PREMIERE PARTIE-CHAPITRE II
Ecrit par Fatima
Dieu se laissa corrompre et les pluies tant attendues arrivèrent. Elles se déversèrent abondamment et longuement sur l'immensité de la région. A la première goutte qui tomba, tout Ndiayène se rassembla sur la place du village. Les hommes excités, commentaient avec enthousiasme leurs projets commerciaux, tandis que les femmes, les pagnes couverts de la poussière des chemins, jacassaient, qui se tapant la cuisse sous la pression d'un fou rire irrépressible, qui renouant les attaches de son foulard de tête. Les enfants retouchaient, une dernière fois, leurs frondes, auprès des vieilles dames occupées à se partager la cola. Elles souriaient de toute la largeur de leurs cavités buccales vides. La gent animale n'était pas en reste. Comme pour remercier le Très-Haut de sa générosité, les coqs coqueriquaient, les moutons moutonnaient, les dindons dindonnaient, bref tout le monde parlait des pluies tant désirées.
Les jours qui suivirent, nulle âme ne trimballait le long des sentiers. On cherchait plus à se protéger contre les rafales diluviennes qu'à se dandiner. Toutefois, cela n'altérait en rien le contentement de la population de Ndiayène. Heureusement pour eux, leurs craintes s'étaient révélées non fondées. Dieu est clément, répétait le sage du village, assis sous une élévation du toit, contemplait chaque goutte d'eau en fumant sa vieille pipe écorchée. Dans les maisons, les femmes qui avaient déjà aidé les hommes à défricher, enlever et brûler le chiendent tenace, s'occupaient à repriser leurs vieux pagnes, à piler la poudre servant à fabriquer de l'encens. Leurs hommes, s'ils ne se rassemblaient pas chez le notable, jouaient au Wouri ou restaient à la maison. Ils réparaient les nasses, en faisaient de nouvelles, les oreilles largement tendues, recueillant les informations diffusées par le vieux transistor transi de froid, dont l'antenne se résumait à un fil de fer rouillé.
Sagar ouvrit sa malle et prit un ouvrage dont la moitié de la couverture était inexistante. Elle s'allongea, ensuite, sur la natte qui lui servait de couchette. La lampe à pétrole fut allumée. Bien calée, elle ouvrit le bouquin, puis commença à apprendre quelques notes éparpillées ça et là. Le matin, Rose lui avait apporté le gros livre de médecine de son frère.
-Il faut te documenter, ma chère ! Même si cela ne traite pas de la pédiatrie dans son ensemble, cela peut t'être utile, vu que tu aspires à gaver tes patients de cachets et à leur trouer la peau avec tes foutues futures seringues.
-Rose ! avait crié Sagar. Comment peux-tu dire ça ? A t'entendre, on dirait qu'avec moi, c'est le peloton d'exécution !
Et la Rose en personne, avait feignit une grande exaspération et répondu d'une voix outrée, qui déclencha l'hilarité de son amie.
-Eh ben quoi ? Comme si tu ne le savais pas...mais, ce n'est pas bien grave, je vais te faire ouvrir les yeux sur ce que tu veux faire. Vraiment, pincer les fesses des nouveau-nés, en gifler d'autres pour qu'ils hurlent comme des demeurés à leur naissance, est une pratique pour le moins...inhumaine...Hé hé ! Puis-je savoir à quoi est du ce rire de fou, Sagar ?
-Ca c'est le travail des sages-femmes !
Rose parut un peu déroutée mais se reprit immédiatement :
-Qu'importe ! C'est la même chose ! Quand je pense que c'est ce que j'ai subi lorsque je suis née...Je m'en vais !
Un brin vexée par le comportement amusé de son amie, elle récupéra son sac à main d'un air de martyr, et plus rigide qu'une planche de bois, elle tourna les talons, le regard fixé sur la porte d'entrée.
-Impossible ! Elle est simplement impossible ! Souffla Sagar, en larmes, les yeux rouges et la respiration hachée. Rose l'avait fait se courber de rire.
La lumière vacilla deux fois et s'éteignit. Elle laissait l'image d'une mort rapide après la vie. Ne sachant ce qui lui inspirait ces pensées morbides, la jeune fille prit dans un coin de la chambre une bouteille dont elle versa la moitié dans le trou-réservoir de la lampe. Elle craqua par la suite une allumette et régla la luminosité de l'objet.
-« La rougeole d'origine virale est une maladie peu grave mais qui peut atteindre le fœtus si la mère est contaminée pendant sa grossesse. Le risque est particulièrement important durant les quatre premiers mois. Les bébés dont les mères ont été atteintes, peuvent naître sourds, aveugles et avoir des troubles cardiaques et des troubles du cerveau. ».
Elle leva les yeux du livre et songea un moment à tout ce qu'elle venait de lire. Les bébés sont si fragiles, pensa-t-elle mélancoliquement, les pauvres...
Elle poursuivit :
« L'haemophilus influenzae de type B est la forme la plus commune de méningite bactérienne chez les enfants de moins de cinq ans. Elle cause des épiglatites (qui sont une forme sévère de croup), des pneumonies, un empoisonnement du sang et une infection des os et des articulations. Elle atteint plus sévèrement les enfants de moins d'un an et peut-être fatale. ».
Un bruit fit Sagar relever la tête. Sûrement, un chat faisait galamment la cour à une sotte souris, toute souriante de tant de charme, et qui ignorait qu'elle allait finir ratatinée, écrasée, croquée et broyée...dans le ventre de son admirateur velu.
« Les causes des coliques sont très variées et il... »
Un chien hurla...
«...est préférable d'étudier toutes les origines possibles si bébé en souffre. Comme... »
Un cri fusa...
« ...les coliques atteignent sans distinction tous les bébés, qu'ils soient... »
Le tonnerre gronda...
« ...nourris au sein, c'est peut-être un aliment qu'à mangé la mère, et que bébé ne supporte pas. Il faut essayer... »
La pluie, de plus belle, tomba...
« ...de changer de régime alimentaire maternel pendant vingt-quatre ans et essayer de percevoir s'il y a de notables améliorations sur l'enfant. ».
-Sagar ? Appela Coumba, Sagar vient nous aider un peu !
La jeune fille cria :
-J'arrive, mère ! J'arrive !
« Le muguet buccal, quant à lui, peut être traité par des gouttes antifongiques et celui qui se développe sur les fesses de bébé par une crème... »
Une rafale de vent fit claquer la porte de la maison. On pouvait entendre le bruit des bassines que l'on posait en dessous d'où il y avait des trous provoquant des fuites.
-Sagar !
-J'arriiiiiive ! « ...antibiotique ».
Elle se leva d'un bond et sortit de la chambre. Sur le seuil, elle se cogna contre Talla qui, hurlait; sans aucune raison valable. Sagar le regarda avec ahurissement :
-Talla ? Que se passe-t-il ?
L'enfant lui jeta un regard hagard, en ouvrant fermement sa large bouche comme un poisson. L'inquiétude de Sagar accrut par le comportement de son jeune frère.
-Hey ! Que se passe-t-il ?
Talla hésita un moment avant de lâcher, visiblement à regret.
-J'ai peur des éclairs. Grand-père m'a dit un jour que c'est un ange Abdou Jambaar qui vient me chercher, à chaque fois que la foudre tombe et que le tonnerre gronde...parce que...
Il regarda autour de lui pour s'assurer que personne ne l'entendait
-...parce que j'avais mis un criquet dans son bonnet.
Sagar sourit, se rappelant...
C'était un Vendredi. A l'heure de la prière, à la mosquée, les fidèles avaient déjà commencé à s'acquitter de leur obligation. Grand-père n'avait pas pu faire son devoir convenablement, et pour cause, il n'avait arrêté de sautiller ( un criquet en faisait de même sous son kopati). En fin de compte, un homme s'était approché et enlevant le bonnet, prit le criquet et le jeta au loin. Cela avait déclenché une avalanche de rires. L'Imam avait par la suite recommencé la prière, qui s'était déroulée sans autre incident. Lorsque le vieillard revint à la maison, les pieds poussiéreux- il avait égaré ses babouches dans sa hâte de retourner à la maison-, le visage déformé par la colère, il chercha partout le jeune chenapan, en vain. Talla s'était caché dans l'enclos des moutons...
-Sagar, yow tamit, on t'attend!
-Mère excuse-moi ! J'avais complètement oublié !
Elle rejoignit sa maman dans la cour. Il y avait une invasion de bassines. Les gouttes d'eau tombaient avec un plouc gracieux ou pas, un peu partout.
Aucune pièce de la maison ne fut épargnée. L'eau était partout, s'infiltrait là où il fallait et là où il ne fallait pas. Dehors, la pluie redoublait d'intensité. Cela dura une journée... puis deux...puis une semaine.
Les villageois, heureux au début, ne l'étaient plus. Ils étaient maintenant soucieux. Et il y avait de quoi ! Trop d'eau inondait la terre et détruisait les récoltes. Diégane, le fils du chef du village, n'avait pas apporté de rassurantes nouvelles, lorsqu'il rentra de sa tournée d'inspection avec ses notables. Par là, les tiges de mil étaient nus comme la vérité, leurs grains les avaient déserté. Par ici, les arachides et le manioc étaient déterrés...partout, il y avait des dégâts. Le village allait frôler la famine, si cela continuait ainsi. Et le plus dommage, c'était l'impuissance devant tant de désagréments qui s'annonçaient.
On décida d'attendre...pour chialer comme des enfants à la fin. Tout ! Tout était parti ! Noyé ! Emporté ! Tous leurs efforts et sacrifices étaient vains ! Qu'allaient-ils devenir maintenant ? Faire? Sûrement pas envisager de nouvelles récoltes ! Il en était hors de question ! Les terres laissées en jachère le plus longtemps possible, sous la pression du retard des pluies avaient trop absorbé d'eau pour pouvoir porter des fruits et graines. Le sol était boueux et de mauvaise qualité. Il ne restait plus qu'une solution...attendre l'année prochaine et...mourir...étranglé par la famine.
Ainsi, le village attendit la fin des pluies dont on ne voulait plus. Une fin qui ne tarda pas à arriver des quelques semaines plus tard. Les dégâts étaient considérables. Toute la récolte était fichue. Partout, on voyait les jeunes pousses qui avaient commencé à sortir leurs bourgeons, flotter lamentablement sur l'eau.
Les maisons de certains villageois avaient perdu leurs toits, emportés par la violence du vent qui avait accompagné les fameuses pluies. Chez Sagar, c'était moins grave car, prévisible, son père avait renforcé les tuiles et les clôtures. Il n'y avait que les trous qu'on n'avait pu boucher, faute de moyens.
Une semaine passa. La localité était occupée à réparer les dégâts matériels. On reconstruisait, posait de nouveaux murs, relevait les toits, bref on s'occupait. Nuit et jour. Et à la fin, tout redevint normal, ou presque. La terre était trop imbibée pour redevenir rapidement fertile. Rigides comme la justice, les paysans espéraient que le soleil serait trop chaud pour sécher toute cette masse. En attendant, il restait les greniers...
Un soir, au crépuscule, alors que le jour, contrarié de devoir céder la place à la nuit, commençait à abaisser son voile sombre, on frappa chez les Ndiaye. Ciré qui était occupée à faire des colliers de perles, se leva et alla ouvrir. A la vue du visiteur, elle s'exclama, joyeuse :
-Oncle Gora ! Tu es enfin venu ! Çà faisait si longtemps !
Le vieux Gora sourit et lui remit un sachet.
-Eh bien ! Tu as grandie ! Une vraie petite femme maintenant ! Je peux venir demain demander ta main ! Donne cela à ta mère.
Elle s'empara du sachet tout en clamant :
-Oncle Gora est là ! Oncle Gora est là ! Oncle...
Sa phrase resta noyée par les cris joyeux de Talla et Omar.
-Mon oncle ! Mon oncle !
Gora ébouriffa affectueusement les deux petites têtes venues vers lui.
-Talla ! Omar ! Les petits ''Sai sai'', qu'est-ce que vous devenez ?
-De vrais jeunes hommes, mon oncle ! répondirent-ils en chœur.
Leur réponse déclencha le rire de Coumba que toute cette agitation avait tirée du sommeil.
-Gora ! Comment vas-tu ? Et les enfants ? Et ta femme ? Les parents ? Dieu merci ! Mais entre, entre, ne reste pas dans le couloir ! Ciré où est Binta ?
-Elle est sortie mère, mais elle ne durera pas.
-Soit !...Sagar ? Sagar ?
Quelques instants plus tard, Sagar se présenta devant elle.
-Oui mère ? Tu m'as appelé ? Tu...Mon oncle ! Quelle surprise ! Tu es finalement venu ?!
Gora lui sourit :
-Eh oui ! Mes rhumatismes m'ont accordé un peu de repos, ces temps-ci et j'en ai profité pour revenir au village et t'emmener avec moi à Dakar.
Coumba s'enquit, perplexe :
-A Dakar ? Pour quoi faire ?
-Mère, aurais-tu oublié que c'est là bas que je vais terminer mes études. La ville m'offre également un bon cadre pour trouver du travail avec mes diplômes et mêmes sans eux.
Le front ridé, la vieille s'exclama :
-Ah oui ! Tu as raison ! Çà m'était sorti de la tête. Quand est-ce que vous voulez partir ?
Gora vida le verre d'eau glacée que lui avait offert Ciré avant de répondre :
-J'aurai vraiment aimé rester ici, quelques temps, pour changer d'air. Si tu savais comme celui de la ville est pollué ! Mais, vois-tu, non seulement du travail m'y attend, mais il faut que je voyage la semaine prochaine, aussi. Donc, je ne peux que repartir après-demain. Sagar, j'espère que la date te convient...
La jeune fille qui semblait plongée dans ses pensées émergea.
-Hein ? Moi ? Du tout ! Non. En fait, si. La date me va !
-Eh bien, à la bonne heure alors ! Où est donc mon frère que je le taquine un peu, histoire de se remémorer temps boy !
-Il est sous l'arbre à palabres avec ses amis. Sagar, peux-tu l'avertir que son frère le demande ? Tu en profiteras pour dire à Rose que ton oncle est arrivé, puisque vous envisagez d'aller à Dakar ensemble.
La jeune fille appela son père et se rendit chez sa copine. Elle le trouva en train de balayer la cour :
-Si tu es jusqu'à présent fâchée, dis-le moi, pour que je ne revienne que dans un an ou deux !
-Toi moom, tu as de ces idées ! Dis-moi, que me vaut la visite de sa majesté dans mon humble demeure ?
- Figure-toi que mon oncle est enfin là. Je pars pour Dakar après-demain, inch'Allah. J'espère que tu maintiens toujours ta décision ?
-Bien sûr ! Il ne me reste plus qu'à faire ma valise et à partir.
-Idem pour moi ! Bon...je rentre. On peut avoir besoin de moi à la maison...
Les jours suivants, Sagar fit la lessive, le repassage et les rangea dans sa valise. Elle prit aussi, ses bouquins, ses effets personnels et tout ce dont elle aura besoin pour son voyage. Puis, couchée cette nuit-là, elle se mit à penser au tournant que prenait sa vie, à ses études, à son avenir...
On frappa à la porte. Quelques instants après, Coumba entra dans la pièce. Elle s'assit auprès de sa fille en observant le silence, qu'elle brisa assez rapidement.
-Sagar, as-tu fini de tout ranger ? As-tu bien vérifié que rien ne te manque ?
Un hochement de tête lui répondit. Un ange passa. Puis deux. Le troisième allait survenir lorsque la jeune fille demanda, un brin inquiète :
-Mère ? Qu'y-a-t-il ? Tu me sembles soucieuse...
Coumba ne releva pas. Au bout d'un moment, elle avoua :
-J'ai si peur pour toi, ma fille ! T'imaginer loin de moi est si douloureux !
Sagar parut comprendre, mais pour faire bonne mesure, elle posa quand même la question.
-Mais peur de quoi, mère, de quoi ? Je reviendrai...
-Je sais que tu reviendras Sagar, je le sais...Je te fais confiance et y pourtant, je ne peux m'empêcher tout de même d'avoir peur.
Peur qu'on t'influence, non, ne dis rien, laisses moi terminer, veux-tu ? Je connais Dakar. J'y étais et je peux te dire sans ciller, que ce que j'y ai vu, n'avait pas le don de me plaire. J'ai vu des filles et des garçons, si bons et si innocents être métamorphosés par un mauvais compagnonnage. Des drogués, des fumeurs de chanvre indien, des prostitués...issus de familles respectables et respectées. Moi, je te fais confiance, c'est-ce qui importe, mais avant de partir, je veux juste que tu saches que je t'aimerai et te soutiendrai quoiqu'il arrive et quelles que soient les vicissitudes de la vie. Je suis ta mère après tout. Respecte tes cinq prières où que tu sois. Le bon Dieu te préservera de beaucoup de choses, si tu l'adores comme il le faut. Cette adoration est très importante pour cette vie d'ici bas et dans l'au-delà.
Aies toujours en tête que tes parents se sont sacrifiés pour toi, ont tout fait pour que tu puisses les aider en retour, un jour. N'oublies jamais que tes frères et sœurs doivent prendre exemple sur toi, qui est l'aînée. Dom bou Gor ak Djiguén yép baxna, l'essentiel na barké. Sache aussi que les gens te regardent. Même si tu l'ignores, on t'écoute, t'entend, te voit et t'observe. Dans ce monde de malheur, où les gens sont plus occupés à se détruire qu'à faire du bien, il y aura toujours des jaloux, des calomniateurs, des envieux, qui n'attendront qu'un seul faux-pas pour dire « Je le savais ! Je vous l'avais dit ! ». Et tu te rendras compte souvent, et bien plus souvent que tu ne le voudrais, que c'est majoritairement tes proches.
Elle se tut un moment, avant de continuer :
-Que l'argent, un homme, l'intensité de ton amour pour lui-car tu aimeras même si tu ne le veux pas, c'est Dieu, c'est la vie- ne te font pas perdre ton honneur, ta gloire. Sache qui tu es, d'où tu viens, ce que tu veux et vaux. Il y aura des moments où seules ta foi, ta fierté, ta volonté et ta force de caractère seront les armes dont tu disposeras, les seuls remparts contre la bourrasque d'évènements durs à supporter. Travaille pour que tu puisses te satisfaire toi-même, car il est hors de question que tu demandes à qui que ce soit ta subsistance. On te le rappellera un jour, souvent au moment où tu t'y attendras le moins.
Que la chance soit avec toi ! Tu as ma bénédiction. Elle t'enveloppera même si tu te retrouves nue. Je te fais confiance, Sagar, et revient nous vite !
Elle prit sa fille dans ses bras, la berçant comme quand elle était enfant, comme avant...