La fille du cheikh
Ecrit par Farida IB
Yumna…
Je viens d’arriver à Abou Dhabi par un vol exprès à bord du Boeing de papa. Les méthodes néonazies de mon père ! Hier soir j’étais tranquillement assise devant mon ordinateur portable, une tasse de chocolat chaud entre les mains et le regard très captivé par la série médicale "Dr House" lorsque ses deux gorilles apparaissent comme par magie au seuil de ma porte et me donnent que le temps de faire ma valise pour les suivre à l’aéroport. Entre leurs visages plutôt intimidant et la musculature bombée de leurs pectoraux, je les ai suivie sans rechigner. C’est ainsi qu’après plusieurs heures de vol, je me retrouve dans le rang des nationaux au niveau du terminal de l'aéroport d'Abou Dhabi pour accomplir les formalités de police.
Je ne sais pas ce que j’ai fait pour mettre mon père en colère, mais ça sent la tempête, un tsunami, je dirai. J'ai beau creusé mes méninges, je ne trouve aucune explication plausible à cette soudaine altération de son humeur vis-à-vis de moi. Mon père est autoritaire et psychorigide ça nous le savons tous pour avoir reçu toutes sortes d'injonctions au cours de nos vies. Cependant, il subsiste entre lui et moi, du plus loin que je me souvienne une relation particulièrement fusionnelle basée sur l'amour, la tendresse et l'admiration. Pas seulement parce que je suis son unique fille, mais j'ai toujours œuvré pour me tenir à carreau des embrouilles. Je sais que ce n'est pas un mauvais homme, au contraire il nous a toujours donné plus que ce qu'un père peut donner à ses enfants. Je sais également qu'il porte une grande aversion contre le fait qu'on défie son autorité donc je m'abstiens toujours de le faire.
C'est pour cela que j'ai du mal à deviner la cause de cet acharnement contre ma personne. En deux semaines, je suis passée de la princesse Yummy à la sorcière qu’on cherche à tout prix à évincer. Non-content de mettre le veto sur mon virement de ce mois, il fait bloquer mon compte et le plus intriguant, il interdit aux autres de me venir en aide si je veux utiliser ses mots « en quelque manière que ce soit ». J'ai pensé au prime abord que c’était dû à son altercation avec Khalil notre aîné, mais actuellement, c'est ce qu'il m'avait d'ailleurs laisser croire. Pourtant, je suis de plus en plus convaincue qu’il en a vraiment après moi. Et ça, c’est ambigoisant, il ne faut jamais, je dis bien never and never se mettre Al-Amine Ben Zayid dans son dos. Il frappe toujours comme un cobra.
Je passe facilement tous les contrôles et fonce directement vers l’extérieur en traînant mon petit trolley et le sac assorti accroché à mon épaule. C'est tout ce que j'ai comme bagage, en temps normal, il m'aurait fallu quatre chariots pour pouvoir tout convoyer. Dès que je franchis les portes coulissantes du terminal des arrivées, j’ai une certaine vague de sentiments et de sensation qui m’envahit. Je ressens cette sécurité et cette sérénité lorsqu’on est chez soi et par-dessus tout, cette sensation d’ancrage qui me procure sans détour une certaine nostalgie. Depuis six ans que j’ai quitté Abou Dhabi pour matérialiser mon rêve de devenir un professionnel de la santé, je n’y suis revenue qu’une seule fois quatre ans auparavant.
Je repère les deux loubards et m’engouffre dans le taxi devant lequel ils m’attendaient déjà pendant que l’un d’eux se charge de ma valise. Entourée des deux sur le siège passager arrière, je m’enfonce sur le siège en lançant par moment des soupirs exaspérés. En fait, je n’ai de cesse de cogiter sur ce que j’ai bien pu faire pour mériter le traitement d'un malfrat. (soupir) J’avoue que cela me stresse de plus en plus et j’ai hâte de rencontrer papa pour creuser l’abcès une fois pour toute. À un moment du trajet vers la maison, je me libère de ce stresse en regardant le paysage défilé. J’ai gardé de bons souvenirs de mon pays, mais là, j'avoue que je suis subjuguée par le changement opéré dans la ville. On se croirait dans le futur et sans vouloir exagérer, Abou Dhabi n’a rien à envier à New-York.
C'est en retenant mon souffle que je traverse plus tard le hall d'entrée de la résidence, je pénètre l'habitacle jusqu'à mon appartement le cœur battant à mille à l'heure. Je fus aussitôt prise en charge par les domestiques qui me font couler un bain relaxateur avant de me servir de plats locaux que j'ai dévoré. Je fus agréablement surpris lorsque la gouvernante m’informe qu’aucun membre de ma famille ne se trouve actuellement à la maison, enfin plus pour papa. Cette accalmie fugace avant la tempête me permettra de recharger des batteries pour mieux l'affronter. J'entreprens de faire une visite guidée du domaine qui m’a l’air plus immense qu’avant. Entre la fatigue et le stress je m'endors et me reveille deux heures plus plus tard et passe à nouveau dans la salle de bain. J'y sors ragaillardie et fonce dans le centre commercial de ma mère. Après plusieurs allers-retours compte tenu des bijoux que je porte sur mon sari, je finis par passer la porte de sécurité lorsqu'une vendeuse qui m’a sûrement assimilé à une cliente m’approche et m'accueille avec un sourire aussi large que les baies d'une rivière. Au même moment maman émerge sur le pallier des escaliers menant à son bureau.
Maman (à la vendeuse) : c’est bon Amina, c’est ma fille.
Elle me fixe interloquée et j'acquiece un sourire pour la rassurer. Elle se repositionne derrière son bureau. Maman descend deux à deux les escaliers alors que je hâtais mes pas, on finit par se rencontrer à mi-chemin et je me jette dans ses bras en l’étreignant fortement.
Maman : tu es rentrée bébé ?
Moi : Oumiii (maman) !!! (effaçant une larme au coin de l’œil) Tu m’as tellement manqué Oumi.
Maman : toi aussi ma fille.
Elle prend mon visage en coupe quand on se sépare et me relève la tête avant de me regarder fixement.
Maman : waouhhh ma petite fille est devenue une belle jeune femme.
Moi (riant à travers mes larmes) : tu plaisantes maman, de nous deux, c’est toi la plus belle. On aurait dit que tu rajeunis à travers le temps.
Maman souriant : à peine arrivée que tu me caresses déjà dans le sens des poils !!
Moi l’étreignant à nouveau : is true mum, you’re so georgious. (c’est vrai maman, tu es tellement magnifique.).
Elle sourit et me dévisage ensuite avec déférence.
Moi souriant : maman qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi tu me regardes ainsi ?
Maman : je te trouve changer, tu as grandi. Tu n’es plus ma petite Yumna, tu es devenue une belle princesse.
Moi voûtant l'épaule : je tiens ça de toi Oumi.
Elle rit.
Maman : suis-moi, on sera plus à l’aise dans mon bureau.
Moi : d’accord maman.
Je l’enlace par l’épaule et c’est en traînant des pas que nous arrivons dans son bureau. Elle s’assoit sur le canapé et moi, je prends place derrière son bureau.
Moi le regard circulaire : ça a changé ici depuis le temps. C’est coquette ici et j’aime bien la déco.
Maman : merci (enchaînant) ça été ton voyage ? Je ne t’attendais pas de si tôt, j'allais te préparer un festin.
Moi plissant le front : ah ouais ? Donc tu étais au courant que papa voulait me rapatrier ?
Maman riant : rapatrier ? Tu n’exagères pas un peu là ?
Moi : s’il y avait un mot plus fort que ça, je l'aurais employé. Tu n’as aucune idée du procédé par lequel je suis passée. (elle soupire et j'en fais autant) Mon petit doigt me dit que tu en sais quelque chose, qu'ai-je fais à ton mari pour subir ses foudres ?
Maman le regard fuyant : non, il ne m’en a pas parlé.
Moi prenant une grande inspiration : tu ne veux juste pas m’en parler.
Maman : ce n’est pas ça ! (changeant de sujet) Alors raconte-moi ta vie, qu’est-ce que j’ai ratée ?
Je la regarde d’abord le sourcil arqué d’interrogation un moment avant de soupirer longuement. Je sais qu’elle ne me dira rien même sous le coup de la torture. Maman je l’aime plus que tout, c'est une mère hors pair. Toutefois cette manière qu'elle a d’idolâtrer papa m’agace au plus haut point. Je décide de ne plus insister et passe encore deux heures avec elle avant de quitter son mall pour le bureau de Khalil. Je suis consciente qu’en ce moment, il est comme une boule de nerfs prêt à exploser à cause de son altercation avec papa. J'ai néanmoins besoin de lui pour confronter ce dernier. Il est hors de question que je me présente toute seule devant le cheikh.
J’arrive devant son bureau et passe ma tête par l'entrebâillement pour tâter le terrain. Sa bouille amarré et les deux plis sur son front ne predisent rien de bon, quand même je vais essayer. Je ne perds rien de toute façon. Au bout de deux minutes, il ne remarque toujours pas ma présence, à force d'être concentré sur l'écran devant lequel il se trouve.
Moi le taquinant : je suis sûr qu’il y a une jolie minette sur cet écran que tu fixes autant avec intérêt un peu plus particulier.
Il me regarde d’abord surpris avant de me faire un sourire ravi.
Khalil : princesse ? Tu fais quoi ici ? Euh, je veux dire à Abou Dhabi.
Je le rejoins subrepticement pour un gros câlin, ensuite, on se fait la bise avant que je ne prenne place sur la chaise bien en face.
Moi : les choses de ton paternel, il a envoyé ses gorilles me rapatrier comme une condamnée.
Khalil plissant les yeux : votre histoire là devient intrigante.
Moi soupire déconcertée : à qui le dis tu ?
Khalil : tu m'as dit être clean (oui de la tête) j'espère que tu l'es vraiment.
Moi supputant : rien de bien sérieux qui mérite la prison quand même. Fin, mes notes sont bonnes et je vais assidûment au cours. Je rentre à l'internat à la fin de ce cycle.
Khalil : chouette petite, je suis fière de toi. (ajoutant) On attend donc le soir pour savoir de quoi il en retourne.
Moi (secouant lentement la tête) : exact et j'aurai besoin de ton aide.
Khalil arquant le sourcil : qu’est-ce que j’ai à voir dans tes " problèmes" avec ton père ?
Moi (la voix aiguë) : rien, mais je veux que tu sois présent lors de notre confrontation.
Il me regarde comme si je venais de blasphémer.
Khalil : tu es sérieuse là ? Tu sais toi-même que ce n’est pas la joie avec lui en ce moment.
Moi : tout à fait (soupire.) mais je sais également que tu es le seul à pouvoir lui tenir tête. Il ne peut rien me faire avec toi à mes côtés.
Khalil parlant vite : non !
Moi : le grand, s’il te paît. J'ai vraiment besoin de toi sur ce coup.
Khalil catégorique : je dis non ! Ça fait deux jours que j'évite de me retrouver dans la même pièce que lui pour qu'on n'en arrive pas aux mains.
Moi (ton suppliant) : fais ça pour ta petite sœur adorée, l’unique, ta première épouse, ta princesse Yummy, ton acolyte…
Khalil soupirant : c’est bon, je vais voir ce que je peux faire pour toi, mais je ne peux pas te garantir à 100 % qu'il voudra m'écouter.
Moi : on ne perd rien à essayer.
Khalil se passant la main dans les cheveux : ok, ce soir, on ira le voir ensemble.
Moi tapant des mains : yes merci merci merci, tu es un ange.
Khalil riant : tu me fais toujours faire ce que tu veux.
Moi claquant la langue : parce que je suis l'unique qui occupe ton cœur.
Khalil : lol ma femme, c'est maman. Je suis prêt à parier qu'il y a un imbécile qui te mélange le cerveaux là-bas. Qu'il m'évite simplement, je ne le raterai pas en tout cas.
Moi évasive : encore toi-même !!
On tripe sur d’autres sujets jusqu’à son heure de sortie où il m’amène passer la soirée avec ses potes. Au moment où nous pénétrons la surface du restaurant de tonton Sharif, l'associé de mon père, je reconnais tout de suite son fils Jemal qui fait son sourire le plus accrocheur à la serveuse planté à côté de lui. Je secoue la tête amusée en pensant que le chien ne change jamais ça manière de s'asseoir. Toujours aussi tombeur que dans mes souvenirs. C'est une fois que la fille s'éclipse qu'il nous remarque. Il se met ensuite à me fixer d'un regard qui en dit long sur ses pensées. Je pense qu’il ne m’a pas reconnu.
Quand nous arrivons à sa table, je m'assois face à lui et Khalil à sa droite. Il me lance des regards appuyés quelques secondes durant avant de lancer un commentaire.
Jemal : le frère malgré les péripéties de ta vie en ce moment, tu trouves le temps pour les bombasses (se caressant la barbe) mais celle-là, je veillerai volontiers sur elle lorsque tu t'en iras pour Afrique.
Moi lui souriant : Salam Aleik Jem.
Il me regarde les sourcils froncés pendant que Khalil lui donne une claque sur la nuque.
Khalil : imbécile, c'est ma sœur ta bombasse là ? (un coup de coude) Et puis arrête de la reluquer.
Il ouvre seulement la bouche ce qui me fait éclater de rire.
Jemal : c’est Yumna ?
Khalil : non la reine d’Angleterre.
Jemal : popopo, petite tu es devenue une (avisant regard en biais de Khalil) enfin, une belle jeune femme.
Khalil : tu as intérêt !!
On part d’un rire général lorsque la serveuse de toute à l'heure arrive pour prendre nos commandes. Je ne rate pas du tout le dédain qui se lit en clair dans ses yeux actuellement. Lol, c'est même quoi son problème à elle ? Comme si elle pouvait tenir une bataille contre moi. Tsuipp voyez moi les choses comme ça !!!
Jemal : Bilahil Azim (je jure sur Dieu.) que je ne t’aurai jamais reconnu sans indication.
La serveuse me jette un coup d'œil.
Moi : toi par contre tu n’as pas changé du tout.
Je regarde du coin de l'œil la serveuse qui épie notre conversation au lieu de prendre les commandes avant de parler.
Moi : tu demeure un play-boy notoire.
Jemal : lol petite respecte tes aînés.
Moi riant : mais est ce que c'est faux ? Même pas deux minutes que je t'ai vu en action.
Serveuse au tac : alors vous prenez quoi ?
Khalil désignant la boisson de Jemal : la même chose que lui.
Moi (la fixant dans le bleu des yeux) : non-non, je ne veux pas du jus de fruit. Un café plutôt, je le veux avec de la cardamome.
Serveuse : c'est noté
Moi (lorsqu'elle veut partir) : et sucré s'il te plaît.
Elle me toise, est-ce que moi Cheikha (la fille du cheikh) je me préoccupe de ces détails même ?
Serveuse (ton condescendant) : ce sera tout ?
Salim (qui vient d’arriver) : non, je prends la même chose que mademoiselle (levant les yeux sur moi) Yumna ? T'es rentrée, depuis quand ça ?
Moi lui souriant : oui oui le grand, je suis arrivée tôt ce matin.
Ils se cognent la tête pour se saluer et me fait un baisemain.
Salim : alors comment tu vas ? Et tes études ?
Moi : au mieux de ma forme et les études, beuh ça évolue dans le bon sens grâce à Dieu.
Salim : mâcha Allah (selon la volonté d'Allah)
Moi à Jemal : comment se fait-il que lui m'ait reconnu alors que toi mon bourreau d'enfance non ?
Jemal sourire contrit : Yum tu es rancunière hein, tu n'as toujours pas oublié ces épisodes malgré toutes ses années ?
La serveuse arrive avec nos commandes et les dispose avec des gestes lents, beaucoup trop lents à mon goût !!
Moi boudant : comment oublier celui qui m'éconduisais toujours devant mes programmes préférés à la télé lorsqu'il était avec une fille et raflait mes goûtés en plus ?
Les autres tombent de rire même la serveuse.
Jemal levant les yeux : petite arrête de m'enfoncer, j'ai changé.(sourire en coin) Je suis devenu un gentleman.
Salim : un quoi man ? Plutôt un Womenman (homme à femmes) wesh.
On pouffe de rire alors que Jemal lui lance un regard courroucé. Ils passent la soirée à se charrier entre eux dans une ambiance bonne enfant. Entre les anecdotes des gars et les histoires de ouf de Jemal sur ses conquêtes, je m’amuse comme jamais. C’est dans cette même ambiance que nous retrouvons maman et Ussama plus tard à la maison. Nous l’aidons à faire la cuisine et nous retrouvons ensuite autour de la table à manger. Un moment maman lève les yeux tout brillants sur nous.
Ussama (aussi intrigué que nous) : maman qu'est-ce que tu as maman ?
Maman : je suis heureuse de vous voir. Ça fait une éternité que nous n'avons pas eu un vrai dîner en famille. Il manque que votre père pour former un vrai tableau.
Khalil (laissant tomber sa cuillère) : il ne manquait plus que tu évoques celui là (se levant) je n'ai plus faim. (se tournant vers moi) Yumna si tu me cherches, je suis dans mon appart.
Maman (voix tremblante) : Khalil !!
Khalil : bonne nuit maman.
Rhoo celui-là aussi, pfff.
Il s'en va et l'ambiance devient aussitôt maussade, il y a maman qui a cessé de manger et qui fixe son plat la tête baissée.
Moi me voulant rassurante : ça va lui passer maman, il réagit sous l'effet de la colère qu'il a contre papa en ce moment.
C'est lorsque je vois ses épaules secouées et entends son hoquet que je me rends compte qu'elle pleure. Je me lève et l'enlace par l'épaule pendant que Ussama suivait la scène débité.
Maman : sniff je me sens vile et surtout impuissante de voir mon fils et son père s'entredéchirer tout le temps. J'ai fait de mon mieux pour dissuader votre père, mais comme d'habitude, il n'en fait qu'à sa tête. Snifff, comment leur faire comprendre que ça me déchire le cœur qu'ils soient en conflits perpétuel ?
Ussama : rhoo maman arrête de pleurer, tu vas me faire pleurer aussi.
Je lui jette un coup d'œil du genre "tu es sérieux là ?". Il hausse les épaules.
Moi (caressant le dos de maman) : on va lui parler Oumi, arrête de pleurer maintenant tu sais comment il fonctionne, il reviendra à de meilleurs sentiments.
Maman soupirant désespéré : je l'espère ma fille, je l'espère vivement.
Elle pleure encore un moment avant de se calmer. Inutile de dire que le dîner a été suspendu. Maman s'est empressée de s'enfermer dans sa chambre alors qu'Ussama et moi débarrassons la table. Je mets ensuite la machine à vaisselle en marche et Ussama se charge de ranger. Les règles ici n'ont pas changé, pas de domestiques le soir, ni le matin d'ailleurs. Elles ne sont là que pour l'entretien de la maison, le reste, c'est soit maman soit nous qui nous en chargeons. Enfin, quand mes frères sont de bonne humeur, ils donnent un coup de main.
Après tout ça nous retrouvons Khalil dans sa salle de séjour, il fume une chicha aromatisée en suivant une chaîne assez bizarre. Fin, ils parlent le français et ont un accent assez rigolo. Ussama le rejoint dans son délire et moi, je me tiens bon à l'écart pour ne pas humer leur connerie.
Moi : les gars, je n'aime pas quand vous fumez votre truc-là.
Khalil prend le temps d'expirer une forte vague de fumer dans ma direction avant de plonger un regard moqueur dans le mien.
Khalil : qui te retient ici ?
Moi toussant : Keuf, Keuf keuf, je veux te parler.
Khalil : si c'est à propos de papa ou maman mieux tu économises ta salive.
Moi soupire agacée : Khalil, maman, n'en est pour rien dans ton histoire avec papa.
Khalil passant le tube à Ussama : je n'ai jamais dit ça.
Moi : mais c'est tout comme, tu lui as fait de la peine toute à l'heure.
Ussama hochant la tête : elle a même pleuré.
Il arque un sourcil.
Moi : elle pense que tu lui en veux de cautionner papa.
Khalil : ce qui n'est pas faux.
Moi maugréant : non mais tu débloques ? (baissant le ton en avisant son regard) Tu sais très bien que maman ne peut jamais influencer sa décision.
Ussama : ça, c'est vrai.
Moi : et tu sais qu'elle n'est pas non plus heureuse de te savoir en terre inconnue dans cinq jours.
Il se passe la main sur le visage.
Moi continuant : tu devais essayer de tempérer ta colère (la petite voix) parce ce qu'il faut le dire tu ne peux en vouloir en personne à part toi même. Tu t'es mis dans le pétrin tout seul comme un grand.
Il soupire, mais ne dit rien.
Khalil : je le sais, je ne pensais juste pas que le cheikh irait aussi loin.
Ussama : oh que si ! Moi, je l'avais pressenti et c'est tout à fait normal. Tu connais ton père et tu sais qu'il a une sainte horreur qu'on se mette en travers de ses business. Tu es le mieux placé pour savoir qu'il a trimé dans la misère pour être là où il est aujourd'hui et il fait pieds et mains pour maintenir et même accroître sa courbe de richesse. Je sais que c'est son autorité abusée qui t'a rendu rebelle mais parfois pense aux répercussions. Il n'y a pas que toi, il y a nous, il y a maman et toute la ville qui bénéficient des fruits de ses efforts. Déjà que tu as choisi de suivre autres voie que lui, autant que nous sommes d'ailleurs, arrête de l'enfoncer !!!
Ça c'est mon frère !!
Khalil furax : pffff !!!
Moi (voulant amuser la galerie) : en fait, je sais ce qui te frustre (il me jette un coup d'oeil.) c'est juste que la tempête a été plus fort que le tsunami cette fois.
Khalil riant : pas faux lol. Le vieux a fait fort (pointant la TV) il m'envoie là, regardez l'aspect du pays. Sa superficie est aussi grande que notre résidence.
On éclate de rire.
Ussama : donc ce sont les habitants-là ?
Khalil : oui, le nord du pays.
Moi : ah ouais quand même inh, tu vas t'amuser, c'est sûr.
Khalil : pffff.
Nous : kiakiakia...
On lance ensuite des recherches sur son futur pays d'accueil, c'est vrai que là papa a fait fort (rire). On passe l'heure qui suit à discuter à bâtons rompus. Mes frères me racontent leur délire et moi les miens, fin en omettant quelques détails. Je les écoute avec attention et enthousiasme. C'est pendant ces moments que l'on se rend compte qu'il n'y a pas pur bonheur que de passer un bon moment en famille. Au moins un côté positif de mon rapatriement lol. Ils m'ont vraiment manqué mes frérots. Il y a la magie des réseaux sociaux, mais cela n'équivaut pas à la sensation que j’éprouve en ce moment. Je me sens renaître, je me sens chez moi et surtout je me sens aimé.
Malheureusement, ce moment magique fut furtivement remplacé par l’angoisse lorsqu’on s’apprêtait à ouvrir la porte du bureau de papa. Il était rentré depuis un moment déjà. Il s’est d’abord enfermé dans ses appartements pour rattraper ses prières du soir avant de passer à table. Là, il est enfermé dans « la salle d’audience » et nous avons décidé de le rejoindre avant tout propos.
Je marche à côté de Khalil qui me tient par la main et la presse doucement pour me rassurer. Son visage devient d’un coup sévère dès qu’il nous aperçoit, il pose ses deux bras sur la table et d’un ton impératif, il dit.
Papa : Khalil laisse-nous seuls.
Khalil : mais papa…
Il lui lance un regard qui lui intime l’ordre de se taire. Khalil retourne sur ses pas, pas sans m’avoir pressé l’épaule et me lancer un regard compatissant. Mon cœur commence par battre à un rythme effréné lorsque j’entends le bruit de la porte qui se referme. Je suis vraiment, mais vraiment dans une impasse !!
Papa voix rauque : Cheikha assois-toi.
Cheikha ? Mais qu’est-ce que j’ai fait à mon père ?????