Puja

Ecrit par leilaji

****Leila****

Qu’est-ce qu’elle me veut ? 

« Ah pardon Leila, ne commence pas ta phrase ainsi car en réalité tu fais la maligne pour rien. »

J’ai mal en la voyant. Il faut bien que je l’avoue. 


Elle a ma place. Je devrais être celle qui porte son nom. On devrait m’appeler madame Leila Larba épouse Khan. Mais il n’en sera peut-être jamais rien. Elle est belle avec cette grossesse. Elle a pris beaucoup de poids mais ses rondeurs lui vont à merveilles et gomment ses traits de jeune fille.


J’ai mal ! Je ne pourrai jamais donner d’enfant à Alexander. Aussi fort que puisse être notre amour, il se peut que le miracle n’ait pas lieu… Je la regarde me dévisager. Elle a beaucoup changé. Ses traits ont muri et elle n’affiche plus le même air hautain d’autrefois. Je vais garder mon calme. Elle porte l’enfant de Xander. Pas besoin qu’il y ait des cris ou des coups. 


—  Je t’écoute…

    Dis à Devdas que je suis là. 


Elle le cherche ? Chez moi ? Et moi qui croyais qu’elle venait en découdre une bonne fois pour toutes. 


—  Il n’est pas là, je lui réponds calmement.

    Ca fait une semaine que sa voiture est garée tous les soirs devant ton immeuble. Je sais qu’il est là. Dis lui de sortir. Je ne ferai pas de scandales. Je veux juste qu’il rentre à la maison. 

    Il n’est pas là, je répète avec fermeté. 


Elle me regarde et ses yeux se remplissent de larmes. 


—  Tu es contente de toi n’est-ce pas ? 

   Tu ne peux pas dire que je ne t’avais pas prévenu. 


Ses mains effacent une larme qui roule sur sa joue. Mais malgré toute cette démonstration de tristesse et de faiblesse, j’ai du mal à avoir pitié d’elle. Est-ce la Neina qui a tenté de me tuer, qui aujourd’hui se tient devant ma porte et me demande où se trouve son mari ? 

Elle ne peut pas dire que je ne l’avais pas prévenu, elle ne peut pas le dire. 

Elle demande son téléphone à son chauffeur qui l’accompagne et porte son sac. Ce dernier le retire du fourre-tout et lui tend l’appareil. 


Elle appelle. Une fois, deux fois… J’ai l’impression qu’elle tend l’oreille vers mon appartement. Elle croit vraiment qu’Alexander est là et qu’il se cache dans l’appartement. Elle ne le connait donc pas ? Ce n’est pas son style de se cacher. S’il était là, il sortirait voir qui a sonné, la verrait et refermerait tranquillement la porte sans rien ajouter. Xander n’est pas du genre à se planquer. 


Mais en quoi est-ce étonnant qu’elle ne le connaisse pas? C’est juste une gamine qui a vu un bel sur une photo et qui l’a de suite désiré. Elle a mal choisi sa cible c’est tout. Son visage est légèrement crispé. J’ai envie de lui claquer la porte au nez mais je ne le fais pas…


Ce que je m’apprête à faire va surement lui faire du mal mais je veux qu’elle comprenne qu’elle s’est attaquée à plus forte qu’elle. La leçon doit être mémorable !

Je sors mon téléphone de la poche de mon jean. J’appelle Xander. Il décroche dès la première sonnerie. 


—  Oui Leila ? 

    Ta … femme te cherche. 


****Neina****



C’est la situation la plus humiliante de ma vie. Je suis dans un tel état de fatigue que ce qui vient de se passer devant moi est comme un coup de grâce. Il n’y a aucune chance qu’il puisse m’aimer un jour. Absolument aucune. A ma main brille une alliance en or. Et c’est tout ce que j’ai eu de lui. Sa mère m’avait pourtant dit que Leila ne pouvait faire d’enfant et qu’en lui en donnant un, j’assurais une éternelle reconnaissance de sa part. 

Mais moi dans tout ça, je me suis complètement perdue à la recherche d’un bonheur illusoire. 

J’ai grandi en Angleterre, loin de mon père et des traditions indiennes. Mais à l’adolescence, il m’a fait rentrer en Inde. Et ici, j’ai découvert un monde qui m’était jusque là inconnu. Il m’a beaucoup parlé, expliqué nos coutumes en long en large et en travers. Il m’a expliqué ce qu’il attendait de moi. Et c’est mon père. J’ai obéi sans savoir que dans sa proposition, je trouverai le plus bel homme que la terre a jamais porté. Devdas ! 

La conception du mariage en Inde n'est pas une relation entre deux individus mais plutôt une relation entre deux familles. Le bonheur d'un ménage indien ne repose pas sur les critères sentimentaux, comme Leila semble le croire. Ici, les parents et plus particulièrement la mère ont la charge de la recherche délicate du partenaire idéal pour leurs enfants. Parfois, on charge « un marieur » de la prospection. La presse écrite est aussi très usité ainsi que les sites internet de rencontre qui regorgent de petites annonces classées par caste où l'on peut lire par exemple : " JF caste brahame, langue gujarati, ingénieur informatique, joli au teint clair, recherche JH même caste, même milieu socio-professionnel". Tout ça doit lui paraitre pathétique à Leila. Mais c’est notre culture.

Les sentiments sont éphémères disait mon père! Moi j’ai épousé ta mère sans jamais l’avoir même vu avant la cérémonie du mariage. Nous avons bâti notre relation sur le respect et l’affection. 


Il n’avait sans doute pas prévu lui-même que je tomberai follement amoureuse de Devdas. 

Leila parle à Devdas au téléphone en français et je ne comprends plus ce qu’ils se disent puis elle raccroche. Je suis quasiment suspendue à ses lèvres. 

 

   Rentre chez toi Neina. Il va bientôt rentrer. Il prend un verre avec ton père. 

 

Je suis si soulagée par ce qu’elle vient de me dire que je pose la main sur mon ventre alourdi par le bébé. Ce bébé, Je ne sais pas ce que je vais en faire. C’est horrible à dire mais maintenant que j’ai compris que Devdas n’en voudra jamais, moi non plus je n’ai pas la force de l’aimer. Je ne sais pas ce que je vais faire de cet enfant, je n’ai aucune envie de devenir mère…


****Leila****

Ma vie n’est pas un roman et je ne suis pas un personnage d’une histoire racontée par un écrivain de talent. Je vis mes douleurs et affrontes mes peurs. Et quand on est profondément blessé comme je l’ai été, on réagit, on se défend. Personne ne le fera à ma place. Je ne suis pas un personnage fictif, je n’ai donc pas à être parfaite. Jouer les femmes éplorées qui attendent que l’homme qu’elles aiment se libère des liens qu’il a noués sans réellement l’avoir désiré ? Très peu pour moi. Nous sommes dans la réalité, pas dans un film chrétien ! Et Neina doit apprendre que dans la vraie vie, pas dans celle des petites richardes, quand on sème le vent, on récolte la tempête. 
Mais à cause de ce ventre rond que je lui envie terriblement, à cause de cette vie liée à Xander qui grandit en elle, je vais lui parler, lui dire les choses comme s’il m’importait qu’elle comprenne son erreur. J’en ai besoin.


— On ne met pas le doigt entre l’arbre et l’écorce Neina. 

   Je ne comprends pas. 

   C’est un vieux proverbe de chez moi. Xander est l’arbre et je suis l’écorce qui le recouvre et tu as mis le doigt entre nous. 


Elle baisse les yeux. 


— Ne pense pas être la seule à souffrir dans l’histoire. Parce que l’alliance que tu portes à ton doigt aurait dû se trouver au mien. Le nom que tu portes désormais m’était destiné et l’homme dont tu as cru pouvoir t’accaparer m’appartient. Je ne suis pas une sainte. Je pêche tous les jours mais sache que c’est toi qui portera le poids des mes péchés par ce que tu es à l’origine de tout le malheur qui s’abat sur nous. Tu croyais que parce qu’on allait se quitter, il ne voudrait plus jamais de moi et pour atteindre ton but, un homme est mort Neina. Je ne sais même pas si tu as conscience de ce que tu as provoqué. Un homme est mort ! Ne pense pas que je te parle par faiblesse ou gentillesse, non je te parle parce que je respecte l’innocence de ton enfant. 


Elle écarquille les yeux de stupeur. Que croyait-elle ? Que je serai insensible au sort de ce petit être ? Ah si je pouvais être à ta place et porter son enfant, je serai la femme la plus comblée de la terre…


Après tout, j’ai été moi-même rejeté par mon propre père et ce que j’ai dû traverser toute ma vie à cause de cette absence je ne le souhaite à aucun enfant. Je ne peux laisser la colère de Xander s’abattre sur l’enfant. Parce qu’il est innocent, comme moi je l’ai été. 


Je n’en peux plus de l’avoir en face de moi. Il faut qu’elle s’en aille. C’est ce qu’elle fait, accompagnée de son chauffeur. Je ferme ma porte et m’y adosse. 


LA VERITE ME FRAPPE EN PLEIN VISAGE : 


Je couche avec le mari de Neina. Je ne couche pas avec mon Xander mais avec le mari de Neina. C’est injuste mais les faits sont là. 

De toute manière, le point de non retour a été franchi. Je ne peux plus reculer. 
J’assume. 
J’assume parce que Xander a dit qu’il remédiera à la situation. J’ai confiance en lui. Je suis mon instinct.


On frappe de nouveau à la porte, quinze minutes après leur départ. Peut-être Xander qui vient récupérer son alliance. Je l’ai gardé dans la poche de mon jean avec le téléphone. J’ouvre. Ce n’est pas lui mais le chauffeur de Neina, complètement paniqué… Il me parle en hindi et je ne comprends absolument rien. 

Quand il s’en rend compte, il parvient tout de même à me sortir deux mots en anglais : follow me Neina, Neina ! 


*

**

****Alexander****


Je regarde le père de Neina se servir un scotch sans glaçon. Leur demeure est quasiment aussi imposante que la mienne qui est plus ancienne. 
Hum ! Nouveaux riches.

Il est tard et normalement, je ne devrai même pas être ici. Mais j’ai pris ma décision, je ne peux plus continuer avec Leila dans cette situation. 


Je l’ai connue fière et indomptable. Je me souviens parfaitement de la femme qui m’a jeté des billets de 10 000 francs au visage pour me payer un baiser. Aucune femme ne m’avait encore jamais traité ainsi. Soit parce qu’elles attendaient quelque chose de moi, soit parce qu’elles ne voulaient pas me mettre en colère. 
Mais ce petit bout de femme a tellement de caractère ! Je suis tombé amoureux d’elle dès que je l’ai vu mais je dois avouer que c’est ce jour que j’ai su que je passerai ma vie avec elle-même si pendant longtemps j’ai tenté de me faire croire que notre liaison serait brève. 

Elle ne tiendra pas longtemps dans cette situation. Et je l’aime assez pour ne pas vouloir lui infliger un tel affront. 


—  J’ai épousé votre fille pour qu’elle ne mette pas l’enfant au monde comme mère célibataire. L’honneur de la famille Oberoi est sauf et je m’engage à toujours prendre mes responsabilités envers l’enfant. Mais dès qu’elle aura accouché, je vais demander le divorce et rentrer à Libreville. 


*

**

****Leila****


Tandis que le chauffeur conduit comme un fou pour nous conduire à l’hôpital le plus proche, je me retrouve embarquée avec une Neina aux abois. 


Seigneur Jésus, il n y a qu’à moi que ça arrive ! Dieu est-ce un moyen de me faire rembourser le cadeau de la dernière fois ? Je prends mon téléphone et appelle Karisma afin qu’elle transmette un message à Leela. Il est hors de question que j’assiste Neina. Sa belle mère n’a qu’à venir jouer son rôle…


Vingt minutes plus tard on arrive à la maternité où se trouve le dossier de Neina. J’espère vraiment que Leela est déjà là et que je pourrai tranquillement rentrer chez moi. Je n’ai aucune envie d’assister à son accouchement. 


C’est trop me demander. 


Elle est sur le point d’accoucher. Son chauffeur est revenu en catastrophe cogner chez moi lorsqu’elle a commencé à soudainement se tordre de douleur dans les escaliers de mon immeuble. Peut-être la descente des marches a-t-elle accéléré les choses…
Je cogite sur des choses que je ne maitrise absolument pas. Je n’ai jamais accouché moi. Juste lu des dizaines et des dizaines de livres … quand j’ai cru moi-même être enceinte.

 
Apparemment, les contractions de Neina deviennent de plus en plus intenses parce qu’elle halète. Je lui demande de s’assoir à la réception et file vers l’accueil en rappelant Karisma. 


Je n’ai qu’une envie, partir. 


Xander, qu’est-ce qu’il va me falloir encore vivre à cause de mon amour pour toi ? Assister à l’accouchement de Neina !!!! Quel est cette ironie du sort ? Pendant que je discute avec l’infirmière à l’accueil, une indienne à la peau claire et au ventre rond attend son rendez-vous avec son médecin à côté. Comme elle s’ennuie, elle entame la conversation avec Neina alors que celle-ci-ci commence à souffrir énormément:

— Vous êtes enceinte de combien ?

— 8 mois ?

— 4 mois. C’est mon troisième enfant. J’espère que ce sera un garçon. J’ai déjà deux filles… Et vous c’est votre premier ?

   Oui… Ma belle-mère … voudrait un petit fils à la peau blanche comme dans sa famille …


Je ne comprendrais jamais cette fixation qu’elles font sur la couleur de la peau. 


—Buvez beaucoup de lait ! Ma tante m’a toujours dit que la peau du bébé est plus blanche si on boit beaucoup de lait pendant sa grossesse. Ce que j’ai fait et il est vrai que ma fille a la peau aussi blanche que la star Aishwarya Rai! Mais là tu es presque à terme, j’espère que tu as mangé beaucoup de beurre, ça aide pour l’accouchement. Mon premier est passé comme une lettre à la poste !
— Madame Khan ? En salle d’accouchement s’il vous plait.


Une infirmière que j’entends les internes appeler "sisters" s’approche de Neina pour l’accompagner en salle d’accouchement sur une chaise roulante. Elle porte une belle blouse blanche immaculée ainsi qu’un petit chapeau sur la tête semblable à ceux qu’on voyait les infirmières porter dans les films des années cinquante. 

— Où est le père ? demande l’infirmière.


Quoi c’est à moi qu’elle parle ? Neina n’a qu’à lui répondre…


—  Il arrive, halète –t-elle.


Au même moment, Leela et Karisma entre dans l’hôpital. Je suis soulagée, je vais enfin pouvoir m’en aller aussi dignement que je le peux encore. Leela va prendre le relai. Karisma se précipite dans mes bras et je l’embrasse. 


—  Bon, j’y vais !

    Non reste !

   Pardon ?


Elle se met à pleurer…


—  Si tu t’en vas, il ne viendra pas. Je t’en prie appelle le et dis lui que tu es ici avec moi. Que le bébé arrive… 


Et déjà l’infirmière l’emmène. 

Leela me regarde avec beaucoup de colère. Comme si elle se demandait par quelle recette magique j’avais poussé Neina à me supplier de rester. 


RIEN QU’A CAUSE DE CE REGARD, JE RESTE ALORS QUE JE VOULAIS M’ECLIPSER. 

J’appelle Xander. 


*

**

Les amoureux du Taj...