Lâcher Prise

Ecrit par Fortunia

Lâcher Prise

Une fois encore, une porte se referme derrière moi. Combien m’ont claqué au nez déjà ? Une dizaine, peut-être. J’ai cessé de compter. Dans ce milieu, rien n’est aisé. Je descends les escaliers de l’immeuble avec un soupir, le dos courbé. Je tire de mon sac la pochette porteuse de tous mes espoirs et mes rêves. Je passe mes doigts sur la couverture marqué des couleurs de toutes les émotions que ce petit objet rond renferme.

Mon histoire est celle de nombreux artistes camerounais et du monde, à la fois banale et unique.

J’ai toujours adoré la musique. A la télé, je passais mon temps à regarder les clips des artistes du monde entier. A l’école, je fredonnais et portais dans mes cahiers des notes de musique ou des paroles. Je me suis inscrit dans une chorale. Aujourd’hui encore, je pense que ça a été une étape décisive dans ma vie. J’ai appris auprès de Julien, un quarantenaire qui jouait du piano et de la guitare comme personne. Je lui demandais souvent pourquoi il n’a pas fait carrière, pourquoi il ne faisait pas parti de ces grands orchestres que je voyais souvent à la télé. Il me répondait  chaque fois que la vie en avait décidé ainsi.

A mon âge, je croyais en ce que mes parents disaient, que je pouvais faire ce que je voulais, devenir qui je voulais. Et je me disais qu’il en était de même pour les autres. Pour moi, Julien n’était qu’un simple musicien de chorale parce qu’il ne voulait pas aller plus loin, ou tout simplement parce qu’il n’en avait pas les tripes. Pas comme moi.

Moi, je me donnais à fond et je pensais que ce serait suffisant pour percer et devenir célèbre.

Quel naïf j’étais.

Lorsque j’ai eu mon Bac, je suis allé contre l’avis de tous dans une université d’Etat. Je savais que pour pouvoir réaliser mes rêves, je devais avoir assez de temps libre. Du temps qu’une université privée ne me laisserait assurément pas. Pour ma défense, je n’étais pas idiot. J’avais un plan B malgré tout. Le genre de plan B qu’on planifie en priant de tout son cœur pour ne jamais y avoir recours. Alors je faisais de mon mieux pour ne jamais avoir à reprendre une année.

Entre temps, je composais. Ma petite chambre universitaire s’était transformée en mini-studio. Mon grand piano, ma guitare, mon micro et mon ordinateur prenaient presque toute la place. Mais je m’en fichais, j’avais tout le nécessaire. C’était le début de ma légende. Dans la biographie de Chéryl Awono, on noterait que tout aurait commencé dans ces vingt mètres carré mal éclairés et sans eau courante.

J’avais un projet en tête : un EP. Le début du commencement, comme on dit. J’avais ce projet depuis mes seize ans. Trois ans plus tard, l’aube de son achèvement arrivait. J’avais posé la guitare et le piano. J’avais appris à créer des beats en autodidacte. Mais il manquait encore tellement de choses.

Ceci a été ma première leçon : dans ce milieu, on n’arrive à rien tout seul.

Pour ce que j’avais en tête, il me manquait une basse, des percussions, et d’autres subtilités que je ne maîtrisais pas. Je devais me faire aider. Et ce que Julien avait omis de me dire, c’est qu’on n’avait rien sans rien.

J’ai fait le tour de quelques cabarets à la recherche de ce qu’il me manquait. J’ai rencontré des tas de gens, je leur ai demandé de participer à mon projet, leur ai dit que l’on pourrait faire de grandes choses ensemble. Mais tous me demandaient ce que je pouvais leur offrir dans l’immédiat. Dans ma candeur, je pensais que tout le monde avait ce besoin d’être entendu, vital, irrépressible, sans nul autre désir que celui de faire bouger les cœurs.

J’avais tort.

Je ne savais pas que le terrain était aussi difficile. J’ai eu beau chercher, tous ceux dont le son me parlait voulaient que je mette la main à la poche. J’étais désemparé mais j’étais prêt à le faire. Alors j’ai travaillé. Délaissant un peu ma musique, j’ai utilisé mon temps libre pour gagner un peu d’argent en tant qu’ouvrier dans des chantiers. Heureusement que je n’étais pas un gringalet.

Pendant plusieurs mois, j’ai procédé ainsi jusqu’à amasser suffisamment pour payer un bassiste, un percussionniste et des séances en studio. A la fin, en est sorti ce petit bijou. Mon premier projet achevé, un EP de sept titres. Je lui avais donné le titre de « Time to ». Je trouvais l’anglais tellement classe. Pour moi, il représentait tout le temps passé à travailler dessus. Avec ce projet, j’ai pris le temps de « vivre » et de « m’amuser ». Toute ma vie tournait autour et j’y avais pris énormément de plaisir. Il m’a appris à « aimer » et cet amour m’a poussé à aller jusqu’au bout. Ce projet m’a fait « grandir » et à me « sacrifier » pour ce que je voulais.

Aujourd’hui, alors que je passe de maisons de production en maisons de production, de radios en radios, je découvre l’envers du décor. Encore une fois, rien ne se fait pour rien dans ce monde. Il faut savoir parler aux bonnes personnes, avoir des relations, graisser les bonnes pattes. Je n’en avais pas les moyens et j’avais encore assez de scrupules pour ne pas faire certaines choses.

Ce projet m’a appris à « pleurer » car on pouvait avoir tout le talent du monde sans que le monde ne soit prêt à le faire éclater.

Quatre ans ont passé depuis le début et voilà où j’en suis. Que me reste-t-il à part cette pochette et ce CD que personne ne veut prendre la peine d’écouter ? Je ne sais pas. Je ne sais plus. Je ne sais pas ce que l’avenir réserve à ce projet. J’aurais espéré qu’il puisse faire comprendre à une personne au moins mes sentiments. Mais peut-être que comme dans la dernière chanson, il est tant que je « lâche prise ».

Qu’en penses-tu ?

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Je peux écrire des dizaines d'histoires avec la même ligne : des rêves si difficiles à réaliser dans un système qui engloutit tout et n'offre rien. Certains évoluent en gardant espoir comme Nadia et d'autres comme Chéryl sont tentés de lâcher prise.

Qu'en pensez-vous ?

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