Jour 1 - Samedi après-midi
Ecrit par lpbk
— Wow !
Ses bras fendirent l’air à la recherche de
son équilibre perdu. Pendant une seconde, elle se vit tomber par terre, mais la
main de Jonas la saisit et elle se redressa en un clin d’œil.
— Mon sauveur.
Elle lui sourit, attendrie. Il avait
toujours mieux patiné qu’elle. Il faut dire qu’elle ne venait pas souvent ici,
même si elle aimait bien. Le manque d’occasions et la vie rythmée ne laissaient
pas beaucoup de place aux loisirs de ce genre.
— Allons-y, annonça son compagnon.
Il n’avait pas lâché sa main et l’entraina
gentiment au milieu des autres visiteurs. Pour ce samedi après-midi, la piste
était tranquille. A cette saison, la majorité des parisiens préférait aller
profiter du soleil à l’extérieur plutôt que venir se geler à la patinoire.
Contrairement à d’autres années, les températures étaient dans la moyenne, si bien
qu’aucune canicule ne venait écraser Paris sous ses rayons. Cette année, tout
allait bien. La nature se rééquilibrait, attirant les parisiens dans les parcs
et leur laissant toute la place à la patinoire.
Un pied devant l’autre pour prendre
l’élan, Jonas lâcha sa main et elle se sentit partir, libre et légère. Bien
qu’un peu gauche dans sa doudoune épaisse et son jean.
En fait, le sentiment inhabituel qui
l’étreignait venait du fait que rien de tout cela ne lui était familier.
Peut-être que les autres couples avaient l’habitude, mais pas elle. En vérité,
elle s’en rendait bien compte, Jonas et elle ne partageaient pas souvent de
moments ensemble, si bien qu’elle trouvait le moment u peu faux, presque forcé.
Pourquoi est-ce que je n’arrive pas à me détendre ?...
Il faisait des efforts, pourtant. Mais
c’était elle qui ne parvenait pas à se laisser aller suffisamment pour en
profiter. Pourquoi fallait-il qu’elle gâche tout ?
— Bientôt championne ! commenta Jonas tout en
tourbillonnant.
Elle chercha dans son regard une trace
prouvant qu’elle avait raison, mais elle n’en trouvait pas.
Comment va se terminer cette semaine ?
Pourtant plus elle y réfléchissait et plus
elle se disait qu’ils n’en étaient pas arrivés là par hasard. Le travail seul
ne pouvait pas tout expliquer.
Pour ne pas avoir l’air suspecte ou gâcher
le moment, Sally entreprit de faire quelques tours de piste, sans jamais
s’éloigner du bord, au cas où. Ainsi, si elle perdait l’équilibre, elle
pourrait toujours se rattraper à la barrière et éviter l’humiliation.
Oui, il y a quelque chose.
Tout à l’heure, pendant l’amour, elle
l’avait senti distant, un peu comme ailleurs. Il n’était pas tout à fait à ce
qu’il faisait, du moins était-ce l’impression qu’elle avait eue.
Elle avait connu mieux !
Ses tentatives pour le ramener au présent
n’avaient eues que peu d’effet. Certes, il lui avait certifié que tout allait
bien mais elle peinait à le croire. Et puis, si elle se penchait sur les faits,
son petit ami rentrait de plus en plus tard, et avait même loupé un ou deux
week-ends au motif de rendez-vous d’affaires dans le sud de la France. Il
passait aussi beaucoup de temps sur son ordinateur au lieu d’être avec elle.
Une maitresse ? Rencontrée sur
internet ?
Cette idée lui noua les entrailles et elle
dû s’arrêter un instant pour reprendre son souffle. Une sensation d’étouffement
l’envahit. Elle devrait en parler à quelqu’un rapidement pour évacuer cette
tension qu’elle accumulait depuis des jours.
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— La comédie musicale Bodyguard ?!
Sally n’en croyait pas ses yeux. Là, au
beau milieu des autres patineurs, Jonas brandissait l’écran de son téléphone où
s’affichaient en PDF deux places VIP pour le spectacle de ce soir. La jeune
femme peinait à fermer la bouche, tant elle n’en revenait pas. Depuis des semaines,
elle espérait pouvoir s’offrir ne serait-ce qu’une place derrière un poteau
afin d’assister à une représentation de la troupe au Palais des Sports. Et
voilà que soudain, son petit ami réalisait son rêve.
Elle eut envie de lui sauter dans les bras
mais se retint, assez peu à l’aise sur les patins.
Jonas lui prit les mains et la fit
tournoyer doucement, comme s’ils étaient un couple de danseurs professionnels.
— J’ai cru comprendre que cela te ferait plaisir alors
j’ai voulu te faire la surprise.
— Comment as-tu eu ces places ?
Il rit.
— Je ne peux pas te dévoiler mes sources, sinon ce
serait trop facile.
Puis il lui fit un clin d’œil avant de
déposer un baiser léger sur ses lèvres fraiches.
Tous les doutes qui avaient envahis Sally
un peu plus tôt refluèrent, bien qu’elle n’appréciait pas l’idée qu’il lui
cache quelque chose, encore une fois. Ils ressemblaient à un couple d’amoureux
seuls au monde. Le temps passant, les quelques visiteurs avaient quitté les
lieux. Autour, les gradins étaient tous aussi déserts. Les parisiens se
réchauffaient au soleil d’été à l’extérieur. Il n’y avait qu’eux deux pour
venir profiter du moment.
Sally se détacha de son petit ami et se
laissa glisser. La sensation de liberté que cela lui procura lui donna
l’impression que son cœur était une plume.
Il fait vraiment des efforts… pour moi.
Elle devait reconnaitre que depuis hier,
Jonas ne ménageait pas ses efforts pour la satisfaire. Elle se demandait ce que
pourrait encore réserver la semaine avec un tel départ. Le jeune homme, fin
compétiteur, plaçait la barre très haute dès le premier jour.
Finalement le bonheur n’était pas si
compliqué. Il suffisait de s’énerver une fois pour que les choses reviennent
dans le droit chemin.
Du moins, c’est ce que pensait Sally. Avec
son caractère italien, elle se mettait assez facilement en colère. Habituellement,
elle prenait sur elle pour ne pas détériorer l’ambiance, mais l’absence de
Jonas à son spectacle avait été l’élément de trop.
Soudain, perdue dans ses pensées, Sally
heurta un jeune homme qu’elle n’avait pas vu pénétrer sur la piste.
Dans un bruit de doudoune qui s’entrechoque,
elle chuta sur les fesses.
— Haaaow.
— Ho, pardon !
C’est qu’il faisait horriblement froid par
terre. Son pantalon ne tarda pas à s’humidifier sous l’effet de la glace
fondue. Sally leva des yeux désolés vers celui qu’elle avait malencontreusement
percuté.
— Je suis désolée, bredouilla-t-elle, vraiment je ne
vous ai pas vu…
L’inconnu, un bel homme brun, grand et
musclé, avec une barbe de trois jours, moulé dans un jean moutarde et un pull
fin bleu marine, tendit sa main pour l’aider à se relever.
Leurs regards se croisèrent. Ses yeux
étaient profonds, étranges et envoutants. Il parla d’une voix grave.
— Ce n’est pas grave, j’aurais dû faire plus attention
aussi, je ne vous avais pas vue non plus.