Joël et Ami 14 : Docteur Aboubacar
Ecrit par Dja
Aboubacar était réellement désolé.
Il regardait Fatoumata en pensant à la tragédie qui venait d'arriver. Tout était en grande partie de sa faute. Mais, comment aurait-il pu faire autrement si ce n’était que d’aller voir Oumar et lui parler du forfait de sa fille ?
Et puis, de toute façon, à sa place, qui n’en n’aurait pas fait autant. Quand il pensait qu’il avait été prêt à tout lâcher pour elle: sa vie aux Etats Unis, son travail, ses amis, et même sa fiancée de là bas
Car, oui, lui aussi avait eu une vie avant de rentrer au pays, avant de rencontrer Ami. Il n'aurait d'ailleurs pas pu s'imaginer qu'il serait attiré dès les premiers instants. Une villageoise en plus. Mais, au premier regard, il en était tombé amoureux.
Pourtant, il n'était pas très enchanté, alors que son père insistait toujours pour qu’il abandonne tout et rentre s’installer au pays. Il avait d'ailleurs refusé. Il n’était pas prêt à tout lâcher ainsi. Il voulait bien prendre cette fille, cette villageoise pour femme, mais seulement si elle acceptait de rester vivre au pays et de ne pas demander à le suivre aux USA.
Il en avait donc été ainsi avant qu’il ne la rencontre. Et puis, il avait vu son visage en vidéo, alors que Jeneba et son cousin discutaient un jour sur instagram. Il en avait été subjugué. Sans rien laissé paraître, il avait assisté à la conversation caché derrière des lunettes noires et puis avait commencé à réfléchir.
Sa fiancée, Rosemary qui vivait dans le Maryland était une américaine de pure souche qu’il avait rencontrée en cours. Elle était une grande militante pour les droits humains. Quand ils avaient entamé leur relation, elle avait alors accepté de le suivre et de mettre une croix sur l’héritage de son père qui considérait leur union comme une idylle de passage. Rosy avait toujours été « la petite rebelle » de la famille et ses parents étaient habitués à ses frasques. Par ailleurs, elle avait déjà été mariée et de ce mariage,elle avait eu deux adorables petites filles dont sa mère avait la garde. Rosemary avait été prête à les laisser à ses parents, mais Abou était de l'avis contraire.
Il se souvenait de ce qu’était de grandir sans mère et, il ne voulait pas que les petites vivent la même chose que lui.
Quand son père lui avait demandé de faire un choix, il avait proposé à Rosy de rester aux USA en étant sa première femme. Mais, elle ne voulut pas entendre parler de polygamie. Pour elle, cela allait à l’encontre de ses opinions et de son combat pour l’émancipation des femmes. Elle considérait cette forme de régime matrimonial comme étant un emprisonnement de la femme sous la domination d’un homme.
Alors, Abou avait exprimé le souhait à son père de faire la connaissance plus approfondie d’Aminata. Ainsi, il pourrait choisir sans regrets. Il l’avait alors vue ce jour où ils avaient été présentés et, la fougue et la hardiesse de la petite sauvageonne l’avaient comme ensorcelé. Il s’était donc rangé à l’avis paternel et, après maintes hésitations, avait décidé de mettre une croix sur sa vie d’américain.
Bien entendu, ce n’était pas que pour les beaux yeux d’Ami qu’il avait décidé de rester.
On lui avait proposé un poste de Docteur dans le plus grand hôpital de Dakar et, il avait accepté, à la seule condition qu’on le laisserait terminer ses études. La clause indiquait qu’il s’absenterait plusieurs fois au cours des deux prochaines années, car il souhaitait acquérir une qualification en chirurgie réparatrice du visage.
Rosy après avoir été mise au courant de la situation lui avoua au final qu’elle n’était plus décidée de le suivre et qu’elle avait renoué les liens avec le père de ses filles. Ce dernier s’était rapproché de ses parents et elle avait recommencé à le fréquenter depuis quelques mois à l’insu de tous. Ses parents avaient accepté de l'accueillir à nouveau chez eux. Elle avait donc décidé de retourner au pays pour tenter de donner aux filles une vie de famille. Elle était si malheureuse en lui expliquant tout cela qu'Abou la prit dans ses bras. ils passèrent toute la nuit à se consoler. C'était comme un adieu. Rosy s'en irait le lendemain, elle ne voulait pas rester là, de criante de regretter.
A son réveil, Abou était parti. Il lui avait laissé une lettre avec un chèque : " C'est pour les petites. Ainsi, elles pourront s'acheter de jolies choses en pensant à moi. Merci pour toutes ces années. Tu peux garder la maison, je l'avais mise à ton nom depuis quelques temps déjà. Et ne t'en fais pas, je savais que tu avais renoué avec Edgar. C'est super pour les filles. Mais, fais attention quand même, ne laisse plus tes parents vous séparer."
Elle n'en revint pas. Il savait. Et tout cet argent, et la maison. Elle n'en revenait pas ! Elle lui laissa un message sur son répondeur pour le remercier, avec des sanglots dans la voix.
Abou était en fait allé retrouver des amis. A présent qu'il était libre, il n'avait plus hésité et avec son père, ils avaient convenu de reculer la date du mariage avec Ami. Maintenant que plus rien ne le retenait aux USA, il voulait prendre le temps pour offrir à sa future femme le mariage en grande pompe dont Oumar avait rêvé.
Mais, hélas maintenant qu'il avait reçu les fameux messages qui incriminaient Aminata, il ne savait plus quoi penser. Quand il en avait parlé à son père, ce dernier lui avait demandé de se calmer et de ne pas agir sous l’emprise de la colère. Mais, il ne se serait jamais douté qu’Oumar irait jusqu’à vouloir tuer sa fille. Sinon, il n’en n’aurait rien dit. Du moins, pas de la manière dont ils s’y étaient pris. Surtout que malgré tout, il ressentait un pincement qui n'avait rien à voir avec de la colère. Il aurait préféré lui en vouloir, plutôt que de cogiter sur ce qu'ils ne pourraient pas faire ensemble.
Quand Brahim l’avait appelé alors qu’ils étaient déjà rentrés chez eux pour lui annoncer qu’Ami était en route pour l’hôpital, il avait sauté dans sa jeep et demandé de préparer une salle au bloc. Il voulait se charger lui-même de son cas. Abou n’avait pas réfléchi longtemps avant de prendre cette décision, le regard de Coumba l’avait convaincu qu’il ne se trompait pas. Il se devait de tenter de la sauver, ce qui était arrivé était de sa faute. Il ferait tout ce qu’il pouvait pour qu’elle reste en vie.
Et là, il avait sa famille devant lui, dans ce bureau vétuste, très différent de celui qui lui était proposé aux USA. Il ne regrettait rien, il avait fait un choix et en était très heureux. Il avait commencé à faire ses preuves auprès d’autres chirurgiens ici qui avaient été très satisfaits de son travail. Désormais ils le laissaient parfois opérer les cas les moins graves. Néanmoins, par rapport à Ami, ils avaient été trois à son chevet afin de s’assurer qu’Abou ne soit pas dépassé par l'émotion.
Et, Abou n’avait pas flanché. Même s'il était perdu. Il ne savait pas comment annoncer à Yaye Fatou qui le regardait avec des yeux d’où les larmes s’écoulaient comme de petits ruisseaux ; à Fofana qui avait envie de lui sauter au cou ; à Jeneba qui ne semblait pas moins affectée que les autres ; mais qui avait gardé les yeux secs.... Il ne savait pas comment leur annoncer ce qu’il avait dû faire.
Alors, il prit sur lui, se leva de son siège et vint se placer devant eux. Tant pis si Fofana finissait par le frapper. Il assumerait.
Aboubacar leva donc la tête et, fixant celui qui avait failli être son beau frère, il leur dit :
« Aminata est… »
Il ne put terminer sa phrase, Joël venait de débouler dans le bureau.