PROLOGUE

Ecrit par Ornelia de SOUZA

Un rayon de soleil traversa la vitre du taxi et me brûla le visage . Je me rendis compte que je m'étais assoupie pendant le long trajet qui devait me ramener à mon village natal. Le conducteur à côté de moi transpirait à grosse goutte. Il se servait très souvent d'une petite serviette pour éponger son front . Six passagers étaient entassés derrière . Je suffoquais . J'essayai de tourner la manivelle qui permettait de baisser la vitre mais il ne semblait pas fonctionner . Je me retournai vers le chauffeur qui me fit un signe de la tête qui voulait sûrement dire que le mécanisme ne fonctionnait plus .


Bientôt le taxi s'arrêta . Les passagers installés derrière descendirent les uns après les autres . Je suivis le mouvement et je me retrouvai au beau milieu d'une foule noire de monde . Les étalages s'étendaient à perte de vue . Les vendeuses interpellaient les clients dans tous les dialectes possibles . L'endroit sentait la sueur entre autres ,fruit du dur labeur . Je reconnus cette odeur . Elle me semblait si familière. On dit que l'enfant dans le ventre de la mère ressent directement les émotions et les situations autour de la mère. C'était sûrement mon cas. Je savais que je venais d'ici. Je savais que cet endroit avait été mon berceau. 


Je me mis à marcher le long des étalages. Au bout de quelques pas, mon regard croisa celui d'une vieille femme. Elle était si vieille que toute sa dentition avait tiré révérence. Elle me sourit pourtant et me sembla si chaleureuse. C'était peut-être elle,me dis-je. Était-ce Attiémé la plus vieille femme de ce village comme m'avait raconté ma mère ?


Des yeux bien enfoncés dans leurs orbites accrochés à des cernes comparables à des montgolfières me regardèrent profondément. Je détournai le regard gênée et je resserai mon sac contre moi. Pendant ce temps, la vieille dame au teint de sable se rapprocha de moi. Elle m'agrippa le bras lorsqu'un jeune homme qui tirait un << pousse-pousse >> la heurta violemment. Je la soutint. Son regard pénétra le mien et il sembla si profond. Je vis mon visage dans son iris et j'y lut du désespoir. Un frisson traversa ma colonne vertébrale. Mais je ne détournai pas le regard. Je contemplais la beauté et la force du temps sur le visage de cette femme. Je me demandai quelle âge elle devait avoir. Si c'était la vieille Attiémé dont m'avait parlé ma mère, elle devait avoir bien plus d'une centaine d'années mais cette dame semblait si vivante et si gai qu'elle ne pouvait avoir plus d'un siècle. Il dut s'écouler à peine cinq petites secondes mais mon coeur,lui décompta bien plus d'une longue heure. La vieille dame se redressa et entreprit d'arranger le pagne qui lui servait d'unique vêtement. Elle l'ouvrit sans gêne sous mes yeux m'exposant son corps nu puis elle le noua bien fortement au dessus de sa poitrine. Quant elle eut finis, elle leva ses yeux vers moi et elle murmura mon prénom d'une voix si tendre qu'une goutte de larme m'échappa.


-Vous avez appelé mon nom? demandai-je

-Oui,il n'est pas encore venu ce jour là où je ne reconnaîtrai pas un enfant que j'ai moi-même mis au monde.

-Vous êtes Attiémé? déglutis-je difficilement la gorge nouée 


Elle hocha la tête en signe d'acquiescement. J'éclatai en sanglot et je la pris dans mes bras. Je la serrai si fort qu'elle me supplia de la lâcher. Je ressentais cette proximité que je n'avais plus jamais ressentie depuis la mort de ma mère. Enfin je pouvais me reposer sur quelqu'un. Enfin je savais d'où je venais et enfin je pouvais arrêter de souffrir.


-Ma petite; fit Attiémé en se dégageant. Bienvenue chez toi. Bienvenue sur la terre où tu es née. Viens que je te conduise chez ton père. Il sera heureux de te voir tu sais?Il vit ces derniers jours et...

-Non! Je refuse de le voir! lancai-je brusquement. S'il vous plait Attiémé,conduisez moi chez mon grand-père. Le père de ma mère;me sentis-je obligé de preciser.

-Ton grand-père vit à plusieurs kilomètres d'ici. Passe d'abord chez ton père et ensuite tu pourras te rendre chez ton grand-père. Viens ma petite!




Elle semblait si douce et si affectueuse que je me dis qu'elle ne pouvait me faire du mal et si c'était le cas,elle me l'aurait fait à ma naissance alors que je n'avais aucun moyen de me défendre. Là elle voulait juste que je rencontre mon géniteur. 

On sortit du marché et on pénétra dans le village proprement dit.


-Petite regarde! lança soudainement la vieille dame. C'est une grande amie de ta mère !


Une superbe femme se dressait devant moi. Elle arborait fièrement des allures de femme peulh typique avec des tresses extravagantes ornées de cauris et un maquillage bien particulier...


-Mais elle ne parle pas? C'est vraiment la fille d'Inès?

-Oui,c'est moi ! répondis-je

-Mon Dieu,tu as ces manières en tout cas. Elle était si réservées et toi tu me regardes à peine. Tu dois avoir dix huit ans n'est-ce pas? Elle est parti d'ici il y a...

- Dix neuf ans ! J'ai dix-neuf ans!

-Et où est-elle? Elle est installé chez son père c'est ça? Vu les circonstances de son départ, je comprends qu'elle ne soit pas venue directement ici. Toi tu es venue voir ton père n'est-ce pas cela?

-Non! Elle est morte....


Je prononçai ses mots avec tant de désinvolture que j'en eus un frisson. Je ne l'avais jamais dit depuis la mort de maman. Je n'avais jamais prononcé ses mots. J'avais le coeur en mille morceaux et mes yeux s'embuèrent de larmes. Ces mots retentirent plus comme une bombe du côté de mes auditrices. Elles ne s'en doutaient sûrement pas.


-Par le force des tout-puissants! s'exclama Attiémé. Ma pauvre petite...

-Mes condoléances ; murmura l'amie à ma mère avec un visage décomposé.

-Avec cette nouvelle,je crois que nous n'allons plus tarder; fit Attiémé. Je la conduis de ce pas chez son père. Il y a des rituels qui n'attendent pas.


Ah les coutumes!


Attiémé hâta le pas ! Elle ne murmura plus mot tout au long du trajet jusqu'à ce que l'on ne s'arrête devant un grand portail de fer. Je lus mon nom écrit sur une pancarte accroché au mur à côté. Je compris alors qu'on se trouvait devant le portail de mon père. J'inspirai profondément pour me donner du courage pendant que Attiémé poussait le grand portail. Elle pénétra dans la grande cour et je la suivis. Il n'y a de mot pour décrire le sentiment qui m'envahit lorsque mon pied foula pour la première fois les terres de mon père et de mes ancêtres. Là je compris cette phrase que ma mère me disait souvent : << Les liens du sang ne se brisent jamais même si celles du cœur se brisent. >> Une dizaines de jeunes filles s'activaient dans cette immense cour. Certaines bavardaient allègrement tandis que d'autres s'acquittaient des tâches ménagères. Plus loin, une grosse silhouette était installé devant un grand feu et une énorme marmite. Une douce odeur me chatouilla les narines. Le déjeuner était en cour de cuisson,me dis-je. Mon ventre gargouilla. Je me rendis compte que je n'avais rien mangé depuis la veille. Au loin la cuisinière leva les yeux et nos regards se croisèrent. Elle ne s'attarda pas sur moi mais sur Attiémé. Elle se leva et se dirigea vers nous.


-Cyndie! appela Attiémé


Une des jeunes filles se retourna. Elle me ressemblait comme la plupart des jeunes femmes présentes dans la cour.


-Apporte deux sièges ici tout de suite et appelle moi ton père et toutes tes mères.


La cuisinière nous avait rejoint. Elle s'abaissa pour saluer Attiémé en signe de respect.


-Oui lève toi ma fille! Comment vas-tu?

-On rend grâce aux oracles Attiémé. Je suis très heureuse. Cela fait si longtemps qu'on ne t'a pas vu par ici. Que se passe t-il?

-Regarde! fit Attiémé en parlant de moi

-Une de nos filles? questionna la femme qui en était déjà convaincu.

-Oui,exactement... Safi,je te présente Kissi!

-Safi?! demanda Kissi


Je la connaissais. Ma mère m'avait parlé d'elle comme une femme qui lui avait apporté énormément d'affection.


-Oui,la fille d'Inès

-Ma petite,je sais parfaitement qui est ta mère. J'aurais pu la nourrir au sein ta mère. Elle était comme ma propre fille. Malheureusement, il s'est passé ce qu'il s'est passé. Elle est partie un peu trop tôt sinon elle serait revenu parmi nous lorsque la colère de Degla...

-Assez! ordonna Attiémé. Tu raconteras tout ça plus tard. Va descendre la marmite du feu et fais venir ton mari et tes coépouses.


Kissi toisa Attiémé. Elle était exactement comme je l'avais toujours imaginé dans ma tête cette dame de fer au tempérament de feu. Kissi était une amazone, une femme battante comme on en rencontrait un peu partout sur notre continent.


Kissi soupira et se contenta d'exécuter les ordres de la vieille Attiémé. Nous restâmes assises durant une dizaine de minutes avant que une à une des femmes toutes différentes les unes des autres viennent prendre place autour de nous. C'était les femmes de mon père. Awa, Mariam, Clotilde et enfin Thérèse. 

Bientôt,le vieil homme aidé de la dénommé Cyndie apparut. Il boitait et tenait une canne de la main gauche et sa fille de la main droite. Il regardait dans le vide. Il ne semblait rien voir ou du moins pas de loin. Était-il aveugle? J'eus la réponse à ma question lorsqu'il approcha et tâtonna le vide à la recherche d'un siège. Cyndie le lâcha, chercha un tabouret au loin et le glissa sous son père qui s'assit aussitôt.


-Qu'est-ce que je fais ici? demanda t-il d'une voix très rauque.

-Te rappelles-tu d'Inès, ta dernière femme? interrogea Attiémé

-Oui...

-Et bien sa fille ou du moins votre fille est là... Juste devant toi!

-Safi! murmura le vieil homme


Une grosse goutte de larme m'echappa. Cet homme qui m'avait renié, cet homme qui était la cause de toutes les souffrances de ma mère,cet homme que j'avais tant haït toutes ces années, à chaque instant, à chaque seconde de ma vie connaissait mon prénom.


-Je suis désolé; continua le vieil homme. J'ai été si dur avec ta mère. Mon esprit était embrouillé. Je ne savais pas à cet instant là qu'une fille était un enfant tout comme un garçon. Quand je l'ai compris... Quand j'ai compris cela, il était trop tard. Elle était déjà parti je ne sais où avec mon enfant,avec toi. Pardonne moi petite! Safi, parle moi! Dis quelque chose à ton vieux père.

-Je...Je; sanglotai-je. Je vous déteste. J'aurais pu rester ici. J'aurais pu rester ici avec vous,avec toutes mes mères et avec toutes mes sœurs. Ma vie aurait été mille fois mieux et celle de ma mère aussi mais non vous vous êtes senti obligé de l'envoyer dans la fosse au lion. Et maintenant vous voulez quoi? Que je vous pardonne? Que vous vous mourriez en paix alors que ma mère est morte dans une souffrance abominable? Non,je vous le refuse ce pardon et je vous déteste de toutes mes forces. Mais cela ne vous dit rien j'en suis sûre parce que vous l'aviez dit vous-même. Qu'est-ce que je suis ? Juste une fille! Vous en avez toute une flopée... Maintenant allez-vous en!


J'en avais besoin. J'avais besoin de faire cette confession. J'avais besoin qu'il sache tout ce que je ressentais envers lui comme il l'avait fait avec ma mère plusieurs années plus tôt. Il ne dit plus rien et se contenta de se lever avec difficulté et de se retirer avec l'aide de Cyndie.


-S'il vous plaît Attiémé, je veux partir d'ici. Emmenez moi loin d'ici je vous prie.


Attiémé soupira et s'exécuta. Elle me sortit de là et s'occupa de me conduire jusqu'au village voisin devant la maison de mon grand-père. Je pleurais tout le long du trajet rongé par la culpabilité et par le souvenir de ma mère. Je me retrouvai bientôt debout devant un grand portail en fer blanc auprès d'Attiémé qui sonnait machinalement. 

Le portail grinça et laissa apparaître cette femme si belle et si robuste. Je la connaissais. Je savais que c'était Funkè et Attiémé le confirma.


- Funkè!

-Attiémé?! s'étonna la dame

-Oui,ça fait longtemps... Regarde qui je t'emmène. C'est Safi!

-Safi?! hurla Funkè. Safi,la fille d'Inès ? Mon Dieu,qu'elle est belle et grande! Où est Inès? Inès?


Funkè sauta sur le bitume et regarda à gauche puis à droite. Pas d'Inès. Elle revient sur ces pas et serra Safi dans ces bras.


-Ma fille,et ta mère?


Le regard de Funkè était si profond que je ne pouvais me résoudre à lui annoncer cette nouvelle. J'eclatai en sanglots une fois de plus. Le sourire de Funkè disparut. Elle me serra encore plus fort dans ses bras. Elle avait compris. Elle savait tout...Elle me fit entrer à l'intérieur et me donna un siège et un verre d'eau.


-Ne pleure pas ma petite! Ta peine doit être sans limite mais ne pleure pas. Ton grand-père aussi est mort et regarde moi. Je ne me suis pas laissé ronger par la douleur. Raconte moi donc. Raconte moi ce qui s'est passé depuis le départ de ta mère. Il n'y a que toi qui puisse m'éclairer. J'ai essayé de contacter mon frère plusieurs fois pour lui demander de me renvoyer ma fille parce que tout s'était arrangé ici mais je n'ai jamais eu de nouvelles. Je n'ai jamais eu de réponse.


Et là je soupirai. Je devais raconter à cette femme qu'elle avait envoyé celle qu'elle considérait comme sa propre fille,celle qu'elle avait élevé à l'abattoir.

Cris de femmes