Tout le monde n'est pas capable d'écrire (?)

Ecrit par anomandaris

J’adore lire les préfaces. Je ne sais pas si je suis le seul à apprécier le faire, mais selon moi chaque livre devrait en avoir une. Il y’en a deux types en particulier qui me plaisent : celle qui racontent la genèse d’un bouquin et celles qui nous parlent du processus d’écriture d’un auteur. Il y’en a qui en parlent aussi dans les postfaces, d’autres encore qui le font dans les remerciements, mais j’aime bien les voir dans les préfaces.


Celles d’Isaac Asimov sont selon moi les meilleures de la littérature, des perles qui nous permettent d’accéder à la psyché de l’auteur, qui nous montrent que derrière la magie des mots, il y’a aussi une certaine technique, acquise parfois par des centaines, des milliers d’heures de lectures, et aussi par un soupçon de ce que d’autres appellent « talent », mais que moi je choisis d’appeler « magie ». Il y’a aussi les préfaces d’autres auteurs, comme celles de Stephen King, qui sont aussi plutôt pas mal (j’ironise : elles sont aussi géniales !). Mais celle que je me propose de vous présenter ici est celle d’un autre auteur (Harlan Ellison) pour le recueil de nouvelles d’un autre auteur (Dan Simmons). Ouais, même parmi les pontes, il y’a parfois du pistonnage. Je vous invite à lire l’intégrale de la préface, et aussi, si le coeur vous en dit, le reste du bouquin (ça s’appelle Le Styx coule à l’envers, et c’est du douze en un).


Après la lecture de cette préface, j’ai été assez chamboulé, en particulier à la lecture de la partie que je me propose de vous partager ici.



" Comprenez-moi : je ne crois pas que « tout le monde est capable d’écrire ». Je vous l’accorde, n’importe qui est capable d’aligner des mots de façon cohérente à condition d’avoir pas mal lu et de maîtriser à peu près la langue. Ce qui suffit amplement si on veut rédiger une lettre ou une thèse de doctorat, ou encore se distraire en se livrant à un « travail créatif ». Mais pour devenir un écrivain […], on doit entendre la musique. Je ne peux pas formuler ça autrement. Vous devez entendre la musique, un point c’est tout. Votre syntaxe peut être lamentable, votre orthographe déplorable, votre sujet consternant. Mais on sait qu’on a affaire à un écrivain. Elle emplit la page, cette musique, même si elle fait encore des couacs. Et seuls les amateurs ou les lecteurs au cœur tendre n’en sont pas convaincus.

Quand on me demande d’animer un atelier d’écriture, je me sens tenu à une franchise totale. Je peux éprouver de la compassion pour une personne rêvant de devenir écrivain et sourde à cette musique, mais si je devais choisir la solution de facilité, éviter de « faire de la peine » à quiconque — à moi y compris, car personne n’apprécie qu’on le considère comme un monstre froid —, je trahirais mon métier ainsi que mes employeurs. Sans parler de l’intérêt des apprentis eux-mêmes. Mentir à une personne qui, à mon avis (et je peux me tromper, comme tout le monde), n’a pas l’étoffe d’un écrivain est un acte de couardise. Pas seulement un acte malhonnête. Flannery O’Connor a dit un jour : « Partout où je vais, on me demande si l’université n’est pas en train de décourager les écrivains. Je pense quant à moi qu’elle ne les décourage pas assez. De meilleurs professeurs nous auraient épargné nombre de best-sellers. »

Ainsi donc, je considère qu’il est de mon devoir de décourager le plus grand nombre possible d’« aspirants auteurs ».

Car il est impossible de décourager un véritable écrivain. Je l’ai déjà écrit cent fois. Brisez les mains d’un écrivain, et il ou elle tapera ses œuvres avec son nez ou ses orteils. "


J’avoue que le chamboulement a été lié à mon approche de l’écriture, à la façon par laquelle j’y suis arrivé. Je dois avouer que j’y ai d’abord été attiré par la lecture, et en apprenant que « tout le monde n’est pas capable d’écrire », je me suis un peu senti indexé. Pour un temps seulement. Car en terminant ma lecture (comme tu viens aussi de le faire, cher lecteur), je me suis aussi rendu compte que ses propos ne concernaient que ceux qui abordent cet acte qu’est l’écriture avec une légèreté qui mérite aussi la légèreté avec laquelle on traverse leurs histoires, parfois sans commenter ni même mettre un like (je parle bien sûr des histoires publiées dans notre cher Muswada). Personnellement, je ne suis pas entièrement d’accord avec Han Ellison, paix à son âme. Je pense que tout le monde est capable d’écrire. Mais pour acquérir cette capacité, des sacrifices sont très souvent nécessaire. Une grosse partie de ce sacrifice se fait dans notre ego, et une partie non négligeable elle aussi se fait dans la légèreté. Quand on est léger dans son approche de l’écriture (je parle bien sûr des histoires mal construites, mal écrrites et inintéressantes pour le commun des lecteurs, pas des histoires drôles), la moindre critique acerbe, ou la moindre invitation à abandonner peut être traduite comme étant une attaque nucléaire, qui invite la victime (l’écrivain léger) à réagir tout aussi violemment. Je m’adresse en particulier à toi, chère partie écrivaine dans le corps de celui ou celle qui me lis actuellement. Si tu écris uniquement pour toi, ne demande pas l’avis d’un autre. Nous, écrivains, sommes des prostituées. Nous proposons nos marchandises (nos histoires) en échange de quelque chose de précieux pour nos clients. Pas leur argent, bien que d’un autre côté, on ne cracherait jamais dessus. Je parle de leur temps. Alors, par respect pour cette denrée si précieuse pour eux, qu’ils ont parfois dilapidé énormément pour nous lire jusqu’au bout, souffrons parfois de les écouter sans leur porter de jugements trop hâtifs. Et si la critique vous énerve trop, eh bien, je vous invite à chercher un autre passe-temps.

Lire, par exemple.


Alors, es-tu d'accord avec Harlan Ellison ? Avec moi ? As-tu ton propre avis sur la question ? L'article t'a-t-il plu ? Fais le moi savoir en commentaire, et n'oublies pas de mettre un "j'aime" !


La besace de l'écriv...