Joël et Ami 29 : Epilogue

Ecrit par Dja

Des années plus tard, alors qu’Ami a changé de lieu de travail, Abou a de son côté ouvert une clinique privée.

Aminata occupe à présent un poste à la Direction des Programmes Économiques du Ministère des Finances. Elle travaille sur le développement, le financement et l’évaluation des politiques économiques du Pays.


Un matin, pendant qu’elle est en train de se préparer pour aller au travail, l’une des domestiques frappe à la porte de sa chambre :

« Madame ! Madame ! Il faut venir vite hooo, c’est urgent ! La Madame veut vous voir. »

Ami n’a pas encore fini de boutonner le devant de sa robe. Elle tremble en entendant le son de la voix de la jeune servante. Astou ne serait jamais venue la déranger si la situation n’était pas critique.

Elle sort, les cheveux encore noués dans un foulard et passe un pagne autour de sa taille. Elle terminera de s’habiller plus tard. Peut-être est-il question d’Abou.

Cela fait deux jours qu’il est allé en voyage et qu’il n’a toujours pas donné de nouvelles. Mais, elle en a l’habitude à présent. Après plus de six ans de vie commune, elle a appris à accepter certaines contraintes liées au second travail de son mari. Comme le fait de ne pas avoir de moyens de communication.

Cette fois-ci, il est allé au Congo. La guerre y sévit toujours. Elle est plus présente sur certains points du pays. Mais, Abou depuis environ trois ans a choisi de faire partie de missions humanitaires dans les régions à risque dans le monde. Au début, Ami lui en a voulu de prendre cette décision sans la consulter. Elle craignait qu’il ne lui arrive quelque chose de fâcheux, ou pire, qu’il y perde la vie.


Le jour où il lui a annoncé qu’il s’était engagé, ils avaient eu leur première vraie dispute de couple. Ami était allée dormir dans une des chambres d’amis et le lendemain, alors que son mari s’apprêtait à aller à la clinique, il l’y avait retrouvée en larmes. Il s’en voulait de lui donner autant de chagrin :

« _ Darling, s’il te plaît, ne m’en veux pas ! Je suis désolé !

_ Tu aurais pu m’en parler avant de décider d’aller mourir en martyr à l’autre bout du continent.

_ Mais, je pensais que tu n’y verrais pas d’inconvénient. Je comptais t’en parler de toute façon.

_ Ha oui ? Et à quel moment s’il te plaît ? Si Brahim n’en n’avait pas parlé au dîner, je me demande si tu en aurais eu le courage.

_ Ecoute moi ma chérie ! Si j’avais pensé un seul instant que tu ne voudrais pas, je ne me serais pas engagé.

_ Je n’ai pas dit que je ne veux pas. Je dis simplement que tu aurais pu m’en parler avant de prendre une telle décision. Nous sommes un couple et ce genre de décision se prend à deux. Il en va de notre avenir. Et, je n’ai pas envie de te perdre, c’est tout !

_ Je te promets de faire attention à chaque fois. Et, si tu refuses que je le fasse, je n’irais pas. Mais, je ne t’en voudrais pas. »


Finalement, Aminata avait accepté que son mari fasse partie des médecins envoyés par l’association « médecins sans frontières ». Depuis, il se rendait dans des zones de combat pour apporter de l’aide et des soins aux populations en détresse.


L’aventure a commencé un jour, après qu’il ait été touché par un reportage sur un médecin qui soigne et répare les femmes ayant subi des violences et agressions sexuelles dans les zones de guerres en Afrique. Aminata avait pleuré longtemps après ce document. Quelques jours plus tard, il s’était renseigné et depuis, il faisait partie de l’équipe de cet homme.


Ce matin-là donc, Aminata sort de sa chambre, paniquée. Que se passe t-il encore ?

« Rhooo ! Astou, je t’ai déjà dit plusieurs fois de ne pas venir comme ça me déranger dans ma chambre. Qu’y a-t-il ?

_ Madame, c’est pas moi hein ! C’est pas moi ! Il y a une Madame qui veut te voir. Elle dit qu’elle est ta sœur de depuis, mais que tu ne « la » parlais plus.

_ Hum ! Astou, vraiment, ton français là ! Je pense que finalement, j’irais voir ta mère ce soir pour lui parler de ta scolarité.

_ Non, Madame, « moi « jé » suis bien ! Très bien même ! Je n’ai pas « bésoin » d’aller à l’école.

_ Qu’est-ce que tu racontes ? Si tu ne veux pas, c’est pareil. Et, ta maman est assez intelligente pour accepter ma proposition.

_ Elle ne va pas accepter ho !

_ Hé bien, c’est donc que tu vas arrêter de travailler chez moi.

_ Bon, c’est bon, je vais dire à Yaye de dire oui !

_ A la bonne heure ! A présent, accompagne-moi auprès de la dame. »


Ami doit bientôt s’en aller. Elle espère vraiment que cette personne ne va pas s’attarder. Néanmoins, il ne s’agit pas d’Abou. Elle sent son cœur reprendre un rythme normal.


Arrivée au salon, elle réajuste son pagne. La dame a le dos tourné mais, il lui semble reconnaître la silhouette. Quand l’autre se tourne vers elle, elle sent que sa respiration s’accélère.

Holala ! Quelle surprise ! Que vient faire Jeneba chez elle ? Et, comme elle a maigri.

Elle semble ne pas être en grande forme. Son visage émacié désormais, montre des signes de souffrance. Aminata sent son cœur se serrer. Elle avance finalement vers sa cousine qui baisse la tête d’un air gêné. Aminata se demande s’il faut l’embrasser. Puis, elle décide de lui tendre la main :

« _ Bonjour Jene ! Comment vas-tu ?

_ Bonjour Aminata ! (sa voix est si triste qu’Aminata a de plus en plus envie de la prendre dans ses bras et la consoler comme lorsqu’elles étaient plus jeunes.) Ça peut aller et toi ?

_ Ça va ! Cela fait si longtemps dit donc ! Quelles nouvelles m’apportes-tu ce matin ? Tu aurais dû m’appeler, nous aurions déjeuné ensemble.

_ Non ! Ne t’inquiètes pas pour moi, ça va. J’ai eu le temps de manger avant d’arriver.

_ Ok !

_ Dis, c’est beau chez toi. Tu as du goût en matière de déco.

_ Merci, c’est gentil. Abou devrait être là pour écouter. Il se moque souvent de moi en me disant que je veux jouer à la parisienne. »


Peut-être que c’est l’évocation de Paris, mais en l’entendant, Jeneba se met à pleurer. Ami qui n’y comprend rien se rapproche finalement d’elle alors qu’Astou les espionne. Elle l’appelle au même moment et lui demande d’apporter de l’eau pour la visiteuse.

Ensuite, elle l’envoie dehors et lui demande de refermer la porte derrière elle. Même si elle sait que la domestique va se débrouiller pour entendre ce que les deux femmes ont à se dire.


Après son départ, Jeneba continue de pleurer. Alors qu’Ami essaie de la consoler, elle est renvoyée loin dans les souvenirs, au moment où sa cousine, lors de la confrontation lui lance le regard méprisant de « celle qui a raison ». Ce moment où sa tante et elle l’ont accusée d’être jalouse de Jeneba. Elle regarde sa cousine tristement. Quel gâchis ! Elle qui l’aimait plus qu’une sœur.

Quand elle sent que Jeneba est un peu calmée, elle lui parle posément :

« _ Que se passe t-il Jene ? Pourquoi es-tu là ce matin ? Et pourquoi pleures-tu ?

_ Je suis désolée Aminata ! Vraiment ! Je suis désolée pour tout ce que je t’ai fait et pour tout ce que tu as dû subir par ma faute.

_ Ce n’est rien Jeneba ! J’ai oublié depuis et, je vais bien, comme tu vois.

_ Oui, peut-être. Mais, à cause de moi, tu as eu beaucoup de soucis et, je ne me suis jamais excusée. Est-ce que tu veux bien me pardonner ?

_ Oui, ne t’inquiète pas. Et puis, j’ai même oublié tout cela depuis. Cela fait des années. (après un temps de réflexion) C’est pour cela que tu es venue aussi tôt ce matin ?

_ Oui, pour ça. Et…, pour autre chose aussi. Je… »


A présent, Jeneba hésite. Elle ne sait pas si elle doit continuer ou si elle doit au contraire se taire. Elle regarde sa cousine. Comme elle est belle et rayonnante. Le mariage lui va si bien et, cela se voit qu’Abou et elle forment un couple parfait. Mais, elle sait aussi qu’ils ne peuvent pas avoir d’enfants. Ils ont tout essayé au niveau de la science. Sa mère le lui a dit.


Aminata est de plus en plus intriguée. Pourquoi sa cousine ne parle t-elle pas ? Elle risquerait en plus de la mettre en retard au travail. Il est déjà neuf heures et elle commence dans une demi-heure.

Comme Jene se tait toujours, elle se dirige vers sa chambre :

« _ Excuse-moi Jene. Je vais appeler le bureau pour dire que j’aurais du retard. Comme ça, on aura tout le temps ce matin de discuter.

_ Ho, non, ne fais pas ça. Je vais te dire ce pour quoi je suis là.

_ Non, non ! Ça va aller ! J’avertis juste et je reviens.

_ Tu es sûre que cela ne vas pas te porter préjudice ?

_ Non ne t’inquiète pas !

_ Ok, Alors dans ce cas, vas-y, je suis là de toute façon. Merci beaucoup ‘Nata !

_ Pas de souci ! »


A son retour, elle trouve Astou au salon qui sert de l’eau à Jeneba. La jeune domestique ne l’entend pas arriver, car Ami aime se déplacer nu-pieds dans la maison. La moquette qui est posée partout sur le sol est si moelleuse qu’elle dit toujours avoir l’impression de marcher sur du coton et qu’elle aime ça. Awa posait des questions à sa cousine :

« _ Madame, c’est vrai que c’est vous la cousine Jeneba de Madame ?

_ Oui, c’est moi. Pourquoi ?

_ Ha, Madame ! Parce que je vous connais hein ! Madame et puis Monsieur eux, ils parlent souvent comme ci, comme ça de vous.

_ Comme ci, comme ça ? C’est-à-dire ?

_ Bien, ils disent souvent queeeeeeeuuuh ! Eux, il croiVENT que tu es malade. Et aussi que tu étais trop mauvaise avec eux, surtout avec Madame. Mais, que Madame n’est plus fâchée.

_ Ha bon ? Comment ça ? Et depuis quand ?

_ Ha, moi, je ne sais pas hein. Mais, je sais seulement que…

_ Astou, cela suffit ! Si tu as terminé de servir à Madame, vas dehors. Tu parles trop ! Ta bouche-là est trop bavarde.

_ Pardon Madame de Monsieur Abou ! Je m’en vais ! Pardon Madame la cousine !

_ Va-t’en maintenant ! Et je ne veux plus te voir ici avant de t’avoir appelée. Allez, ouste ! »


Astou sort la tête baissée. Elle sait qu’elle va devoir s’expliquer plus tard. Pour l’heure, elle va se placer derrière la porte d’entrée. Là, elle pourra tout entendre.


Ami la regarde s’en aller en secouant seulement la tête. Cette fille lui occasionnera un jour des problèmes. Puis, elle se va s’asseoir à côté de Jeneba :

« _ Maintenant, je suis là ! Dis-moi ce qu’il y a cousine. Que se passe t-il ?

_ Ha, Ami, vraiment, tu ne peux pas savoir à quel point je regrette de t’avoir fait autant de mal. Et, il n’y a pas qu’à toi que j’en ai fait. Hier, j’ai parlé avec mes parents. Tu sais que ces deux dernières années, j’ai perdu mes deux petits frères et que l’une de mes sœurs est allée apprendre au Cameroun. Yaye est seule à supporter les frais d’école.

_ Oui, je sais ! Maman m’en parle parfois. L’autre jour, j’étais avec elle lorsqu’elle est allée leur rendre visite. On leur a apporté quelques provisions.

_ Oui, ils me l’ont dit. Merci pour tout ce que vous faites. Ils sont si démunis depuis l’accident de Baye. Et, l’argent que je gagne en tant que femme de ménage n’est pas d’une grande aide pour ses soins qui sont très chers.

_ C’est pour cela que tu es là ? Si c’est cela, tu n’aurais pas dû te déplacer. Je serais passée directement les voir.

_ Non, Ami, ce n’est pas pour ça ! »


Jeneba se lève et va vers le meuble avec les photos de famille. Ce qu’elle a à lui dire est si difficile qu’elle ne sait pas par où commencer. Et si Aminata refuse? Comment ferait-elle ensuite ? Elle regarde à nouveau les photos et se dit qu’il manque tout de même quelque chose et que la chance peut être de son côté pour une fois. Puis, elle revient vers sa cousine et se met à genoux devant elle.


Ami est de plus en plus étonnée. Elle essaie de la relever, mais Jeneba insiste :

« _ S’il te plaît ‘Nata, laisse-moi comme ça ! C’est la moindre des choses que je puisse faire pour que Dieu me pardonne aussi.

_ Mais, Jene, qu’y a t-il ? Je vais me fâcher si tu continue sans rien me dire.

_ Ami, je suis enceinte de six mois. Et je vais bientôt mourir.

_ Ho, Jeneba ! Comment peux-tu dire une chose pareille ? C’est merveilleux que tu sois enceinte. Mais, cela ne veut pas dire que tu vas mourir.

_ Si Ami, je le sais. Je suis séropositive et je n’ai pas accepté de me soigner au début. Et quand l’affection m’a été annoncée, j’étais déjà malade depuis longtemps. C’est l’une des raisons de mon retour au pays.

_ Je suis vraiment désolée. Mais, lève-toi s’il te plaît ! Je t’en prie

_ Non, je ne me lèverais que lorsque j’aurais terminé. Pardon, n’insiste pas ! Ecoute-moi d’abord !

_ Ok, mais, cela me gêne. Je vais donc m’asseoir par terre à côté.

_ Ok, si tu veux !

_ (Jeneba regarde Ami avec de l’espoir dans les yeux) Ami, je sais que tu ne peux pas avoir d’enfants. Yaye me l’a dit. Et aussi que la chirurgie n’y peut rien.

_ Oui (elle a un sanglot dans la voix. Parler de cela est toujours difficile pour elle), c’est vrai ! Les médecins disent que c’est irréparable.

_ Oui ! Pour cela aussi, je te demande pardon. Car c’est à cause de moi que ton père avait tiré sur toi. Je suis tellement désolée.

_ Non Jeneba ! Tu vois, depuis cet épisode, je n’ai connu que des moments magiques et puis, j’ai épousé un homme merveilleux. C’est aussi grâce à toi cela. Donc, tu vois que tu ne m’as pas fait que du tort.

_ Tu es trop bonne Ami. Merci ! Mais, la véritable raison pour laquelle je suis là, c’est pour te demander si Abou et toi, pourrez adopter le bébé à la naissance.

_ Ho, Jeneba ! Mais… (elle s’était levée alors que les larmes avaient recommencé à couler des yeux de sa cousine)

_ Je t’en supplie Aminata ! Pitié ! Yaye m’a demandé d’avorter, mais je ne peux pas. A ma mort, cet enfant sera le seul souvenir que je laisserais vivant. Elle refuse de me garder à la maison depuis. Elle dit qu’à cause de moi, elle a eu trop de malheurs. PITIE !

_ Jeneba, je suis désolée, mais, je ne peux pas ! C’est plus fort que moi. Nous avons déjà essayé, mais je n’y suis pas arrivée. Je ne peux pas garder l’enfant de quelqu’un d’autre. Je suis désolée. Si tu veux, je verrais Yaye, elle ira parler à ta mère. Mais, moi, je ne peux pas.

_ Ho, je t’en supplie ! Pitié Aminata, pitié ! Elle m’a déjà dit qu’elle n’acceptera pas. C’est ta mère qui m’a envoyée ici. Elle espérait que tu accepterais.

_ Hé bien vois-tu, je ne peux pas. Je suis sûre que tu trouveras une autre solution. »


Elle se dirige vers la porte, avec une colère contenue dans la voix. Elle sent que si sa cousine ne part pas maintenant, elle peut finalement de lui dire des paroles méchantes. En ouvrant la porte, Astou s’affale sur sol. Elle a écouté toute leur conversation. Ami ne dit rien. Elle invite sa cousine à s’en aller en demandant à la servante de la raccompagner jusqu’à l’entrée.


Au moment de partir, Jeneba se tourne vers elle une dernière fois, les yeux suppliants, mais Ami tourne la tête. Elle lui demande de ne plus venir la voir pour la même raison. Mais, si elle a besoin d’autre chose, elle peut toujours appeler. Ensuite, elle va dans sa chambre. Aujourd’hui, somme toute, elle n’ira pas travailler. Elle a besoin de repos.


La visite de Jeneba lui fait mal. Sans oublier ce qu’elle lui demande. Comment ose t-elle seulement penser que c’est possible ? Et sa mère qui est de mèche avec elle. Elle va l’appeler après. C’est mieux. Au risque de se montrer inconvenante.


Deux jours plus tard, Abou est rentré de voyages. Il n’a pas réussi à la joindre mais, a quand même pu lui faire parvenir un message par le biais d’un ami journaliste.


Il trouve sa femme très anxieuse et malheureuse. Elle est si triste pour sa cousine, même si elle lui en veut pour la grossesse. Elle a passé le week-end enfermée dans la maison, donnant congé à tous les domestiques. Même aux gardiens. Quand elle lui relate la visite de Jeneba, Abou s’excuse de n’avoir pas été là. Il la console du mieux qu’il le peut et le lendemain, elle retourne au travail apaisée. Elle remercie Dieu de lui avoir donné un mari aussi aimant et compréhensif.


Elle sait qu’il aurait souhaité qu’ils adoptent. Mais, il ne l’y a jamais obligée. Une fois, ils ont ensemble rempli des documents auprès du service qui s’en occupe. Mais, au dernier moment, elle a hésité et rebroussé chemin. Elle ne se sentait pas capable de s’occuper de l’enfant d’une autre. C’était impossible ! Comme aujourd’hui.


Plusieurs mois sont passés depuis la visite de Jeneba. Elle n’a plus fait signe. Mais, Ami sait qu’elle vit quelque part dans Dakar. Sa mère l’a chassée définitivement de la maison et, son père est si malade qu’il ne peut rien y faire.


Un soir, alors qu’elle est en train de regarder le journal télévisé, son mari l’appelle :

« _ Ami, il faut absolument que tu viennes à la clinique.

_ Que se passe t-il sama mbëggël ?

_ Viens tout de suite ! C’est une question de vie ou de mort.

_ Comment ça ? Qu’est ce que tu as ?

_ Il ne s’agit pas de moi, mais tu dois venir tout de suite. Fais vite ! »


Ensuite, il raccroche. Ami n’y comprend rien ! Elle se dépêche.

Arrivée à la clinique, on la conduit aussitôt auprès de son mari. L’infirmière ne sait pas non plus ce qu’il y a. Elle a seulement reçu l’injonction de la conduire dans le bureau du patron.


Dès qu’il la voit, Abou la conduit aussitôt dans une chambre. Une femme est allongée dans le lit.


C’est Jeneba. Alors qu’elle regarde son mari sans rien comprendre, il lui tend un papier signé des parents de Jeneba et d'elle-même la veille :


« _ Abou, non ! S’il te plaît ! Non, pas ça !

_ Elle t’a désignée comme tutrice légale. Jeneba n’avait pas fait les examens nécessaires durant la grossesse et l’accouchement s’est mal passé. Ses parents ont pensé que l’enfant serait également malade. Et, ils ont refusé de l’accueillir. Ils disent qu’ils n’auront pas les moyens de s’en occuper convenablement.

_ Ho, mon Dieu ! Abou, je ne peux pas, je ne peux pas !

_ Je sais darling, je sais ! Elle voulait attendre que tu arrives avant de partir. Elle est encore consciente mais, cela ne saurait tarder. S’il te plaît, elle m’a imploré pour que tu viennes. Je vous laisse !

_ (après un moment d’hésitation) Non Abou, non ! Ne pars pas, je t’en supplie, reste !

_ Ok, je vais la réveiller. »


Ami est toute retournée. Elle ne sait quoi dire ni, quoi faire. Elle regarde Jeneba dont la poitrine se soulève au moyen d’une machine à laquelle elle est branchée. Des larmes coulent sur ses joues sans qu’elle ne puisse les arrêter. Son corps est devenu si mince qu’Ami veut la couvrir de plus de couvertures qu’il n’y en a déjà. Elle tremble alors qu’elle devrait avoir chaud.


Abou l’invite à s’approcher alors que tout doucement, il appelle Jeneba. Lui également est triste. Mais, il ne peut pas flancher. C’est lui le docteur. Il voit les paupières de la malade bouger. Il se retire et prend dans sa main celle de sa femme. Elle a besoin de réconfort. Elle en aura encore plus besoin dans quelques minutes.


Derrière eux, sans faire de bruit, les frères et sœurs de Jeneba attendent. Son père n’a pas pu se déplacer, son dos le fait atrocement souffrir. Mais, sa mère est là tout de même. Quelques minutes avant l’arrivée d’Ami, elle a expliqué à Abou que si sa femme refuse à nouveau, elle prendra le bébé avec elle. Mais, elle n’est pas sûre de pouvoir assurer son avenir. Son commerce ne marche plus et elle va rentrer au village avec son mari. Abou l’a entendue. Mais, ce n’est pas à lui de décider seul. Et, il se tiendra à l’avis de sa femme.


Jeneba est réveillée tout à fait à présent. Mais, Ami voit bien qu’elle souffre. Elle manque d’oxygène, car elle a ôté son masque. Ami le lui remet et elle le garde quelques instants. Puis, elle sourit en voyant sa cousine à ses côtés. Une larme roule sur sa joue. Ami l’essuie et laisse son doigt parcourir la joue mouillée. Les boutons sur le corps de Jeneba ne la répugnent pas, comme cela a été le cas pour sa mère. Awa ne voulait pas approcher sa fille. Elle pense que la maladie peut se transmettre par le toucher. Elle tente de dissuader Aminata, mais Abou lui fait le signe de ne rien dire. Il a envie de la faire sortir de la pièce, mais il ne peut pas. Elle reste la mère de Jeneba, malgré tout.


Cette dernière regarde Ami comme si elle ne l’avait jamais vue. Elle lui sourit à nouveau et essaie de se relever. Mais, l’effort lui amène un rictus de douleur. Elle se résigne. Aussitôt, Ami lui vient en aide. Elle place un oreiller sous sa tête et la cale en position mi-assis, mi-allongé.

« Merci Ami. (Sa voix est devenue si fluette qu’Ami doit tendre l’oreille). Tu es encore plus belle que dans mon souvenir. Comment vas-tu ? »


Ami ne parvient pas à dire mot. Les larmes coulent à présent abondamment sur ses joues. Elle veut serrer sa cousine dans ses bras, mais elle sait qu’elle lui fera mal. Aussi, elle se met à caresser ses cheveux et tire la chaise à côté :

« _ Ho Jene ! Que nous est-il arrivé ? Je suis désolée pour tout ce qui s’est passé. Tu ne méritais pas ça. Malgré tout !

_ Si ma ‘Nata ! Si ! J’ai tellement fait de mal aux gens et, à toi plus particulièrement que je le mérite amplement. C’est mon sort et, je l’accepte.

_ Comme je suis désolée !

_ Tu ne devrais pas ! (elle prend un moment pour respirer) Ami, je sais qu’il ne me reste plus beaucoup de temps à vivre. Je tenais à te demander pardon encore une fois et surtout, à te dire merci. Merci pour tout ce que tu as fait pour moi, même si je ne te l’ai jamais dit avant. Merci !

_ Jene ! (Ami a la gorge nouée. Elle déglutit avec peine et ne parvient plus à aligner deux mots).

_ Ne t’en fais pas pour moi Ami, s’il te plaît, ça va aller. (elle jette un œil à Abou qui lui fit un clin d’œil. Puis, elle se lance) : Ami, j’ai demandé à ton mari de te faire venir pour parler de l’adoption.

_ Non, Jene, nous en avons déjà parlé. Je ne peux pas le faire. Je suis désolée.

_ S’il te plaît Ami, s’il te plaît !

_ Non Jeneba ! (elle caresse sa tête sur laquelle il n’y a presque plus de cheveux) Tu sais, tu vas guérir, j’en suis sûre. Et ensuite, tu pourras t’occuper de ton bébé. Abou va te guérir. N’est ce pas mon chéri ? (Abou s’est approché et la serre fort dans ses bras).

_ Ça va aller chérie. S’il te plaît, écoute-la jusqu’à la fin.

_ Ami, c’est terminé. Il n’y a plus rien à faire pour moi. Je suis condamnée depuis longtemps. Je l’ai acceptée, ne t’en fais pas. Mais, je ne pourrais m’en aller en paix qu’en sachant que tu es d’accord pour l’adoption.

_ Ho, Jene, je ne peux pas ! Et puis, il y a tes parents ?

_ Ils ne peuvent pas eux non plus. Ils sont devenus si pauvres (avec un sanglot dans la voix ajouté à une quinte de toux). Je t’en supplie Ami, je t’en supplie. Tu es mon dernier espoir. »


Disant ces mots, elle sent son cœur battre de moins en moins normalement. Les machines autour d’elle s’affolent. Abou retire sa femme doucement pour la ramener vers l’arrière, tandis que des infirmières entrent dans la chambre. Elles tentent de la réanimer, mais, rien n’y fait. Jeneba commence à s’en aller. Déjà, la ligne bleue fait siffler le monitoring cardiaque. Ami entend les reniflements derrière elle. Elle voit Awa et d’autres personnes derrière la glace de la porte de la chambre. Elle ne comprend pas pourquoi la mère ne rentre pas. Abou veut la sortir de la chambre, mais Ami refuse. Elle veut être là jusqu’au dernier moment. Il baisse la tête. C’est bientôt la fin.
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Joël et Ami