Mère Célibataire

Ecrit par Fortunia

Lorsque dix-sept heures sonnent, je suis mal à l’aise. Je regarde ma montre toutes les deux minutes, je tape du pied, je mâchouille frénétiquement mon chewing-gum à la menthe et mon cœur bat de plus en plus vite dans ma poitrine. C’est toujours comme ça lorsque je dépasse l’heure prévue. Ce n’est pas de ma faute pourtant. J’ai tout fait pour finir mes travaux à temps, mais à la dernière minute, mon patron a déposé une pile de documents à traiter d’urgence. Si je n’avais pas eu cette boule collante dans la bouche, j’aurais grincé des dents.

Je saisis, classe et traite des données. Pendant ce temps, l’horloge tourne. Mon téléphone n’arrête pas de vibrer et je fais mon possible pour ne pas craquer et décrocher. Je sais déjà de quoi il va en retourner. Des reproches, des invectives. Je secoue la tête pour rester concentrée. Ce travail ne se fera pas tout seul. Et Dieu seul sait à quel point j’ai besoin d’être efficace pour pouvoir le garder.

A dix-neuf heures, j’ai à peine refermé le dernier dossier que je fourre toutes mes affaires dans mon sac à main et me précipite vers la sortie. Il ne reste plus beaucoup de personnes à qui dire au-revoir dans l’office. De toute façon, je me fiche d’eux. Je sors. Dehors il fait déjà noir. Je suis à Bonanjo. Je cherche un taxi pour Village. Ce n’est pas chose aisée. Même si je suis sortie plus tard que prévu, il y a encore pas mal de monde qui attend.

Je cherche, me dispute, bouscule et m’insère à l’arrière d’un taxi, entre une grosse dame et un grand-père. Les odeurs corporelles de la journée se mélangent. Ça ne sent pas la rose. Mais je suis peut-être mal placée pour parler. Je suis fatiguée, fais tout pour ne pas m’endormir. Heureusement, des divers sont entamés et les simili-disputes des passagers me tiennent éveillée jusqu’à l’entrée du Lycée. Je descends. Il est presque vingt heures. Mon téléphone a cessé de s’époumoner une demi-heure plus tôt. J’ai peur de ce qu’on me dira lorsque j’y arriverai.

Alors je cours presque vers la garderie. Je peux tomber à tout moment à cause de mes talons mais je préfère ne pas y penser. Je suis très, très en retard.

Dix minutes plus tard, je suis devant la garderie « Les Petits Moineaux ». Il y a encore des lumières à l’intérieur. Pas étonnant. Même si je fais tout pour que cela arrive le moins possible, je sais à chaque fois qu’ils n’attendent plus que moi. Encore essoufflée, j’ouvre la porte et la gardienne du jour m’accueille avec un regard mauvais. J’en ai déjà l’habitude alors pour me protéger, je cours vers la petite boule repliée dans un grand berceau.

A sa vue, toute ma fatigue s’envole. J’ai envie de le prendre directement dans mes bras et m’enfuir avec lui, loin de ces personnes qui m’ont sans doute déjà affublée du doux qualificatif de « mère indigne ». Mais je ne peux pas. Je suis obligée de faire avec, de m’excuser pour mon énième retard. Je ne trouverai jamais une garderie aussi peu chère et près de chez moi. Je me tourne vers la gardienne, Sophia, je crois qu’elle s’appelle. Elle a les bras croisés sur sa poitrine opulente et sa bouche est pincée. Elle m’en veut à mort, c’est clair. Sans doute lui ai-je fait rater un rendez-vous important.

— Je suis vraiment désolée, Sophia. J’ai eu un contretemps au travail, m’empressé-je de lui dire.

— Essayez au moins de répondre à nos coups de fil la prochaine fois, madame Onana. Noah vous a réclamée à de nombreuses reprises.

Cette fois, c’est à moi de pincer les lèvres. Elle ne m’a pas traitée de mère indigne, mais c’est tout comme. Je réitère mes excuses et récupère mon bambin ainsi que ses affaires. Une fois dehors, le poids de la journée, de mon fils de bientôt trois ans et de tous les sacs que je porte pèsent sur moi, mais je le supporte. Je stoppe une moto qui me ramène chez moi. Le vent froid du soir nous frappe et la mauvaise route manque plusieurs fois nous faire tomber. Je serre Noah contre mon cœur et par chance, nous arrivons devant mon immeuble sans qu’il n’ait fait autre chose que grogner un peu.

Dans la précipitation de la descente, je donne six cent francs au lieu de deux cent au motocycliste. Quand je m’en rends compte, il est déjà loin. Je soupire et traîne ma carcasse dans le hall. J’ai deux étages à monter et devant ma porte, j’ai juste envie de tomber et de dormir là. Mais je me force à l’ouvrir et la referme derrière moi d’un coup de pied. Une fois celle-ci verrouillée, je souffle.

De retour dans mes trente mètres carré, mon studio, mon chez-moi.

Je retire mes chaussures, les abandonne à l’entrée et jette toutes mes affaires sur le canapé. A ce moment, Noah se réveille dans mes bras. Il se frotte les yeux et m’appelle dans les brumes du sommeil. Je l’embrasse et je l’emmène à la douche. Nous méritons tous les deux une petite douche.

L’eau tiède le réveille définitivement. C’était peut-être une mauvaise idée finalement. Une fois habillé, il est intenable. Même lui donner son petit pot devient un jeu où je suis un méchant monstre à l’assaut de sa bouche. Au moins, il rit. J’ai mal partout, mais son rire me réchauffe. Qu’est-ce que je ne ferai pas pour ce petit bonhomme ?

Une fois le repas englouti, il est plus de vingt-et-une heures. Il est temps pour nous deux d’aller dormir. Je dois me lever à cinq heures, préparer Noah, le laisser à la garderie avant sept heures et arriver au bureau à sept heures trente, en espérant que rien ne retardera la fin de mon service. C’est tout ce que j’espère et ainsi de suite, jours après jours…

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Big up spécial à ces femmes obligées de se débrouiller toutes seules. Soyez vaillantes, Dieu vous le rendra au centuple.✊✊



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