Toucher le fond
Ecrit par Farida IB
Nahia…
Il est 16 h 05. J’éteins mon ordinateur, je ramasse mes quelques affaires et pendant que j’enfile mon manteau en wax Annie frappe et entre dans le bureau.
Annie : madame…
Je lui lance un regard.
Annie s’interrompant : euh, tu m’as appelé.
Moi (pointant le parapheur au bout de la table) : en effet, je suis sur le point de partir. C’est ok pour les documents à signer.
Annie plissant le front : merci et le dossier de Vic ? (une nouvelle société en charge).
Moi prenant mes affaires : tu vois ça avec ton patron.
Annie : mais…
Moi la coupant : il n’y a pas de mais qui tienne, tu le lui présentes à son retour (me tournant vers elle) ça, c’est dans le cas où il revient par ici.
Je sors du bureau pour le grand hall qui abrite les coworking space du département magazine. Et oui, je l’ai finalement ouvert en même temps que l’agence de communication corporate qui a gardé l’ancienne dénomination soit dit en passant. Je laisse des instructions au chef de département avant de prendre l’ascenseur pour descendre. Je sors ensuite des nouveaux locaux et regagne ma voiture pour rentrer à la maison.
Je quitte le bureau plus tôt aujourd’hui, je n’avais plus rien à faire de toute façon. Nous avons eu une semaine assez relaxe après le marathon de la fin d’année. Du coup Khalil en a profité pour démarrer son projet de construction d’un centre de loisirs dans la zone du carrefour 2 Lions. Ou je dois plutôt dire qu’il m’évite parce qu’il faut le dire nous sommes en froid en ce moment. Et cela, parce que j’ai farouchement décliné son idée de nous marier sans la présence de son père. Pour ma part je pense que cela désagrégerait sérieusement leur relation, qui battait déjà de l’aile, et ne ferait qu’envenimer la situation. Mais vous le savez mieux que moi que lorsque votre type a une idée derrière la tête, il se montre entêté et ne se laisse pas influencer facilement. Donc j’ai tôt fait d’appeler sa mère à la rescousse et puisqu’il ne peut pas la bouder elle d’autant plus qu’elle ne vit pas ici avec lui, c’est moi qu’on boude.
Mais bon ça, c’est un piètre détail que je pense régler ce soir même. Je compte nous faire voyager à Abu-Dhabi à travers le menu du dîner. Une nerveuse crème aux poivrons et aux noix, ainsi que mon ingrédient secret le fantastique moelleux pistache-framboise. À tous les coups, il mord à l’hameçon (rire) on se connaît ! En tout cas, on a pris le temps de se connaître à fond. C’est ça le bon côté de la situation qui prévaut.
Notre relation ? Ben, elle est toujours aussi marquante et aussi intense que dans les débuts. J’avoue qu’on se tentionne quand même beaucoup tous les deux, mais il reste mon meilleur. En dépit du mur auquel nous faisons face et quelques zones de turbulences, je peux affirmer sans réserve que je file le parfait bonheur en permanence. C’est pour cela que j’ai eu du mal à aller au bout de ma décision la dernière fois lorsqu’il était rentré de sa tournée. Ma mère a presque réussi à me convaincre de le quitter, elle trouve que je perds mon temps à attendre que son père nous donne sa bénédiction. Déjà qu’elle n’était pas pour que je mette avec lui (son éternelle opinion sur les Arabes). En ce moment, ça ne va pas très fort entre elle et moi également. D’ailleurs, j’évite de partir chez eux, je rentre toujours dévastée. Vous connaissez le spécimen, elle a l’art d’appuyer sur le bouton qui fait mal.
Avant de bifurquer dans la rue qui mène chez nous, je me souviens d’appeler Amou pour qu’elle me confirme son programme du week-end. Ça sonne plusieurs fois sans succès, elle doit être en circulation. Il est prévu qu’elle le passe chez les parents avec son bataillon (cinq filles/cinq garçons) et aussi Nabil et Zeina que sa mère a laissé à papa pour aller en aventure. Donc c’est elle qui a pour corvée de faire le tour des écoles et crèche pour le ramassage. Liam est en Belgique en ce moment, il fait tout le temps des navettes pour s’occuper de l’entreprise familiale. Enfin, plus pour la comptabilité, l’entreprise a toujours été pilotée par Stéphanie sa cadette depuis la mort de leur père. Elle est désormais assistée par Timeo qui a pu être sauvé il y a un an d'une leucémie aiguë myéloblastique 2, grâce à une greffe de moelle osseuse. C’est le seul à avoir hérédité de cette maladie, fort heureusement qu’ils l’ont vite diagnostiquée et prise en charge.
À la maison, je me débarrasse de mon sac et du manteau sur l’un des fauteuils du salon et vais dans la cuisine pour passer en revue les ingrédients pour mes recettes. Quand c’est bon, je grille les noix et les poivrons en attendant de me débarbouiller et de me changer pour passer directement à la mixture. Plus tard, pendant que j’ajoute les épices au contenu du Blender Moulinex, mon téléphone sonne. C’est Amou. Je prends soin de tout mettre dans la machine et de l’allumer avant de m’éloigner pour décrocher.
Moi : madame, ce que tu tiens à la main s’appelle téléphone portable.
Amou : tssrrr je conduisais.
Moi : j’avais compris, vous êtes où ?
Amou : vakpo ! (quartier).
Moi : et comment ça se passe là-bas ? Tu gères ?
Amou : pour le moment oui, les petits sont avec leur grand père.
Moi : il est rentré ?
Amou : cet après midi il paraît.
Moi : je vois et ta mère ?
Amou : je te rappelle que c’est aussi la tienne.
Moi : oui, mais à l’heure actuelle, tu es sa fille préférée.
Amou : lol, c’est pour ça que tu la fuis ?
Moi (revenant à la cuisine) : je n’ai pas vraiment le choix. Je n’ai ni la force ni le mental de subir ses assauts en ce moment.
Amou soupirant : d’un côté, il faut reconnaître qu’elle n’a pas tout à fait tort. Votre histoire là tourne en longueur depuis trois ans.
Moi : ça ne dépend pas de moi encore moins de Khalil.
Amou : peut-être, mais le temps passe et vous ne rajeunissez pas. Si ça ne marche pas, il faut penser à passer à autre chose comme elle le suggère.
J’éteins le Moulinex et verse la crème dans un récipient pour la conservation.
Moi me dirigeant vers le frigo: si je veux bien comprendre, tu es d’accord avec elle.
Amou : il est vrai que ça serait un vrai gâchis et trois années de perdues, simplement qu’aucune autre possibilité ne s’offre à vous.
Moi : peut-être, mais je ne peux pas abandonner pas maintenant. J’ai trop avancé dans cette histoire pour reculer aussi facilement. J’ai trop patienté pour me dédire maintenant. (m’adossant au plan de travail) Je ne me suis pas mise avec Khalil pour abandonner face aux difficultés, d’autant plus qu’il n’a pas cessé d’être un homme merveilleux, de se battre pour notre couple et de me défendre bec et ongles devant son père.
Amou : nous sommes bien conscients que ce n’est pas lui problème…
Moi farouche : Amou ça ne nous avancera à rien cette discussion parce que Khalil, je ne compte pas le quitter.
Amou soupirant : ok ohh, nous voulons juste ton bonheur. Le temps ça n’attend pas et plus tu attends l’inattendable moins tu as la chance de te trouver un autre homme si jamais ça fini en queue de poisson.
Moi : il n’en sera rien !
Amou ton narquois : quand je pense que tu nous as fait gaspillé les salives ici cadeau, aujourd’hui tu es même prête à mettre ta vie entre parenthèses pour lui.
Moi amusée : parce que ça en vaut la peine.
Amou : en tout cas ! (changeant de sujet) Tes parents te cherchent, pa’a s’est encore plaint toute à l’heure qu’on ne te voit plus.
Moi : hmmm dis lui que je passerai la semaine prochaine.
Plutôt que ce soit elle, c’est lui-même qui répond.
Pa’a : pourquoi la semaine prochaine, tu fais quoi demain ?
Moi la petite voix : bonsoir pa’a.
Pa’a : bonsoir ma fille, comment tu vas ?
Moi : je vais bien, tu as fait un bon voyage ?
Pa’a : alhamdoulilah (sans transition) tu passes ici demain, je veux te voir.
Moi : il y a un souci ?
Pa’a : il faut qu’il ait un souci pour que tu viennes voir ton père ?
Moi : non non.
Pa’a : je t’attends ici demain.
Moi dans un soupir : d’accord, je passerai dans la soirée.
Pa’a : ok bye.
Moi : bye pa’a.
Je raccroche pensive. Ça, c’est encore pour sortir les discours sur mon couple qui n’avance pas (soupire). Dieu même je ne sais plus comment le prier pour qu’il nous sorte de cette situation. En tout cas, il n’a pas le choix que de nous envoyer la solution.
Je me remets à ma cuisson. J’entreprends de faire de la salade de concombres au yaourt après avoir mis le gâteau au four lorsque j’entends Khalil ouvrir la porte de son appartement. Il arrive dans son salon avant de me lancer…
Khalil sèchement : bonsoir,
Moi avec enthousiasme : bonsoir houbi, tu as fait un peu ?
Khalil : ashkura Allah (je rends grâce à Dieu).
Moi : ok, le dîner sera prêt dans trente minutes.
Khalil : je n’ai pas faim.
Moi : pas grave, je vais manger mon muhammara toute seule. De toute façon, il y en a pas assez.
Il ne fait pas une minute qu’il surgit dans la cuisine.
Khalil : tu as fait du muhammara ?
Moi (cherchant son regard) : c’est ce que je viens de dire.
Il soupire et je souris.
Khalil : Aynia arrête ça.
Moi prenant un ton sérieux : comme quoi ? J’ai fait quelque chose ?
Khalil : tu sais bien !
Moi dans ma lancée : pour le moment, j’invite simplement mon amour à dîner comme nous avons l’habitude de le faire.
Khalil regard perçant : hmm (faisant demi-tour) je vais prendre un bain et je reviens.
Moi le regardant partir : tu es certain de n’avoir rien oublié ?
Il soupire avant de faire volte-face pour venir me faire un baiser chaste sur la bouche. Je le retiens par le pan de sa chemise et l’embrasse franchement. Je me détache la première et retourne à mon saladier comme si de rien était. Il s’en va et revient lorsque je suis en train de mettre la table. On s’installe et mange en silence.
Moi entamant : tu vas continuer à faire la tête longtemps ?
Khalil : je pense qu’il y a de quoi.
Moi soupirant : et si tu mettais cartes sur table au lieu de bouder comme un enfant gâté ?
Il me lance un regard que je soutiens.
Moi poursuivant : qu’est-ce que tu me reproches exactement ? D’avoir appelé ta mère ou de refuser ta proposition ?
Khalil : la seule solution qui s’offre à nous jusqu’ici.
Moi : mais ce n’est pas l’idéal.
Khalil : l’idéal aurait été que mon père arrête son obstination et ce n’est pas prêt d’arriver.
Moi : tu ne peux pas le prédire.
Il soupire de frustration.
Khalil : ça me révolte qu’il nous empêche d’évoluer à cause d’un critère à ce point arbitraire, ce n’est pas lui qui passera le reste de ses jours avec toi. Si cela me convient à moi le concerné alors pourquoi cette prise de position ? Ça nous bloque dans tous nos projets ! On aurait pu faire avancer notre couple, on aurait déjà construit notre vie de famille.
Moi : mais ça on le fait déjà bien non ?
Khalil haussant le sourcil : en vivant dans deux appartements différents ?
Moi : c’est toi-même qui n’as pas voulu que nous aménagions ensemble et je trouve cela ridicule parce qu’on vit presque ensemble.
Khalil : quand même ça donne une certaine limite.
Moi (lui lançant un regard désolé) : Sam…
Il pose sa fourchette et se passe la main sur le visage.
Khalil : tu ne peux pas comprendre, je me sens mal vis-à-vis de toi. Cette situation est difficile pour toi, elle l’est encore plus pour tes proches. Ça fait un peu plus de deux ans que je leur ai fait une promesse que je ne tiens toujours pas, je sais qu’ils s’impatientent et qu’ils… (inspiration) Aynia, j’ai peur du futur. J’ai peur qu’un jour, tu t’épuises et que tu me laisses ou même que tes parents t’y obligent.
Moi posant une main sur la sienne : je ne te laisserai pas tomber (il me regarde) bébé ce qui compte vraiment, c’est nous deux. Nous ne sommes peut-être pas marié « juste une preuve devant Dieu et les hommes » mais reconnais que nous sommes mieux que la plupart de ceux qui l’ont fait. Tu ressaieras encore et encore…
Khalil : juste une année encore, dans le cas échéant, je me verrai dans l’obligation de le faire remplacer par une autorité musulmane quelconque.
Moi : en espérant ne pas en arriver là.
Khalil : en tout cas. (du tic au tac) Viens là.
Il me prend la main et me fait asseoir sur ses cuisses.
Khalil bisou dans le cou : merci pour le délicieux muhammara (bisou sur l’omoplate) et le cake et la salade (sur la bouche) tout aussi succulent même s’il faut que tu arrêtes cette manière de vouloir à chaque fois me corrompre avec des mets du Moyen-Orient.
Moi riant : et ça a marché ?
Khalil : on ne serait pas assis là à discuter.
Moi entourant son cou : ce que je préfère d’ailleurs.
Il me regarde intensément.
Khalil : je suis désolé de t’avoir entraîné dans ces gouffres, les choses ne se passent souvent pas comme on l'avait prévu.
Moi : tu n’as pas à l’être, nous allons tenir bon ensemble. Une relation, c’est pour le meilleur et le pire non ? (il me fixe toujours en hochant la tête) On se battra, ce sera nous deux contre tous. Maintenant, c’est au destin de décider.
Khalil capturant mes lèvres : je t’aime tellement, tu sais ?
J’ouvre ma bouche pour approfondir le baiser. Tandis qu’il m’attise et me goûte, je tressaille en sentant ses doigts se glisser sous mon débardeur et monte jusqu’à la naissance de mes seins. Il taquine un peu les tétons et fait un chemin vers le bas de mon ventre, il joue avec mon nombril qu’il titille du bout des doigts. Déjà, je sens mon entrejambe s’humidifier et encore plus lorsque je sens ses doigts sur la peau fine qui unit mon sexe et mes jambes. Il me fait languir en me caressant autour du sexe sans toutefois le toucher. Je commence à onduler la hanche impatiente alors qu’il plonge ses doigts dans mes cheveux pour m’attirer vers lui tout en continuant son petit jeu. Le baiser devient de plus en plus fougueux et mon clitoris palpite. Au fur et à mesure, j’écarte les jambes en espérant une caresse ou quelque chose qui éteindrait ce feu naissant, mais rien. La façon dont le gars-ci donne chaud ! J'avoue que j'ai de plus en plus du mal à tenir, mais bon il faut faire avec ! Quand c’est plus que ce que je peux supporter, je ferme les jambes sur sa main et colle mon front contre le sien.
Moi : il vaut mieux stopper si on ne va pas aller plus loin que ça.
Khalil la voix tremblante : on ne peut pas continuer comme ça.
Moi me mettant debout : ce n’est pas comme si nous avions le choix non plus.
Je me mets à débarrasser la table avec toute la frustration du monde et il se lève pour m’aider. C’est pendant que nous rangeons la cuisine qu’il introduit le sujet du budget du mois et notre to do list. Nous nous en occupons plus tard assis sur le balcon de son appartement, il profite aussi à me faire le point sur l’avancée de ses travaux.
Khalil : je pense qu’on a bouclé la liste des courses pour ce mois.
Moi : euh nop, il y a toujours ma seconde liste en instance.
Khalil soupirant : n’est-ce pas que tu fais l’inventaire avant de faire ta liste ?
Moi hochant la tête : c’est ce que j’ai toujours fait.
Khalil : on ne dirait pas parce qu’il y a toujours une x liste qui sort de je ne sais d’où à chaque fois.
Moi faisant la moue : ce n’est pas tout le temps comme ça.
Khalil : si !!! En tout cas, tu t’en charges toi-même.
Moi haussant l’épaule : pas de soucis, à propos, j’ai eu le mécano au téléphone ce matin. Les réparations ont été effectuées sur la Tucson.
Khalil : chouette, tu iras le récupérer demain parce que je vais sur le chantier.
Moi fronçant les sourcils : demain samedi ? Je vais finir par être jalouse de ce chantier.
Khalil : lol, je compte en finir avant la fin de ce mois.
Moi : ok, tu me déposeras au salon de thé (où j’ai rendez-vous avec les filles) en partant.
Khalil : no problem !
Moi soufflante : et je vais passer la soirée chez mes parents, mon père m’a convoqué.
Khalil : ah bon ?
Je hoche la tête, il fronce les sourcils, mais n’émet aucun commentaire.
Moi (passant du coq à l’âne) : au fait, j’aurais besoin de ta carte pour payer la facture du mécano.
Khalil : pourquoi ma carte ? Ce n’est pas à moi de régler ça.
Moi : oh que si ! C’est toi, tu t’es joué les bons samaritains.
Khalil sourire en coin : non mais quelle rancunière !