La roue tourne tôt ou tard tout se barre

Ecrit par Gioia

Deux ans plus tard

***Blair Gueye***

Ça y est ! Je suis bachelière. J’ai mis toute mon attention sur les cahiers cette année et j’ai eu la mention bien. Je suis d’autant plus ravie que tout notre groupe ait réussi. Nous sommes chez Vince qui a organisé une fête pour célébrer le tout. Ce soir on se permet de boire en pagaille.

-Ramenez nous d’autres bouteilles de Louis Roederer, crie-t-il à une de leurs servantes.

-Je suis pompette bébé. J’ai envie de dormir, Clari minaude tout en s’accrochant à son épaule.

-On ne sera bachelier qu’une fois ma belle. Allez !!!!!! Party jusqu’à 4h du mat, il tonne et les « ouais » suivent en chœur.  

Après une soirée ultra arrosée, beaucoup dont moi sont restés dormir sur place. Heureusement, la mère de Vince avait tout prévu pour recevoir du monde extra et son père était hors du pays, sinon il nous aurait lapidé avec la consommation qu’on s’est autorisé hier.

Une semaine plus tard Clarence s’est envolait pour la France. Elle a été acceptée en fac de droit à Paris-Nanterre. Elle rejoint Arthur qui étudie la gestion à la même uni. Vince quant à lui a été opté pour le génie chimique à l’école polytechnique de Paris Sud. Miriam a préféré l’Angleterre. Elle est à l’université de Manchester pour une licence en biologie moléculaire. Les autres se sont répartis un peu partout. Afrique du Sud pour Valencia, les États Unis pour Julien etc. Nous avons bossé comme des dingues durant les deux dernières années alors c’est trop bien de voir chacun suivre une trajectoire promettante. Moi je vais rejoindre Kate à UBC (université de Colombie britannique) pour un bachelor en business. Pour faire marcher mon père, je fais mine d’hésiter entre la fiscalité et le marketing mais mon choix est fait depuis le début du lycée. Mon destin c’est de suivre les traces de mon père et il s’en est toujours réjoui. Vu que j’ai décidé de ne pas rentrer avant d’avoir mon bachelor en poche, j’en profite pour manger tout ce que je ne trouverai pas là-bas et aussi profiter à fond de mes parents.

Clarence voulait que je la rejoigne en France pour le tour du Sud qu’ils ont organisé avant de commencer les cours, mais j’ai décliné ne voulant pas voir Arthur. Ça fait huit mois et j’en souffre encore. Je n’ai pas pu me tenir à ma promesse de rester vierge jusqu’au bac. Quand j’ai eu mon anticipé et lui son bac nous l’avons fait. Ce n’était pas prémédité. Nous étions en voyage en Jamaïque avec Clarence et Vince. Puis une chose conduisant à une autre ça c’est fait tout seul. Heureusement j’avais dans ma trousse de maquillage les préservatifs que Kate m’avait donné. Je pensais qu’on filait le parfait bonheur mais il semble que c’était uniquement de mon côté. Deux mois après le début des cours en terminale, il m’a envoyé un SMS dans lequel il m’accusait de lui prendre la tête avec mes plaintes et qu’il pense qu’on est trop jeunes pour s’encastrer dans une relation comme la nôtre. Déboussolée, j’ai répondu que je ne comprenais pas parce que la seule chose que j’écrivais souvent c’est tu me manques, c’est plus pareil ici sans toi, je travaille dur pour qu’on se retrouve vite, bâts-toi aussi bébé j’ai confiance en toi puis et j’ai hâte de te voir. Il a répliqué que justement, tout ça lui mettait trop de pression et il a besoin de souffler parce qu’il se sent attaqué de tout côté depuis le début de la fac.

J’en ai parlé à Clari qui a jeté l’huile sur le feu en l’appelant pour bien l’insulter et le menacer de ne pas oser me faire pleurer sinon elle en finirait avec lui. Suite à ça, il a arrêté de me répondre quand je lui écrivais. Si ça n’avait pas été Kate je serais tombée en dépression. Je me suis sentie conne et misérable comme une canette qu’on jetait après l’avoir vidé. Kate m’a expliqué que je n’avais pas moins de valeur parce que je n’étais plus vierge et que c’est comme ça le monde des relations. On couche, on se quitte. Je devais agir en grande fille et passer à autre chose. J’ai pleuré un bon coup et enterré mes rêves de jeune fille en un mois. Puis j’ai dit à Clarence de mettre fin au froid de cinq mois qu’elle avait instauré entre son frère et elle. En apparence je suis tranquille aujourd’hui. Parfois ça m’arrive d’avoir encore mal. Quand je vois ces photos sur Facebook je me rappelle de nos moments et je me sens ébranlée. J’attends avec impatience ce moment magique où je ne ressentirais plus rien et Kate a promis que ça viendrait bientôt. Elle a aussi dit qu’Arthur reviendrait vers moi quand il se rendra compte de ce qu’il a perdu. J’attends de voir si ça se fera. J’attends de lui dire clairement ce que je pense de lui. Pour le moment je profite de Babi en paix. Je vérifie tous les jours mon e-mail en attente d’un message de l’ambassade Canadienne concernant ma demande de permis d’études.

***Paul EHIVET***

Je suis foutu et fait comme un rat. Comment vais-je m’en sortir ? Quelle voie prendre ? Je viens de recevoir une lettre officielle m’annonçant une suspension temporaire le temps qu’un audit soit fait sur mes activités des trois dernières années. Je suis en directeur de l’exploitation chez la banque d’Abidjan, une société affiliée à un groupe plus important. Notre structure s’est spécialisée dans différentes activités du secteur bancaire. J’ai rapidement gravi les échelons pendant les sept années faites ici et me suis retrouvé à la tête du département des PME-PMI. Durant les années, il m’est arrivé de prendre en charge des demandes de financement de certaines connaissances qui ne répondaient pas aux critères requis par notre structure. En tant qu’analyste financier j’ai su comment agencer les preuves et les rentrer dans notre système pour réduire le niveau de risque afin qu’ils obtiennent un bon taux d’intérêt. Entre amis on s’entraide ainsi. Ma famille n’aurait pas ce niveau de vie si mes connaissances ne me retournaient pas aussi des faveurs.

Au départ ce n’était qu’un faible nombre donc ça passait facilement inaperçu. Mais là je suis incapable de donner le compte exact de ceux que j’ai fait passer ainsi. Et le pire, c’est que je n’ai même pas entendu de bruit concernant une potentielle enquête menée contre ma personne. Là, je pense à un collègue, comptable, employé ici. Je suspecte qu’il est derrière ça parce qu’il m’a demandé une faveur dans le passé pour des amis entrepreneurs dont les dossiers ont été souvent recalés. Je suis resté ferme et professionnel, tout en lui expliquant qu’on ne peut rien changer sur notre procédure. A l’époque j’ai craint que des amis m’avaient justement vendu mais le comptable en question est décédé un an plus tard, et je n’ai jamais été interpellé concernant mon travail. J’ai même reçu cette promotion et je croyais sincèrement tout ça derrière moi surtout que j’ai arrêté depuis deux ans.

Je ne peux rentrer dans cet état alors je me rends dans un resto alors j’appelle les connaissances que j’ai au boulot et lorsque j’ai une info pertinente, je contacte mon ami Jospeh Koutouan. Nous évoluons dans le même domaine même si lui travaille pour une compagnie affiliée au SIF Groupe. Il est lui-même auditeur chef en risques opérationnels. Il a aussi bénéficié de mes bons services pour s’ouvrir une cave à vin à Abidjan et un petit hôtel pour sa femme à Yamoussoukro.

-Oui Paul C’est comment tu appelles ma ligne personnelle ?

-Joseph tu es seul ?

-Oui pourquoi?

Je lui explique la situation dans les moindres détails.

-Eh Gnamien (Dieu) comment tu as fait tes choses Paul!

-Ce n’est pas le moment pour les questions rhétoriques. J’ai entendu que l’audit se fera par quelqu’un que tu connais peut-être. Mon avenir est entre mains Joseph. Rappelle-toi des nombreux services rendus s’il te plaît.

-Ok, ok, je n’oublie rien. Laisse-moi me renseigner et je te fais signe.

-Merci Joseph. Dieu te bénisse, je dis le cœur enfin soulagé.

La semaine d’après Paul a demandé que je passe le voir. Comme je m’y attendais il a fini par trouver l’identité d’une des personnes qui auraient la charge de l’audit. Je lui ai versé tout l’argent liquide auquel j’avais accès puisqu’on a gelé mes fonds le temps de l’enquête. Je suis sorti de là en respirant à pleins poumons et enfin j’ai commencé à profiter de ces journées de repos forcé comme un type en vacances.

Un mois plus tard, c’est d’un air confiant que je me suis rendu au travail après une convocation officielle. Joseph m’avait rassuré jusqu’à la dernière minute et comme un con je l’ai cru. Un con qui a senti ses forces le quitter quand on lui a proposé de livrer ses complices pour s’éviter une poursuite judiciaire.

***Blair EHIVET***

J’ai l’impression d’être coincée dans un cauchemar sans fin depuis douze jours. Papa est alité mais sans voix. à le voir, on croirait qu’une grave maladie vient de s’abattre sur lui, pourtant son médecin nous a rassuré quant à son état de santé. Maman n’est pas meilleure. Elle ne cesse de crier, pleurer, insulter et parle régulièrement d’une fameuse lettre qui accusait papa de détournement de 60 millions alors que ce n’est pas son genre. C’est à n’y rien comprendre alors j’attends que mon papa se remette et m’explique ce qui se passe.

-Blair décroche ce foutu téléphone ou éteint le !!!! Tu nous casse les oreilles avec ! elle me gueule dessus.

-C’est Kate, je lui dis quoi? Elle n’arrête pas d’appeler, je réponds effrayée.

-Tu décroches mais ne mentionne pas ton père.

-Allô Kate? Je réponds après avoir hoché la tête à maman.

-B, il est où papa? Kate commence sur un ton nerveux. Il faut lui dire que c’est urgent qu’il regarde mon compte bancaire. Ma carte de crédit du pays est bloquée et j’ai besoin de payer mon loyer et tout là!

-Euh…, je commence affolée. Maman me décoche un regard menaçant qui ne me rassure pas.

-Elle dit quoi ?

-Que…que sa carte de crédit est bloquée.

-Heeyeee je suis mort. Paul m’a tué ! Paulllll ! Mes enfants ! Paul regarde ce que tu as fait ! elle s’écrie. Dès qu’elle se jette sur papa qui est couché sur le sofa comme un être sans vie depuis qu’il est rentré d’hôpital hier, j’oublie mon téléphone et j’essaie de les séparer malgré mon corps qui est secoué par les larmes.

-Cherche-moi un corbillard Lisa, c’est mieux que je meurs, papa dit et me fait pleurer de plus belle.

-Tu vas mourir pour aller où ? Hein Paul ? Tu meurs pour nous laisser à qui avec ce que tu as créé ? maman continue à se déchaîner.

Deux jours après, j’ai commencé à comprendre l’origine du cauchemar. Papa nous a expliqué ce qu’il a fait et dû faire pour éviter une éventuelle prison. Non seulement il a perdu de l’argent mais en plus, il a dû céder quelques voitures à des connaissances pour qu’on lui livre des noms de potentiels fraudeurs dans leur compagnie. C’était ça ou se retrouver en prison.

-Pourquoi ? je lui ai demandé d’une voix rocailleuse.

Il n’a jamais pu m’expliquer ce qui pousse un homme travailleur, bon, aimant, encourageant, un modèle pour moi, à devenir un criminel.

Le soir là, tandis qu’on venait prendre ses voitures, j’avais certes mal, mais je n’avais pas encore conscience de ce que ma vie allait devenir.

L’année suivante, je l’ai passé à la maison dans le déni ne sachant pas quoi faire. Adieu Vancouver. Adieu ce destin prometteur que j’entrevoyais. A l’eau mes plans d’adolescente ambitieuse. Petit à petit, on a dû se défaire du personnel de maison. Les fois où on osait sortir dans le quartier, les murmures et regards remplis de jugements fusaient sur nous. Maman qui est très fière ne l’a pas supporté et elle a fini par faire de la maison sa prison. Elle ne sortait plus du tout.

À cause de sa mauvaise réputation, papa n’a pas pu retrouver du travail dans son domaine. Il se promenait régulièrement à la recherche de quoi faire mais rien. Un soir alors que j’étais seule et affamée, il est rentré avec du riz et du poulet. J’ai voulu le mettre dans un plat pour qu’on mange mais il a dit que c’était pour maman et moi parce que lui était déjà rassasié. Alors que j’allais manger, Mr Kipre, le papa de Vincent est venu nous rendre visite. Je les ai laissés entre adultes mais l’ennui m’a poussé à revenir dans le coin, espérant que le père de Vince venait avec une bonne nouvelle pour nous.

-Paul est ce que tu peux arrêter de m’appeler constamment ?

-Credo je vous ai tous aidé ! Quand j’étais à mon niveau, on se parlait régulièrement mais après avoir pris mon argent et roulé dans la farine, Joseph ne prend plus mes appels. Tu trouves ça normal ? Credo qu’est-ce que j’ai fait ? Ma famille n’a plus rien ! J’ai des enfants, des filles de surcroît. Tu ne peux pas me laisser comme ça.

-OK mais que veux-tu que je fasse alors ? Je n’étais pas en charge de l’audit et suis encore moins le secrétaire de Joseph. Tu sais très bien qu’il nourrit de grandes ambitions donc c’est pas maintenant qu’il acceptera que ta merde déteigne sur lui. C’est toi qui n’as pas couvert tes arrières.

-Ah bon hein ? papa rigole de dérision. Aujourd’hui c’est ma merde qui sent mauvais Credo ?

-Du calme, je n’essaie pas de t’accuser mais comprends que tu exagères à nous appeler à tout va. Je ne peux rien.

-Tu veux que je fléchisses le genou Credo ? il dit et le fait. Aide-moi au moins à trouver un truc, ne serait-ce que pour nourrir ma famille, papa le supplie sur un ton blessé qui me gonfle le cœur de rage.

Pourquoi le père de Vince lui parle ainsi ? C’est une amitié de vingt ans ça ?

-Avec ta réputation qu’est-ce que je peux faire ? Ecoute, je vais t’envoyer une enveloppe bientôt, Gère-toi avec, mais arrête de m’appeler et venir chez moi comme si je te devais quelque chose, s’il te plaît. Je ne veux pas d’histoires.

 

Il a laissé papa dans cet état. Mais le pire c’est lorsque je suis sortie de ma cachette pour l’aider à se relever. L’air qu’il a levé vers moi c’était celui d’un homme qui n’avait même plus sa dignité. Je lui en ai voulu amèrement papa. à différentes reprises j’ai pensé des choses peu glorieuses sur lui, mais le trouver à terre c’était trop pour moi. J’ai couru vers lui avant de l’enlacer pour lui donner de la force. C’est un criminel mais c’est mon papa. Après avoir sangloté avec lui, il a demandé que j’aille porter à maman la part de son riz qu’il nous avait ramené. Maman qui ne sort presque pas de sa chambre, ne me prête aucune attention quand je lui raconte ce qu’a fait le papa de Vince. Je descends avec le plateau après qu’elle ait fini son repas et papa me recommande d’aller prendre ma douche et qu’il s’occuperait de la vaisselle. Je m’y rends mais rebrouse quand je me rappelle que ma serviette était sur le sèche-linge dehors. Et comme celui en haut a décidé que mon esprit n’était pas assez ébranlé, il a décidé de me montrer une autre scène tout aussi déchirante de papa. Le ventre criant famine, ce dernier mangeait le restant des os de poulet dans le plat de maman. Je n’ai pas eu le courage de l’interrompre. Je suis remontée en larmes et j’ai appelé Clarence.

-Allô, elle décroche d’une voix ensommeillée.

-Claariiiiii.....jeee...j’ai besoin d’aide. Mon  papa....il a des problèmes, je bégaie malgré moi.

-B j’ai sommeil. Il y’en a qui vont à l’université là. C’est pas parce que tu as pris une année sabbatique que tout le monde fait pareil.

-J’ai menti. j’ai pas pris de sabbatique...dis-je entre deux hoquets.....mon père n’a plus d’argent.

-Oui, écoute je vais te rappeler plus tard, trop sommeil, bisous, elle s’empresse de dire et coupe bien que j’essayais de la retenir.

Je n’ai pas assez d’unités alors j’ai préféré tenter chez Kate, en attendant que Clari rappelle.

-Allô B? Ça va ? elle répond d’une voix plutôt morne. Les parents ont fini par lui expliquer ce qui se passait.

-Non Katie. Qu’est-ce qu’on va devenir ? On meurt de faim. Papa mange des restes. Maman passe la quasi-totalité de ses journées enfermée, dis-je en larmes et l’estomac noué de peur.

-Papa n’est qu’un irresponsable!! Si tu m’as appelé pour parler de lui vaut mieux que je raccroche.

-Tu ne peux pas dire ça Kate ! Tout le monde lui tourne le dos et…

-Et alors ? Qu’est-ce qu’on a fait nous pour mériter ça hein ? elle s’écrie d’une voix blessée.

-Même s’il a menti et mal agi c’est notre papa, je lui explique plus calement. Il est abattu. Je ne veux pas qu’il meurt. Snif, je ne veux pas perdre mon papa. Et maman aussi. Je veux qu’on retrouve notre vie Kate, je veux que ça cesse.

-Moi aussi chérie, je veux beaucoup de choses, elle dit en reniflant. Mais là, papa nous a jeté dans la merde. C’est chacun s’assoit et Dieu le pousse maintenant. Vous savez comment je vis ici depuis un an ? Je n’ai pas de travail et je suis sur un permis d’études expiré. J’ai besoin de preuves financières pour renouveler mon statut mais je n’ai rien du tout.

-Rentre s’il te plaît. J’ai besoin de toi. Je ne veux pas qu’on te fasse du mal là-bas.

-Rentrer dans ce taudis qu’est le bled ? Au moins ici je peux faire mes trucs pour avoir de l’argent.

-Mais tu es sans papier. Je ne veux pas qu’on t’arrête pour te mettre en prison je t’en prie.

-Ne t’en fais pas pour moi petite sœur. Je te l’ai dit, maintenant c’est chacun s’assoit et Dieu fait le reste. Je te fais un western si je trouve un truc mais pitié ne m’appelle plus en pleurant que papa a fait ci ou ça. Je ne…

Une tonalité entrecoupée suit et un message m’indiquant que je n’avais plus assez fonds pour effectuer cet appel. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit et en matinée, j’ai reçu un long message de Clarence.

-B, je ne t’ai pas vu connecté sur WhatsApp alors je t’envoie un SMS. C’est quoi ce truc dégueulasse que ma mère me raconte sur ton daron ? Je sais que c’est ton père mais franchement c’est nul. Bref, maman a dit que tu peux passer à la maison et elle verra ce qu’elle peut faire pour toi. Par contre, ton vieux n’a pas le droit d’aller hein. Et puis prend le comme un conseil d’amie. Il faut que tu grandisses un peu B, franchement. Tu peux pas sauter sur ton cell et m’appeler à n’importe quelle heure de la nuit. Quand on était gosse c’était compréhensible que tu pleures pour un rien, mais là c’est relou quoi. Tu deviens une pleurnicharde. Bref courage et bisous. Fais signe quand tu seras chez maman. J’ai des trucs à te raconter ici, tu ne vas pas le croire.

J’ai ouvert mon cell, sorti ma puce et je l’ai coupé en petits morceaux. Je ne sais rien faire de mes dix doigts en cuisine, ne parlons même pas de l’entretien d’une maison. Avant je m’occupais juste de ma chambre. Mais cette année j’ai appris beaucoup de choses sur le tas et une chose est sûre, il n’est jamais tard pour apprendre. Je suis descendue et papa était au salon.

-Bonjour B. Bien dormi ? il me demande en forçant un sourire.

-Non,je lui réponds honnêtement et son regard se voile aussitôt de honte ainsi que de crainte. Mais ça va aller, je le rassure d’une voix que je ne me reconnais pas. Oui ça ira, je me dis à moi-même.

-Promis B, je suis vraiment désolé ma fille. Je sais que ça ne veut rien dire mais je voulais vous assurer un avenir aussi. Surtout que je venais de rien. J’ai vécu dans une grande misère et voulais vous offrir le meilleur du meilleur. C’était un système qui....

-Plus d’excuses. Tu as mal agi. C’est le passé. Le reste, on va l’apprendre sur le tas ensemble.

-Ensemble, il me dit sur un ton confiant en prenant ma main.

Sept ans plus tard dans une maison à Sicogi

Je viens de rentrer de l’université et bien sûr les habits de papa que j’ai pris du temps à laver ce matin étaient mouillés à cause de la stupide pluie.

-Maman pourquoi tu n’as pas enlevé les habits de la corde ? dis-je tout en m’empressant de le faire.

-Tchip, je suis votre bonne peut-être ? la bonne dame me répond tout en s’admirant son miroir de main.

Je ne vais certainement pas entrer dans les provocations de Lisa, surtout que j’ai le ventre vide. J’ai fait un ménage rapide et je m’apprêtais à cuisiner quand papa rentrait de son travail. Il est désormais surveillant dans un lycée.

-Encore ce maudit placali et ta sauce affreuse ? me critique Lisa pourtant je cuisine bien. Je me suis nettement améliorée depuis le temps.

-ça sent bon par ici, bonsoir tout le monde. Ça va ma B ? mon père heureusement me demande d’un air joyeux.

-ça va et toi papa? Tu as passé une bonne journée ?

-Pffff un ex-banquier devenu surveillant peut connaître le mot bon ?

-Tes remarques tu peux te les garder maman!!!!!

-C’est bon ma fille, calme-toi. Lisa assied-toi. Tu sais que tu ne dois pas te fatiguer. Ta chimiothérapie t’a épuisé. Tu dois rester assise.

-Ah fous moi la paix, rétorque celle pour qui on s’inquiétait hein. Si tu n’avais pas emmené le stress dans ma vie est-ce que j’aurais attrapé le cancer de la thyroïde ?

-Maman, repris-je plus doucement s’il te plaît assied toi dans ton fauteuil. Je vous sers bientôt.

-Comment tes fesses et tes seins ne vont pas prendre des proportions déraisonnées quand tu manges ces trucs, elle continue pendant que je dépose la sauce djoumgblé devant eux.

-Ahii, depuis quand c’est mauvais d’avoir des courbes, papa me défend avec humour parce qu’en vrai on ne comprend pas sa femme.

-La fille que J’ai accouché a toujours été menue et délicate comme un mannequin. Et voilà aujourd’hui tu sors les fesses et les seins de Dieu seul sait où. La cellulite et les vergetures parcourent tes cuisses. Ne parlons pas du ventre qui sort dès que tu manges un peu. Si c’est comme ça maintenant, qu’est-ce que ton corps deviendra après les enfants ?

-J’avais seize ans, aujourd’hui 24 ans et j’aime mon corps merci !

-Et alors ? Kate a 29 ans et elle n’a pas changé d’un iota. Tu penses que c’est joli la peau d’orange ? Tu vois Paul ? Tu vois ce que tu as causé à ma fille ?

-Bon moi je veux manger ta sauce ma chérie. Je prends une douche et je vous rejoins.

-Hum dit-elle en détournant le visage

On a mangé tout en discutant papa et moi. Maman nous gratifiait de ses commentaires acerbes de temps en temps. Je lui ai donné sa douche et l’ai aidé à se coucher tout en lui mettant des grosses chaussettes vu que sans sa thyroïde sa température est constamment changeante. Un coup elle a chaud et la seconde d’après elle grelotte de froid. Ensuite, j’ai regagné ma chambre et étudié un peu. Quand je vois la quantité de travail que j’ai à faire parfois en plus du rythme de vie rude que je mène depuis huit ans, je me demande qui m’a envoyé de poursuivre avec la comptabilité au lieu de prendre un truc simple. Mon téléphone me signale l’arrivée d’un message quand j’étais perdue dans mes pensées.

-Blair, arrêtons l’orgueil stupide qui ne nous mène à rien. Je suis prêt à te récupérer, change juste d’attitude et tu verras que je t’offrirai l’or. Ton roro, il signe carrément.

Mon idiot oui, pestai-je en supprimant le message. Roro alias Roger, c’est mon ex depuis un an. Je n’ai jamais demandé à me remettre avec lui, mais on dirait qu’il se rappelle de mon existence quand il s’ennuie. Puis il se sent obligé de me gratifier de ce genre de conneries. Ma préoccupation actuelle c’est me trouver un stage pour compléter ma formation et obtenir ma licence.

Le destin et nos pla...