Le spleen

Ecrit par leilaji

Chapitre 17

 

****Leila****

 

Aujourd’hui à mon bureau, j’ai reçu un colis un peu étrange. Une enveloppe sans signe extérieur particulier, avec juste mon nom dessus. J’ai ouvert l’enveloppe puis déplié la feuille au format A4 qui s’y trouvait pour y lire le mot : « pute ».  Juste ce mot, sans autre indication. Il en faut beaucoup pour me choquer mais j’avoue que ce courrier m’a un peu ébranlé. Depuis que je sors avec Alexander, je suis le point de mire de la communauté indienne. Je n’ai jamais souhaité être l’objet d’autant d’attention et j’essaie par conséquent de me faire discrète. Je l’étais déjà avant alors ce n’est pas très compliqué. Mais malgré tous mes efforts, ça ne marche pas à tous les coups. On ne peut pas plaire à tout le monde ! Ca je le sais. Cependant, c’est assez blessant d’être insultée par une personne qui ne vous connait même pas et qui ne justifie rien. Traite moi de pute si je t’ai piqué ton mec. Ca oui je serai tout à fait d’accord. Mais là est-ce le cas ? Alexander, je ne l’ai volé à personne. Je regarde encore le mot.  Peut-être que je me trompe, que c’est une ex à lui qui veut me faire peur. Ce n’est pas comme ça qu’elle me fera dégager en tout cas. Ca n’a peut-être aucun lien avec Xander. La personne qui m’a envoyé ce mot peut être un collègue du cabinet, un ex à moi… Oh Leila les possibilités sont infinies. Laisse tomber !

 

Je regarde l’heure à ma montre. Il est 16 heures. C’est-à-dire l’heure de mon cours particulier de cuisine avec madame Naranayi, la femme de l’ambassadeur. Après mes fiascos culinaires, je me suis dit qu’il valait mieux apprendre avec une pointure. Pour le moment, nous en sommes encore aux bases. Le riz au curry. J’ai appris que le curry est un mélange de différentes épices et que la recette est personnelle à chaque région de l’Inde, voire même chaque famille. Je suis bien contente d’avoir pris contact avec elle pour m’aider. C’est une femme gentille et généreuse. J’ai trouvé en elle, une alliée dans leur communauté. Enfin je crois.

Je range rapidement mes affaires et me rends à ma voiture. Bien qu’Alexander la déteste, je ne l’abandonnerai pas. Il a voulu m’en offrir une nouvelle, mais je lui ai répondu que j’en achèterai une avec mes primes d’associée junior. Car je compte bien devenir associée junior coute que coute. Je fais des efforts avec Alexander mais ça ne veut pas dire que toute ambition m’a quittée. On ne peut pas avoir un cerveau aussi brillant que le mien et devenir tout bêtement femme au foyer. D’ailleurs s’il m’aime c’est aussi pour ça, parce que je suis une femme de tête, une femme ambitieuse.

Je démarre et remonte vers le feu tricolore de batterie IV quand j’aperçois au kiosque qui se trouve pas loin du feu, l’affiche de la couverture du Jeune Afrique du mois intitulé: « Ceux qui changent l’Afrique ». Franchement, je ne sais pas comment à cette distance j’ai pu lire son nom dans la liste en couverture. J’ai garé comme j’ai pu et je suis descendue acheter le numéro. Puis je suis revenue à ma voiture pour feuilleter tranquillement le magazine. Je tombe sur la page. C’est un tout petit paragraphe qui lui est consacré. Il n’y a pas sa photo, juste le logo de la holding OLAM. Je suis sure qu’il a exigé en personne que sa photo n’apparaisse pas. Je souris et parcours tranquillement l’article. Ah ça, ils l’ovationnent carrément! Je lance l’appel pour lui parler.

 

     Devine quoi.

    Je t’écoute.

    Tu es dans le Jeune Afrique du mois. Ca fait trop bizarre de te voir là comme ça parmi les autres dirigeants de sociétés qui font bouger les choses en Afrique. Je suis impressionnée.

    Ca fait déjà plus de 6 mois qu’ils m’ont interviewé.

    Cache ta joie bébé. Tu n’es pas fier de toi ?

    Rentre Leila. Je t’attends.

    Mais j’ai cours de cuisine avec Madame Naranayi.

    Rentre.

    Ok. J’arrive.

 

Je ne sais pas trop ce qui se passe en ce moment mais quelque chose turlupine mon homme et tant que je ne saurai pas ce que c’est, je ne serai pas tranquille. J’appelle madame Naranya pour annuler notre rendez-vous cuisine et je fonce à l’appartement. Ca me prend moins de cinq minutes.

 

****Alexander****

 

J’exhale la fumée de ma cigarette et regarde le bout incandescent s’effriter puis tomber sur les carreaux de la terrasse. J’en tire une dernière bouffée et l’écrase dans le cendrier que j’ai caché derrière le pot marron de la nouvelle plante verte de Leila. Elle ne l’arrose jamais donc je suis à peu près sûr qu’elle ne trouvera pas le cendrier.

Je sais bien que mes précautions sont inutiles et qu’elle sentira l’odeur de la cigarette sur moi mais bon. Elle ne se plaint pas de ça et moi je fais l’effort de ne fumer que lorsqu’elle n’est pas là.

Je passe une main nerveuse dans mes cheveux.

J’ai comme un spleen qui m’étreint le cœur. Ma famille me manque. Depuis que Leila s’est mise aux plats indiens c’est pire que d’habitude. Ma mère me manque, sa cuisine, ses recommandations, ma vie de fils unique me manque. Et mon père quoiqu’il ait décidé en ma défaveur me manque. Nous les indiens ne savons pas vivre hors d’une communauté. Je ne sais pas comment Leila fait pour être heureuse sans famille. Pour moi cela devient de plus en plus difficile. Surtout depuis que j’ai amplement conscience que je peux former la mienne. Un enfant d’elle serait merveilleux. Mais elle n’est pas encore prête pour franchir cette étape avec moi. Et cet enfant n’aurait que nous comme famille ? Juste un père et une mère ? Pas de grand père ou de tante pour le gâter ou lui venir en aide quand nous ne sommes pas là. Ce serait injuste pour lui.

 

TOUT ETRE HUMAIN A BESOIN D’AILES POUR VOLER VERS SES REVES MAIS AUSSI DE RACINES PROFONDEMENT ENCREE DANS LE SOL POUR SE SOUVENIR DE QUI IL EST.

 

Je veux le meilleur pour Leila et pour l’enfant que nous pourrions avoir ensemble. Elle me fait vraiment perdre la tête. Je suis indien. Pas de mariage, pas d’enfant ! Il faut que je la sonde pour voir où elle en est dans sa tête. Mais en même temps, on n’a jamais vu d’union à l’indienne sans la présence des deux familles. Quand j’y pense, nos cultures sont tellement semblables que je ne comprends pas que nous n’ayons pas plus de lien que ça avec le continent africain. Ici aussi, les unions traditionnelles se passent en présences des deux familles avec des rituels bien précis et une signification pour chaque chose.

 

J’entends des clefs tourner dans la serrure de l’appartement. Je sors de ma poche une pastille mentholée que j’avale en toute urgence et je quitte la terrasse. Elle vient s’asseoir sur mes jambes et sort un magazine de son sac à main qu’elle pose sur la table basse. Le fameux Jeune Afrique où j’apparais.

 

    Tada ! T’es dans le top 100, dit-elle en brandissant le magazine sous mes yeux.

 

Je n’ai pas envie d’en parler. J’ai envie d’autre chose. De me perdre en elle. Je lui prends le magazine des mains et le jette par terre puis je l’embrasse. Elle est surprise mais ne se dérobe pas à mon baiser. Au contraire, elle passe sa main dans mes cheveux, doucement, tendrement. J’ai besoin d’oublier mon mal être. Quelques instants. Juste quelques instants de répits.

 

*

**

 

***Leila****

 

On est épuisé. Je me suis rendue dans la salle de bain pour faire couler de l’eau dans la baignoire. J’y ai mis du bain moussant et un peu d’huile parfumée. J’ai allumé quelques bougies pour l’effet d’ambiance. Alexander est venu voir ce que je fabriquais dans la salle de bain. Il m’a trouvée plongée dans l’eau jusqu’au cou. Je l’ai invité à m’y rejoindre. Il l’a fait sans tarder.

L’eau est à la bonne température et petit à petit nos muscles se détendent. Il s’est calé sous moi.

 

     Je t’écoute.

    Pardon ?

    Quelque chose te tracasse. Dis moi quoi. Je pensais qu’on avait plus de secret l’un pour l’autre.

 

Il n’essaie pas de se défiler, non. Il me parle longuement en choisissant ses mots avec soin comme à son habitude et même si je suis loin de ressentir la même chose, je comprends son mal être.

 

    Ecoute, moi j’ai grandi sans père et ma mère représentait tout pour moi. Alors c’est bien normal que la solitude ne me pèse pas tant que ça. Toi tu sais ce que c’est que d’avoir une famille, tu en as déjà ressenti la chaleur. C’est normal qu’elle te manque. Je te comprends.

 

Je pose la question qu’aucun de nous deux n’ose aborder.

 

    Il se pourrait donc que tu partes un jour. Que tu rentres chez toi, en Inde.

    C’est ici que je suis en train de construire ma vie, ma réussite.

    Mais c’est une éventualité…

    Leila.

    C’est une éventualité. Oui ou non ?

    On ne réussit pas toujours que pour soi. On réussit pour apporter du bonheur à sa famille. Pour pouvoir payer des études à un neveu. Augmenter la dot d’une nièce…offrir à sa mère tout ce que son cœur désir…Aider son père à passer une retraite heureuse. Et moi pour qui suis-je en train de réussir ? Pour qui dis le moi ? Tu es tellement heureuse de voir mon nom sur cette liste de ceux qui font bouger l’Afrique… Mais pour moi, ce n’est qu’un job. J’aime ce pays, je suis fier de ce que j’ai accompli mais ce n’est pas chez moi. Je veux réussir chez moi.

    Excuse-moi de t’envier cette réussite, dis-je d’un ton acariâtre que je ne reconnais même pas. Toi au moins ton travail est récompensé sur le plan continental. Le mien ne le sera surement jamais même sur le plan national.

 

J’essaie de me lever mais il ne me laisse pas faire.

 

    Excuse-moi.

    Tu n’as toujours pas répondu à ma question. Tu rentreras en Inde ou pas ?

    Pas sans toi, finit-il par répondre après une courte pause.

 

Oh Seigneur, voilà ce que ça apporte d’être engagée avec un étranger. Je n’avais encore jamais songé au fait qu’il pourrait un jour rentrer chez lui ou encore tenter sa chance ailleurs. Après tout il est diplômé d’Oxford et très doué dans son domaine. Il peut tenter sa chance n’importe où.

 

     Ta famille t’a banni et toi tu vas courir te jeter dans leur bras. Un père, un vrai ne peut jamais renier un fils quoi qu’il ait pu lui faire ou lui dire.

    J’irai demander pardon à genou à mon père s’il le faut. Mais que peux-tu y comprendre toi qui n’as pas de …

 

Il se rend compte de la bêtise qu’il a failli sortir sous le coup de la colère et s’arrête de parler. Cette fois-ci je me lève pour de bon. Mon téléphone qui sonne au salon m’offre une bonne raison de m’échapper. Si je reste là, je serai capable de le gifler pour ce qu’il vient de me dire. Oui je n’ai pas de père et alors ? Je n’ai pas choisi de ne pas en avoir. On ne peut pas me le reprocher.

 

    Leila !

 

Je fonce vers le salon. Oubliant complètement de me couvrir, le corps ruisselant d’eau. De toute manière, nous sommes seuls dans l’appartement où est le problème ? En me rapprochant du salon, je me rends compte que ce n’est pas un appel mais le signal que j’ai programmé pour me rappeler de prendre ma pilule. Heureusement que je suis sous pilule. Il manquerait plus que je me réveille, enceinte d’un mec qui partira à l’autre bout de la planète avec mon enfant. Je ne pense pas être faite pour être mère de toute manière. Pourquoi je m’inquiète d’une pareille éventualité ?

 

Et à ce même instant, alors que je suis complètement nue et mouillée, je ne sais pas comment, la porte s’ouvre.

 

****Denis ****

 

C’est elle.

Celle qui m’a piqué mon frangin comme je m’amuse à le penser. Je suis rentré avec mon jet privé et j’ai foncé droit à l’appartement d’Alexander. Lui et moi avons de petites choses à régler de toute urgence. Apparemment, j’ai complètement oublié qu’ils vivaient ensemble et qu’à une heure pareille, j’avais de forte chance de les trouver tous les deux à l’appartement.

 

Bordel de merde sur les photos, elle parait tellement plus… snob et coincée avec ses ensembles tailleur aux couleurs ternes.

 

Mais là j’ai en face de moi, un corps de rêve. Des yeux en amande écarquillés par la surprise, un petit nez, une bouche aux lèvres pulpeuses et rosées formant un petit « Oh » surpris, une longue chevelure mouillée, de petits seins parfaits, un ventre plat, des hanches de rêves, des cuisses fuselées, de fines chevilles…

 

La seconde de surprise passée, elle essaie de cacher ce qu’elle peut mais y arrive très mal sous le feu de mon regard. Pour ne pas l’effrayer je lui montre bien que j’ai la clef de l’appartement et je ressors à reculons. 

 

Je m’adosse à la porte que je viens de refermer. Est-ce que je viens de voir la gonzesse de mon meilleur pote nue ? Putain de bordel de merde, qu’est ce qui vient de se passer ? Pourquoi j’ai mon putain de cœur qui bat comme ça ?


A suivre


Un petit commentaire les filles!

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