Partie XIX

Ecrit par Ornelia de SOUZA

Les bras protecteurs de Dine étouffèrent presque Safi au réveil. La nuit était si douce mais le réveil si brutal. Elle se demandait où elle se trouvait. Des bruits sourds lui parvenait. Quelqu'un cognait contre la porte.


-Dine! hurla cette personne


Safi sursauta. Elle se rendit compte de l'endroit où elle se trouvait. Elle était étendu sur un lit dans les bras de Dine. Toute la soirée d'hier lui revint en tête d'un coup. Elle se leva en hâte poussant son compagnon dans son élan. On continuait de toquer à la porte et elle paniquait. Elle ne trouvait pas ses vêtements dans le désordre de la chambre. Elle se dirigea vers Dine qui ne se réveillait pas et le secoua pour le réveiller. Celui ci ouvrit les yeux très difficilement et se leva en se questionnant sur la raison de cet réveil brutal.


-Lève toi Dine! murmura Safi. On tape à la porte


Comme un bon de café, ces mots eurent un effet vivifiant sur Dine. Il quitta le lit d'un bond et se dirigea vers la porte qu'il ouvrit en grand révélant la nudité accablante de Safi à une femme bien en chair et vêtue dans un boubou chic et brodé luxueusement. Elle écarquilla les yeux d'étonnement en découvrant son fils à moitié nu et une jeune femme nue dans sa chambre.


-Mais Dine! s'offusqua t-elle. Qu'est-ce que ça signifie?


Se rendant compte de la situation, Dine sortit de la chambre poussant presque sa mère et referma la porte derrière eux. Safi se retrouva dans un désarroi sans nom. Elle ne comprenait pas ce qui lui était arrivé et comment elle avait pu se retrouver dans cette situation honteuse. La discussion derrière la porte lui parvenait clairement.


-Qui est cette sale fille dans ta chambre? cria la dame à son fils

-Maman je suis un grand garçon! Comprends qu'il y a certaines choses dans la vie d'un homme que sa mère...

-Chut! Chut! Chut! ordonna la vieille dame. Je m'en fous de tes besoins masculins mais je ne veux pas de ce genre de fille dans ma maison. Et Candie? Elle est une fille de notre rang et elle t'aime énormément. Elle peut satisfaire tes besoins. Pas besoin de ramener une fille de joie dans ma maison.

-Maman ce n'est pas une fille de joie. C'est ma petite amie et elle est une fille bien.

-Une fille bien? continua la dame. Une fille bien qui ne prends même pas la peine de se couvrir devant la mère de son petit ami? Je ne veux pas de cette fille ici! Un point c'est tout !

-Mais...


Elle ne laissa pas son fils finir apparemment car des bruits de pas s'éloignant parvinrent aux oreilles de Safi. Elle serra fort une couverture contre elle. Une larme coula le long de sa joue. Une larme qu'elle se dépêcha de nettoyer du revers de la main. Dine poussa la porte et entra d'un pas nonchalant. La vue de Safi recroquevillée sur elle-même et serrant une couverture contre son corps lui arracha un petit soupir.


-Chérie; murmura t-il en s'installant auprès d'elle.

-Où sont mes vêtements ? demanda agressivement Safi.

-Hier on les avait salit avec du jus. Et je les ai descendu à la buanderie dans la nuit.

-Pourquoi ? cria Safi. Je t'ai demandé quelque chose ? J'ai vraiment commis l'erreur de ma vie en te suivant ici. Maintenant je te prie de me ramener mes vêtements.


Sur ces mots elle se détourna du jeune homme. Il respecta ses mots et alla lui chercher ses vêtements. Dès qu'elle les eut enfiler, elle sortit en courant presque de la maison de Dine maudissant la nuit qui venait de s'écouler.


******

Il sonnait maintenant dix heures et Inès n'avait aucune nouvelle de sa petite fille. Elle faisait les cents pas en réfléchissant. Mais à vrai dire, elle angoissait plus qu'elle ne réfléchissait. Lui était-il arrivé quelque chose? Elle n'avait pas pu rester étudier jusqu'à cette heure ci et de toutes les façons la bibliothèque fermait la nuit. Elle soupira en craignait le pire. Et c'est alors qu'elle se rappela de Rachel. Sa fille n'était pas seule hier soir. Si elle avait disparu, Rachel aussi avait sûrement disparu et peut-être bien que les parents de Rachel avaient des nouvelles. Elle saisit son sac à main alors et sortit de la maison. L'habitat de Rachel ne se trouvait qu'à deux rues de sa maison alors elle décida de marcher tout en hâtant le pas. Bientôt elle se retrouva devant un grand portail fermé. Elle poussa mais le portail ne céda pas alors elle cogna dessus de toute ses forces. Elle n'en pouvait plus de ne pas savoir ce qui était arrivé à sa petite fille. On vint lui ouvrir au bout d'un moment. Devant elle se dressait une femme qu'elle connaissait très bien. Son amie, sa voisine au marché et sa confidente de toujours.


-Qu'y a t-il? demanda la dame d'un ton très énervé. Pourquoi tu tapes au portail comme ça ?

-Et Rachel? questionna à son tour Inès en rentrant dans la maison sans y avoir été convié.

-Qu'est-ce que tu fais même ? Elle est à l'intérieur Rachel.

-Rachel! cria alors Inès. Rachel!


La jeune femme ne tarda point à sortir. Elle prit peur en apercevant la mère de sa meilleure amie qui était apparemment dans tous ces états.


-Bonjour maman! fit-elle timidement

-Et ma fille Rachel? Où se trouve ton amie? Toi tu es chez toi et elle, elle n'est pas rentré depuis hier.

-Mais maman; répondit Rachel en écarquillant ses yeux. Je ne sais pas où elle se trouve.


Assaillie par une inquiétude grandissante, Inès saisit la main de Rachel et la secoua violemment. La mère de Rachel attrapa Inès ne pouvant rester inerte devant la scène. Elle la secoua tout aussi violemment et la poussa loin de sa fille.


-Mais qu'est-ce que tu fais? Lâche ma fille ! Comment oses-tu toucher à ma fille? Comment saurait-elle où se trouve ta dévergondée de fille?

-Ma dévergondée de fille? rugit Inès. C'est ta fille qui vient toujours chercher la mienne pour la ramener dans les coins les plus pourries de Cotonou. Tu crois que je ne suis pas au courant? Une perverse de la sorte et...

-Hé! cria la mère de Rachel. Je ne te permets pas de venir chez moi et de traiter ma fille de la sorte. Tu vas sortir de chez moi maintenant.

-Je ne sortirai pas! assura Inès. Pas avant qu'elle me dise où se trouve ma fille...

-Mais maman je ne sais pas où elle est ; se défendit Rachel. Hier on est rentré à 21h de la bibliothèque et on s'est séparé devant le grand carrefour. Elle m'a assuré qu'elle rentrerait et moi aussi je suis rentré. Comment aurais-je pu deviner qu'elle n'allait pas rentrer ?

-Tu sais, je ne te crois pas! Ça ne ressemble pas du tout à ma fille. C'est à toi que ça ressemble alors maintenant dis moi où se trouve ma fille.

-Mais je ne sais pas; continua Rachel en éclatant en sanglots.

-Maintenant ça suffit! ordonna la mère de Rachel. Pour l'instant ma fille est bien à la maison et pas la tienne alors ne viens plus jamais la traiter chez elle. Sors de chez moi tout de suite.


En disant cela, elle lui saisit le bras et la jeta dehors sans ménagement. Inès s'écroula une fois le portail fermé derrière elle. Elle se demandait où se trouvait sa petite fille, où se trouvait son petit trésor. Celle pour qui elle avit tout sacrifié. Elle n'arrivait pas à croire qu'elle pouvait la perdre aussi facilement. Elle erra dans la rue sans but et lorsqu'elle eut atteint le carrefour que Rachel lui avait indiqué, elle s'attela à demander à toutes les vendeuses qu'elle connaissait bien entendu si l'une d'entre elle avait vu sa fille dans la nuit. Ses recherches s'avérèrent vaines. Personne ne lui répondit positivement mais elle n'abandonna pas. Elle décida de rentrer chercher une photo de Safi pour se rendre au poste de police le plus proche.

Une fois devant son portail, elle se rendit compte qu'il était ouvert. Elle se dit que Safi était peut-être rentré alors elle courut comme jamais dans sa vie. L'espoir lui donnait des ailes et dès qu'elle traversa l'entrée de son salon, elle retrouva sa petite fille recroquevillée sur elle-même dans un des canapés. Dans un accès de colère, elle prit en main le bras de la jeune fille et la secoua avec ferveur.


-Dis moi où étais-tu petite inconsciente? lança t-elle. Dis moi...

-Mama lâche moi! implora Safi.


La jeune fille pleurait, criait et se débattait mais sa mère ne desserra pas sa poigne. N'ayant pas de réponse concrète de la petite, elle la libera et lui donna presque aussitôt une gifle assourdissante qui arracha un cri de douleur à Safi. Et comme possédée par un démon, le regard de Safi s'illumina. Elle se jeta sur sa mère telle une lionne sur sa proie. Elle leva la main sur sa génitrice à plusieurs reprises. Inès qui ne s'attendait pas à cette réaction de la part de celle à qui elle avait passée tout son temps à éduquer, demeura paralysée devant la rage de sa fille et les gifles qu'elle recevait. Et d'un coup comme délivré, elle s'arrêta net et recula. Elle venait de se rendre compte de la gravité de l'acte qu'elle venait de commettre .


-Maman... Je suis... Je suis désolée...

-Non Safi; la coupa brusquement Inès. Tu es une honte pour ta pauvre mère. Une pauvre fille comme toi. Si je savais que c'était ce que j'allais recevoir en retour, jamais je n'aurais perdu mon temps à t'élever, à t'aimer. J'aurais dû fermé mes jambes le jour de ta naissance... Éloigne toi de moi.


Safi croula sous le poids de la honte. Elle tremblotait tant la situation lui semblait irréelle. Le sol bougea sous ses jambes et son coeur bondit hors de son corps. Le tonnerre gronda au loin. Sa mère lui avait toujours dit "manque de respect à tes parents et le sol tremblera sous tes pas. Les esprits se dirigeront vers les ténèbres et les cieux pour rendre compte de ce qu'ils ont vu et les éléments se déchaîneront pour signifier leur peine". Jamais elle n'avait cru aux dieux de sa mère jusqu'à ce moment précis. Elle avait été initié à l'église catholique par la sœur Mina dans son enfance et elle avait toujours cru en l'existence d'un seul Dieu et là elle ne savait pas si elle avait tort de croire cela mais elle savait qu'il existait certaines forces qui échappaient à la maîtrise de l'être humain.


Cris de femmes