Perdre le contrôle

Ecrit par lpbk

A travers les limbes de sommeil qui m’encerclent, j’entends un bourdonnement désagréable. Un son qui ne cesse de s’arrêter pour mieux revenir. C’est insupportable. Ma main cherche la source de ces bruits. Elle tâtonne sur ma table de nuit, fait tomber divers objets avant de parvenir à attraper son smartphone. Celui-ci semble posséder car il n’arrête pas de vibrer.

J’ai la tête en vrac. Mon cerveau est à l’envers. Je pense que j’ai peut-être un peu trop abusé hier soir.

     Mélanie ! Il était temps ! Je commençais à m’inquiéter, hurle Coralie lorsque je décroche.

     Moins fort s’il te plait, grognai-je.

     Quoi ? s’époumone-t-elle.

     Moins fort ! réussis-je à articuler après avoir extrait mon visage de l’oreiller. Ma tête va exploser.

     A ce point-là ? continue-t-elle deux octaves plus bas. Attends, je mets Astride dans la conversation.

Un silence se fait sur la ligne. Je pousse un soupir de soulagement. Ce silence est tellement agréable. Malheureusement, il ne dure pas assez longtemps à mon goût.

     Alors, tu nous racontes ? lance cette dernière.

     Je vous rappelle, il faut que je prenne une douche d’urgence et que j’avale un comprimé avec une bouteille d’eau.

Et sans qu’elles aient le temps d’en rajouter une couche, je raccroche.

Oui, ce silence est un pur bonheur.

J’active le mode « pilotage automatique » pour me glisser sous le jet de douche. L’eau brûlante coule sur ma peau et je m’en délecte. Je tourne brusquement le mitigeur et le jet glacé me fait suffoquer, cependant cela me permet de reprendre en partie mes esprits. Après m’être lavée, je me sèche et entortille mes cheveux dans une serviette. Je m’enroule dans une autre et file à la cuisine où j’engloutis deux cachets d’ibuprofène avec une bouteille d’eau.

J’attends que les comprimés fassent effet avant de rappeler les filles.

     Ca va mieux ?

     Un peu, maugréai-je. Mais ce n’est pas le top.

     Alors, tu nous racontes ? Comment ça s’est terminé avec Franck ?

 

La soirée se passait donc mieux que prévu.

Nous étions descendus au rez-de-chaussée du Top, pour accéder à la partie restaurant. Nous avions opté pour le des ailes de poulet panés.

Le repas englouti, Franck avait proposé de continuer la soirée en boite de nuit. J’avais accepté la proposition avec un peu trop d’enthousiasme, la faute à tous ces cocktails que j’avais déjà avalés.

Malheureusement, Astride nous avait lâchés à ce moment-là, arguant qu’elle travaillait tôt le lendemain et qu’elle ne pouvait pas rester. Et Ethan, ce lâcheur, avait pris l’excuse de la raccompagner pour nous fausser compagnie.

Ne restaient donc que Coralie, Alex, Franck et moi. Nous avions jeté notre dévolu sur le Mandarin qui est une discothèque à ciel ouvert, mais avec une partie intérieure dans laquelle se trouve une piscine où les gens dansent, s’amusent…  Ce qui explique sans doute son nom.

L’ambiance était déjà survoltée. Nous avions tout de même réussi à nous frayer un passage entre tout ce monde et à trouver une petite table où nous nous sommes installés. Une fois nos cocktails à la main, j’avais commencé à observer la salle avec attention.

Une boule à facette surplombait la piscine dans laquelle s’embrassaient des hommes et des femmes, tous presque à moitié nu. Un couple de femmes se galochait avec… beaucoup de passion, je dirais. Ce spectacle était absolument fascinant. J’étais hypnotisée aussi bien par ces deux demoiselles mais aussi par les autres couples que si formaient pour mieux se défaire. Moi qui ne lâchait jamais la bride, qui ne perdait jamais le contrôle, j’avais envie de tout balancer, de me laisser aller à cette ambiance totalement décomplexée, détendue, libérer de toutes entraves.

J’étais tellement envoutée par le spectacle qui se jouait dans la piscine que je ne me suis aperçue du départ de Coralie et Alex uniquement quand ce dernier s’est approché de mon oreille pour me hurler :

     Ecoute, je raccompagne Coralie chez elle. Elle vient d’être malade. Il vaut mieux qu’elle rentre. Je ne vais pas laisser repartir seule, tu comprends ? Enfin, ça ne te dérange pas ?

Non, cela ne me dérangeait pas. A vrai dire, je n’en avais rien à faire. J’étais complétement ailleurs.

     D’accord. Allez-y, lui ai-je répondu en retour.

Et sur un léger salut de la main, il a emmené Coralie. Me laissant en tête-à-tête avec Franck.

Nous sirotions nos verres sans parler car la musique ne nous permettait pas d’avoir la moindre conversation. Je continuais donc de scruter la salle, observant les danseurs. Les femmes qui se déhanchaient sensuellement, lascivement. Qui riaient à gorge déployée. Qui n’hésitaient pas à draguer, à toucher, à enlacer, à embrasser leurs partenaires.

Les hommes n’étaient pas en reste d’ailleurs. Ils étaient obnubilés par ces corps de déesses, qui réclamaient leur entière attention. Pour un peu, un filet de bave aurait pu couler de leur bouche, tellement ils étaient ensorcelés.

J’aurais aimé être l’une de ses femmes. Me sentir aussi libre, aussi belle et désirable.

     Tu viens ? m’a alors lancé une voix.

Je me suis tournée vers Franck qui me tendait la main. Pourquoi pas ? m’étais-je dit.

Nous avions rejoint la piste de danse et nous étions mêlés aux autres clients.

L’alcool me montait à la tête. J’étais totalement déconnectée. Je me sentais si bien, si détendue et libre. Me sentir ainsi ne m’était pas arrivé depuis si longtemps.

     On saute ? lançai-je à brûle-pourpoint.

Sans se faire prier, Franck s’est déchaussé puis déshabillé, ne gardant que ses sous-vêtements avant de plonger au cœur du bain. J’avais éclaté de rire avant de la rejoindre à mon tour.

Je riais encore lorsqu’il s’est approché et m’a enlacée. Je riais toujours lorsqu’il a commencé à me murmurer des propos incompréhensibles à l’oreille. Mais j’ai beaucoup moins ri lorsqu’il a commencé à me tripoter, à vouloir m’embrasser.

     Franck, arrête ! essayai-je de l’empêcher.

Je mis toutes mes forces pour le repousser mais il en avait à revendre et mes maigres efforts ne servaient à rien, d’autant que l’alcool m’embrumait le cerveau.

     Lâche-moi s’il te plait, continuai-je vainement.

Et c’est alors que j’ai vu Franck décoller. Littéralement.

Son corps était passé au-dessus de ma tête en une fraction de seconde je devais avoir les yeux aussi ronds que des soucoupes à ce moment mais je m’en fichais j’étais heureuse d’être libérée de ce goujat qui osait prendre ce que je ne lui offrais pas, sous prétexte que j’étais ivre j’étais reconnaissante à mon sauveur d’avoir fait s’envoler ce mufle

     Je crois que la dame ne veut pas de tes attentions, avait alors rugi une voix derrière moi Donc tu vas reprendre tes affaires et disparaitre rapidement

     De quoi est-ce que tu te mêles ? avait hurlé la voix furieuse de Franck

Je n’ai pas saisi la suite mais j’avais vite vu mon ex-prétendant ramasser ses vêtements et décamper une main s’était alors posée sur mon épaule et la première voix m’avait ordonné de sortir de l’eau

Lorsque je m’étais retournée, reconnaissante vers mon sauveur, j’avais vite déchanté

     André ?!

     Mélanie…

Sa voix laissait transparaitre toute sa colère. Je ne l’avais vu dans cet état qu’une seule fois. Et ce jour-là, tout s’était terminé entre nous. Les brumes qui m’enveloppaient quelques instants plus tôt semblaient s’être évaporées face à son regard dur.

     Rhabille-toi, avait-il exigé.

Sans me faire prier, sans même discuter, j’avais enfilé ma robe et l’avais suivi.

J’avais l’impression d’être une gamine prise en faute par son père. Une gamine qui allait se faire rudement gronder mais qui savait qu’elle le méritait.

Je m’étais installée à côté de lui, dans sa voiture et il m’avait raccompagnée jusqu’à mon immeuble. Durant tout le trajet, il n’avait pas desserré les dents. Ses mains empoignaient le volant avec tellement de colère qu’elles en avaient blêmi.

Je ne sais pas pourquoi mais je voulais m’excuser. Et pourtant je n’ai pas osé ouvrir la bouche. Je baissais la tête, honteuse. Je n’avais rien fait mis à part trop bu mais j’avais honte de mon comportement. Je n’avais jamais perdu le contrôle de la sorte.

     Je viendrais te voir demain, m’avait-il lancé avant de me laisser à ma porte.

 

Un silence assourdissant suit mes révélations.

     Vous êtes encore là ? finis-je par demander.

     André était au Mandarin ?

     Maintenant que j’y pense, j’avoue que c’est étonnant. Masi pas tant que ça.

     Si tu le dis… dit Coralie. C’est tout de même une sacrée coïncidence.

     En tout cas, heureusement qu’il était là.

Je n’ai pas le temps de répondre que la sonnette de l’entrée résonne dans mon appartement. Elle se fait si insistante que je ne peux l’ignorer.

     Je dois vous laisser les filles, j’ai quelqu’un qui semble impatient de me voir.

C’est lorsque j’ouvre la porte et que je croise son regard que je réalise que je suis toujours entortillée dans ma serviette, un semblant de turban sur la tête.

 
30 ans... et célibat...