Le gout du regret

Ecrit par imalado

Le printemps… Quel bonheur !

         Elisabeth délaissa son appart et réaménagea chez son père. Ils allaient passer plus de temps ensemble, mais elle avait tout aussi besoin d’une présence réconfortante. La maison lui sembla presque vide, l’atmosphère fade et triste à la fois. Les éclats de rire de sa mère Anne Marie n’y résonnaient plus. Quelques tableaux et une petite peinture d’elle, qu’Elisabeth avait réalisée au tout debout de cette passion folle pour l’art. Elle descendit lentement les escaliers sans faire bruit, et rejoignit le jardin.

         Assise sur la balançoire fleurie, elle se mit à feuilleter le journal à scandale. Souvent les histoires de Londres font passer le temps. Christopher comme d’habitude détient la première page. Il aurait été vu avec une jeune héritière russe, Natasha, une soi-disant prétendante du fils du président russe. De quoi faire la polémique !

         Mais à sa grande surprise, son attention fut attirée en bas de la page : Brian. Une photo de lui et de la jeune femme qu’il avait raccompagnée à la réception de Dan et Marie. Ils sortaient de l’un des restaurants londoniens les plus chics. La première fois qu’il s’affichait ainsi avec une femme. « Un Crawford de sérieux ?» Le titre allait bien à la photo disait-elle. Comment a-t-il pu agir de la sorte ? Il aurait pu certainement se douter que cela la blesserait ? Même blessé, elle n’aurait jamais cru qu’il se tournerait vers les traits de son frère. D’un bond, elle sauta pied nus dans le gazon, et marcha d’un pas déterminé vers la maison. Il fallait qu’elle ait une autre conversation avec Brian.

         Un rendez-vous dans son bureau de Londres avec le promoteur immobilier pour sa nouvelle galerie puis un tour chez le coiffeur, elle aimerait bien retrouver ses boucles avant de déjeuner avec Marie. Elle pourra remettre à plus tard sa discussion avec Brian. Une journée qui promet.

Mais à son point de rendez-vous, elle tomba nez à nez sur Christopher. Il semblait l’avoir attendu. Que voulait-il encore ? N’avait-elle pas été assez claire la dernière fois ? Elle inspira fortement, et se décida d’aller vers lui. Fuir ne servirait à rien, le temps lui a au moins appris ça. Dès qu’il la vit, il passa ses mains dans les cheveux et sourit.

  • Harcèlement. Une injonction d’éloignement, ça te parle ?

  • Toujours aussi chaleureuse ! Encore heureux que ta galerie n’ait pas hérité de ça. Bonjour Elise.

  • Que veux-tu Christopher ? J’ai un rendez-vous, je n’ai pas de temps.

  • Je suis ici pour affaire. On peut parler en marchant ?

  • Ah oui, vraiment ? Je ne veux pas faire affaire avec toi. Merci pour ta proposition et au revoir.

  • Elise… Aie au moins l’amabilité de m’écouter ?

  • Deux minutes. Pas plus.

Elle décida alors de l’inviter dans l’immeuble. Il en sera de trop si, elle devait partager la couverture des journaux à scandale le lendemain avec lui.

Il resta un moment à fixer le mur de ce splendide bureau. Elisabeth l’avait loué pour gérer les commandes, un endroit où recevoir ses clients de Londres et garder quelques œuvres. La rumeur courait déjà qu’elle voulait s’installer à Londres, il lui fallait un endroit, où gérer ses affaires.

         Quelques tableaux et puis des photos d’elle, de sa mère et de la petite Claire. La galerie d’Elisabeth à Paris, se classait parmi les meilleurs, elle était reconnue et sollicitée. L’entreprise de Christopher traite sur tout, et possède plusieurs immeubles à Londres. Ce serait une grande publicité pour lui si la nouvelle galerie de Londres, pouvait s’ouvrir dans l’un de leurs immeubles.

  • Je me suis dit que c’est une belle opportunité pour nous que de t’avoir parmi nos clients. Je ne travaille qu’avec les meilleurs.

  • Je suis flattée que tu es pensé à moi, mais j’ai déjà contacté une agence immobilière et ils m’ont fait des propositions. Et j’ajoute,  même si j’avais en face de moi le plus grand des salopards, je lui aurais dit oui, qui sait ? Mais c’est toi, Christopher, et c’est un non.

  • Je n’y crois pas… Tu es têtue, ça je l’ai toujours su. Mais il faut savoir séparer travail et querelle de cœur Elisabeth. C’est ça être professionnel !

  • Christopher Harlem Crawford. Tu as le toupet de venir dans mon bureau, me parler sur ce ton, de professionnalisme ? Tu ne t’es jamais intéressé à ces petits détails de ton entreprise, tous ces blablas à propos de tes immeubles. Tu laissais un de tes larbins s’en occuper ! Et si aujourd’hui tu joues personnellement le rôle de ce larbin, c’est parce que tu n’as pas pu séparer travail et « querelles de cœur ». Alors tu vas me faire le plaisir de sortir de mon bureau et de me laisser tranquille une bonne fois pour toute et tout de suite.

  • Je suis désolé. C’est vrai que je n’ai pas remarqué à quel point tout ce temps a pu te changer. Je suis conscient de t’avoir fait mal, de t’avoir blessé. Mais tu ne peux indéfiniment me repousser. Tu peux me détester autant de fois que tu veux, tout le temps que tu désires, mais tu ne pourras plus jamais me chasser de ta vie ou même disparaître de la mienne.

  • Pourtant je ne désire que ça…

  • Je sais. Je sais aussi qu’entre Brian et toi, c’est fini. J’ai vu la photo ce matin. Ce n’est pas son genre.

  • Mais le tien si. Reste en dehors de ma vie privée Christopher. Reste en dehors de ma vie, tout court.

  • C’est au-dessus de mes forces, je crois. A très bientôt Elisabeth.

Un cauchemar, voilà ce qu’il représentait à ses yeux. Elle s’assied sur sa chaise et soupira. Ces quelques rencontres l’épuisaient.

Promenant son regard, elle saisit une photo d’elle et de Brian dans un cadre en bois. C’était-il y’a quelques mois, une petite escapade en amoureux au Mexique. Ce jour-là, il s’était presque étouffé avec un tacos un peu trop pimenté, jurant ainsi de ne plus en manger. « Si ce n’est pour t’impressionner encore une fois, je n’en prendrais plus jamais » avait-il dit. Elle sourit. Ce petit souvenir d’eux, l’avait un instant privée de la réalité. D’une main hésitante, elle enleva la photo du cadre, et la mit dans le tiroir du bas. Elle devra tout aussi ranger ses sentiments de la sorte, pensait-elle. Elle avait fait le bon choix, se rassurant elle-même. Elle ne pouvait en aucun cas, laisser une dispute éclater entre les deux frères. Pire, elle ne voulait en aucun cas faire du mal à Brian, et voir dans ses yeux la déception qu’elle lui aura causée. Il serait horrifié d’apprendre qu’elle a, un jour, avorté. Il y est entièrement contre, et même qu’il mène des conférences sur le sujet dans tout le pays, et sur la nécessité d’ouvrir et d’équiper des centres pour mères célibataires, leurs assister jusqu’à l’accouchement pour afin sauver des vies.

Il est ainsi. Son cœur est si pur, qu’elle n’oserait l’entacher de la sorte. Deux chagrins. L’idée qu’il pouvait se faire de son frère, et celle qu’il avait pour elle. Mais la vérité, c’est qu’au fond d’elle, la peur regagnait son cœur. Faire face à son passé, faire face à ses choix. Elle en veut à celle qu’elle était avant, si fragile et si naïve. Pourquoi donc le destin s’acharne-t-il de la sorte sur elle ? Elle n’excuse pas ses actions du passé, mais elle espérait tout de même se racheter, en devenant une toute autre femme, digne de ce nom.

Elle se leva et retira sa veste posée sur le porte manteau. Elle jeta un coup d’œil à sa montre, et rappela le Mrs de l’agence immobilière pour annuler, le cœur n’y était pas. Elle décida donc de passer directement chez le coiffeur, déjà en retard pour son rendez-vous.

         Un verre de limonade à la main, et la petite Claire dans sa poussette, Marie attendait Elisabeth qui depuis une trentaine de minutes, devait être là. Le visage plissé, elle tenait le journal en main.

         La petite berline noire s’arrêta en face de la terrasse du restaurant. Ses magnifiques boucles luisaient au soleil. Une petite merveille du coiffeur.

  • Désolée du retard, le coiffeur a pris plus de temps que prévu.

  • Et ça en valait le coup. Tu es juste magnifique ! Heureuse de retrouver ses boucles ?

  • J’avais envie de changer un peu, et oui, ça m’avait manqué. Et ma petite princesse aussi, elle est de plus en plus belle !

  • Merci… Tu les aurais teints en blond, tu allais nous ramener à des années plus tôt.

  • Je sais. Toi ça va ? Et Dan ?

  • Oui je vais bien. J’adore ma nouvelle vie de maman, à part les couches, les vomis et le réveil en pleine nuit bien-sûr. Dan va bien, toujours en déplacement, c’est lassant.

  • Je sais. Mais il faut bien qu’il travaille…

  • Oui, mais sa petite femme voudrait bien l’avoir souvent à la maison.

Elle récupéra sa tasse de café sur la table et remarqua le journal posé à côté de Marie.

  • Je vois que tu l’as lu.

  • Désolée, je n’ai pas pu m’en empêcher. Curiosité. Elle s’appelle Anna Bolton. Je ne me rappelle pas l’avoir mise dans ma liste d’invités, je vais demander à Dan, qui ça pourrait-être.

  • Non, non. Ce n’est pas si important. On n’est plus ensemble de toute façon. Il peut bien refaire sa vie et sortir avec qui il veut. Ce n’est plus à moi qu’il doit rendre des comptes.

  • Oui, si je ne te connaissais pas, j’avalerais tout ce que tu viens de dire. Et si Christopher n’était pas son frère, il aurait été un si bon parti. Il est plutôt charmant et fort chaleureux.

  • C’est bizarre, je ne lui trouve aucune de ses qualités.

  • C’est parce que tu aimes le plus jeune. Je suppose que je devrais attendre que ma meilleure amie se décide à se confier ?

  • Je sais. Je suis tellement désolée Marie. Mais il n’y a rien à confier. Je ne me sens pas prête c’est tout. Et je crois qu’il mérite mieux que d’attendre une femme qui ne sait pas ce qu’elle veut, et qui n’a pas fini de chasser les démons de son passé.

  • Je sais que tu as traversé des moments difficiles, et d’aussi loin que je me rappelle ta dernière relation laisse à désirer. Mais cela ne doit pas t’empêcher de vivre. Ce fameux Mrs X, tu ne m’as jamais dit qui c’était ?

  • Du passé, voilà ce que c’est…

Mrs X. Ce fameux Christopher. Encore et encore. Si seulement il pouvait ne pas être qui, il est aujourd’hui, elle serait toujours avec Brian. Et il aurait pu tout simplement n’être qu’un mauvais souvenir.

         Elles restèrent encore une demi-heure à bavarder de tout et de rien, avant d’aller se promener au Hyde Park pour passer du temps avec la petite Claire. Une journée merveilleuse pour lui faire changer d’air et d’idées, oublier la visite surprise de Christopher et tout ce qui s’y attache.

Une autre carte du d...