La note B
Ecrit par leilaji
Chapitre 6
Leila
Aujourd’hui je dois prendre ma feuille de route pour une nouvelle mission d’audit dans une entreprise située à Port-Gentil, la capitale économique du Gabon. J’ai fini à OLAM il y a une semaine de cela. Alexander et moi ne nous sommes plus adressés la parole depuis que je lui ai jeté de l’argent à la figure. J’ai passé mon temps à me demander si je devais m’excuser puis en fin de compte je me suis dis qu’il valait mieux que je garde mes distances. Il l’avait bien mérité de toute manière et m’excuser serait faire preuve de faiblesse. C’était bien mieux ainsi.
Je suis assise devant ma boss. C’est une femme qui m’inspire un très grand respect. Elle ne prend jamais de gant pour s’adresser à ses collaborateurs et récompense toujours les plus méritants. Elle est milliardaire parce qu’elle a su investir l’argent que lui rapportait son cabinet très discret. Et pour ça, je dis bravo. Bien qu’elle soit la patronne, elle commence à 7 heures 30 du matin et termine en début de soirée. Très peu d’associés seniors le font encore. Ils se contentent souvent de réclamer leur part du gâteau en fin d’année avec la distribution de dividendes.
Elle me regarde longuement puis me tend un document que je parcours rapidement. Ce que j’y lis premièrement m’étonne profondément puis en fin de compte m’énerve carrément.
— Il te donne un B. Qu’est-ce qui s’est passé à OLAM ?
Les auditeurs rendent leur rapport et le client leur donne une note de satisfaction, ce qui permet à la firme de récompenser les auditeurs les plus appréciés des clients. Les primes de fin d’année dépendent pour moitié des notes qu’on reçoit. Ces notes vont de A (pour les meilleurs) B, C à D (pour les plus exécrables). Je n’avais encore jamais reçu de B. Ca fait cinq ans que je suis dans cette boite et je n’avais encore reçu de B ! Il a fallu que je connaisse Alexander pour avoir une note pareille.
Alexander ! Je vais le tuer ! Il n’a quand même pas pu me faire ça pour se venger.
— Il manque les tableaux fiscaux et comptables. Ce sont les plus importants et tu as rendu ton rapport sans les tableaux fiscaux et comptables. Je ne comprends pas que tu aies pu faire cette erreur de débutante.
Je suis pourtant sûre d’avoir rendu ce rapport entier et avec tous les éléments habituels.
— Je vais régler immédiatement ce problème madame Maclé.
— J’y compte bien. Je voulais proposer ton nom comme associée junior mais avec une telle erreur, je ne le peux plus. Nous avons donc du donner sa chance à Kathy Portier.
Franchement, j’ai juste envie de bondir de ma chaise et de l’étrangler. Je suis dans cette boite depuis cinq ans maintenant, je mérite largement la place d’associé junior. Katherine Belmas Portier, jeune avocate française débarquée de Paris est là depuis seulement quoi … deux ans et on lui propose la place d’associé junior! Ma place ! Celle pour laquelle chaque jour je me lève à 5 heures et me couche à minuit afin de toujours rendre des rapports d’audit parfaits. Ma place !
Je contiens ma colère. C’est ce que j’ai de mieux à faire pour le moment. Je la salue puis sort de son bureau. J’ai envie de pleurer. Je compose le numéro d’Elle puis laisse tomber. Je dois agir et vite, je n’ai pas le temps de lui raconter ce qui se passe. Mon téléphone vibre, c’est un message d’Elle.
« Tu viens de rater la place d’associée junior. Ton rapport d’OLAM était incomplet !!! Je ne comprends pas … »
Ah Elle, je suis déjà au courant. Et je sens que quelqu’un va me sentir passer. Je sors de l’entreprise, direction le siège provisoire d’OLAM au quartier Montagne Sainte.
***Alexander***
Je suis en train de discuter avec Wacquez, un français qui dirige une entreprise pétrolière à Port-Gentil, d’une collaboration avec sa boite quand une femme ouvre ma porte sans avoir été annoncée. C’est Leila. Quelle surprise ! Elle semble en colère contre moi. Je jubile intérieurement. Elle pensait vraiment que j’allais la laisser partir sans lui avoir fait comprendre qu’elle se frottait à plus fort qu’elle.
— Mademoiselle Larba, quel plaisir de vous revoir … si tôt.
— J’aimerais vous parler en privé.
Son ton est cassant. Mais je fais celui qui n’a rien remarqué. Elle est toujours aussi belle que dans mes souvenirs. Wacquez étrangement ne sent pas la tension qui s’est installée dans le bureau et nous regarde nous toiser sans faire mine de s’en aller. Il commence à m’énerver celui là. Je sens qu’il veut absolument que je signe son protocole d’accord qui lui permettra de recevoir un financement de plus d’un milliard de francs CFA. C’est un vieil ami en qui j’ai totalement confiance habituellement mais un « je ne sais quoi » me retient de signer.
— Monsieur Wacquez, il me semble que je viens de dire que j’ai besoin de parler à monsieur Khan en privé.
Wo ! Elle n’y va pas de main morte avec le pauvre. Le concerné vire au rouge immédiatement.
— Hé ma petite dame va falloir vous calmer. J’ai des choses importantes à faire ici moi.
Leila me regarde avec fureur. Quoi ? Elle s’attend vraiment à ce que je le fasse sortir pour lui permettre de se jeter sur moi ? Comme disent les jeunes : très drôle. Je vais la faire mariner encore un peu tiens.
— Leila, j’en ai pour quinze minutes maximum. Prends place dans la salle d’attente s’il te plait.
Elle me regarde longuement puis tire une des chaises visiteurs et s’assoit. Je me retiens d’appeler la sécurité pour qu’on la jette dehors
***Leila***
Ils reprennent leur discussion sur le protocole de merde de Wacquez. Et je les regarde négocier. Wacquez est agité et un peu nerveux tandis qu’Alexander est d’un calme olympien. Il tourne et retourne les pages du protocole entre ses mains mais ne signe pas. Je regarde ma montre. Ca fait déjà vingt-cinq minutes que ça dure. Ma colère … est retombée d’un coup.
Je ne peux m’empêcher d’observer Alexander et de repenser à ce qui s’est passé chez lui. Son baiser était tellement doux. A mille lieux de l’image de l’homme intraitable qu’il renvoie en ce moment. Je crois que je n’ai plus envie de me prendre la tête avec lui. Je suis trop abattue pour ça. J’ai perdu la place d’associée junior et quoi que je fasse maintenant, ça ne changera plus rien. Ca fait quarante minutes qu’ils parlent en sirotant un verre de whisky chacun. Je me sens de trop. Je vais m’en aller et me rattraper sur l’audit de Port-Gentil. C’est ce que j’ai de mieux à faire. Il faut que je me concentre sur mes objectifs de réussite.
Alexander a été une distraction que j’ai payée trop chère. Je me lève.
— Tu ferais mieux de ne pas signer ce protocole. Pour engager valablement la société OLAM pour des montants aussi élevés, il te faut l’aval du Conseil d’Administration. Tu risques d’engager ta responsabilité si les choses capotent et crois moi, elles vont capoter. J’ai jeté un coup d’œil à leur compte de résultat et leur bilan des trois dernières années, il n’y a pas longtemps et ils ont été … habilement gonflés.
— Non mais pour qui elle se prend cette petite cocotte ? C’est des renseignements confidentiels ca non !
— Surveillez votre langage monsieur Wacquez.
— Ce projet a été ficelé avec le concours du cabinet Smith et associés. C’est un cabinet internationalement reconnu. Et vous vous sortez d’où ?
Je n’ai pas honte de le dire : de l’Université Omar Bongo, une université gabonaise.
— Justement, j’ai été formée ici. Je maitrise mieux les nuances du droit OHADA qui s’applique aux contrats commerciaux gabonais que vos cabinets internationaux. Et je dis qu’il ne doit pas signer, j’explique en regardant Alexander car c’est lui que je veux convaincre pas l’autre imbécile.
— Quel culot ce n’est pas croyable ! Ca sort de son village et ça vient faire chier les autres. Ici ce n’est pas votre fac de merde là. Vous êtes quoi une petite juriste diplômée de rien du tout oui !
— Alexander. Ne signe pas.
— Putain c’est quoi ce délire, ce protocole est tout ce qu’il y a de plus honnête…
— Wacquez ferme là, intervient Alexander.
Mais Wacquez ne l’entend même pas et continue de m’insulter. J’accuse le coup sans broncher. Qu’il se défoule autant qu’il veut ce con. Moi je fais mon job. Cette opportuniste de Portier me prend ma place, Alexander me met des bâtons dans les roues, Wacquez m’insulte…. la liste pourrait encore être très longue.
Ils auront beau faire tous, je n’abandonnerai pas.
Pendant tout ce temps je regarde Alexander. Ses narines commencent à frémir et ses yeux virent au brun. Je crois qu’il est en colère. Ah, qu’il se mette aussi à m’insulter pendant qu’il y est. Au point où j’en suis !
— WACQUEZ JE T’AI DIT DE LA FERMER ! crie Alexander en lançant son verre contre le mur de son bureau.
Wacquez et moi le dévisageons sans croire ce que nous venons d’entendre. Il a lancé le verre avec tellement de rage qu’il s’est brisé en mille morceaux. Mais je crois bien que le plus surpris des deux c’est Wacquez. Il commence à ranger ses affaires de manière fébrile, prends son sac et le place sous ses aisselles puis s’en va en claquant la porte.
Je crois que je vais faire de même. Alexander me fait un peu peur quand il est comme ça. Je me lève et tourne les talons pour m’en aller quand je l’entends dire d’un ton sans réplique:
— Assieds toi !
Euh ok.