Mariama KADIRI

Ecrit par Phénix

CHAPITRE 3 : MARIAMA
Ma vie n'a pas toujours été ainsi vous savez ? Je n'ai pas toujours été là serpillière de Séni. Autrefois, j’ai été là coqueluche, la fille la plus convoitée par les familles. Même si j’ai toujours été une femme timide.
Séni et moi, on s'est marié parce que mon père l'a voulu. Mon père était alpha. Et Séni était son bon petit en qui il avait une confiance absolue. Séni ne m'a jamais draguée. Je n'ai jamais mis pieds à l’école, mon père trouvait que c’était inutile puisque j'allais finir mariée et mère d'une ribambelle d’enfants. Chez nous, les hommes disent que quand tu meurs Allah ne te demande pas si tu as été à l’école. Mais plutôt si tu t'es mariée. De ce fait, l’éducation de la fille se fait à l’école coranique et à la maison. Elle aide sa mère dans les tâches ménagères.
L’école des blancs n'apportent que désobéissance selon mon père.
Donc, un jour alors que j'avais quinze ans, mon père m'a fait appel et m'a dit sans passer par quatre chemins que mon mariage avec Séni sera célébré cet après midi à la mosquée centrale. J’étais choquée. Je connaissais Séni, c’était mon aîné de plus de dix ans. Et il était veuf. Jamais il ne m'a montré un quelconque intérêt quand il venait à la maison. J'aurais voulu dire à mon père que ce mariage, je n'en voulais pas. Mais à cette époque et surtout étant fille d’Alpha, je n'avais pas voix au chapitre. Mon père avait décidé et je devais m'exécuter. J'ai pleuré comme une madeleine dans la chambre que je partageais avec mes sœurs. Elles étaient trop jeunes pour comprendre. Et ma mère au lieu de me consoler m'avait fortement réprimandée, me traitant de fille ingrate qui ne reconnaissait pas la chance qu'elle avait d'avoir un père qui l'aime et lui choisit un meilleur mari. Le lendemain, j’étais mariée, sans dot ni rien. Juste comme ça.
Ma nuit de noce ? Un vrai carnage. J’étais vierge. Je n'avais jamais vu un sexe d'homme auparavant. Alors quand Séni s'est introduit en moi sans douceur, je me suis sentie mourir. Il n’en avait rien à foutre de ma douleur ni de mes cris. Pendant un long moment qui pour moi a paru être une éternité, sans un mot ni un geste tendre, il m'a violée. Oui, c'est le mot que j’emploie, c’était un viol. Et quand il s'est soulagé en moi, il est allé se laver et sans un mot, il s'est couché pour dormir.
J'avais très mal et mon sexe battait furieusement. C’était si douloureux que pendant des jours, je n’ai pas pu marcher correctement. Le lendemain, mes tantes étaient venus chercher le drap blanc sur lequel avait coulé le sang de ma virginité. Ce n’est qu’après cela que je reçus la modique somme de quinze mille francs. Somme que mon mari m'arracha dès que nous nous retrouvâmes seuls chez nous.
Du jour au lendemain, j'ai dû grandir, devenir femme au foyer, commencer à lui faire à manger, laver son linge, le satisfaire au lit sinon, j’étais bastonnée. J’étais bastonnée pour un oui ou un non.
La première fois, je m’étais enfuie chez mes parents. J’étais allée pleurer chez ma mère en lui racontant comment Séni m'avait bastonnée avec sa ceinture.
*** Flashback ***
Moi : Maman regarde mon corps. Regarde ce qu’il m'a fait. Il m'a battue avec une ceinture.
Maman : Ma fille le mariage n'a jamais été facile. Ça peut arriver que ton homme lève la main sur toi. C'est le signe qu’il t'aime et veut que tu sois bien éduquée.
Moi : (en larmes) mais maman comment tu peux dire une chose pareille ? Je te dis que Séni m'a bastonnée.
Maman : qu’as-tu fait pour le mettre en colère ? Je suis sûre qu’il ne s'est pas levé un bon matin en disant « tiens et si je battais ma femme ? » qu’as-tu fait ?
Moi : Maman je n'ai rien fait. S'il te plaît sauve-moi. Je veux rentrer à la maison !
Maman : Qu'Allah nous en garde. Ta maison c'est désormais là-bas. Tu es mariée et tu devrais apprendre à garder les secrets de ton foyer. Sinon, tu vas mettre ton mari en colère. Sois une femme soumise Mariama, soumise et dévouée à ton mari et tu vivras heureuse dans ton foyer. Le mariage n'est pas facile mais c'est à la femme d'apporter la paix dans son foyer.
Moi : Maman pardon, je ne veux pas y retourner. Je souffre trop.
Maman : Tu dois y retourner Mariama. Tu comprendras plus tard que c'est une bénédiction d’être sous le toit d'un homme. Tu as la chance d’avoir un mari. Ne gâche pas tout. Rends-nous fiers de toi.
** Fin du flashback **
Dix-huit ans après, je me demande encore à quel moment je comprendrai. Parce que Séni n'a jamais changé. C'est moi qui me suis habituée aux gifles et aux bastonnades. Et je n'ai plus jamais osé me plaindre nulle part.
Avant d'avoir Amina, j'ai fait quatre fausses couches. Et c’était toujours après des longues bastonnades de mon mari. Pendant deux ans, j'ai fait des tours à l’hôpital comme jamais je n'en ai fait de ma vie. Au point où les médecins me connaissaient. Il a fallu que le père de Séni, paix à son âme, s'insurge un jour et le rappelle à l'ordre pour qu'il cesse pendant un moment de me battre. C'est à ce moment que j'ai porté la grossesse D’Amina et insh'Allah, j'ai tenu jusqu’au bout. Ma fille est née et Séni n'est même pas venu à l’hôpital. Pendant l’accouchement, il y a eu des complications et les médecins m'ont retiré mon utérus. Quand ils m'ont dit ça, j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Il y avait là ma mère et ma belle-mère. Elles ont été compatissantes. Mais c'est tout ce qu'elles ont pu faire, car dès que je suis rentrée à la maison, j'ai eu droit à une bastonnade digne du nom parce que j’étais incapable de lui donner un garçon. Et en plus je suis devenue stérile.
Que de chemin j'ai parcouru avec cet homme qui n'a jamais été tendre avec moi. Chaque fois qu'il en a eu l'occasion, il n'a pas hésité à me rabaisser, m'humilier. Mon père n'a jamais rien dit. Selon lui, ça ne relève plus de son autorité. J’étais traitée, comme un vulgaire objet dont il avait cédé le titre de propriété. Désormais j'appartenais corps et âme à Séni. Il pouvait décider un jour de me tuer que mon père ne lèverait pas le petit doigt pour l'en empêcher.
Depuis que je vis ici, Séni n'a jamais donné plus de deux mille francs pour la popote. Et gare à moi si j'osais lui présenter un repas sans viande ou avec du poisson. Il me le renversait à la figure, au risque de me rendre aveugle. Je suis obligée de me faire amie aux vendeuses du quartier. Elles me vendent leur marchandises à crédit et quand je le peux, je rembourse. Des fois, je vais les supplier mais elles me renvoient les mains vides parce que je leur dois beaucoup. Quand c’est le cas, je m’apprête mentalement à passer un mauvais quart d'heure avec Séni.
J'aurais souhaité qu'il prenne une seconde femme. Au moins je n'aurais pas été là seule à subir son humeur de chien quotidiennement.
Aujourd’hui, à trente-quatre ans, je me sens comme une femme de quatre-vingts ans. Tellement j'en ai bavé.
Cette sauce qu’il m'a renversé au visage ce matin, ce n'est pas parce qu'elle contenait de l'huile hein ! Il y a des années que je prépare sans huile dans cette maison, quelque soit le repas. Il fallait qu’il trouve quelque chose pour me frapper et c'est ce qu’il a trouvé.
Parfois je me sens fatiguée de cette vie. Mais comme ma mère me l'a conseillé, je suis soumise et je prie Allah qu’il soit miséricordieux avec moi et apaise Séni. Je voudrais tant qu’il devienne moins violent avec moi.
Amina : (me tapotant l’épaule) Eh maman ?
Moi : Oui, Amina, tu es rentrée ?
Amina : Oui maman. Tout va bien ? Tu as l'air soucieuse.
Moi : Ah, ça va un peu. Tu as fait un peu à l’école aujourd’hui ?
Amina : Oui maman. Je vais me changer et je viens t'aider.
Moi : (souriant) d’accord.
Je la regarde partie en souriant. Sans mentir, ma fille est belle. Et très gentille. Je remercie Allah chaque jour pour cette grâce qu’il m'a faite. C'est elle qui me permet de tenir, de me sentir moins seule dans cette maison où on ne rit jamais. Quelques instants plus tard, elle revient, vêtue d'un t-shirt et d'un pagne. Nous faisons la cuisine en discutant à voix basse. Il ne faut surtout pas que Séni rentre et nous surprenne en train de nous amuser, ça aura le don de le mettre en colère.
Amina : Maman, je peux te poser une question ?
Moi : oui, de quoi s'agit-il Amina ?
Amina : Maman, es-tu heureuse d'être ici ? Cette vie te plait-elle ?
Je soupire longuement en cogitant sur la réponse à lui donner. Avec Amina, il ne faut pas donner des réponses juste pour élucider la question. Parce que de chaque réponse nait une nouvelle question. Ma fille est intelligente. Allah l'a fait toute belle et savante. Je suis si fière.
Moi : Amina, pourquoi ces questions ?
Amina : je veux savoir maman. Est-ce que tu es heureuse ?
Moi : C'est quoi être heureuse Amina ? Je ne connais ni ce mot, ni ce sentiment. Je ne peux donc pas te répondre de façon objective.
Amina : maman, et si avais la possibilité de choisir, si tes parents t'avaient laissé le choix, est ce que tu choisirais cette vie ?
Moi : (avec certitude) non. Jamais.
Amina : ça veut dire que tu n'es pas heureuse. Alors pourquoi tu ne pars pas maman ? Plions nos bagages, allons-nous-en de cette maudite baraque. La vie c'est ailleurs.
Moi : (soupirant) Amina, tu es trop jeune pour comprendre la vie. Quitter cette maison pour aller où ? Au moins ici, nous savons à quoi nous attendre. Mais que sais-tu de cet ailleurs dont tu rêves ? Et s’il se révélait être pire qu'ici ? On dit souvent qu'un tien vaut mieux que deux tu l'auras. Contentons-nous du présent.
Amina : maman, je ne connais peut-être pas ce que me réserve cet ailleurs mais je sais que tant que je n'ai pas essayé, je ne pourrai pas me convaincre de rester ici. Ce que nous vivons maman, ce que tu vis là, ce n'est pas une vie. On ne peut pas appeler cela vivre.
Moi : ma chérie, c'est bien de rêver. Mais n'oublie pas que le monde est réel. Ce n'est pas en rêvant que la vie te réussira. Bientôt toi aussi tu iras en mariage et tu…
Amina : alors là je t’arrête toute suite. Je vais peut-être me marier un jour, mais c'est dans un futur très très lointain. Disons dans quinze ans. J'aurais eu le temps de faire une agrégation.
Moi : je ne connais rien de ces choses. Mais je ne crois pas que ton père patientera encore quinze ans ma chérie. La place d’une femme c'est dans un foyer, avec un mari et des enfants.
Amina : non maman. De nos jours, les femmes ont plus de droits. Elles ont les mêmes droits que les garçons. Et le mariage n'est plus une fin en soi. Si le mariage rendait heureux, je l'aurais remarqué à travers toi. Donc personne ne me forcera à me marier. Je le ferai quand je serai prête.
Moi : Amina, attention à ce que tu dis. Et surtout que ton père ne t'entende pas sinon, il se mettra en colère.
Amina : un jour il devra arrêter d’être si méchant maman. Allah recommande aux maris d’aimer leurs femmes, pas de les battre comme des objets. La soumission de la femme est conditionnée par l'amour de son mari. Donc si tu lui obéis au doigt et à l'œil, il doit t'aimer et te protéger. Dis-moi toi-même est-ce qu’il fait ça ?
Moi : (soupirant) laisse ça Amina. Va plutôt dresser la table. Je n'ai pas envie d'entendre les plaintes de ton père.
Amina : toi-même tu sais que ton mari ne rentre jamais à midi.
Moi : vas quand-même faire la table. On n’est jamais assez prudent.
Et comme si je savais, j’entends le bruit du portail. Amina s'en va regarder qui c'est et reviens m'appeler.
Séni est étendu sur le divan, dans un état pitoyable. Qui lui a fait ça ?
Moi : mais qui a fait ça à mon mari.
Je me rapproche de lui en lui touchant le bras.
Séni : Aie ! Femme laisse-moi tranquille.
Moi : mais que s'est-il passé hein ? Pourquoi tu es dans cet état ?
Séni : Je me suis fait agressé. Cette ville est trop dangereuse.
Moi : En pleine journée ? Les gens n'ont plus peur hein !
Séni : Ne cries pas dans mes oreilles. Apporte-moi plutôt un comprimé pour calmer ma douleur.
Moi : Je n'ai plus de comprimés baba. Mais si tu veux, je peux chauffer de l'eau et t'appuyer un peu le corps. Ça va te soulager.
Séni : fais donc ça.
Je repars en cuisine où je trouve Amina entrain de manger tranquillement. Cette fille ne cessera jamais de me surprendre.
Amina : alors maman ? C'est quoi l'histoire ?
Moi : (soupirant) il a été agressé.
Amina : (souriant) par qui s'il te plaît. J'aimerais les remercier.
Moi : (choquée) Amy !
Amina : Quoi ? Je ne suis pas hypocrite moi. Il nous frappe toujours dans cette maison. Pour rien et n'importe quoi non ? S'il y a quelqu’un de plus fort pour lui rendre un peu, tu penses que je vais avoir pitié pour lui ? La personne aurait dû lui arracher trois dents.
Moi : Ne noircis pas ton cœur à cause de ton père Amy. Ça ne te rendra pas service.
J'ai mis l'eau au feu et quand c’était assez chaud, je suis partie m'occuper de mon mari.
Même s'il ne le mérite pas, ma mère m'a dit d’être soumise et dévouée et que je comprendrai la raison au fil du temps. Alors je continue et j’espère vraiment comprendre au fil du temps.

LES PERIPETIES D'AMI...