Partie 14 : Délivrer de ma cachette

Ecrit par Fleur de l'ogouée

Tania

Je pleure, enfin des larmes de joie, assise au chevet de papa depuis cet après-midi, je n’arrive pas à croire que ce cauchemar soit enfin terminé. Je le regarde dormir, il est encore faible mais son état s’améliore, nous avons préféré le garder ici avec une infirmière à domicile et un médecin qui passe chaque jour

-Chinenye tu ne vas pas rester là toute la nuit, essaye d’aller te coucher

-Je n’ai pas encore sommeil maman

-Ma puce rester là ne va rien changer, vient je t’ai préparé un bon jollof rice, ensuite tu pourras aller te coucher

Elle a bien raison, être assise là pendant des heures ne changera rien, il a besoin de repos, on ne sait pas comment son séjour en prison s’est passé, son taux de sucre dans le sang est tellement élevé à cause de cette période sans ses médicaments mais Dieu merci il est sorti avant le coma diabétique. J’aurais voulu qu’il sache que je suis là, à ses côtés et que je me battrai toujours pour lui.

  Je la rejoins dans la salle à manger, je suis contente de la retrouver, ma chère mère, à qui l’angoisse a creusé des rides sur son joli visage, les clavicules apparentes signe d’un grand amaigrissement, les poches sous les yeux démontrent ces nuits d’inquiétudes, nous avons tous vécu cette tragédie différemment et je suis contente qu’on soit à nouveau réuni. Une fois mon assiette vidée, je me dirige dans ma chambre d’ado que je vais occuper jusqu’à nouvel ordre. Pour l’instant je ne me sens pas d’aller vivre seule, je garde le souvenir de ce matin où la police voulait ma peau et je revis la scène en boucle depuis ce matin. Je m’allonge mais je n’arrive pas à dormir cette journée est semblable à un film, je suis heureuse d’avoir retrouvée ma famille, d’être de nouveau auprès des mien mais ce séjour et cette vie à deux je commençais à m’y habituer. Je regarde le plafond et je me demande ce que peut bien faire Grégory à cet instant, on n’a pas vraiment eu le temps de nous dire au revoir et je n’ai pas pu prendre son numéro et il n’a pas le mien aussi. J’ai retrouvé ma carte sim dans mes affaires, j’ai pu joindre mes proches en particulier mes meilleurs amis, j’ai passé un appel de groupe et on a tous les trois pleurés, ils m’ont terriblement manqué, donc lorsque Benito a proposé de passer me voir demain, j’ai sauté de joie.

Plongé sur les réseaux sociaux à essayer de rattraper toutes les infos de ces dernières semaines, à regarder les nouveaux post de mes amis, répondre aux messages, à écouter les nouvelles chansons populaires puis mon téléphone se met à vibrer, un numéro inconnu s’affiche sur l’écran, je n’aime pas décrocher ces numéros non enregistrés mais je prends en espérant reconnaître la voix

- …

-Allo, Tania t’es là ???

-Grégory, c’est toi ?

-Oui, tata Fifi m’a donné ton numéro

-Je suis contente de t’écouter, on s’est laissé brusquement ce matin

-C’est pour ça que je voulais t’entendre avant de dormir. Tu vas bien ? Et ce retour en ville ?

-Je suis reconnaissante d’avoir retrouvé mes parents, papa est un peu fatigué, il est sous perfusion ici à la maison

-J’espère que ça ira pour lui, l’essentiel c’est qu’il soit sorti de prison et que sa famille soit là pour lui

-C’est gentil, ce soir seule dans ce grand lit je repense à ces dernières semaines et je veux encore te dire merci du plus profond de mon cœur, merci pour tout Grégory

-On a dépassé le stade des remerciements Tania, j’ai agi naturellement et franchement ça a été les meilleures semaines de ma vie, ce n’était pas du tout une corvée pour moi, vivre avec toi à révolutionner ma vie

Je tiens le téléphone entre mes mains sans savoir quoi dire, mon souffle est coupé, il m’a dit cette dernière phrase dans un chuchotement, des mots que mon cœur a absorbé sans le vouloir, cet homme est une perle.

Nous continuons notre conversation à parler de tout et de rien, comme deux adolescents qui tombent amoureux, c’est effrayant. Nous sommes désormais hors de cette bulle, loin de notre cocon qui nous protégeait de toute question existentielle, il n’y avait pas de projet à court ni à long terme, pas de débat sur l’éducation et le mariage, pas de présentation aux familles et aux amis, il n’y avait que deux personnes qui s’appréciaient et se désiraient. Je glousse comme une gamine lorsqu’il me dit qu’il a hâte de me revoir, je tressaillis quand il décrit avec exactitude ce qu’il en sera dans une chambre. Et les questions surgissent dans mon esprit, quelle chambre ? Chez lui ou chez moi ? C’est juste du sexe sans attache ou plus ? Je commence à réfléchir et ce n’est jamais bon signe avec moi.

Après cet appel, j’ai le cœur léger et le sourire béant. Je me rappelle de notre discussion dans le village, des choses que l’on voulait faire une fois sorti, et je me dirige dans la salle de bain pour le prendre ce bain chaud, je passe à la cuisine pour me servir une coupe de champagne, je connecte mon baffle et je passe l’album born to do it de l’artiste Craig David. Je me sens en paix, comme sur un nuage.

 

Gregory

Ce matin en ouvrant la porte je m’attendais à tout sauf à voir ma mère, ma tante ainsi que la mère de Tania et son chauffeur, ça aurait pu être très gênant si nous n’étions pas vêtus. Ils sont tous venus nous chercher vu que son père a été libéré et Tania blanchi par la même occasion. Comment aurions-nous pu être au courant de cela vu que nous étions coupés du reste du monde, j’ai pendant un instant eu un pincement au cœur mais je suis terriblement heureux pour elle. Nous avons embarqué dans une voiture dernier cri, siège en cuir, intérieur nickel, comportant sept places, le véhicule flottait presqu’au-dessus de la route, le chemin a été si court. Nous sommes arrivés à la maison familiale mes petits frères étaient là pour m’accueillir, maman a catégoriquement refusé de me laisser partir chez moi. Lorsque la voiture s’est éloignée, j’ai ressenti quelque chose d’indescriptible, je ne voulais pas qu’elle s’en aille, j’ai trop peu profité de sa présence dans ma vie, j’ai besoin d’elle.

Je n’ai fait que penser à elle toute la soirée tel un obsédé, j’étais au bar du quartier avec mon petit frère, buvant ces Regab bien glacés mais le cœur n’y était pas. J’ai dû appeler tata Fifi pour qu’elle m’envoie son numéro, en prétextant avoir en ma possession quelques affaire de Tania qui se serait infiltrer dans les miennes. C’est le cœur battant que j’ai lancé cet appel, une fois que j’ai entendu sa voix, comme une impression que le puzzle de ma vie se remet en place. Ici alpha 1 pour Charlie T, un guerrier est tombé, je répète un guerrier est sous le charme absolu d’une déesse des temps moderne. Cette nuit sera longue.

Ce matin je me rends au travail sans tenir compte de maman qui veut que je reste me reposer, de quel repos parle-t-elle, je ne sors pas de prison ou de l’hôpital j’étais en cavale avec la meilleure compagnie possible. Arrivé le premier comme à mon habitude, je me mets en tenue et tiens la boutique. Une heure plus tard quand le patron arrive à son tour, il me convoque dans son bureau

-Greg tu as toujours été un bon employé mais je ne sais pas ce qui s’est passé dans ta vie récemment, tu nous as foutu dans la merde, des agents de la police judiciaire on fait une descente ici la semaine dernière pour te chercher. Si tu as commencé les choses du banditisme c’est bien pour toi mais pas dans mon garage, j’ai une famille à nourrir et je n’ai pas le temps pour les bêtises.

-Déjà monsieur je m’excuse pour la tournure qu’on prit les choses. J’ai été mêlés à l’affaire Boussougou sans le vouloir et c’est comme ça que je me suis retrouvée au cœur d’un problème qui n’était pas mien. Je n’étais pas recherché pour des méfaits et d’ailleurs les accusations qui pesaient sur le père et la fille ont été abandonnés

-Je comprends mais tu sais ces affaires politiques là quand on t’a dans le viseur c’est pour longtemps et je ne souhaite pas faire partir de tout ceci. Je t’ai toujours bien apprécié mais comme je te l’ai dit c’est d’abord mon business avant tout, je ne te renvoie pas mais on va observer les choses d’abord

-Je comprends

C’est dépité que je sors de là, une fois mon équipement de sécurité retiré, je décide de faire un tour chez moi, là-bas je pourrais réfléchir posément sans que l’on me pose de questions. J’ai travaillé dans ce garage pendant 11 longues années, je ne savais pas que c’est comme ça que les choses allaient finir, il m’a mis à la porte sans sourciller, c’est cela la vie d’employé. J’ai un peu d’argent de côté pour m’entretenir mais ce n’est pas grand-chose, j’avais un salaire fixe de 150.000 Fcfa et avec les bonus en tout genre je pouvais gagner entre 30 à 70.ooo de plus selon les mois, un salaire confortable pour quelqu’un qui n’a pas de diplôme. Qu’est-ce que je vais pouvoir faire, je connais que les voitures, je n’ai pas d’autres expériences ni envie de travailler dans un autre domaine. A mon âge je ne devrais pas vivre ce genre de choses, j’ai trop la haine.

Une fois au quartier, quelques personnes me demande comment je vais, j’imagine que tout le monde sait que j’étais rechercher par la police et une fois devant la maison je comprends pourquoi. Porte cassée, studio sans dessus dessous, tout est mélangés, il y’a un bordel sans limite. Assis sur un bout de canapé qui n’a pas été cassé par ces bourreaux, je réfléchis tandis qu’une ombre se dresse derrière moi, madame Mbela ma bailleresse

-Mon fils tu étais où ? Nous ici on était inquiet, un petit calme comme toi, on se demandait pourquoi la police te cherchait au point de venir tout détruire ici

-Madame je m’excuse pour ce qu’ils ont fait dans la maison, je vais arranger la porte. J’ai eu le malheur d’hébergé la mauvaise personne

-Choisi bien tes fréquentations mon fils, la porte là on va arranger ça au moment voulu. En près de 10ans tu ne m’as jamais créé de problème ici dans la cour donc ne t’inquiète pas, remet toi de tes émotions.

Elle s’en va et je me demande bien à quoi ma vie post cavale va ressembler, déjà je n’ai plus d’emploi, plus de mobiliers, il va falloir tout reprendre à zéro et en mieux. J’ai passé ma vie à me cacher derrière les autres, j’avais trop peur pour me lancer dans de nouvelles choses, peut-être c’est le moment pour moi de sortir de ma coquille et de passer à autre chose. Un sourire m’est arraché au milieu de ce chaos lorsque son numéro s’affiche à l’écran de mon téléphone

-Bonjour belle demoiselle

-Bonjour monsieur Grégory, je suppose que t’es au boulot, je voulais juste te souhaiter bonne journée

-Je ne travaille pas aujourd’hui, si on profitait pour se voir

-Ma journée est un peu chargé, j’ai plein de choses administratives à régler mais on s’appelle en soirée pour voir, je voulais juste te souhaiter bonne journée et te dire que tu me manques

-Pas grave mais tu me manques aussi, passe une excellente journée !

Fini les longues journées à se prélasser tous les deux, retour à la vie réelle. Dans ce village il n’y avait pas de directrice de banque ou de mécanicien, pas de responsabilité, pas de différence sociale rien que deux personnes. J’ai peur que ce semblant de relation ne survive pas maintenant que nous ne sommes plus que tous les deux.

 J’essaye de voir s’il y a encore des choses sauvables dans ce tas d’ordure mais c’est mal parti. Puis je reçois un message de tata Fifi me disant que les parents de Tania voudraient me voir pour me remercier, la situation est bien cocasse, moi c’est la fille que je veux voir mais ce sont les parents qui m’appellent. Ils me fixent un rendez-vous pour demain, étant désormais sans emploi je leur laisse choisir l’heure de la rencontre. 

La belle et la bête