TECH-GIRL

Ecrit par Fortunia

TECH-GIRL

Sept heures trente.

Je monte les marches d’acier de l’imposant bâtiment aux allures de forteresse. Le portier me salue d’un élégant mouvement de chapeau et me souhaite une bonne journée tandis que les doubles portes vitrées s’écartent pour me céder passage. Mes stilettos résonnent comme des coups de tambour à mesure que j’avance et attirent l’attention. A cette heure, les employés s’activent avec une nonchalance que la première tasse de café du matin n'arrive pas à évacuer. J’étais un moyen efficace de les détourner pour quelques secondes à peine de leur ennui, le temps que les portes de l’ascenseur en chrome ne se referment sur moi.

Je suis entourée de trois de mes sosies. Mon reflet apparaît sur chacun des miroirs qui ornent l’appareil. J’en profite pour vérifier mon maquillage, sobre mais raffiné. Un trait de khôl et un rouge à lèvre pourpre. Les seules armes dont je dotais mon visage ovale. Je passe une main dans mes cheveux frisés. Je les emmêle encore plus, leur donne ce volume et ce caractère sauvage que j’adore. J’ajuste ma veste et le « ding » marquant mon arrivée au quatrième étage retentit.

Je m’arme de ce regard que j’ai pris du temps à assimiler, ce regard qui mettrait un flic à table et ferait pondre une poule. Je traverse les portes métalliques. Le rythme est déjà effréné, comme tous les vendredis matin. Chacun court de pièces en pièces et de bureaux en bureaux avec une liasse de documents à vérifier, à analyser, à cacheter, à expédier, à réceptionner. Une ruche où le désordre apparent n’était en réalité qu’une chorégraphie savamment orchestrée.

Je fais tinter plus fort mes talons. Les regards se posent sur moi et se détournent aussitôt. Les gens s’écartent. Une véritable allée humaine se crée de part et d’autre jusqu’à mon bureau. Ils me craignent, me respectent, me haïssent, m’envient. Normal quand on est directrice générale d’une grande entreprise Tech à vingt-sept ans. J’ai droit aux regards et aux commentaires salaces ou ouvertement réprobateurs de nombreux hommes qui estiment que là n’est pas ma place, que ce soit à ce poste, ou même dans le domaine de la Technologie. 

Je les emmerde.

Ils n’ont aucune idée de ce par quoi j’ai dû passer pour en arriver là. Ils ignorent tous les sacrifices que j’ai dû faire pour pouvoir intégrer ce monde. Ils ne savent pas que j’ai dû suer sang et eau pour me faire reconnaître.

Ils pourront toujours parler. L’on dit bien que la bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe. En attendant, c’est moi qui occupe un grand bureau de 20m² tout en vitres avec mon nom inscrit en gras à côté de « Directrice Générale », moi, Anaëlle Mbangue, et personne d’autre.

Je pousse ma porte et m’assois derrière mon bureau. Il n’y a rien de personnel, juste le nécessaire pour travailler. De la documentation, mon carnet et mon ordinateur. Derrière moi, la vue n’est pas suffisamment intéressante pour me distraire. Encore heureux. Je n’ai pas de temps à perdre. Déjà, je vois une file d’énergumènes qui se demandent qui va se sacrifier en premier lieu. Même pas le temps de prendre une tasse de café. Soit...

Je respire un grand coup et leur fais signe que je suis prête à les recevoir.

Le travail peut commencer.


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