L’étrangère

Ecrit par Saria

Chapitre 1 : l’étrangère

***Les locaux du journal CTN Mag – Cotonou, Bénin***

***Selma***

J’avais repris le travail ; c’est d’ailleurs ce qui m’a permis de m’accrocher à quelque chose et de ne pas sombrer totalement. Hum ! Un an maintenant qu’on s’est séparé, Kader et moi. Un an que chaque geste de mon quotidien me ramène à lui. Des fois, les souvenirs sont tellement forts, tellement réels que j’ai l’impression qu’à tout moment je verrai sa haute stature passer la porte.

Au plus fort de la dépression je n’ai pas eu mes menstrues ; vous-même vous connaissez la suite. Je me suis crue enceinte mais la chute a été rude : j’ai eu mes règles quelques jours plus tard. Même ça, la nature me le refusait. J’aurais été heureuse d’avoir une part de lui, une matérialisation de cet amour qui brûle encore en moi.

Hum… Rencontrer quelqu’un… C’est compliqué… Il y a eu des prétendants mais je passe mon temps à faire des comparaisons qui les desservent… et au bout d’un moment, je les évite carrément. Finalement je me suis établi une petite routine : boulot, dodo, maison des parents, virées avec Tim alias La Fouine[1] quand il peut…

Si je vais mieux ? On va dire oui… J’avance grâce à mon travail, ma famille et La Fouine. D’ailleurs en parlant du loup…

Il vient vers moi avec un grand sourire, il me fait un gros hug comme si on s’était vu il y a plusieurs mois alors qu’hier encore on était ensemble.

Tim : Alors ma chérie number one, on dit quoi ?

Automatiquement tous mes sens sont en alerte. Depuis le temps, je connais ses fausses expressions.

Moi : C’est non !

Tim : Comment ça c’est non ? Je ne t’ai encore rien demandé.

Moi : Mais tu vas le faire, alors c’est non !

Tim : Toi aussi Selma ! Tu es comment même ? Tu sais que tu es ma seule famille !

Moi : Lol ! Merci pour Tata Olga, sois sûr que je lui rapporterai comment son unique fils l’a reniée !

Tim: Oh miss, s’il te plait… C’est un service super important que je vais te demander… Crois-moi.

Pendant que nous parlons, nous arrivons devant le bureau du rédacteur en chef qui a demandé à me voir. Je m’arrête et croise les bras. J’essaie de prendre un air sévère en sachant bien que ça ne l’intimide pas du tout.

Moi : Je t’écoute !

Tim : En fait tu te souviens de Lulu ?

Moi : Lulu ? Euh… Lulu…Lulu… Tu veux dire Lucien Ouédraogo[2] ?

Tim : Oui… Il a sa nièce qui vient à Cotonou pour un stage de trois mois environ à la Fondation Zinsou… L’hébergement n’est pas pris en compte et il m’a demandé de lui trouver un logement sécurisé.

Moi : Timmy, je ne vois toujours pas ce que je peux faire.

Tim : La loger… Chez toi.

J’éclate de rire, tellement je trouve sa demande absurde. Mais je regarde son visage, le gars est sérieux, très sérieux même !!!

Moi : Tu sais au moins ce que tu me demandes ?

Tim : Oui… Loger la nièce de Lucien qui est mon ami.

Moi : Tu sais bien qu’aider quelqu’un n’est pas le souci non… C’est me ramener à des souvenirs pénibles qui…

Tim (me coupant) : Il faut que tu avances !

Moi : C’est non, je ne logerai pas la fille.

Tim : Moi je ne peux pas… Tu sais, à cause de mes plans… Mon mode de vie…

Moi : Tu veux dire ta vie de…

Tim : Hmm… Stop ! Selma, ne me fais pas ma biographie… Tu veux bien ?

Moi : C’est non !

 

***Dix jours après***

Moi : Entre s’il te plaît ! Voilà pose tes affaires ici. C’est la deuxième chambre. Désolée, le matelas est à même le sol.

… : C’est bon tata… Je ne suis pas difficile.

Moi (poursuivant) : Ici tu as la cuisine, le séjour-salle à manger est par là. Si tu veux, les courses, on les fera ensemble ; je ne sais pas ce que tu aimes manger, si tu as une maladie particulière comme des allergies par exemple, il faudra penser à me briefer… Tu es libre de tes allées et venues ; j’ai juste besoin que tu me donnes ta position.

… : Oui tata, je suis robuste.

N’ouvrez pas grand les yeux, pourquoi pensez-vous que j’ai commencé à dire NON à Timmy ?! Il a fini par me convaincre. Du coup, je me retrouve avec mon hôtesse. C’est une jeune fille, très belle avec un joli teint noir. Elle me rappelle vaguement quelqu’un… qui ? Je ne sais pas.

Moi : Alors, rappelle-moi ton nom s’il te plaît.

Jeune fille : Audrey Bah… J’ai dix-neuf ans, bientôt vingt.

Moi : Ok… Mais Bah, ça sonne guinéen non ?!

Audrey : C’est vrai qu’on retrouve les origines de ma famille en Guinée.

Moi : Oki… Tu sais le plus important, c’est qui on est… pas d’où on vient.

Audrey : Oui.

Moi : Je ne suis pas compliquée… Mais il faudra respecter les règles de la maison. Si tu as besoin de quoi que ce soit tu peux m’en parler ou voir avec tonton Tim.

Audrey : C’est compris.

 

***Tim alias La Fouine***

J’ai laissé la petite chez Selma, en croisant les doigts pour que tout aille au mieux. Il faut que j’appelle Lucien pour lui rendre compte.

Lucien : Allô ?

Moi : Djo ! La petite est dans la place.

Lucien : C’est génial, Hey La Fouine tu es un pro !

Moi : Mais si ça foire… Selma m’en voudra toute sa vie ! Elle n’est toujours pas bien !

Lucien : Je sais mais ça va aller… C’est pour la bonne cause !

Nous discutons de choses et d’autres ; doucement par ici, je ne traficote rien… Enfin rien de dangereux. Oh et puis pourquoi vous êtes pointus sur cette page ici ? Il faut que je vois ça avec Saria !

 

***Au même moment - Sous d’autres cieux***

***Au siège du Consortium Kanaté – Ouagadougou, Burkina Faso***

***Kader***

Moi : Allô mon cœur ?

Chérifa : Oui papa !! Ça va ? Tout se passe bien ?

Moi : Oui… C’est à moi de te demander… et toi au Togo ? Tu es bien installée ?

Chérifa : Oui papa, ça va aussi… Les amis de tonton Lucien sont gentils.

Moi : Après tu me les passeras pour que je les remercie.

Chérifa : Ah papa, toi aussi tu aimes trop ça !

Moi : Bon, je raccroche avec toi mon bébé. Il y a justement tonton Lulu qui entre dans mon bureau.

Je raccroche... Hum cette petite-là est terrible quoi ! Elle veut se débrouiller par elle-même. J’ai un peu de mal à la laisser sortir du nid. Avec le stage qu’elle a trouvé à l’Institut français du Togo, je n’ai vraiment pas eu le choix. Lucien est intervenu pour me rassurer par rapport au logement : un couple d’amis à lui.

Moi (me levant de mon bureau) : Oh frère ! C’est comment ?

Lucien : ça va bro, et toi ?

Moi : Ah ! Je suis là, ça va ! Comme ta fille et toi m’avez fait un coup d’Etat…

Lucien : Oh toi alors… Laisse l’enfant grandir !

Moi : Je viens de lui parler sur Whatsapp… Tout va bien et je te remercie pour tout.

Lucien : Chérifa, c’est mon asso ! Bon je passais juste te dire que tout allait pour le mieux.

Moi : Oki, parfait.

 

***Deux semaines plus tard***

***Sous d’autres cieux***

***Chez Selma – Fidjrossè – Cotonou, Bénin***

***Audrey***

Je m’intègre très bien ici, Cotonou est une ville vivante et mouvementée. La Fondation est à une vingtaine de minutes de la maison. Tata me dépose en voiture les matins et je rentre à zémidjan[3] quand j’ai fini.

La cohabitation se passe très bien. C’est une femme très douce… Je la trouve très belle avec son énorme afro. Au début, elle était un peu sur ses gardes, puis dès qu’elle a réalisé qu’il n’y avait pas de danger, elle a commencé à s’ouvrir. Le seul ami qu’elle fréquente pour ce que j’ai vu, c’est tonton Tim. Il y a aussi ses parents… Il y a deux jours, sa mère est passée déposer des vivres frais à la maison et nous avons fait connaissance. Une dame assez gentille aussi. Bref, tout va pour le mieux.

Aujourd’hui, j’ai fini plus tôt et je suis rentrée direct. Je dépose mes affaires, me lave les mains et passe à la cuisine. Ce soir, je veux faire du riz soumbala[4] ; voilà on va manger burkinabé. C’est le peu que j’ai appris avec tata Loubna. Elle me manque un peu, mon loulou aussi. Je vais les appeler demain quand je serai hors de la maison… Ah, on n’est jamais trop prudent !

 

***Une heure et demi plus tard***

J’ouvre la fenêtre de la cuisine en grand pour aérer un peu ; le soumbala embaume toute la maison et c’est peu de dire que ça sent fort ! J’entends le klaxon de tata, puis des bruits de clé. Je sors pour l’aider. Comme d’habitude, je déboule, lui fais la bise et récupère son sac d’ordinateur.

Moi : Coucou tata !

Tata Selma : Ça va toi ? Ta journée s’est bien passée ?

Moi : Super !

Tata Selma : Hmmm, ça sent bon !

Moi : Merci, j’ai fait du riz soumbala… La table est mise… Tu vas aimer !

Tata Selma : Ok, de toute façon je sens que je n’ai pas le choix… Donne-moi le temps de me laver les mains.

Quand elle revient à la salle à manger, je vois son regard s’embuer. J’ai une idée approximative de ce à quoi elle pense.

Moi : J’ai même acheté une bouteille de vin rouge.

Tata Selma : Waoh c’est beau, tu t’es décarcassée, chérie !

Moi : Voir ton sourire comme ça vaut le coup je crois… Je veux te dire merci pour la façon dont tu me gâtes!

Elle me pince la joue en souriant avant de se diriger vers la cuisine. Nous nous mettons à table… Le repas se passe dans la bonne humeur. Je la sens détendue et heureuse ; je sais que ce n’est pas l’alcool. Elle me raconte un peu son parcours, son métier, son expérience de la France (On a le même accent) et comment son intégration a été difficile lorsqu’elle est rentrée, on disait d’elle faisait « Chôcô ».

Tata Selma (concluant) : Au début je l’ai mal vécu… Je me suis senti stigmatisée… Après j’ai laissé couler.

Moi : J’imagine que ça a dû être dur !

Tata Selma : Oui… Mais tu sais, les épreuves vous forgent.

Moi (pensive) : Tu as un beau sourire, Tata…Tu devrais sourire tout le temps.

Tata Selma : Merci… Il y a longtemps que je me suis sentie aussi bien… Un peu comme dans une autre vie.

Moi : Tu devrais le faire plus souvent en tout cas… Tu es top !

Tata Selma : Lol… Hum… Parfois la vie ne vous épargne pas… Il fut un temps où je pensais avoir des ailes aux pieds… Tellement j’étais heureuse !

Moi : Oh… Et qu’est-ce qui t’est arrivé ?

Tata Selma : Je t’ai dit les épreuves de la vie… J’ai connu quelqu’un d’extraordinaire… Quand tu rentres, il y a un repas chaud qui t’attend… pas vraiment difficile pour ces choses… Puis ça s’est plutôt mal passé.

Moi : Comment ?

Tata Selma : Je lui ai caché une information importante… Il ne me l’a pas pardonné… Hum… Le pire, c’est qu’à la minute où j’ai fait cette option dans ma tête… Je savais que je venais de me condamner.

Moi : Tu as essayé de lui expliquer ? Te connaissant Tata, tu n’es pas quelqu’un de méchant !

Tata Selma : Hum… Il m’avait déjà jugée… Tu sais… Je voudrais pouvoir remonter le temps… et prendre la bonne décision.

Moi : Tu l’aimes encore ?

L'homme qui n'avait...