Prologue
Ecrit par Askanda
L’homme ouvrit lentement les yeux, au prix d’un grand effort. Dans
quelques heures, il fera jour. Cette pensée lui donna un peu de joie et
d’espoir.
En effet, dans quelques heures, sa femme arrivera dans la matinée, après
un long voyage de nuit. Elle sera là avec ses enfants. Il les verra tous les
trois, ils seraient tous ensembles encore une fois. Il pourrait les embrasser. Un
mince sourire se dessina sur ses lèvres. Il se surprit à espérer rapidement la
fin de la nuit et par manque d’horloge dans sa chambre d’hôpital, il se mit à
essayer d’imaginer l’heure…
C’est alors que soudain un frisson glacial lui traverser le corps. Il sentit comme un poids lui comprimer la poitrine et il sembla suffoquer. La douleur d’abord diffuse augmenta d’un cran et il ferma les yeux. Le vertige le saisit alors et tout bascula dans sa tête tandis qu’un bruit sourd emplissait ses oreilles. Un moment, le vertige se dissipa et le visage de sa femme lui apparut, elle est plus belle que jamais ! Et aussi soudainement, tout redevient flou, la douleur de la poitrine s’accentua, il se crispa et poussa un cri de douleur. Mais personne n’entendit son cri, il était seul dans sa chambre d’hôpital ! Tout en essayant de reprendre sa respiration, il sentit le froid comme des lames d’acier gagner et cisailler toutes les terminaisons de son corps. Puis tout se remit à tournoyer dans sa tête et il sentit qu’il glissait dans le vide. « Seigneur, Mon Dieu, bénissez-les et prenez soin d’eux ! » pria-t-il intérieurement avant de perdre connaissance. Il était cinq heures quarante minutes.
Vingt minutes plus tard, lorsqu’une infirmière entra dans la
chambre N°33 de l’hôpital, elle constata que l’homme était mort pendant la nuit
et se mit en devoir d’avertir ses parents.
2.
Ainsi s’éteignait le 28 janvier 1987, un modeste instituteur, dans un lit
d’hôpital de sa ville, à la suite d’une longue maladie.
Cet homme mourut presque seul, dans sa salle d’hôpital au parfum d’alcool
mêlé de sang et d’éther, loin de ses enfants, loin de sa femme. Cet homme
aimait sa famille et jusqu’à ce moment fatal, ses dernières pensées étaient
tournées vers eux. Mais les événements
ne lui permirent pas de les voir pour une ultime fois et il s’éteignit, dépité,
vaincu par la terrible maladie contre laquelle il a lutté pendant plusieurs
semaines. La vie de cet homme fut courte, elle s’arrêta tout juste à 33
ans ! Et pourtant, quelle vie ! …
Que d’événements vécus et subis pour cette brève existence !
Au moment précis où il fermait
définitivement les yeux sur ce monde, on pouvait dire que finalement la maladie
qui l’emporte aura été sa dernière bataille. A 33 ans, il est donc parti, assurément avec
regrets et désespoir, mais sans amertume pour ce monde qui ne lui a pas fait du
tout de cadeau et qui ne lui a quasiment jamais donné ce qu’il a espéré de
l’existence.
Sa tombe fut une modeste construction de type musulmane, sans signe
d’extravagance, sans signe distinctif autre que son nom gravé dans la pierre de
sa crypte dans le cimetière municipal. La tombe ne reçoit pas de visite :
seuls les deux garçons et la femme de l’instituteur lui rendent sporadiquement
visite. En vérité, désormais, seuls ces êtres qui lui avaient été chers au
cours de son existence pensent encore à lui. Sans eux, l’homme serait
complètement tombé dans l’oubli.
« Mais,
penserait-on, il y a de par le monde beaucoup de milliers d’individus qui
disparaissent de manière aussi analogue, loin des leurs et dans l’oubli
collectif. Il y a sur la surface de la terre, beaucoup d’hommes et de femmes à
qui la vie a réservé de pareil sort. » Cela est vrai. Mais il y a des destins d’’hommes
qui, bien que généralement semblables à ceux d’autres hommes, sortent de
l’ordinaire en ceci de particulier qu’ils résument à eux seuls la destinée
humaine. C’est ainsi que l’auteur de ces lignes pensent que de part le monde,
il existe peu de gens qui aient vécu tel cet instituteur, aient mené son
existence et qui soient finalement parti de ce monde dans les mêmes conditions.
Car, comme l’a écrit James Balwin, célèbre écrivain noir américain, « … quoique le récit de nos
souffrances, de nos joies et de nos triomphes n’ait jamais rien de nouveau, il
est cependant nécessaire que nous l’écoutions. Il n’y a pas d’autre histoire à
raconter… »
C’est pourquoi
nous avons pensé qu’il serait intéressant de raconter l’histoire de cet homme.
Que ceux des lecteurs qui souhaitent nous suivre dans ce récit daignent donc
accepter de tourner les pages qui suivent.