Sous les masques de l'innocence

Ecrit par Nobody

– Chérie ?

– Dans la cuisine Amid.

Elle finissait de s’essuyer les mains quand son fiancé arriva, le sourire aux lèvres. Elle lui retourna son sourire et, avant même de réfléchir, se laissa tomber dans ses bras, un besoin de réconfort l’envahissant après cette journée, comme chaque soir. Ses bras avaient toujours ce pouvoir magique, un baume apaisant pour son cœur, une routine douce qui l’aidait à oublier le poids du monde extérieur.

– Tu as passé une bonne journée, chérie ? demanda-t-il en se retirant lentement de son étreinte, une lueur d’intérêt sincère dans les yeux.

Elle hocha la tête, un léger sourire flottant sur ses lèvres, mais ses yeux, eux, disaient tout. La fatigue accumulée, les petites contrariétés du quotidien, tout ça se lisait sur son visage, mais elle n’en dirait rien. Ce n'était pas le moment de lui alourdir l’esprit avec des soucis inutiles.

– Un peu fatiguante, mais ça va, je me plains pas. Et toi, au cabinet ? Ça a été ?

– C'était pas de tout repos, aussi je te l’avoue. Mais oui, c'était bien. Nous avions un nouvel associé.

– Oh ! Et est-ce une bonne chose ? demanda-t-elle prudemment, un frisson de curiosité l'effleurant. Il savait qu’elle s'inquiétait un peu pour lui, pour leur avenir, pour ce qu'il pourrait en sortir.

Il soupira, s'installant lourdement sur la chaise autour de la table, comme si chaque mot qu’il allait prononcer en pesait des tonnes. Dalila ouvrit le frigo pour lui servir un petit rafraîchissement, le regardant de côté, sentant une petite tension dans l'air.

– C’est relatif, Dali. Pour le cabinet, cela ne peut être que bénéfique, mais...

– Mais Amid ?

– Mais pas forcément pour moi. Je pensais être nommé associé au conseil. Je ne savais pas qu’ils avaient prévu d’en ramener un autre. Il va falloir que j’attende encore deux années. Mais qu’est-ce que deux années dans toute une vie, n’est-ce pas, ma chérie ?

Elle s'approcha de lui, son cœur battant toujours au rythme de cette douce tension qui s'était installée. Elle déposa un verre de limonade devant lui et se laissa tomber, légère, sur ses genoux. Elle caressa ses cheveux, qui avaient légèrement poussé, et cela lui rappela combien elle appréciait ces moments, simples, où ils se retrouvaient. Mais derrière ses gestes tendres, une ombre passait, un léger voile de doute qu'elle ne pouvait effacer.

– Je sais que tu essaies de relativiser, et c’est la bonne attitude à adopter. Je comprends, d’une certaine manière, ta frustration. C’est vrai, tout était en place pour faire de toi le prochain associé. Mais l’heure de Dieu est la meilleure, Amid. Et ça, je sais que tu le sais, donc je ne m’en fais pas pour ton moral.

Il sourit doucement, reconnaissant sa bienveillance, cette capacité qu’elle avait à trouver les mots justes pour le soulager. Et en même temps, il savait que derrière cette tendresse, se cachait une inquiétude qu’elle ne laissait jamais totalement s'installer.

– Je suis heureux que tu saches que ton homme n’est pas du genre à ruminer trop longtemps. De toute façon, tant que je continue de briller par mon acharnement, j’ai foi que ça finira par payer. Qui sait ? Peut-être que le prochain cabinet qui ouvrira à Cotonou sera le mien ? dit-il, un clin d'œil complice.

Il l'embrassa brièvement sur la joue avant de poser une question, une simple curiosité qui brisa momentanément la sérénité de la scène.

– Et avant que je n’oublie, comment ça se passe avec cette fille à l’entreprise ?

Le visage de Dalila s’assombrit instantanément, et un voile de colère se dessina sur ses traits. Elle détestait évoquer cette situation, mais elle savait qu’elle ne pouvait pas mentir à Amid. Il était son fiancé, son partenaire, et elle ne pouvait plus tout garder pour elle.

– J’ai envie de la tuer, Amid. Je te jure que j’ai envie... Si j’ai le choix entre la tuer et tuer un serpent, crois-moi que le serpent restera en vie. J’en peux plus d’elle. Je sature.

– Oh là là, qu’elle se calme, la tigresse ! Qu’est-ce qui s’est encore passé ? demanda-t-il, passant la main dans son dos pour tenter de la calmer, sa voix douce et rassurante, même s’il sentait l’agitation intérieure de Dalila.

Elle souffla profondément, essayant de se maîtriser avant de répondre. Mais les mots étaient déjà sortis, accablant le poids de sa frustration.

– Elle est venue me prendre la tête au bureau il y a quelques jours. Comme quoi, j’aurais dit un peu partout qu’elle s’attirait les bonnes grâces du patron parce qu’elle lui faisait du charme et que c’est pour ça qu’elle a tous les contrats. Tu sais, Amid, même si je le pense réellement, je ne l’ai jamais sorti. Je n’ai jamais parlé d’elle au bureau.

– Tu en es bien sûre, mon amour ?

– Puisque je te le dis. Elle a continué en disant que les photos d’elle que j’ai partagées, j’allais le lui payer. Qu’elle allait me nuire spirituellement, et d’autres conneries du genre.

Les mots durs s’étaient échappés, mais ils étaient vrais. L’injustice de la situation l’emplissait d’une rage qu’elle avait du mal à contenir. Elle se sentit soudainement bousculée, son souffle se faisant plus court à mesure qu’elle racontait.

Amid, lui, semblait se tendre. Il la repoussa doucement de ses genoux, l’incitant à s’asseoir en face de lui, plus sérieusement. Il n’aimait pas la voir si bouleversée, surtout quand il s’agissait de son travail.

Dalila souffla de nouveau, fermant les yeux. Ce qu’elle voulait éviter, c’était exactement ce qui était en train de se produire : Amid en colère, désireux de défendre son honneur à tout prix.

– Attends, attends, tu peux reprendre ? demanda-t-il, ses sourcils se froncant.

Elle soupira, puis se lança à nouveau, cette fois dans un souffle plus faible, ne souhaitant pas l’agacer davantage.

– À ce qu’il paraît, il y aurait eu des photos d’elle, pas très catholiques, qui auraient fuité. Des photos qu’elle aurait prises dans sa jeunesse. Et aujourd’hui, elle dit à qui veut bien l’entendre que c’est moi qui l’ai fait. Et...

– Et elle t’a menacée ?

– Bah oui, mais qu’est-ce qu’elle peut bien me faire ? Je n’ai rien à me reprocher, Amid, je te jure, je n’ai rien fait de tout ce qu’elle me reproche. C’est monté aux oreilles du patron, et lundi, je suis convoquée dans son bureau. Cette entrevue scellera mon sort. Mais je sens déjà que je vais devoir faire mes bagages et dire adieu à cette entreprise. Encore une fois, mon malheur, c’est à cause d’elle. Je la déteste, Amid, je la déteste du plus profond de mon cœur, et Dieu sait que cette haine risque de m’aveugler si je reste là-bas.

Elle se tut un moment, comme si elle cherchait la vérité dans les plis de ses propres pensées, mais aussi dans ceux d’Amid.

Le silence qui s’installa entre eux était lourd de non-dits. Chacun à sa manière était en proie à des inquiétudes profondes. Mais dans ce regard qu’elle croisa avec son fiancé, une question se posa. Qui était réellement responsable de cette situation ? Était-il possible que Amid, celui qu’elle croyait connaître, soit mêlé d'une manière ou d’une autre à ce chaos ?

Elle frissonna en y pensant, son cœur battant plus fort à l’idée de remettre en question une confiance qui semblait jusque-là inébranlable. Ce doute, même fugace, lui donna des frissons dans le dos.

– À... Amid, ce n’est pas toi, n’est-ce pas ? demanda-t-elle d’une petite voix, le ton tremblant de peur, la sincérité de sa question accablant la simplicité du moment.

L'expression de son visage suffit à lui donner la réponse qu'elle redoutait. Elle déglutit, le regard plongé dans celui de son fiancé. Le poids du monde sembla se poser sur ses épaules alors qu’elle revivait chaque instant, chaque échange qui les avaient liés. Mais à cet instant précis, un autre sentiment envahit son cœur : la peur.

Retour au présent.

Soraya, de l’autre côté de la pièce, fronça les sourcils en écoutant attentivement le récit de Dalila.

– Excuse-moi de t’interrompre. Mais qu’as-tu fait, toi, quand tu as découvert que c’était Amid qui était l’auteur de tout cela ?

Dalila, surprise par la question, la regarda longuement avant de secouer la tête, un sourire amer s’étendant sur ses lèvres.

– Mais qui a dit que c’était lui qui avait fait ça ? Il n’avait rien à voir dans l’histoire. Et dès que je le lui ai demandé, j’ai su que cela ne pouvait pas être lui. Je te l’ai déjà dit, So, ce qu’il avait prévu, c’était me trouver un autre travail. Et c’est là qu’il me l’a annoncé.

Soraya, silencieuse, nota des détails, ses yeux scrutant les moindres réactions de Dalila, cherchant des incohérences. Ce qu’elle venait d’entendre devenait de plus en plus complexe.

– Laisse-moi deviner, Dalila, le nouveau travail qu’il t’a déniché, tu as postulé, et tu l’as eu, je parie ?

– Oui, répondit-elle, la voix subitement enrouée, ne voulant pas vraiment y penser.

– Et je parie également que c’était là que travaillait la deuxième victime, Vicky, il me semble ?

– Oui, répéta-t-elle machinalement, comme si la vérité lui échappait encore.

– Eh bien, ça promet !

Chaque détail compte...