L’autre face

Ecrit par Saria

Chapitre 8 : L’autre face

***Villa Oasis – Wemtenga – Ouagadougou***

***Selma***

Trois jours que je suis là, l’après-midi est bien avancée ; je descends à la cuisine. J'ai passé la matinée dans ma chambre entre mes mails et mes questionnaires à préparer. C'est la faim qui me fait descendre, je n’ai pas vu le temps passer mais je crois aussi que c’est pour éviter les rencontres… compliquées.

Normalement, je dois voir Lulu ce soir et je vais en profiter pour sortir d'ici ! Audrey ou Chérifa… J’ai encore un peu de mal, devra prendre son mal en patience pour trouver une femme à son père.

Dans la cuisine pas de trace de Loubna ni de personne d’autre d’ailleurs… Je regarde dans le panier de fruits et prends une poire et une banane. Je devrais pouvoir tenir jusqu’au dîner avec ça. Je pose le tout dans une assiette, attrape un couteau. Au moment de me retourner, je tombe sur Kader qui m'observe. De frayeur ou de surprise, je lâche l’assiette qui se brise en morceaux. Paniquée, je me baisse pour ramasser.

Moi : Ah !

Je viens de me couper, je ne sais pas encore si c'est le couteau ou un morceau de porcelaine… Bref, je me mets à saigner.

Kader : Selma !

Il me sort du milieu des débris prudemment. De grosses gouttes de sang tombent sur les carreaux de la cuisine.

Moi (balbutiant) : Pardon… Je suis désolée !!! Pardon !

Les choses vont très vite, je me retrouve dans une salle de bain, la main sous l'eau froide. Au bout de quelques minutes, il ressort ma main et je recommence à saigner. Je l’entends jurer, puis il sort précipitamment ; la minute, d’après il revient avec un seau de glaçon.

Kader : plonge ta main dedans !

J’obéis sans broncher ; je porte une belle petite robe vert pomme en lin, elle était toute tachée, son polo à lui également. Un vrai désastre !

Moi (au bord des larmes) : Je suis désolée Kader… Je suis désolée pour tout !

Kader : Chut !!! C'est moi qui suis désolé… Je t’ai mise mal à l’aise par mon comportement… Tu es la bienvenue ici ! Je venais te voir car j’ai eu une conversation au téléphone avec Lulu qui m'a dit que tu cherches une chambre.

Moi : Je pense qu’il vaut mieux quand même que je parte… J’ai juste besoin que tu me fasses rencontrer les gens… pour mon travail… En fait, je dois écrire un article sur les businessmen du Faso.

Il passe une main sur ma nuque et nos regards se rencontrent, l'ambiance est électrique.

Kader : Tu es la bienvenue… Tu peux rester.

Moi, je me contente juste de hocher la tête sans pouvoir dire un mot. Il sort ma main de la glace… Le saignement s’est arrêté. Toujours ma main dans sa paume, il me sèche les doigts avec des serviettes jetables. Entre la glace qui m'avait gelé les doigts et la proximité de Kader, je me sens toute chose. Mon cœur lui, il bat fort et peut-être que je vois ce que j'ai envie de voir mais monsieur ne semble pas très à l'aise non plus.

En essuyant, il effleure la partie de l’entaille, probablement pour voir s'il n'y a pas de résidus.

Moi : Aïe !

Il relève la tête et me regarde.

Kader : Tu as mal ?

Moi (petite voix) : Oui !

Bon les filles entre nous là… Hum, j’exagère un peu. Mais je veux le garder si près de moi. Tout ça me mélange un peu… Et je retrouve un peu le Kader tendre… avant ce que vous savez[1].

Kader (doux) : Je suis désolé mais il faut vérifier s'il n’y a pas un petit bout qui est resté. Je vais désinfecter ; je te préviens, ça va piquer un peu. Après, je vais te mettre une pommade miracle.

Moi : OK… J’espère qu'elle ne pique pas ?

Kader : Non, c'est à base de miel.

Je dois probablement le regarder d'un air dubitatif car il me dit :

- Je pourrais te faire une longue liste des vertus du miel. Mais on n'en a pas le temps.

 Ma main dans la sienne, il me guide vers l'escalier, nous montons puis passons devant ma chambre et deux portes après nous nous retrouvons… dans la sienne.

Je regarde autour de moi avec de grands yeux : tout était sobre et sans fioritures. Il a misé sur le confort et l'aspect pratique. Contrairement à la mienne, la sienne est dans les tons gris-vert. Ici, une mini bibliothèque a remplacé le bureau. Je détourne mon regard du grand lit à trois places. Je reste debout très intimidée. Il revient avec un kit pour désinfecter et un tube dans la main, j'ouvre la paume. Il nettoie rapidement la coupure avant d’étaler la crème et moi je fais l’effort de ne pas penser que c’est une caresse.

Kader (voix rauque) : A quand remonte ta dernière vaccination antitétanique ?

Moi : Je ne sais plus…

Kader : Demain, on ira au CM te faire piquer.

Moi : Non… Je n'en ai pas besoin et tu le sais.

Kader : On n'est jamais trop prudent et je ne veux pas prendre de risques inutiles.

Moi : Kader pardon !

Je suis en mode panique, j’ai trop peur des injections et il le sait. Mais le gars, il ne me calcule plus. D'ici demain il aura oublié, qui sait ?

 

***Le lendemain***

*** Kader***

La dame : Ah Monsieur venez parler à votre femme oh ! On vient de faire cinq fois le tour de la salle de soins… Elle ne veut pas que je la touche !

Je lève les yeux au plafond, je comprends pourquoi ça met du temps ! Hum ! J’ai amené Selma pour qu'on lui fasse le sérum antitétanique. Je suis la dame. Quand nous entrons dans la salle de soin, je vois direct la fille collée au mur, les bras croisés, la bouille amarrée. J'ai une grosse envie d’éclater de rire mais il se bloque dans ma gorge quand elle lève son regard paniqué vers moi. Selma et les seringues, c’est toute une histoire.

Moi (j'appelle doucement) : Selma ?

Selma : …

Moi : la dame a besoin de te faire l’injection pour pouvoir recevoir quelqu'un d’autre.

Selma : Kader pardon oh ! On peut rentrer aussi… Je n’ai rien ! Pourquoi tu veux qu'on me pique !

L’infirmière (choquée) : Abah !!!! Ma chérie, si tu as peur des seringues, accouchement-là, on est comment ?!

Selma (boudant) : Kader, emmène-moi hors d'ici s'il te plaît !

Moi je suis dépassé, votre parente est sérieuse là ?! Je repère une chaise, je la tire et je m’assieds dessus ; je fais signe à la fille qui est en train de me foutre la honte depuis quelques minutes. Elle me regarde, hésite et s'approche finalement. Alors je fais quelque chose dont je me serais bien dispensé… entre autres, pour ma quiétude d'esprit : l'attirer sur mes genoux. Dès qu’elle est assise, elle enfouit sa touffe de cheveux dans mon cou. Je ferme les yeux pour contrôler le trouble qui monte en moi.

Moi (tendrement) : Hum… Tu sais que tu n’as pas à avoir peur des seringues. Et puis, il y a des gens dont la main ne fait pas du tout mal.

Tout en lui parlant, je fais signe à la dame d’approcher. Elle prend son nécessaire et avance silencieusement.

- Et puis, l’époque des grosses seringues de Quinimax est vraiment vraiment loin hein ! En plus, tu es la personne la plus courageuse que je connaisse.

Je sens son sourire dans mon cou… Je déglutis difficilement. La dame est prête ; je lui donne le feu vert d'un geste. Avec une rapidité impressionnante, elle passe le côté imbibé d'alcool et fait l’injection sous-cutanée.

Selma (se crispant) : Oh !

L’injection est déjà faite ! Elle lève la tête vers moi, j'ai un sourire en coin.

L’infirmière : C'est fini, Monsieur…

Selma se lève et prend ses affaires ; moi je remercie la dame et nous sortons. Je suis en retard sur mes programmes de la journée. Je dois, entre autres, lui présenter mon équipe, vu que le consortium fait partie des entreprises de sa liste. Elle me suivra pour voir à quoi ressemble ma journée-type, puis ce sera l’interview proprement dit.

Dans la voiture aucun de nous ne parle. Chacun reste enfermé dans ses pensées, moi j'ai ma tablette sous mes yeux, faisant semblant de travailler. Elle regarde à travers la vitre, la ville de Ouagadougou qui défile sous les yeux, nous menant au quartier d'affaires. Elle n’a pas changé, toujours aussi… aussi… belle, le nez fin, les lèvres… Hum. Comme si elle sent mon regard sur elle, elle se tourne et je baisse les yeux sur mon écran.

 

***Quelques heures plus tard***

***Selma***

Les bureaux du consortium Kanaté sont tout ce qu'il y a de moderne. Ils s’étalent sur deux étages quand-même, en plus du rez-de-chaussée. L’atmosphère est douce et feutrée, chacun a l’air de savoir pourquoi il est là. Kader m'a présenté Irène, son assistante, une dame qui doit avoir la quarantaine, fine et coquette avec un grand sourire. Elle vous met à l'aise tout de suite. Il paraît que c'est un vrai dragon : personne ne voit le chef sans son aval.

La matinée tire vers sa fin et j’ai suivi Kader de façon silencieuse. Il est très à l'aise dans ce milieu, c'est assez déstabilisant de découvrir un Kader costume-cravate alors que j'ai vu un Kader en bleu de travail.

A la pause, il m’emmène à la cantine au bas de l’immeuble. Apparemment, il a l'habitude de manger là. Ici, l’atmosphère est plutôt détendue sans être bruyante. Je sens quelques regards curieux sur moi.

Les gens se mettent en file pour récupérer leur plateau-repas ; nous nous mettons à la fin de la queue. Certains ont voulu céder leur place au patron mais il refuse d'un geste. Au bout de quelques minutes, nous récupérons nos plateaux et allons nous asseoir au fond de la salle.

Moi : Tu déjeunes souvent ici alors ?!!

Kader : Oui ! Le repas ici est bon et à un prix raisonnable.

Moi : C’est une innovation ?

Kader : Oui

Moi : Pourquoi ?

Kader : Tu veux dire pourquoi je mange ici ?

Je hoche la tête.

- Autour de moi j'ai des hommes et des femmes qui s’investissent pour que cette entreprise tourne. Il n'y a pas de différence entre nous. J'essaie de les faire se sentir bien, comme dans une famille. Je n'ai pas besoin de créer une barrière pour montrer que le chef c'est moi. Ils le savent ! En me mêlant à eux, j’apprends à les connaître, je n'ai pas que des postes et un organigramme dans la tête mais des visages, des noms et des vies.

Effectivement, j'ai remarqué à notre arrivée qu'il saluait tout le monde par son prénom et avait un mot pour chacun. Je me suis dit qu'il faisait du zèle mais apparemment, c’est sa vision.

Kader : On peut manger maintenant ?

Moi (sourire gêné) : Euh oui… pardon…

Il hausse les épaules et attaque son assiette avec appétit. C’était vraiment bon : du riz au gras avec plein de légumes dedans…

Quelques heures plus tard, nous nous dirigeons vers la zone industrielle de Gounghin. Il veut me montrer l’implantation de sa scierie. Nous trouverons aussi le temps de visiter sa plantation d’arbres pérennes dans la région de Fada N’Gourma destinée à freiner la désertification, à compenser les pieds abattus et à créer une réserve de matière première. Je suis impressionnée car Kader pense développement durable.

A notre arrivée à Gounghin, nous sommes accueillis par le contremaître. Les installations sont assez impressionnantes et les normes de sécurité respectent les standards internationaux m'explique-t-on. Nous enfilons des blouses, des casques et des masques. Nous faisons le tour et je regarde avec de grands yeux. Je me demande juste comment il fait. Comme s'il lit dans mon esprit :

Kader : C'est beaucoup de travail et d’investissement… de risques aussi.

Moi : Audrey m'a dit que tu travailles beaucoup… et que tu as un poste de chef de famille qui est très prenant.

Kader : Oui… j'avoue que ce n’est pas facile tous les jours… Mais c'est une mission que j’assume avec plaisir.

Moi : Hum.

 

PS : Donnez-moi des ailes pour m’envoler avec vous ! Likez, partagez et surtout commentez !

 



[1] Lire le TOME 1

L'homme qui n'avait...