LETTRE À MA FILLE
Ecrit par Akagami
Lettre à ma fille.
Au moment où tu tiendras cette feuille entre tes mains et que tu te décideras enfin à y jeter un coup d’œil, je ne serais probablement plus de ce monde. Ne commence pas à larmoyer, je te prie. Il fut un moment où je me croyais invincible. Oui, pour de vrai. Je ne te parle pas de gladiateur qui enchaine les victoires dans l’arène. Non. Je te parle plutôt de ma vision d’invincibilité à moi. J’étais heureux, j’étais vivant, j’étais naïf. Par-dessus tout, aucune maladie ne m’atteignait. Lorsque je voyais les adultes se plaindre de douleurs gastriques parce qu’ils ont mal digérer un mets, moi, je rigolais en douce et je me disais « qu’ils sont bien pathétiques ceux-là. Qu’est-ce qui leur prend d’être aussi faibles ? Moi, jamais, ces choses ne m’atteindront ». Tu veux savoir pourquoi j’étais ainsi ? Tout simplement parce que j’étais formidable. Lorsque je rentrais de l’école, tous les visages rayonnaient à ma vue. Maintenant, avec du recul, je crois bien qu’ils feignaient tous un rictus afin que je n’aperçoive pas la tristesse qui était tapie derrière ce masque. Pour moi, c’était ma présence qui imposait ce bonheur. J’étais le petit champion de la maison. Les problèmes m’étaient inconnus. Mon principal souci était de savoir si mon chien pouvait me suivre jusque devant la porte d’entrée de mon école sans que ma mère ne s’y oppose. C’était peine perdue, mais que c’était beau.
Comme tu dois t’en douter, ces moments-là n’ont pas une durée éternelle. Encore, ils sont plus éphémères que ce à quoi on s’imaginait. Par la même logique, te souviens-tu de notre adage qui dit « toute chose qui commence a indéniablement une fin » ? Je parie que tu t’en rappelles encore. Il faut croire que les anciens avaient déjà une appréhension bien « aiguisée » de la vie. Finalement, le jeu est toujours le même ; seuls les acteurs ont changé et aussi le décor. Ce n’est pas mon intention de te faire une autobiographie par le biais de cet écrit. Cependant, Mariama BA n’affirmait-elle pas dans les premières pages d’Une si longue lettre que « la confidence noie la douleur » ? En t’écrivant, de ce fait, les saignements de mon cœur s’arrêteront. Lorsque j’en aurai fini, qui sait, ils reprendront de plus belle encore je me dis et ce, jusqu’à ce que je parte.
Conformément à mes prescriptions, ta mère devrait te remettre cette lettre lorsque tu atteindrais tes dix-huit ans. A-t-elle cessé de t’appeler « mon bout de carotte » ? Qu’est-ce que c’était hilarant lorsqu’elle t’appelait ainsi devant tes amis et que tu étais contrainte de tourner la tête pour ne pas laisser transparaître ton embarras. Dis-moi aussi, quant en est-il de ses superstitions comme par exemple, les paroles qu’on doit éviter à tout prix de prononcer un soir de pleine lune ? Attends, j’en ai une dernière. Elle t’a raconté la fois où elle et moi nous nous sommes faits éjectés d’un restaurant parce qu’on riait tellement fort à cause de la tête que tu avais faite lorsqu’on t’a révélé les sentiments qu’avait Marcus à ton égard ? Oh bon sang, elle est si belle et si courte, la vie.
Tu viens d’avoir dix-huit ans. Ta crise existentielle est sûrement passée. Ta mère et moi on s’était fait la promesse de te soutenir durant cette phase. On sait à quel point elle peut être destructrice pour une jeune adolescente. On se rebelle contre le monde. On voit la vie sous d’autres formes. En définitive, on plane et on ne sort pas totalement indemne de la chute. Je suis bien ravi de savoir que tu as traversé ce tumulte sans encombre. Tu t’apprêtes désormais à faire ton entrée dans la deuxième moitié de la vie. Elle est peut-être plus longue en années que la première mais qu’est-ce qu’elle offre effroyablement moins de moments de bonheur. Tu la passeras à essayer de t’imposer, à te battre pour tes rêves. C’est la période durant laquelle tu devras te préparer à perdre les personnes qui te sont chères. Les adieux seront terribles. A chaque perte d’un être cher, une partie de toi s’envolera ; et ainsi de suite. Il se pourrait même que ta sensibilité en prenne un très grand coup. Tu deviendras une « épave » vivante si tu laisses tes sentiments prendre le dessus. Dans la deuxième partie de ta vie, tu n’auras plus de filtres devant les yeux. La vérité se révèlera à toi. Les choses te paraitront bien plus différentes que ce à quoi tu pensais. A un moment, la vie te paraitra même anodine.
Pourtant, tu vivras d’excellents moments. Sur ce point, je n’en doute pas un seul instant. Tu sais ce qui me plait durant ces brefs instants de la vie ? C’est le fait que l’on arrive à mettre ses pensées sur pause et laisser ses sentiments prendre le dessus. Pendant un laps de temps, on a envie que d’une seule chose, juste le fait de profiter de l’instant présent. Tu seras comme on le dit « aux anges ». Néanmoins, un brouillard épais obscurcira ton ciel bleu. Tu n’entreverras plus les rayons de soleil. Moi, durant ces jours sombres, je passais mon temps à me lamenter. Il m’arrivait de m’enfermer dans ma chambre et de pleurnicher car à défaut de ramener les beaux jours, cela avait le mérite de me soulager un bref moment. Je crois que je nourrissais mon délire. Pour revoir, le soleil, il te suffit de prier. Prie très fort. Je ne sais pas dans quelle religion tu te lanceras, je ne souhaite pas non plus t’imposer un choix car tu es en âge de décider de la voie que tu veux emprunter. Regarde autour de toi. Que vois-tu ? Tu nous as. Nous, les personnes qui t’aimons. Ne prends pas ce mot à la légère. Toute façon, tu en saisiras la portée au moment propice. Adopte un animal de compagnie si tu te sens seule dans ton nouvel appartement. Ils sont attendrissants et les psychologues en recommandent. C’est lorsque le ciel brumeux apparait que tu te découvres réellement. Apprends qui tu es. Explore ta personnalité dans les moindres détails. Fais ressurgir ton talent et entretiens le. N’envie surtout pas le passé au point de détester ton présent. C’est l’un des nombreux tours que la vie te jouera. Tu te diras, « c’était beaucoup mieux avant, j’étais si heureuse et la vie était belle ». Balivernes. C’est comme je te l’ai dit, ce n’est qu’un tour que ton cerveau te joue car il refuse d’admettre la réalité qui se présente à toi. Il va alors effacer les aspects négatifs qui étaient entassés dans tes souvenirs pour ne laisser apparaitre que les bons de cette époque qui te semblera si lointaine tout à coup.
Notre société présente aujourd’hui des caractéristiques misogynes. Tu devras faire avec. Ça sera une lutte perpétuelle ; mais à force d’acharnement, tu imposeras le respect autour de toi. Respecte chaque créature que tu croiseras. Va au-delà des apparences. Il se pourrait très bien que ta meilleure amie qui t’impose une règle de vie stricte et que tu admires tant soit celle qui « s’occupe » de son beau-père en l’absence de sa mère ; ou encore il se pourrait également que le voisin sympathique et toujours souriant soit celui qui bat régulièrement sa femme et se promène dans les bois pour agresser les jeunes filles. Tout compte fait, sache que le monde n’est réellement pas ce que nos yeux perçoivent. Evite aussi de prédire l’avenir, tu en es tout juste incapable. Retiens cette phrase de François TRUFFAUT qui dit que «la vie a beaucoup plus d’imagination que nous ».
La vie sur terre est une longue comédie. La vérité sera établie après notre mort. Dis-toi que les morts, ont eux aussi, une fois été à notre place. Ils ont eu des rêves, des principes, des envies et des désirs. Certains étaient plus riches que toi, plus heureux, plus « vivants ». Mais le sort réservé à tous est sans équivoque. Ceci devrait te permettre de faire attention aux actes que tu poseras. Respecte la croyance d’autrui. Les choses que tu qualifieras de laides seront les plus belles qui ne soient jamais arrivées à d’autres. C’est ainsi fait. Va à la recherche du savoir. Tu verras le monde sous d’autres cieux. Il se peut que ce baratin que je t’ai servi ne te serve plus. Reste fidèle à tes idéaux. Poursuis tes rêves. Ne te retiens pas dans ce sens. Le rêve que tu vises ne doit en aucun cas changer.
Tu ne sais pas à quel point j’ai mal. J’ai l’impression d’avoir mal fait les choses, comme toujours. Mes larmes ont mouillé ma feuille et ma plume. Tu me manques. Mais je t’attendrai toujours dans ta chambre, tu sais, à côté de ta peluche que tu ne quittais jamais. Les psychologues essaient de m’hospitaliser. Ils disent qu’ils ne me feront pas de mal, tu y crois ? Ils disent que tu ne reviendras plus. Ta mère semble être également de cet avis. Elle le supporte beaucoup mieux que moi. Je me demande comment elle fait d’ailleurs. Pourtant c’est moi qui devrais l’aider. La vie nous réserve bien des surprises. Cependant, j’ai réussi à la convaincre de te remettre cette lettre lorsque tu reviendras à la maison. J’ai déjà tout préparé pour ton entrée à l’université. Si tu le souhaites, on ira visiter celles de notre région et ensemble on fera notre choix comme toujours. Tu me le promets ? Cette année, tu aurais dû avoir et fêté tes dix-huit ans, entourée de tous tes amis et de tes chers parents. Au lieu de ce décor hollywoodien, te voilà, entourée de pierres tombales ; des personnes qui ne te connaissent même pas. Dis-moi, s’ils te causent le moindre souci, je viendrai leur en toucher deux mots. J’ai essayé à maintes reprises de te rejoindre, car si tu ne reviens pas voir papounet, cela veut sans doute dire que tu t’y plais bien dans l’autre monde. Ta maman m’empêche à chaque fois de prendre mon ticket à la gare pour te rejoindre. Elle dit que nous te rejoindrons bientôt. C’est une promesse qu’elle m’a faite. Alors, sois sans crainte, veux-tu ? Papounet sera bientôt là. Cette fois-ci, je suis d’accord avec les autres. Je ne suis pas formidable, non. Toi, tu l’es ou du moins tu l’étais.
Les meilleurs partent en premier. Ces quinze années passées à tes côtés resteront les meilleures de toute ma vie. Je t’aime. Nous t’aimons.
Ton papa et ta maman qui t’aiment.
Ps : J’ai voulu remettre la lettre au facteur mais lorsqu’il il m’a demandé de lui faire part de l’adresse et que je lui ai donné pour toute réponse « ciel » ; il me l’a remise en prétextant que leur société ne livre pas dans cette zone ; mais je sais qu’il ment. D’ailleurs, ils mentent tous.