains ne se joignent sur cette voix ferrée
sur laquelle il voulait se laisser mourir. Ce qui est certain, est que moi, je
l’étais assez pour ne plus savoir où j’en étais pour devoir sauver sa vie au
prix de la mienne.
Enfant, je rêvais déjà d’un grand
destin pour moi. Savant ! Encore que je l’ai su plus tard, le sens de ce
mot est des plus vague. Pilote ! Les avions me faisaient rêver. A cette
époque je pensais vraiment qu’ils roulaient sur une autoroute céleste.
Devenu adolescent, j’ai du
reconsidérer un certain nombre de mes ambitions. Je les ai remplacées par
beaucoup d’autres aussi irréalistes. A ces âges là, Mes héros étaient plus
tangibles. Ils s’affichent sur les écrans de télévisions et je pouvais les
écouter à la radio. Ceux qui me passionnaient les plus se trouvaient dans des illustrés
et des livres. Certains sont de grands pistoléros et tiraient plus vite que
leur ombre ; d’autres, redressent des tords avec leurs épées. D’autres
encore, possèdent des pouvoirs fabuleux que je leurs empruntaient certaines
nuits de fantasmes.
Après avoir tenté en vain de
ressembler à ces êtres fantastiques, il m’est venu à l’idée d’en être le géniteur.
Donner vie à un personnage ! Il aura pour pays des pages que je vais
noircir d’encre. C’est beaucoup plus simple d’être parent de héros que d’en
être passionné. J’en étais persuadé. Convaincu qu’être le géniteur d’un enfant
qui ne prend jamais de rides, au fil des pages
et des épisodes, peut procurer des félicités inouïes. D’autan plus que Tarzan
est demeuré toujours jeune beau et fort. Il est à tous impossible aux fans d’imaginer
un Tarzan décrépi et effrayé par une bête sauvage.
Mais l’affaire n’a pas que des côtés
agréables. Je l’ai su lorsque j’ai eu connaissance des déboires, plutôt
cocasses, d’auteurs qui ont eu maille à partir avec leur création. Ainsi est-il
advenu que certains ont été poursuivi, traqué et tué par le héro qu’il ont créé
à force de plume et d’imagination ; d’autres, obsédés par le succès délirant
des personnages de leur bouquin, ont dû procéder, grandeur nature, à enterrement
de ces derniers, avec pompe sans pouvoir malgré cela s’en débarrasser. Dans
d’autres cas encore, c’est la création qui a volé la vedette à son créateur.
Plutôt frustrant !
Que cela ne tienne ! A cette
époque de ma vie, au cours de certaines nuits, dans mes rêves, j’ai écris des
polars dont les intrigues auraient fait pâlir de jalousie les maîtres de cet
art. Mais malheureusement je n’ai pas su les transcrire avant que leur souvenir
ne s’évanouisse de ma mémoire à mon réveil. Paradoxalement, cela ne me laissait
aucun regret. J’avais le doux secret que de toute manière, mes personnages n’auraient
pas pu résister à ceux qui se sont déjà confirmés avec des noms évocateurs tels
que : Ed Cercueil, Sherlock Holmes, Miss Marple etc.
Qu’à cela ne tienne ! J’ai faits
de mes nuits le champ de réalisation de mes ambitions diurnes. J’y accompli des
choses aussi merveilleuses les unes que les autres. Aussi ai-je chanté comme une
star du rock devant un public de fans éperdument admiratifs de mes talents;
fait voler en éclat des recors d’athlétisme…. J’ai tant fais que j’aurais pu
être depuis lors, l’homme le plus célèbre de tous les temps. La race humaine,
aurait dû me devoir la majeure partie de son progrès dans de multiples
disciplines. Mais malheureusement pour moi j’ai réalisé tout ces exploits dans
mes rêves. L’heure de l’action n’avait pas encore sonnée.
Il devenait dès lors impérieux pour
moi de donner vie à mes rêves. On ne peut rêver autant en couleur sans pouvoir
rendre ces fantasmes réels. Après maintes réflexions et déceptions j’ai dû me
résoudre à aller à la rencontre de toutes mes obsessions et ne plus attendre et
espérer qu’elles viennent à moi.
Par un beau matin, oui sûrement un
beau matin si je considère la suite, j’ai pris la route sans réellement savoir
où j’allais. Qu’importe c’est le premier pas qui coûte et il fallait que je le
fasse. Le reste à advenir, je l’ai confié au hasard et à la providence. Je
devais me trouver ce jour-là, dans les mêmes dispositions d’esprit que le
Romain qui à prononcé pour la première fois le fameux Aléas Jecta es ! Et
je suis parti. Droit devant moi. J’ai mis un pas devant l’autre. Lorsque j’ai
épuisé mes pas, j’ai emprunté tout moyen de locomotion à ma portée. J’ai voyagé
ainsi de longs jours à la poursuite de choses que probablement je cherchais à
fuir où que je ne pouvais saisir. A l’image de biens d’autres hommes dont la quête est semblable à celle du fameux.
Rahan!
De la sorte, j’ai pu attraper et
rattraper un certain nombre. J’ai corrigé mon opinion sur plusieurs questions.
Je me suis fixé de nouveaux objectifs. Tout cela est plutôt conforme à la
nature humaine. Rien d’extraordinaire en somme. Excepté que je suis, moi, un
être extraordinaire qui ignorait ses capacités et ses dons.
Mais je n’allais plus rester encore
longtemps dans cette ignorance. Les événements qui vont me révéler au monde
étaient déjà en cours sous d’autres latitudes. Cela aussi je l’ai su plus tard.
C’est vraiment drôles comment le destin des hommes est entremêlé. Un avion
décolle de Kamtchatka et vient s’écraser sur un village en pleine forêt
amazonienne. C’est de l’ordre du possible. Donc la suite de mon histoire est
parfaitement plausible.
L’enfant qui devait me révéler au
monde est en route. Il est en train d’être conçu dans un strict anonymat.
Contrairement à ma vie de rêve que je mène lors de mes nuits de sommeil, mes
jours eux étaient faits de défis. Chaque jour en m’apportait et je n’en étais
pas exonéré le jour d’après.
Il faudra plusieurs méga octets pour
recueillir toutes les aventures qui peuplent mes vingt-neuf ans d’âge. Les
scénaristes n’auraient qu’à y puiser.
A titre illustratif, j’ai vécu un
mois entier dans le désert en prise à des privations indicibles. J’y ai survécu
en déployant une ingéniosité insoupçonnée. J’ai usé de stratégie et de patience
pour me nourrir de fourmis et de lézards. J’ai dû ma vie à quelques feuilles de
cactus rabougris. Mais tout cela n’était qu’un apéritif comparé à ce qui allait
être la suite d’une aventure de survie.
Mon calvaire à réellement commencé
lorsque ma route croisa des hommes qui avait perdu toute leur humanité. A moins
que ce ne soit moi, qui tellement mal en point, n’avait
plus rien d’humain. Toujours est-il que le secours que j’espérais d’eux à tôt
fait de se transformer en un enfer. Le désert et ses privations sont un
véritable paradis en comparaison de ce que j’ai souffert de la part de ces trafiquants.
Epuisé comme je l’étais, je ne pus
offrir aucune résistance à ma capture. J’ai vécu avec sept siècles d’écart la
traite arabe. A la différence que cette fois-ci contrairement à mes aïeuls,
nombre de ces négriers avaient beaucoup de choses en commun avec celui que je
suis. Au cours de la nuit de ma capture, avant que le coq ne chante deux fois,
j’ai été vendu et revendu trois fois.
Au petit jour je me retrouvai
dépouillé de tout. Heureusement que le meilleur de moi-même m’a été laissé. Je
n’ai pas été castré comme jadis. Mais j’ai vécu un calvaire que j’aurais volontier
échangé contre mes bijoux de famille.
A propos de bijoux, ma mère a dû
vendre les siens. Sous la menace de mes geôliers, Iya a racheté ma liberté. Ce qui devait être une
libération n’était en fait qu’une légère amélioration de mes conditions de
détention. Mon nouveau statut a favorisé, en relation avec d’autres hères comme
moi, une évasion en plein jour, aussi spectaculaire que périlleuse. Deux
d’entre nous ont été tué à cette occasion.
Ce fut la première fois (Il y en
autre beaucoup d’autres) que j’ai escaladé aussi vivement des murs hérissés de
fils de fer barbelés. Parvenu de l’autre
côté du mur d’enceinte de la prison, car s’en était un, une prison privée par
ailleurs, pire que toutes celles qui ont été imaginé par Hollywood, je me rendis
compte que je n’avais pas quitté le désert.
Lors de ma chute, un pan du mur s’est détaché,
manquant de peu de m'écraser. Le seul compagnon d’infortune ayant survécu, comme
moi, à l’escalade était suffisamment blessé par les lames des fils barbelés pour
qu’’il soit incapable de se tenir debout. J’eu, moi aussi, ma dose de blessures.
Je ressentis la coupure des lames telle une myriade de dard acéré de fourmis
magnan explorant mon anatomie.
Déjà nos
deux corps entrelacés dans la douleur nageaient dans le flot de nos sangs. La
vie nous fuyait. De nous deux j’étais le mieux portant. Je rassemblai donc le
reste de mon énergie afin de nous donner une chance de survie. M’arc-boutant
sur mes cuisses endoloris, je soulevai mon ami d’infortune sur mes épaules,
couru comme je pus et alla me cacher derrière des dunes proches.
Je dus constater, à l’instant précis
où je m’affalais sur le sable chaud, que j’ai quitté scylla pour charybde. Nous
fûmes envahis par une armée de scorpions des sables particulièrement agressifs.
Je repris ma course presque instantanément. Aucun courage humain n’était capable
de résister à leurs piqûres.
Les trafiquants, telle une harde,
étaient à présent à notre poursuite. Leurs imprécations me parvenaient.
Véritables sentences de mort. Ils n'attendaient que l'instant où ils se saisirent
de moi pour me faire subir les pires supplices du monde. Je n'ai plus à
justifier davantage ce qui me faisait pousser des ailes aux pieds.
Je
me relevai donc précipitamment. Je poursuivi ma course alors que ma tête était
en proie au soleil du désert qui se fit subitement caniculaire. Mes pieds, calcinés par la braise du sable, me
faisaient souffrir le martyr. Mais il fallait tenir bon. Je ne voulus pas que
l'Histoire puisse retenir mes faits d'armes comme ceux d'un vulgaire lâche
incapable de sauver un homme d'une mort certaine. A cet instant, la pensée que
dans un futur proche, je serai célébré comme le héros d’un grand pays européens ne m’effleurait
guère. J’agissais par pure instinct de survie. Car voyez-le, chers lecteurs, je
ne doutai un seul instant que les actes héroïques que j'accomplissais me
préparaient à passer se mon vivant à la postérité.
Je courus vite, tellement vite que je
traversai le désert en un quart de tour. Bof ! C’est le sentiment que ma
laissé ma course. Je parvins à l’autre bout du désert tout essoufflé, dans une ville.
D’autres diraient, un bled. Mes narines dilatées aspiraient l’air autour de moi
comme une pompe. Enfin rassasié, mes poumons reprirent un rythme normal. Constatant
que j’ai semé mes poursuivants, je pu évaluer la situation dans laquelle nous
nous trouvions. Elle était plutôt dramatique. N’eût été un oubli passager de la
dame décharnée, on serait déjà passé de vie à trépas. Le blessé était exsangue,
les yeux révulsés, le souffle sifflant comme un train antédiluvien. Il fallait
que j’improvise. Trouver un endroit où on pourrait lui dispenser quelques soins.
Après un bref repérage, j’ai
identifié un bâtiment portant un étendard du croissant rouge. C’est à cet
endroit que j’ai déposé le blessé le plus discrètement possible. Depuis, je
n’ai plus de ces nouvelles. J’espère bien qu’il y a trouvé secours.
Dans cette agglomération, j’ai pu me
faire oublier quelques mois en me fondant dans la masse des autres aventuriers
aussi perdus que moi sur cette terre qui nous est étrangère.
Dans les rues asphaltées de cette ville
sans âme, j’ai marché longtemps semblable à ma caricature. La voûte de mes
épaules plus large que celle au-dessus de ma tête vide. Puis, je m’arrêtai soudain songeur. Je ne sais pour
quelle raison. Surement parce que j’avais besoin de faire un point sur ma
situation. Mais sans l’avoir fait, voilà que je me mets à courir. Je craignais
d’arriver en retard. A quel rendez-vous ? Je ne le sais. Puisque toute une
famille m’attend, Puisque tout le destin
d’un village dépend de mon déchirant départ,
je me devais d’avancer, et vite.
Seul
comptait désormais l’objectif que je m’étais fixé. Franchir cet océan, le rempart
entre mon nouveau et destin moi. Celui que je devais écrire par marathon,
escalades et nages. C’est tout. Rien de plus. Le souvenir de ceux que j’ai
laissé derrière moi, me brule les neurones et la perspective de ce qu’il me
reste à affronter me glace d’effroi. Il fallait donc que j’oublie le passé.
N’ai-je pas coupé tous mes amarres pour m’élancer ?
Seul,
je ne pouvais continuer ma route. Il me fallait de l’aide. Oui ! Demander
à quelqu’un comment le faire. J’arrête un homme dans la rue. Que lui ai-je dis ?
Rien. Sinon deux choses que j’ai oubliées aussitôt. Lui ai-je demandé, laquelle
des routes mène au bord de la mer ? Ce doit être cela. Je n’en suis plus
sûr. Depuis les nombreux coups de matraque, de ces cerbères de geôliers, sur la
tête, dès que j’ouvre la bouche pour parler, j’oublie aussitôt ce que j’ai à
dire. Alors, je bredouille. Il est ainsi. Mon cerveau s’embrume vite.
Je
continuai mon chemin, indifférent à tout. Inférant dans le labyrinthe de mon
cerveau. Chaque nouveau pas fut plus lourd que le précédent. Et quand je le
posais sur terre, elle paraît tremblée.
Céderait-elle ? De toute manière cela m’était égale. Puisque j’avais
l’impression d’être déjà dans le magma. Je suis le seul à savoir de quelles
détresses je me suis réchappé, depuis ….?
Il m’arrive des fois, au hasard des
circonstances, de croiser dans la rue le regard de ceux qui me dédaignent. Il
s’agit de ceux qui naissent avec une cuillère d’or bien insérée dans la bouche.
Je devine ce qu’ils pensent de moi. Rien qu’à leurs expressions, je devais
faire partie de la grande race de ceux qui ont croisé leur destin dans le
mauvais sens. Ceux-là qui voient les autres vivre leurs vies. La grande race
des paumés, des clodos, des camés, des parias des gueux et des proscrits. Ceux
qui sont nés sous le signe astrologique "les misérables". La vermine quoi. A leur décharge, je pu dire
qu’elle existe vraiment. La grande majorité de ceux qui viennent ici-bas avec
la poisse qui leur colle au destin, indécrottable. Oui ! Ils existent.
D’autant plus que j’ai eu à vivre dans une infra-humanité, au bas de la
pyramide des damnés.
Et pourtant, ma vie n’a pas toujours
été ainsi. J’ai eu ma chance. A cinq ans j’étais déjà plusieurs fois miraculé.
J’ai pu éviter la rougeole, la dysenterie, le choléra et beaucoup d’autres
maladies du même genre.
A l’âge de l’initiation, j’ai réussi
brillamment toutes les épreuves. J’ai rapporté au village, à l’issu de la
chasse rituelle, en sus de la vipère aspic, un porc épic vivant. Cet exploit
m’avait valu la main d’Awa, celle que convoitaient tous les candidats à la vie
d’adulte.
Entre ces deux âges, j’étais le
talibé. C’est à cette époque que j’ai été habitué à déambuler dans les rues.
J’ai même fait des études, à l’école coranique dans un premier temps. Ce qui
fait de moi un moins bougre que mes autres frères qui ont fuient l’école
excédés par la morsure de la lanière des maîtres. Iya ma mère, elle a beaucoup
sacrifié de sa personne pour que j’y reste moi. Elle me voyait, plus tard, iman
du village, statut social très enviable ; et peut-être avec un peu de
chance, installer en Arabie avec la promesse de l’argent du pétrole au village.
Mais ce ne fut le cas. Le sort en
avait décidé autrement. Alors qu’un jour je quémandais la bonté des hommes, la
sébile dans la main, dépenaillé et affamé, j’ai été raflé par la police.
C’était une campagne de désinfestation des rues. Le Préfet de police avait la
même image de nous que des microbes qui infestaient un organisme.
Du poste de police, je me suis
retrouvé prise en charge par une ONG. C’est à partir de cette rafle que mon
style d’instruction a changé. J’ai troqué l’arabe contre le français sans
pouvoir aller bien loin sur cette voie. Les rudiments que j’aie acquis lors de
ces classes à même l’ombre des manguiers, m’ont permis de pouvoir déchiffrer
tant bien que mal les illustrés dont j’aime si tant les personnages.
A l’âge
adulte, fatigué d’un horizon qui se raccourcissait de jour en jour, l’appel du
large est devenu plus fort. Il fallait que je parte. Comme les autres qui sont
partis avant moi. Ceux-là qui me faisaient croire que l’Ailleurs vaut mieux que l’Ici
où j’étais. Ici, lui, m’étais devenu
impossible à vivre. J’étouffais dans ces quatre coins de rue que j’arpentais à
longueur de jours. Ces rues qui étaient mon univers. Les petits boulots ne me rapportaient
pas suffisamment pour vivre décemment. Je ne pouvais même pas envisager fonder
une famille. Il y longtemps qu’Awa, celle qui faisait battre mon cœur, a
rejoint le toit d’un autre homme qui aurait pu être son père. Je rêvais de tous
ces récits mirifiques qui se colportaient racontés par ceux qui revenaient des Ailleurs. Sans compter les bruits de
bottes qui résonnaient dans le Nord du pays. A ce sujet, les nouvelles qui me
parvenaient n’étaient pas du tout rassurantes. On parlait de scènes atroces qui
relevaient plus de la barbarie que de la guerre. Partir était donc d’une
impérieuse nécessité.
Folie du voyage qui fait perdre la
tête aux hommes. Odyssée et Pérégrination sont en collusion pour conduire des
vies à Océan. Et tant pis pour le reste. Le voyage rend jaloux et envieux; J’étais jaloux. Je voulais
connaître aussi ces vices si raffinés qui prennent l’allure de vertu. Voir ces
chiens, et ces chats nourris au beurre ; aller dans ces champs de blés à
la géométrie parfaite. Même si rien n’est fait pour moi, il m’importait de
marcher sur ces trottoirs carrelés et fleuris.
Et c’est ainsi que je suis parti de
chez moi pour me retrouver à Ailleurs
qui est dorénavant mon Ici.
Je suis parti sans rien en poche. Je
vivais de la rétribution de petit service que je rendais çà et là. Au début
j’ai marché longtemps sur des kilomètres et des kilomètres. Ensuite j’ai embarqué
clandestinement dans les camions de marchandises qui traversaient le pays de
part en part. Grâce à cela j’ai pu progresser vers le nord plus rapidement. Je
me rapprochais également d’autant de la zone des conflits.
Un après-midi, le jour tombant, alors que je m’étais assoupi
sur les ballots qui surchargeaient un camion, je fus réveillé par le
crépitement d’une Kalachnikov. Il me fallut
moins d’une seconde pour comprendre que j’étais dans de beau drap. En
moins de temps qu’il faut pour le dire, le camion avait été arraisonné par des
coupeurs de route, la marchandise transbordée dans de nombreux pick-up.
Au crépitement de l’arme, je me suis
propulsé par roulade hors d’atteinte. J’ai usé de mon agilité, depuis mon
exploit devenu légendaire, pour réussir à m’abriter rapidement derrière un
rocher. A la réflexion, ce saut d’acrobate a été favorisé par le tremplin
qu’offraient les balles de coton.
Juste au moment où, je pensais être
en sécurité, je fus débusqué par un autre homme. Il pointa le bout de son arme
sur mon museau. Sans un mot il me fit comprendre que je devais rejoindre le
groupe des autres passagers. Je compris que j’étais captif de ceux dont tout le
monde parle. Tantôt, certains les désignent par rebelles, d’autres des fois par
bandits armés, d’autres encore comme des sectaires sanguinaires. Ce dont
j’avais la conviction était que de durs jours à vivre m’attendaient, car ces
hommes armés en djellaba n’avaient rien d’enfants de cœur.
Les coupeurs de routes, c’est ce
qu’ils sont selon moi, parvinrent à leur camp tard le lendemain nuit. Ce qui me
renseigna sur la distance que j’ai ainsi franchi en direction d’
Ailleurs. Je pouvais m’en réjouir
presque. Mais aucune illusion sur mon sort n’était permise. Même si j’ai pas
tout compris de leur baragouin, à la manière dont ils nous traitaient, j’ai
compris que je devais valoir, sur le marché sur lequel ils me destinaient, plus
que les balles de coton.
Dès l’aube, je me retrouvai dans un
champ. Il y avait d’autres hères qui étaient astreints au labour. J’y ai, à
longueur de journée et durant de longs mois, sous le soleil ardent, arrosé des
plants, cueillir des dates, labouré la terre et transporté de lourds fardeaux.
C’est la fuite d’un chameau qui m’a
permis de me libérer de cet esclavage. Lorsqu’il a rompu la corde qui le tenait attaché au
palmier, le camélidé s’est mis à courir à bride abattu, certainement effrayé
par un serpent des sables. C’est alors que j’ai entendu des cris gutturaux en
mon endroit. J’ai compris que j’avais à rapporter l’animal sous peine de
châtiment. Au prix coutant d’un char du désert, le propriétaire n’avait plus
idée de ma situation de captif. Il comptait surement sur la limite du désert
pour que je lui revienne avec sa monture. Sans autres salamalecs, je couru alors
après la bête. Non sans arrière-pensée. J’ai compris instantanément que j’avais
à saisir le seul cheveu que m’offrait dame chance.
Je montai sur le dos du chameau dès
que je lu rattrapé. Echéance que j’ai retardée au maximum afin de mettre de la
distance entre moi et le bédouin furieux. J’ai parcouru ainsi l’équivalent de
deux heures de galops en suivant mon instinct et faisant confiance à celui de
ma monture. Je ne sais plus pour quelle raison, il me désarçonna subitement.
N’ayant jamais enfourché un tel moyen de locomotion, je me suis retrouvé, le
bec dans le sable, distancé par la bête qui galopait de plus bel. Délesté de ma
personne, il s’envolait littéralement. Je le regardai, impuissant avec mille
questions dans ma tête. C’est alors que ma vie de migrant abandonné dans le
désert de sable a commencé.
De tout ce que j’ai vécu, le moment le plus
terrible fut celui pendant lequel je me suis retrouvé au milieu de cet océan, luttant pour
conserver mon souffle de vie évanescent. J’ai alors avalé un peigne de venus
qui m’est resté en travers de la gorge. Là, juste là où cela fait le plus mal.
Le souffle court, j’ai mu mes bras tel
un oiseau. J’aurais voulu pouvoir m’élever verticalement pour monter au ciel, y
trouver son salut. Mais je ne le pu. Lorsqu’épuisé j’ai arrêté de
gesticuler, j’étais au bord de la noyade. Il m’aurait fallu le pouvoir
de l’ascension ou tout autre miracle pour me sortir des flots!
Sentant la fin proche, je levai le
point au ciel et je me suis mis à proférer des jurons. J’étais plutôt très
surpris par les obscénités que j’éructais, moi, l’enfant poli du village à qui
le respect du Très haut a été inculqué à coup de bâton et de privations. Mais ma
vie était en danger. L’eau qui remplissait la moitié de mes poumons empêchait
par la même occasion l’oxygène de parvenir suffisamment à mon cerveau. Ma
noyade imminente me fit regretter beaucoup de choses dont, avant cet instant,
j’en avais à peine conscience. La soi-disant misère que je vivais chez moi, au village;
une misère qui nourrissait pourtant mes espoirs d’un lendemain meilleur. Une
misère matérielle certes, mais qui ne me privait pas de mon rire fort et
éclatant auquel je m’abandonnais lorsque je réalisais que mes rêves étaient
trop grands pour moi. Rires dont je pourrais être incapable si le coquillage venait
à me déchirer les cordes vocales.
Heureusement pour moi. Sur le navire
qui m’a recueilli, un chirurgien a réussi à m’enlever le coquillage sans grand
dommage pour mon organe. Heureusement car, comme je l’ai su plus tard beaucoup
d’autres naufragés n’ont pas eu la chance de tomber sur les bons bateaux. Mais
ça c’est une autre histoire.
Comment je me suis retrouvé au milieu
de l’océan cela, par contre, mérite d’être raconté.
En effet, le littoral de bord de mer,
offrait à moi et à mes semblables, un espace de relative liberté de mouvement.
Malgré la patouille des garde-côtes. La géographie nous offrait quelques abris.
Au-delà, se retrouver là, à quelques encablures de l’autre rivage, fonctionnait
comme un stimulant à nul autre pareil. Cependant, La plage dès l’aube était jonchée de cadavres.
On pouvait y faire l’inventaire des réussites et des échecs de tentatives à la
lumière des corps qu’avait vomis l’océan. Les cadavres ballotés par les vagues,
dansent un ballet macabre. Un avertissement sévère aux autres candidats à la
traverser. Mais cela ne suffisait pas à nous décourager. L’espoir suscité par ceux
qui réussissait était plus fort que le spectacle qu’offrait quotidiennement
cette plage. Même ceux qui étaient astreints au nettoyage et à l’enfouissement
des corps n’en n étaient pas démotivés pour autant. C’est là, dans cette
atmosphère, glauque et sinistre que j’ai recueillie toutes les informations qu’il
me fallait avoir pour me lancer à mon tour à l’assaut des vagues.
Un soir donc, dès le coucher du
soleil, J’ai répondu à la convocation des passeurs. Le point de rassemblement
des passagers était situé sur la plage dans une sorte de grotte. Un espace
suffisamment encaissé pour servir la cause. Le voyage, quand bien même il était
périlleux, était extrêmement cher. La compagnie, je l’appelle ainsi pour
faciliter la narration, n’offrait aucune garantie d’aucune sorte. J’ai payé
l’équivalent d’un an de débrouille et de durs labeurs ingrats. Je dois l’avouer.
C’est la troisième fois que ce fut la bonne. Les fois précédentes, à l’heure
fixée, il n’y avait ni passeur, ni barque, ni rien du tout. Je m’étais fait
escroquer.
J’ai entrepris la traversé de cet
océan si redouté sur un frêle esquif qui relevait plus de la pirogue que d’un
navire. C’est tout ce qui me fut offert. Le choix qui s’offrit à moi, si on
pouvait appeler cela un choix, était plutôt simple. Soit je confiais ma vie à
ce que j’appelle par simplification de langage une pirogue, ou je renonçais à
poursuivre mon voyage et également aux rêves qui le nourrissent.
Je continue, des années après, de
souffrir du souvenir de certains épisodes de ce voyage très risqué. Des
fragments de mémoires qui me reviennent en flash. Je pense même qu’il faudra
que les psychanalystes trouvent un nom à ce syndrome. Les vétérans de guerre en
ont le leur. Pourquoi pas ceux qui survivent aux deux déserts.
Il est parmi tous, un souvenir qui me
hante. J’étais là. Au milieu de mes autres compagnons de pirogue. Une pirogue
qui était destinée à la pêche. Une pirogue convertie au transport de damnés de
la terre depuis que le poisson a disparu.
Nous
étions tous là. Les vivants, les mourants et les morts. Les vivants enviant le
sort des mourants et les mourants appelant la mort au secours. Je ne savais
plus lequel des éléments me faisait le plus souffrir. Le soleil brulant ?
Le sel qui me crevait les yeux ? Ou cette eau si abondante autour de moi
et qui manquait tant à ma gorge ?
En proie à des hallucinations, j’ai
cru apercevoir Iya, celle qui m’avait nourri de son lait, marchant sur les
flots. Elle avait les larmes à l’œil me suppliant de rebrousser chemin. Je me
levé, pour aller à sa rencontre. Ou si ce n’est pour détendre mes jambes qui
s’ankylosaient. Tellement je m’étais recroquevillé sur moi-même pour offrir peu
de prises aux intempéries. Ce devait être en ce moment que suis tombé à l’eau. Je
ne devais plus avoir conscience de la pirogue qui tanguait un peu trop et de
mon engourdissement extrême qui m’empêcha de m’accrocher à la pirogue. L’embarcation,
livrée à elle-même, voguait depuis des jours au gré du vent. Les passeurs
s’étaient faits transbordés au beau milieu de la traversée en nous abandonnant
à notre sort.
La suite de mon aventure je l’ai
plutôt imaginé, que vécu réellement. Car dès cet instant, mes facultés m’ont
lâché. J’eu vaguement l’impression avant de sombrer dans l’inconscience
qu’un navire était assez proche de moi. Lorsque je repris
mes sens, je me retrouvai sur un lit d’hôpital dans un navire. J’appris plus
tard qu’un sauveteur m’avait repêché des flots. Le navire, était l’un de ceux
qu’affrètent certaines ONG qui viennent
en aide aux naufragés.
Durant les deux jours qu’à durer mon
séjour sur ce navire, j’ai été informé de beaucoup d’autres évènements. Ils
prenaient l’allure de rumeurs persistantes circulant parmi les survivants. Je
ne sais celles qui relèvent de la réalité, de l’affabulation ou de l’hallucination.
Toujours est-il que si on se refuse à croire ceux qui les racontaient, l’effroi
qu’ils exprimaient, lui, était suffisamment crédible. Et je fais partie de ceux
qui font foi à leur frayeur. Certains des récits, jusqu’à présent, me glacent
alternativement le sang, me font froid dans le dos et me donne la chair de
poule. C’est en écoutant ces récits que j’ai compris définitivement que je suis
un sacré veinard pour avoir échappé à tous ces horreurs. C’est cette même bonne
fortune qui m’a certainement conduit à croiser la route de cet enfant suspendu
à un balcon.
Les rumeurs faisaient cas de
collisions provoquées par des pseudos bateaux de sauvetage en vue d’occasionner
des naufrages. Pour la simple raison qu’un migrant à la mer a plus de valeur
qu’un migrant qui réussit sa traversé. Un homme à la mer devient un intrant
très recherché pour l’industrie du greffe d’organe par exemple. En outre, les
statistiques sont un enjeu capital pour les pros et les antis immigration des
deux rives. Le migrant ou le migrant naufragé est le nouveau filon sur lequel
se rue une multitude d’acteurs aussi voraces les uns que les autres. Etat, ONG,
politicien, polémistes, tous n’avaient qu’un souci. Emerger socialement en
gravissant la montagne de cadavre qui s’amoncelle sur les plages. Quant aux
poissons je ne sais trop ce qu’ils devaient penser de cette chair humaine de
plus en plus abondante dans leur garde-manger.
A propos de poissons, il faudra que
l’ichtyologie s’adapte aux nouvelles donnes. Car ils ont modifiés leur
comportement en fonction de cette nouvelle opportunité. Ils chassent
littéralement la chair humaine. Dès qu’une embarcation se met à l’eau qu’ils la
repèrent. S’ouvre alors un ballet sinistre. Les requins, excités par le sang
tournoient sans interruption autour des voyageurs en attendant patiemment
l’heure du repas. Je vous jure que c’est une vision d’horreur absolue.
Il y avait, embarqué comme moi, des
femmes et des enfants. Ils étaient les plus à plaindre. Notamment les femmes
enceintes. J’évite de rapporter ce que j’ai vu et entendu des femmes et des
enfants, au risque de me souiller. Par contre, il y avait un homme dont le bras
était lacéré jusqu’à la main. On aurait dit que ces blessures avaient été
faites méthodiquement à l’aide d’une machine quelconque par un sinistre tortionnaire.
Mais non. Il se les faites seul lors de ces multiples tentatives d’escalade
d’un mur de barbelé très célèbre. Ce mur de grillage se trouverait plus au
nord. Il ferait, selon ce que j’appris plus tard, beaucoup de victimes. Parait-il
que certains se vident les boyaux dessus. Le corps de part en part en travers
de la frontière. Je priai le ciel de m’avoir épargné un tel sort et le priai,
par l’occasion, de me préserver de tout désagrément à venir.
Le ciel n’a pas été sourd à mes
suppliques. J’ai séjourné un mois dans un centre d’accueil de migrants. Ensuite
j’ai repris ma route. De proche en proche je traversai deux frontières pour me
retrouver dans une grande ville capitale.
C’est dans cette ville, qu’un jour
alors que j’allais à la recherche de ma pitance, j’ai accompli mon acte
héroïque qui m’a valu une reconnaissance mondiale. Le reste est dorénavant
connu.